Pagaille dans les administrations, terreur sur le pays: Une stratégie pour asseoir un pouvoir

Le 02 juillet 2011 par Notre voie - Les souffrances qu’endurent les Ivoiriens depuis près de 4 mois et le cafouillage qu’ils vivent dans toutes les administrations du pays ne

Alassane et Dominique Ouattara le 21 mai 2011 à Yamoussoukro.

Le 02 juillet 2011 par Notre voie - Les souffrances qu’endurent les Ivoiriens depuis près de 4 mois et le cafouillage qu’ils vivent dans toutes les administrations du pays ne

sont pas fortuits. Ils participent d’une manière bien pensée de gérer les affaires de l’Etat à laquelle ils n’étaient plus habitués.
Et si l’on arrêtait, ici et maintenant, de penser et de croire que Ouattara ne maîtrise pas ses troupes qu’il a fait entrer à Abidjan et qui sèment la terreur sans qu’aucune autorité ne lève, ne serait-ce que petit le doigt ? Depuis que le renversement du président Laurent Gbagbo par l’armée française a mis Ouattara² au pied du mur, le monde entier attend de lui qu’il prenne des décisions pour mettre de l’ordre dans la maison qu’il a désorganisée. Mais, à part les molles injonctions du genre «militaires, entrez dans les casernes ! » ou encore «FDS et FRCI, agissez en frères», injonctions qui n’ont d’ailleurs produit aucun effet, on attend toujours.
Pendant ce temps, les populations, notamment celles supposées proches de Laurent Gbagbo, continuent de souffrir le martyre. Et c’est peu dire ! Lorsque vous approchez un proche quelconque du nouvel homme fort d’Abidjan, il vous dit exactement la même chose que vous avez déjà entendue ailleurs : «Tu sais petit-frère, on ne maitrise pas encore la situation. Même nos chefs de guerre ne maitrisent pas leurs troupes. Mais tranquillisez-vous. Ça va aller. Ça ne peut pas durer longtemps. Tôt ou tard, ça va prendre fin».
Dans le cadre des démarches que nous entreprenions pour libération de notre siège occupé par les hommes de Ouattara depuis le 13 avril, nous avons eu à entendre un peu de tout cela. Et nous continuons de les entendre puisque les démarches se poursuivent afin que nous retrouvions notre maison dont nous avons posé la première pierre depuis 1998 et que nous avons achevée à moitié seulement en 2006 à la sueur de nos fronts. Au prix de mille et un sacrifices : blocage des salaires, paiement des salaires le 23 du mois suivant etc. pour achever la construction de cet édifice.
Cet argument de non maitrise des éléments qualifiés d’ «incontrôlés» a été savamment distillée dans la population, au point que des proches de Gbagbo croient naïvement que «Ouattara ne maitrise rien». Même des analystes politiques fondent leurs démarches argumentatives sur cet élément faux.
Peuvent-ils affirmer, la main sur le cœur, que c’est parce que notre nouvel homme fort a du mal à maitriser ses éléments que ceux-ci occupent honteusement le siège d’un journal ? Pensent-ils sincèrement que c’est la non maitrise du pouvoir qui fait que Ouattara regarde son armée privée massacrer les Ivoiriens sans qu’il ne dise mot ? Nous, nous croyons que non ! Et les exemples abondent qui soutiennent cette position.
Dans la guerre qu’il a engagée contre le pouvoir de Gbagbo, chaque fois qu’il a été coincé, il s’est décoincé aussi facilement qu’il a pu. Ainsi a-t-on vu ses troupes sur le terrain à Zouhan-Hounien, Bin-Huyé, Toulépleu, Bloléquin, Duékoué, Bondoukou et Yamoussoukro où elles ont fait un appel du pied à l’ONUCI et à la Licorne pour les aider à faire sauter le verrou des FANCI. Ce qui a été fait sans difficultés. Une fois l’intérieur du pays sous contrôle, il fallait engager la bataille d’Abidjan avec en point de mire, la prise du palais présidentiel et de la résidence du chef de l’Etat. Tous, avons vu combien il était impossible aux troupes de Ouattara avec leurs nombreux mercenaires, d’approcher ces deux lieux symboliques sans y laisser leur peau. A un moment donné, l’offensive lancée par les hommes du général Mangou a obligé l’armée de Ouattara à replier pour se retrouver à N’Douci pour les uns et Agboville pour les autres.
