Recensement général de la population et de l’habitat: Les grosses failles de l’opération

Par Notre Voie - Les grosses failles de l’opération de recensement.

Photo: Mabri Toikeusse, Ministre du Plan et du développement.

C’est un passage en force. Le gouvernement Kablan Duncan a entamé, depuis hier, l’opération de recensement général de la population. Et ce, en dépit de la situation sociopolitique instable.

Alassane Dramane Ouattara et quelques pontes du pouvoir ont été recensés, le 17 mars 2014, dans le cadre de l’opération de Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph). Le lancement effectif de l’opération a eu lieu, le samedi 15 mars dernier, à Bouaké, au Centre culturel Jaques Aka. A l’occasion, le ministre d’Etat, ministre du Plan et du Développement, Mabri Toikeusse, a appelé les populations, y compris les hommes politiques, à participer au processus. Il a même prétendu que le Rgph n’a pas de retombées politiques pour Alassane Dramane Ouattara. Comme s’il était conscient qu’il y a des manquements graves. Le Rgph consiste à «recueillir des données démocratiques, socio-économiques et culturelles se rapportant à un moment donné à tous les habitants dans un pays». Son but est de connaître l’effectif, la structure actuelle et la répartition spatiale de la population. Ce qui signifie que le facteur population, dans l’opération de recensement, constitue la donne importante, à la limite, essentielle. Alors peut-on valablement faire le recensement dans la situation actuelle que connaît le pays ? La question est d’autant importante que, suite à la crise postélectorale, une grande partie de personnes a effectué deux catégories de mouvements de déplacement. La première catégorie est constituée d’Ivoiriens que le Hcr appelle «les déplacés» au plan interne. Des individus qui ont quitté les sites ou localités initiales qu’ils occupaient avant la crise postélectorale. Et qui, redoutant soit le pouvoir Ouattara qui les recherche, soit des miliciens qui occupent de force leurs biens, sont cachés dans d’autres régions. Cette situation de «déplacés» se retrouve partout en Côte d’Ivoire, mais particulièrement dans la région ouest du pays, heurtée à l’extrême par la guerre qu’Alassane Dramane Ouattara a déclenchée pour «chasser Laurent Gbagbo du pouvoir».

Des manquements dus aux déplacements

En effet, dans la région ouest, la situation des déplacements est telle qu’il existait même des camps de personnes réfugiées dans leur propre pays (le cas de Nahibly et de l’église catholique de Duékoué). En principe, pour ces personnes déplacées internes en Côte d’Ivoire, il n’y a pas de problème, en considérant qu’elles ne sont pas hors du pays. Cependant, là où le bât blesse, c’est que ces individus qui ont peur des Frci et autres supplétifs pro-Ouattara risquent de ne pas se présenter aux agents recenseurs. La seconde catégorie de personnes en déplacement est constituée d’exilés. Des personnes fuyant la répression qui ont quitté le pays. Pour ces milliers d’Ivoiriens (au moins 80 mille), rien n’est prévu dans le Rgph. En d’autres termes, l’opération de Recense- ment général de la population va exclure tous les réfugiés et autres individus contraints à l’exil dans les autres pays. En revanche, le recensement prend en compte les personnes considérées «absentes»
Dans la méthodologie de l’opération, il est indiqué que les personnes présentes vont donner des informations concernant les absents pour lesquels il faudra avoir un document. Car le recensement prévoit aussi que tous ceux qui sont visités montrent un papier. Evidemment, il est utopique de penser que quelqu’un qui est actuellement en Côte d’Ivoire peut être en possession des pièces d’une autre personne qui a fui la fureur des combattants et miliciens du pouvoir.
Outre le cas des personnes déplacées et /ou en exil, il y a celles qui, par peur, ne pourront pas répondre à l’appel du ministère du Plan et du Développement. Ce sont les paysans, mais aussi les populations qui regardent tous les jours impuissants les dozos faire la loi. «C’est comme quand il y a eu les élections. Tant que tout le monde ne participe pas, du moins, tant que tous les partis politiques ne sont pas présents au processus, il y aura toujours un fort taux d’abstention», d’après un observateur de la vie politique. A l’ouest du pays et, dans une certaine mesure, dans beaucoup d’autres régions, le problème se pose aussi en termes de biens. Le recensement concernant aussi l’habitat, on peut se demander s’il ne vise pas à légitimer les miliciens pro- Ouattara qui occupent de force les maisons et les terres des personnes en fuite. Et si le régime Ouattara veut faire un passage en force, c’est par rapport au gain politique. Ces nombreux ressortissants de la Cedeao vont être extraits et ajoutés à la liste électorale. Sinon pourquoi se presser pour faire de façon précipitée et improvisée le Rgph ? Car, en voyant la cérémonie de lancement le 15 mars dernier, à Bouaké, on peut avancer que le Rgph est un processus hésitant fait de bricolage. En effet, le lancement de Bouaké constitue la deuxième cérémonie de lancement de l’opération, après celle du 26 septembre 2013 à Abidjan. Et, à Bouaké, il était aisé de remarquer que les affiches, les banderoles et autres éléments de publicité portaient à la fois les dates de 2013 et 2014. Dans le discours qu’il a livré aux participants, le Directeur général (Dg) de l’Institut national de la Statistique (Ins) a indiqué que la collecte des informations va se faire à l’aide de mini-ordinateurs, contrairement aux interviewes traditionnelles. Cette innovation rajoute aux inquiétudes des uns et des autres. Les agents re- censeurs pourront-ils maîtriser en si peu de temps ces outils informatiques ? Si oui, l’Etat a-t-il suffisamment d’argent pour les payer ? Toujours est-il qu’au regard de ces observations, on peut craindre que l’opération de recensement ne tienne pas ses promesses, notamment celle de mettre à la disposition du pays des données fiables pour planifier le développement. C’est pourquoi plusieurs partis politiques, dont le Front populaire ivoirien (Fpi), demandent que le Rgph soit ajourné, de sorte à normaliser d’abord la vie sociopolitique en Côte d’Ivoire. Pourquoi Alassane Dramane Ouattara veut effectuer un passage en force alors que la situation politique est encore instable, alors que de grandes nations ont fait le recensement général de leur population plus de temps après la crise qu’elles ont connue ?

