Côte d'Ivoire: Laurent Gbagbo soumis à un régime d’isolement
Le 15 août 2011 par (Slateafrique) - Laurent Gbagbo, soumis à un régime d’isolement, devrait être jugé à la fois par la justice ivoirienne et par la Cour pénale internationale. A la
Le 15 août 2011 par (Slateafrique) - Laurent Gbagbo, soumis à un régime d’isolement, devrait être jugé à la fois par la justice ivoirienne et par la Cour pénale internationale. A la
demande de Ouattara.
Arrêté le 11 avril dernier puis transféré à l’Hôtel du Golf, le quartier général d’Alassane Ouattara, Gbagbo a ensuite été emmené par voie aérienne à Korhogo, une ville du nord de la Côte d’Ivoire, sous escorte onusienne. Assigné à résidence dans une villa de l’Etat, il subit un régime de résidence surveillée qui n’est pas conforme aux normes internationales. Il est privé du droit de visite et de toute communication avec l’extérieur.
Seules les personnalités les plus influentes peuvent lui rendre visite. Les membres du groupe des «anciens» (l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, ex-président de la Commission vérité et réconciliation (TRC); l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan; et l’ex-présidente d’Irlande Mary Robinson) l’ont vu pendant trois quarts d’heure le 2 mai dernier.
Choi Young-jin, l’ancien envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire, lui a également rendu visite à la mi-juillet pour lui faire ses adieux. Le diplomate coréen passe le relais de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) ce mois-ci à Bert Koenders, ancien ministre néerlandais de la Coopération au développement.
Parmi les nombreux avocats à défendre Laurent Gbagbo, un collectif français (Lucie Bourthoumieux, Roland Dumas, Jacques Vergès et Marcel Ceccaldi) a écrit le 5 juillet au Conseil de sécurité de l’ONU pour rappeler que son assignation à résidence ne lui a jamais été notifiée —pas plus que les chef d’inculpation à son encontre.
Leur client, affirment-il, est victime «d’un enlèvement, d’une séquestration et d’une détention arbitraire». Emmanuel Altit, un autre avocat français qui s’illustre dans les dossiers médiatiques (la défense de Gilad Shalit, soldat franco-israélien retenu depuis 2006 par un commando palestinien, mais aussi les infirmières bulgares, libérées en 2007 des geôles de Kadhafi, en Libye), affirme que l’ancien président reste «enfermé 24 heures sur 24 dans une chambre close, à peine éclairée, aux fenêtres bouchées».
Il confirme par ailleurs une observation faite par Marie-Antoinette Singleton, qui examine minutieusement chaque photo de son beau-père publiée par la presse: Gbagbo porte les mêmes vêtements, chemise et pantalons bleus, depuis son transfert à Korhogo.
Le président déchu a été entendu une première fois le 7 mai par Simplice Kouadio Koffi, le procureur de la République, en présence de son médecin personnel, mais pas de ses avocats. Ces derniers n’ont pu le rencontrer que le 26 mai, 42 jours après son arrestation. Simplice Kouadio Koffi a expliqué attendre une décision du Conseil constitutionnel pour inculper formellement Gbagbo.
Le 10 août, le parquet d’Abidjan a annoncé l’inculpation de son fils Michel, détenu avec Pascal Affi Nguessan, l’ancien chef du Front populaire ivoirien (FPI), à la prison civile de Bouna. Les deux hommes font partie d’une liste de 12 personnes à avoir été formellement inculpées pour «atteinte à la défense nationale, complot contre l’autorité de l’Etat, constitution de bandes armées, participation à un mouvement insurrectionnel et rébellion».
Des crimes sanctionnés par des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison. Au total, plus de 40 personnalités ont été inculpées depuis juillet, rendant caduques les protestations d’Amnesty International, en juin, contre la détention sans aucune charge de dizaines de personnes.
Vingt-quatre personnalités arrêtées en même temps que Laurent Gbagbo ont notamment été transférées le 9 juillet de l’hôtel La Pergola, à Abidjan, à la prison civile de Boundiali, une ville du nord du pays. Dans le lot, l’ancien Premier ministre Gilbert Marie Aké N’Gbo, l’ex-ministre des Affaires étrangères Alcide Djédjé (qui a servi jusqu’au bout de médiateur avec l’ONU et la France), de même que Philippe-Henri Dacoury-Tabley, ancien gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Tous sont accusés de détournement de fonds, d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de crimes de sang.