On se souvient encore des images diffusées par la télévision publique française France 24 présentant des soldats rassemblés quelque part, sur la route de Yamoussoukro, et appelant l’ONU et la Licorne à bombarder les camps militaires de l’armée ivoirienne. A peine l’élément diffusé que les heures qui ont suivi, les hélicoptères de guerre français et les MI-24 de l’ONUCI se sont mis à bombarder les poudrières de l’armée ivoirienne. Comme c’était horrible !
Après les premiers bombardements, l’armée s’est très vite reconstituée pour faire face au danger que représentait l’ennemi. Et elle a fait face avec bravoure. Devant cette autre difficulté de taille, un autre appel au secours est lancé en direction des «forces impartiales» qui résident dans le pays. Celles-ci entrent encore en jeu et désarment complètement l’armée de Côte d’Ivoire. Reste maintenant le palais et la résidence. Pour les forces de Ouattara, il n’y a plus rien à faire. C’en est fini du pouvoir de Laurent Gbagbo. Autre tentative, autre échec. Alors, un autre appel du pied. Cette fois, ce sont les forces spéciales de l’armée française qui débarquent à Abidjan pour déloger Gbagbo et installer Ouattara. Ce qu’elles réussiront non sans faire appel à 6 autres hélicoptères de guerre qui ont déblayé le terrain avant leur pénétration dans la résidence présidentielle. Nous sommes le 11 avril.
Laurent Gbagbo renversé, reste l’équation du sergent chef Ibrahim Coulibaly alias IB. Celui-ci, selon des sources concordantes, est le concepteur du «Commando invisible», un mélange de rebelles de Guillaume Soro aidé de mercenaires et autres mécaniciens ramassés dans le quartier populaire d’Abobo. Leur objectif, tuer sans sourire tous les soldats de l’armée ivoirienne et tous les civils qui soutiennent Laurent Gbagbo. A Abobo et à Anyama où ce commando a pris ses quartiers pour tuer par surprise, ce sont des centaines de civils et de soldats de l’armée régulière qui sont passés de vie à trépas.
Sûr d’avoir gêné fortement les forces loyales qui avaient du mal à distinguer un membre du commando invisible d’un civil, le sergent-chef se fait appeler désormais général deux étoiles. Dans la gestion de l’après Laurent Gbagbo, il met cette force dans la balance au moment des discussions avec Ouattara. Il demande à être reconnu général, exige une autre étoile pour devenir général de division et veut le poste de chef d’état-major. Un os dans la gorge de Ouattara dont le Premier ministre Soro est un ennemi juré de IB.
Encore un blocus sur le chemin du palais présidentiel. Les forces impartiales font du renseignement pour localiser IB qui avait déjà refusé d’assister à une réunion militaire convoquée par Soro en y envoyant des sous fifres. La goutte d’eau. Une après-midi du mois de mai, les habitants de Cocody ont vu sortir du camp Akouédo, des véhicules portant des armes lourdes se diriger vers Abobo. Autour de 18h, première information : le véhicule d’IB a été atteint d’une balle par la Licorne. Il serait en fuite vers Anyama. Une deuxième information juste après : IB a été tué par l’armée française à Abobo, son fief. La troisième dira plutôt qu’il a été tué pendant les échanges avec les militaires de Ouattara. On ne saura jamais qui l’a tué sauf si ses compagnons d’arme acceptent d’autopsier son corps comme l’a demandé un de ses proches.
On le voit bien. Chaque fois que Ouattara a eu un problème sur le chemin de la conquête du pouvoir d’Etat, il a fait appel aux soldats français et onusiens qui n’ont jamais hésité un seul instant à lui faire la courte échelle. Même pour payer les salaires, il a envoyé son ministre des Finances en France pour négocier un prêt de plusieurs milliards de FCFA avec les autorités françaises.
Pourquoi ne fait-il pas la même démarche quand il s’agit de la sécurité ou, surtout, de la vie des Ivoiriens ? Pourquoi ne fait-il pas appel aux forces impartiales pour libérer le siège de Notre Voie si tant est qu’il a du mal à convaincre sa milice ? Pourquoi regarde-t-il ses miliciens massacrer les civils ivoiriens ? La réponse, à notre sens, se situe ailleurs.