Koulibaly Doucy
doucykoulibaly@yahoo.fr

Les Ivoiriens réfugiés et exilés exclus

Il n’y a plus aucun doute, le 4ème Rgph, lancé, samedi dernier, par le régime Ouattara malgré l’opposition ouverte ou discrète de plusieurs acteurs sociopoli- tiques nationaux et internationaux (partis politiques, Ong, chancelleries et bailleurs de fonds), sera bâclé. Plusieurs raisons militent en faveur de cette issue catastrophique. Au nombre de celles-ci figure la non-prise en compte des réfugiés et exilés. Nulle part, dans l’articulation du Rgph, il n’est fait mention des milliers d’Ivoiriens qui ont fui les exactions des milices du régime Ouattara pour trouver refuge hors de la Côte d’Ivoire après la guerre postélectorale de 2011. Tout se passe comme si ces citoyens ivoiriens sortis du pays pour des raisons sécuritaires n’ont rien à voir avec le Rgph, censé fournir des données géo-sociologiques fiables relatives à la population ivoirienne et sur la base desquelles seront conçus les programmes de développement socioéconomiques. Comment peut-on se fier aux données relevées dans une région martyre comme l’ouest du pays occupée par les étrangers armés qui ont contraint la grande majorité des autochtones à l’exil au Liberia voisin ? S’agissant de la question précise de l’ouest, un député Pdci, qui s’est confié à nous sous le sceau de l’anonymat, ne cache pas son inquiétude sur la nouvelle configuration sociologique de la région. «Aujourd’hui, notre région est envahie par les étrangers venus d’horizons divers qui occupent nos terres par la force de leurs armes. Des Burkinabé que nous avons reçus sont même devenus chefs de village et décident du sort de nos parents. Aux dernières élections législatives, il y avait des villages qui comptaient 80 électeurs inscrits contre 5 000 Burkinabé établis dans les forêts. Imaginez-vous un seul instant ce que nous deviendrons si ces étrangers sont recensés comme Ivoiriens et intégrés plus tard à la liste électorale». Comme on peut le constater, ce 4ème Rgph, organisé dans un contexte de crise marqué notamment par un bouleversement de la structure démographique ivoirienne, va créer plus de problèmes qu’il n’en résoudra. La sagesse commande que le régime Ouattara privilégie l’intérêt supérieur du pays en quête de normalité en renonçant à ce recensement unilatéral et inopportun à visées électoralistes.

Jean Khalil Sella