Interview exclusive: L’avocat de Blé Goudé fait des révélations « Mon client est très atteint… » « Il a perdu la notion du temps »
Le 02 février 2013 par SOIR INFO - L’avocat de Blé Goudé fait des révélations.
Les conditions de détention de Charles Blé Goudé, ex-''général de la rue'', arrêté au Ghana et extradé, dare-dare à Abidjan où il a été inculpé de multiples crimes, sont en totale opposition aux lois et réglements en vigueur en Côte d’Ivoire. C’est du moins ce que dénonce ici, son avocat, Me Gohi Bi, qui soutient que « son client est véritablement atteint moralement et a même perdu la notion du temps » dans « la résidence protégée » où il est détenu.
Comment va Blé Goudé et dans quel état d’esprit se trouve en ce moment votre client, quand vous l’avez rencontré ?
Me Gohi Bi : Ecoutez, nous avons croisé notre client, lors de sa dernière convocation pour son audition au fond, dans les locaux du violon du tribunal. Comme l’a si bien dit mon confrère, lors des réponses aux questions auxquelles nous nous sommes prêtés à la sortie du cabinet du juge d’instruction, Blé Goudé nous a dit qu’il est dans des conditions de torture morale, conditions qui le mettaient vraiment, dans une impossibilité de sereinement déposer. Mais, il faut faire la part des choses. Notre client n’a relevé aucune sorte de tortures physiques qui auraient été exercées sur lui. Mais par contre, il insiste sur le fait que les conditions dans lesquelles il est détenu sont des conditions d’isolement qui, pratiquement, le mettent dans une situation où il a même perdu la notion du temps. Il se retrouve dans une pièce pratiquement vide, sans compter que cette situation l’écarte de tout contact, notamment celle des membres de sa famille biologique. Il est dans l’impossibilité d’entrer en contact avec ses conseils que nous sommes. Il nous a signifié, d’ores et déjà que moralement, il est véritablement atteint. Nous pensons que la solution à cet état de fait est plus judiciaire. Il s’agit simplement de demander aux responsables de nos juridictions qui ont l’obligation de lui accorder une détention digne du respect humain, de pouvoir y remédier le plus vite.
Le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko dit que Blé Goudé est « en résidence protégée ». Qu’est-ce cela signifie pour vous et quelle est votre compréhension de ce vocable ?
Me Gohi Bi : Honnêtement, pour moi, c’est une expression nouvelle, la « Résidence protégée ». Néanmoins, à mon humble avis, je pense qu’en s’exprimant ainsi, le ministre Hamed Bakayoko, de bonne foi, voulait simplement dire qu’il entendait garantir une sécurité sérieuse à notre client Blé Goudé. C’est peut-être en cela qu’il parle de « résidence protégée » ou de lieu de détention protégée. Mais, tout cela m’inspire une certaine défaillance dans le fonctionnement du système juridique ivoirien.
Craignez-vous pour la vie de votre client ?
Me Gohi Bi : Non, pas véritablement une crainte. Nous avons les voies et moyens pour pouvoir contraindre les autorités judicaires à améliorer ces conditions de détention. Nous n’allons pas accepter une quelconque forfaiture. Ça, vous pouvez compter sur les conseils de Blé Goudé. Mais, je veux dire que quand une telle situation est traitée au niveau du ministère de l’Intérieur, moi je suis profondément désolé. Il s’agit d’une question qui relève exclusivement du judiciaire. Parce que, un mandat de dépôt, c’est le procureur qui l’exécute sous les ordres du ministre de la justice. Les services d’immigration sont sous les ordres du ministre de la justice. Cette question de Blé Goudé, relève exclusivement du ministre de la justice et des droits de l’homme.
Vous voulez donc dire qu’après son inculpation, Blé Goudé devrait donc être placé dans une maison de détention et non dans une « résidence protégée » ?
Me Gohi Bi : C’est ce que dit la loi sde 1969 ur les mesures de détention. Un inculpé est détenu dans une maison d’arrêt, mais pas au secret, dans une « résidence protégée ». À partir du moment où il inculpé et placé sous mandat de dépôt, il relève désormais et exclusivement du ministre de la justice et des droits de l’homme et non du ministre de l’Intérieur. Il n’existe pas de maison ou résidence protégée dans notre code de procédure pénal. Si le ministre de l’Intérieur emploi ce vocable, c’est parce qu’il outrepasse ses compétences pour aller intervenir dans le domaine judiciaire. Le ministre de l’Intérieur, après cette expression, devrait comprendre qu’il devrait avoir les mots justes. Mais, il doit comprendre qu’il intervient dans un domaine judiciaire. Je pense qu’il appartient au ministre de la justice de prendre cette question de Blé Goudé à bras le corps. C’est à lui de se prononcer sur la question. Le ministre de l’intérieur que je respecte bien fait beaucoup d’efforts. Mais, il faut bien qu’il fasse ces efforts conformément aux lois ivoiriennes et aux règlements en vigueur. Et que Blé Goudé ne soit pas dans une « résidence protégée ». Une détention se fait dans une maison d’arrêt et non dans une « résidence protégée ».