Laurent et Simone Gbagbo, eux, ne sont pas encore inculpés, mais leur dossier relève désormais du ministère de l’Intérieur, a indiqué le 10 août le parquet d’Abidjan. Toussaint Alain, ancien journaliste et toujours conseiller de l’ex-président, a lancé le 8 août une campagne de cartes postales vendues 2 euros, à envoyer à Nicolas Sarkozy, le chef de l’Etat français, pour demander la libération de Gbagbo et d’une soixantaine de proches et anciens responsables.
Théorie du complot
Les conditions de détention n’ont pas changé, malgré les protestations émanant des avocats et de la famille, affirme-t-il:
«Le président Gbagbo est tenu au secret, il n’a aucun contact avec l’extérieur, pas de téléphone, pas de droit de visite. Ils envisageraient même de remettre en liberté son médecin personnel, de manière à renforcer son isolement.»
Selon une «théorie du complot» qui a déjà circulé sur le Web ivoirien, il s’agirait aussi de provoquer par ces conditions une mort naturelle, l’ex-chef d’Etat souffrant de problèmes de tension…
La situation de Laurent Gbagbo n’émeut pas forcément de la même façon à Paris ou Londres qu’en Côte d’Ivoire:
«Il faut arrêter de tout regarder au travers du prisme des droits de l’homme sans la moindre analyse politique du contexte, et se rappeler le cas de la Roumanie, où le couple Ceaucescu avait été fusillé, explique Francis Akindes, professeur de sociologie à l’université de Bouaké.
Le fait qu’il n’y ait pas eu d’exécution de ce type en Côte d’Ivoire peut déjà être salué et considéré comme une avancée. Par ailleurs, comment comprendre aujourd’hui les exigences de certains pour bénéficier de droits qu’ils avaient méprisés hier?»
Questions de justice, questions d’argent
L’enquête de la Cour pénale internationale n’est pas forcément perçue comme un gage d’impartialité en Côte d’Ivoire, pour compenser les éventuels biais de la justice nationale. Le recours à la CPI paraît largement politique: un moyen, pour Ouattara, de gérer la question sécuritaire et de mettre de l’ordre avec prudence parmi les hommes qui l’entourent.
L’équation politique qui lui est posée paraît difficile à résoudre: empêcher les exactions commises par ses troupes de continuer, alors que des craintes persistent sur la formation de milices, voire d’une rébellion armée financée par les anciens caciques du régime Gbagbo en exil à Accra, Lomé ou Washington.
«Il faut donner du temps à Ouattara, estime Francis Akindes. Il ne peut pas tout faire à la fois. De sa capacité à trouver le bon dosage entre prudence politique et divers ordres de sanctions permettant de mettre fin à l’impunité, naîtront la confiance dans le système qu’il tente de mettre en place et la paix durable.
D’ailleurs, ses relations avec Guillaume Soro ne sont pas au beau fixe, en raison du problème très complexe de l’unicité des caisses et du retour de l’administration fiscale dans les zones centre-nord-ouest (CNO) anciennement occupées par la rébellion. Quatre mois ne suffisent pas pour faire un bilan objectif de ses actions en matière de justice.»
Pendant huit ans, Guillaume Soro a fait sa loi dans le nord, sous contrôle de la rébellion nordiste des Forces nouvelles (FN):
«Il a pillé comme il voulait et ça devait s’arrêter un jour; il doit bien le savoir», note un journaliste ivoirien.
Les arrestations auxquelles la justice ivoirienne ne pourra pas procéder au sein du camp Ouattara sans graves conséquences politiques pourraient être faites au nom de la CPI. Voilà pourquoi Jeannot Ahoussou, le ministre de la Justice du gouvernement Ouattara, a exclu des poursuites judiciaires engagées sur le plan national contre Laurent Gbagbo tout ce qui relève de la compétence de la CPI.
En attendant d’être questionné par les enquêteurs de cette juridiction sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis lors de la crise postélectorale, il est surtout question d’argent dans les interrogatoires subis par Laurent Gbagbo.
L’ancien président a dû s’expliquer sur les décaissements massifs (entre 91 à 152 millions d’euros) effectués en janvier auprès de la BCEAO, malgré le blocage des comptes ivoiriens décidé le 23 décembre 2010 par les ministres des Finances de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uémoa).
Sabine Cessou