Transfèrement de l`ex-président ivoirien à la CPI / Trois mois après: les 3 exigences des parents de Gbagbo

Publié le jeudi 16 février 2012 | L'Inter - Dans le village natal de Laurent Gbagbo, Mama, l'ambiance est à la méfiance. Passé le transfert à la CPI de l'ex-président et les législatives, les tensions s'apaisent. Mais restent bien présentes. Reportage.

Laurent Gbagbo, ses enfants et petits enfants.

Publié le jeudi 16 février 2012 | L'Inter - Dans le village natal de Laurent Gbagbo, Mama, l'ambiance est à la méfiance. Passé le transfert à la CPI de l'ex-président et les législatives, les tensions s'apaisent. Mais restent bien présentes. Reportage.

À Mama, berceau de l'ex-président Laurent Gbagbo, à une trentaine de kilomètres de Gagnoa, dans la nouvelle région de Gôh (Centre-Ouest), Bertin Ouraga Kouassi, le chef du village, a trois obsessions : le retour en Côte d'Ivoire du « président Gbagbo », le départ des Dozos - une confrérie de chasseurs d'origine sénoufo - et la restitution de ses véhicules, que des militaires des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) lui auraient pris lorsqu'ils ont « envahi » le village, le 30 mars 2011.

Les dernières législatives ? Il n'a pas voté, suivant ainsi les consignes du Front populaire ivoirien (FPI). Volontairement dans son cas. Quant aux autres Bétés du village ou de la circonscription électorale, difficile de savoir s'ils se sont abstenus spontanément. « Les militants du FPI étaient postés près des bureaux de vote. Une manière de dissuader ceux qui auraient eu envie d'y entrer », confie un habitant de la commune de Ouragahio, à laquelle sont rattachés Mama et dix autres villages. Reste que si nombre de Bétés regrettent leur ex-président, ils ne soutiennent pas tous le FPI.

Les allochtones aux urnes

Ceux qui sont allés voter sont donc principalement des « allochtones », comme on les surnomme ici, notamment des Nordistes (Malinkés et Sénoufos) et des Baoulés. Des communautés qui, au fil des ans, sont venues s'installer dans la région, grande productrice de cacao et de café. Mais qui se sont rarement mélangées.

Ici, chaque village est constitué d'un village « mère », peuplé généralement de Bétés, et de divers campements, abritant chacun une communauté ivoirienne ou étrangère (burkinabè ou malienne). Même en ville, les quartiers sont marqués ethniquement. Bien qu'il se soit rendu à l'investiture d'Alassane Ouattara en tant que membre du conseil des chefs de village du département de Gagnoa, Ouraga Kouassi n'en démord pas : « C'est Gbagbo qui a gagné les élections. Il a été élu et investi. Il reste donc le président pour nous. Dieu a eu la main sur lui, car il aurait dû disparaître si l'on tient compte de la force puissante, venue d'Afrique, des États-Unis et d'Europe, qui a soutenu militairement Ouattara. » Avant d'évoquer l'arrivée des FRCI dans le village : « Tous les Bétés se sont réfugiés en brousse. Seuls les étrangers et les allochtones, qui avaient été informés du jour de l'attaque, sont restés au village, prétend-il. Aucun d'entre nous n'a été épargné ; les FRCI ont pillé nos maisons, y compris celle du président Gbagbo. »

Dans la vaste résidence du président déchu, qu'entoure un long mur peint en rose, on peut en effet voir quelques portes, dont celle de l'entrée principale, trouées par des tirs de balles, et apercevoir des meubles renversés. Mais une grande partie du mobilier est toujours en place et la plupart des tableaux sont encore accrochés aux murs.

Gbagbo à la CPI : l'incompréhension

Bien évidemment, pour Kouassi, mais aussi pour Yabé, un neveu de Gbagbo qui habite Gnaliépa, un village voisin (où vivait la mère de l'ancien chef de l'État), ou pour Sébastien Blesso Zébré, le président du mouvement Tous avec Gbagbo pour la victoire (TGV, créé en 2004), et pour bien d'autres encore ici, l'arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, et son transfert à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, le 29 novembre, ont été un coup dur. Ils ne s'en sont toujours pas remis. Ils espèrent son retour et croient, dur comme fer, qu'il reprendra sa place à la tête du pays s'il est blanchi des crimes dont il est accusé.
La résidence de l'ex-président Laurent Gbagbo, mi-janvier 2012 à Mama.