Avez-vous, au moins une idée, ne serait-ce que vaguement, de l’emplacement géographique de cette « résidence protégée » où votre client est détenu ?
Me Gohi Bi : Notre combat, dès que Blé Goudé a été inculpé et mis sous mandat de dépôt, était que nous puissions rentrer en contact avec lui, communiquer avec lui, et ce, conformément aux dispositions du code de procédure pénal, en son article 173, qui dit exactement que « lorsqu’un individu est inculpé, il communique librement avec ses conseils ». Donc, ce n’est pas une faveur que nous demandons. C’est un droit de l’inculpé qui pèse sur les autorités en charge du dossier de lui permettre de pouvoir communiquer. En ce sens, nous avons écrit à Madame le Doyen des juges d’instruction, pour lui demander qu’il nous soit indiqué l’endroit de détention de Blé Goudé. Le mandat de dépôt étant exécuté par le procureur de la République, nous lui avons écrit. Nous n’avons eu point de réponse jusqu’à ce nous recevions les avis, nous disant que notre client devait être entendu sur le fond, une semaine après son inculpation sans que nous ne sachions où il est. Dès que nous avons reçu cet avis, nous nous sommes précipités pour avoir une audience avec le procureur de la république, nous n’avons pas eu gain de cause. On nous a simplement permis, juste une heure avant l’interrogatoire du fond, de rencontrer notre client dans les violons du tribunal. A ce jour, au moment où je vous parle, nous, conseils de Blé Goudé, nous ne savons pas où il se trouve. Toute chose qui concourt à une violation manifeste du droit de la défense. Nous n’avons pas encore eu accès à lui en dehors de l’heure qui nous avait été accordée au violon du tribunal. C’est l’un de ces droits-là que Blé Goudé a revendiqué et continu de revendiquer. Parce que lLe droit de communiquer avec son conseil, le droit de communiquer avec sa famille, le droit d’être détenu dans des conditions humaines, sont des droits sacrés pour lui.
Que comptez-vous faire pour emmener le ministère à faire droit à ces droits de votre client ?
Me Gohi Bi : Nous n’avons d’autres moyens que les voies de droit. Tant que nous ne pouvons pas être en contact avec notre client et discuter librement avec lui, nous allons chaque fois le rappeler aux autorités judiciaires en charge du dossier. Tant que notre client restera dans les conditions qu’il décrit de torture morale, il ne sera toujours pas à même de pouvoir sereinement déposer. Et je pense que cela ne fera que retarder la procédure. Donc, il ne s’agit pas de faveur que réclame notre client. Nous sommes dans un Etat de droit, c’est ce qu’on nous fait croire. Mais, ce qui est plus important, c’est l’état du droit dans cet Etat dit de droit. Quand nos clients ne sont pas détenus dans des maisons de correction mais dans des résidences « protégées », nous posons des questions sur l’état du droit en Côte d’Ivoire. Il ne pourra donc pas répondre aux questions de fond du juge. Nous disons qu’il ne s’agit pas de faveur que nous réclamons, il s’agit des droits d’un inculpé qui doivent être respectés. Sommes-nous dans un Etat de droit quand on refuse à un conseil de voir librement son client, de ne pas connaitre son lieu de détention, que le client n’est pas placé dans une maison d’arrêt mais une résidence protégée. Quel est donc l’état de notre droit ? C’est pourquoi, je pense que les autorités judicaires, dans un esprit d’indépendance, doivent pouvoir régler ces impairs qui n’honorent pas la justice ivoirienne.
Que savez-vous d’un deal que votre client aurait passé avec le gouvernement ?
Me Gohi Bi : Je peux vous assurer sur cette question. D’ailleurs, Maitre N’Dri, mon confrère l’a dit, la dernière fois. Il n‘y a eu aucun deal entre Blé Goudé et le gouvernement. Blé Goudé a été arrêté au Ghana, il a été extradé selon la procédure de remise de police à police qui régit les pays membres de la Cedeao, contrairement au cas Katinan Koné qui obéit à une procédure d’extradition. Il a été inculpé d’une vingtaine de charges. Il est prêt à faire éclater la vérité. Mais à la seule condition que l’extrême minimum de ses droits soit respecté.
Qui paye vos émoluments. Est-ce l’Etat de Côte d’Ivoire qui vous a requis pour défendre Blé Goudé ou alors, c’est Blé Goudé lui-même ou un de ses proches qui s’en charge ?
Me Gohi Bi : Pourquoi voulez-vous connaître qui paye nos émoluments ? Je suis désolé de ne pas répondre à cette question.
Avez-vous eu vent d’un mandat d’arrêt émis par la Cpi et craignez-vous un transfèrement de votre client vers la Haye ?
Me Gohi Bi : Non, je n’ai pas connaissances de l’existence d’un mandat d’arrêt de la Cpi. Et pour ce qui est de son éventuel transfèrement, je n’ai aucune crainte, en tant qu’avocat.
Réalisée par Armand B. DEPEYLA
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