Rio : le retour de la guerre froide aux JO

Par Libération.fr - Rio. Le retour de la guerre froide aux JO.

Une membre de la délégation russe de volley pose dans le village olympique, dimanche à Rio. Photo Charlie Riedel. AP.

Après le scandale de dopage mis au jour par le rapport McLaren, ce n’est qu’à la veille de l’ouverture des JO de Rio, ce vendredi, que la liste des Russes autorisés à concourir a été élaborée. Environ 270 sportifs sur les 387 prévus pourront se rendre au Brésil.
Il a donc fallu attendre la veille de l’ouverture officielle des Jeux olympiques pour connaître la liste définitive des athlètes russes autorisés à y participer. Alors qu’un scandale de dopage touche des institutions sportives majeures et qu’il y a une semaine on évoquait une exclusion totale de ses sportifs, la Russie de Vladimir Poutine ne s’en sort pas si mal avec environ 270 hommes et femmes qui seront présents à Rio sur les 387 prévus. Le Comité international olympique (CIO) avait décidé de jouer la montre et d’entretenir le flou. «J’ai l’impression que le CIO est très réticent à envisager une exclusion totale des Russes», avançait le Canadien Dick Pound, ex-président de l’Agence mondiale antidopage, juste avant que le CIO ne renonce à une disqualification collective. Fin juillet, celui-ci a préféré opter pour une autre solution : laisser les fédérations internationales trancher au cas par cas, puis faire valider les listes par une commission de trois membres du CIO. Très flou. En écartant «l’option nucléaire», selon les termes de Dick Pound (favorable à ce scénario), le CIO s’est vu reprocher une forme de faiblesse, voire de complaisance à l’égard de Moscou.

Bataille d’influence

Historiquement, la présence soviétique au CIO se renforce au milieu des années 60 jusqu’à la fin des années 70. «Ses membres soviétiques se font les défenseurs d’un olympisme démocratique : ils facilitent l’accès à des pays nouvellement indépendants, soutiennent des programmes d’échanges de cadres. Ils prennent de l’importance dans les procédures de décisions et gagnent en influence dans les fédérations internationales», explique Sylvain Dufraisse, agrégé d’histoire et auteur d’une thèse sur la fabrique de l’élite sportive soviétique. Une influence qui décline lorsque les Etats-Unis de Jimmy Carter font du sport un outil de leur diplomatie culturelle. Utiliser les droits de l’homme contre l’ennemi : la stratégie aboutit au boycott des JO de Moscou en 1980 par une cinquantaine de délégations, dont celle des Etats-Unis. Toutefois, la même année, Juan Antonio Samaranch accède à la présidence du CIO, dont il est membre depuis 1966. Une élection qui aurait été favorisée par son statut de premier ambassadeur d’Espagne à Moscou après la reprise des relations diplomatiques avec l’URSS (de 1977 à 1980). On le dit proche de la Russie, certains lui prêtent même des liens avec le KGB.

Les bonnes personnes aux postes clés

En décrochant l’organisation des Jeux d’hiver 2014, la Russie a opéré un retour incontestable dans l’arène sportive internationale. Le chef de l’Etat russe, qui a fait de sa pratique du sport un outil de communication, a supervisé lui-même les travaux dans cette station balnéaire alors défraîchie. La Russie post-soviétique accueillait ainsi les premiers Jeux de son histoire, mais aussi les plus chers de celle de l’olympisme. La préparation des JO de Sotchi avait enthousiasmé l’Allemand Thomas Bach dont l’élection à la tête du CIO, en 2013, avait été soutenue par Poutine. «Les bonnes relations entre la Russie et le CIO peuvent aussi s’expliquer par le fait que certains postes clés sont occupés par des personnes ayant des relations directes avec Poutine. C’est le cas d’Alexandre Joukov, le président du comité olympique russe», note Vitali Gorokhov, directeur de recherches à l’Académie présidentielle d’économie et d’administration publique.
Si le CIO a repris la main sur le dossier des sportifs russes en plaçant leur sort dans les mains de trois de ses membres - dont Samaranch Junior, le fils de l’ancien président -, il est accusé d’avoir fui ses responsabilités. Les plus hostiles à la participation des Russes aux JO de Rio sont tentés d’y voir l’influence de Poutine dans les affaires olympiques. « Cette décision s’appuie sur un partage des pouvoirs de l’organisation sportive internationale, analyse Sylvain Dufraisse. Le CIO n’a plus en charge la question du dopage depuis 1999, celle-ci dépend depuis de l’AMA. En tant qu’autorité symbolique, son rôle est de trouver un équilibre, toujours instable, entre les fédérations, les comités olympiques nationaux et les Etats.» A partir de la pérestroïka, l’URSS (puis la Russie) délaisse la diplomatie du sport et organise moins de compétitions. C’est la présidence de Poutine qui relance la machine, ce dernier exhumant notamment le programme soviétique de préparation physique de base «Prêt au travail et à la défense». Mais souillé par le scandale soulevé par le rapport McLaren, le rayonnement sportif russe en a pris un coup. Retrouver du crédit auprès des instances internationales sera l’épreuve la plus difficile à laquelle sera confrontée la Russie après Rio.

Étienne Bouche (à Moscou) , Ramsès Kefi (à Rio)

Lire la suite sur...http://www.liberation.fr/sports/2016/08/04/rio-le-retour-de-la-guerre-fr...