Souvenons-nous qu’au début des indépendances, pour asseoir son pouvoir qui faisait face à une forte opposition menée par la jeunesse du RDA, Houphouet a eu recours à la terreur. Le complot du chat noir de 1963 qui a vu l’arrestation et l’emprisonnement de tous les Ivoiriens qui pouvaient l’empêcher de tourner en rond est encore frais dans nos mémoires. Frais aussi leur libération et le repenti du vieux qui a suivi après qu’il a eu fini de fixer les derniers boulons de son siège royal.
Ouattara est sur la même voie. Après avoir promis ciel et terre aux Ivoiriens lors de la campagne électorale, il sait qu’il lui faut un environnement des plus calmes et sereins pour appliquer sa politique. Ce qui n’est pas pour demain. Alors, il s’est rappelé qu’il est après tout un enfant du FMI. Dans les années 90, lorsque l’institution de Bretton Woods les lâchait auprès des pays pauvres, il y avait, inscrit en première ligne sur leur feuille de route, la destruction ou l’affaiblissement des syndicats et de toutes les organisations qui sont susceptibles de les freiner dans leur élan de destruction des Etats qu’ils devraient servir. On connait bien la suite : grèves perlées partout, emprisonnement des leaders syndicalistes et d’hommes politiques, dissolution de syndicats etc.
Depuis que la France lui a offert le pouvoir sur un plateau d’or, ses premières mesures ont été de fermer les universités, les cités universitaires qui sont occupées par sa milice. Et, cerise sur le gâteau, il a fait détruire tous les espaces de libre-échange créés par les jeunes de Côte d’Ivoire. A Yopougon, il n’existe plus de parlement. Au Plateau, l’université en plein air a été détruite avec violence. A Abobo, le Tout puissant congrès a été effacé. La presse libre, dès les premiers jours, a été étouffée puis détruite. Ses animateurs poursuivis dans leurs derniers retranchements se sont vus dans l’obligation de s’exiler. Ceux qui résistent manient avec aisance l’auto-censure.
Dans cette ambiance de grande peur entretenue par des hommes armés sans formation classique, qui roulent à tombeau ouvert sur nos voies et qui dégainent à tout bout de champ, lorsqu’on rentre le soir chez soi, on dit merci à Dieu d’avoir béni la journée. Pour, juste après, se remettre à se demander de quoi la nuit et la journée du lendemain seront faites.
Une telle atmosphère, croit-on savoir du côté du nouvel homme fort, facilitera la prise d’un certain nombre de décisions impopulaires comme le dégommage systématique de fonctionnaires reconnus pour leur probité, leur rigueur au travail, leur patriotisme et leur foi en une Côte d’Ivoire responsable. Et leur remplacement par des hommes et des femmes de seconde zone. Elle permet aussi de nommer de proches parents un peu partout, à des postes que les fonctionnaires qualifient de juteux. Généralement, pour se partager après le fruit de leur «travail». On peut même se permettre de placer à la tête de la plus grosse caisse de l’Etat, son petit frère sans que cela soit l’objet de récriminations. Alors que la Constitution l’interdit formellement et qu’aucune autre disposition ne le permet, Ouattara peut, du haut de son nouveau statut, proclamer la fin de la mandature du parlement ivoirien. Le nouveau pouvoir peut même envisager la diminution drastique des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat. Y compris ceux des militaires. Au Port autonome d’Abidjan, le nouveau directeur général peut prendre sur lui de mettre à la rue, de nombreux travailleurs soupçonnés d’être proches de l’ancienne équipe.
Au niveau de la justice, c’est quartier libre. Les juges peuvent se permettre tous les excès en violant la Constitution et en marchant sur toutes les procédures légales. L’impunité étant désormais garantie, les coxers, mécaniciens, chauffeurs, cultivateurs, chasseurs traditionnels et autres porteurs de gris-gris, devenus militaires peuvent tuer les autres, occuper leurs maisons, leurs plantations, arracher leurs femmes. Pourvu seulement que le nouveau pouvoir se consolide. C’est la nouvelle vie en Côte d’Ivoire.
Abdoulaye Villard Sanogo