Aucun ne comprend ce que l'on reproche à l'ex-président qui, selon eux, n'a jamais prôné ni la force ni la violence. Et s'il n'a pas réalisé grand-chose chez lui - à Mama il a fait bitumer la voie qui conduit de la route principale au village et a fait construire quelques maisons -, c'est « parce qu'il privilégiait le développement du pays et non celui de sa région. De toute façon, on ne l'a pas laissé travailler ». Partout la complainte est la même. « Les nordistes nous ont trahis. Dès septembre 2002, ils étaient en connexion avec les rebelles. Ils se sont enrôlés dans les rangs de leur armée et ont participé à l'attaque de fin mars dernier. Nous avons été trop bons. Nous leur avons donné nos terres, nos richesses, et voilà comment ils nous ont récompensés », martèle Kouassi, amer.

Tourner la page et aller vers la réconciliation

Les nordistes, eux, ont une tout autre version des événements passés. « Avant 2000, les communautés vivaient en harmonie. Nous participions à la vie locale et même aux funérailles bétés. Mais dès que Gbagbo a pris le pouvoir, nous avons fait l'objet de représailles », raconte Ousmane Traoré, représentant du Rassemblement des républicains (RDR) à Ouragahio et directeur de l'école de Kpapékou. Barrages, contrôles d'identité, maisons brûlées, morts, expropriation des allochtones de leurs plantations - pourtant achetées dans les règles -, ou obligation faite aux propriétaires de partager leur production... la liste des méfaits endurés est longue.

Aujourd'hui, le calme est revenu et les tensions se sont apaisées, même si la méfiance persiste, en particulier chez les Bétés. Mais ils sont moins agressifs, selon Diakaridia Berté, le responsable du RDR de la sous-préfecture de Bayota.

Dans la région, la plupart des habitants veulent tourner la page et aller vers la réconciliation. Des initiatives allant en ce sens ont été lancées, tant du côté des sous-préfets, avec l'organisation de cérémonies de pardon rassemblant les chefs de village et de campement, que du côté des responsables politiques. Un objectif pas toujours facile à atteindre, selon ces derniers, le FPI réclamant la libération de Gbagbo avant de s'engager sur le terrain de la réconciliation et les Bétés campant sur leurs positions. « Nous avons organisé une fête de réconciliation le 9 juin 2011, mais ils ne sont pas venus », déplore Berté.

À Gagnoa, le Rassemblement des jeunes républicains (RJR) et le Rassemblement des jeunes pour la démocratie et la paix (RJDP) tentent de mobiliser autour de débats et de matchs de football. « Avec les jeunes, le dialogue est plus facile qu'avec les politiques. La jeunesse veut construire l'avenir et considère que c'est la politique qui est un facteur de division, explique Moussa Dembélé, le président local des deux rassemblements. Nous sommes optimistes : quand ils verront que le gouvernement travaille pour le pays, les jeunes oublieront ce qui s'est passé. » Avant de conclure, pour désamorcer toute suspicion de fanatisme : « Nous avons élu Ouattara sur un programme. S'il ne le réalise pas, on changera de président. Notre souhait est le développement du pays. »

Les Dozos : un sujet qui fâche

Même volonté de rapprochement entre communautés selon Blesso Zébré, qui accuse toutefois les nordistes de vouloir exproprier les Bétés de leurs terres et d'entretenir un climat de tensions. Faux, rétorquent les nordistes.

Les Dozos constituent l'autre sujet qui fâche. « Nous avons une police, une gendarmerie et une armée. Pourquoi le pouvoir laisse-t-il les Dozos se mêler de sécurité ? Ils doivent retourner dans le Nord », insiste Kouassi. Les Dozos se défendent de toute violence. Selon eux, si les Bétés les détestent, c'est parce qu'ils connaissent la brousse et qu'ils ont aidé les FRCI à découvrir leurs caches d'armes. Et qu'ils veillent à la sécurité des habitants. « Sans nous, les Bétés reprendraient les armes », affirme Adama Diabaté, le chef de la sécurité des Dozos de Bayota. Doivent-ils retourner dans le Nord ? « La confrérie a des adeptes dans tout le pays. Nous sommes ici chez nous. Dès que la sécurité sera revenue, nous retournerons à nos occupations en brousse. » À l'évidence, la réconciliation ne sera pas un long fleuve tranquille.
L'Inter.