Détention prolongée des pro-Gbagbo: pourquoi préfets, religieux et société civile se révoltent

Par Le Temps - Détention prolongée des pro-Gbagbo. Pourquoi préfets, religieux et société civile se révoltent.

Rencontre du Président Alassane OUATTARA avec le Corps préfectoral de Côte d`Ivoire, ce Jeudi 12 Avril 2018, à la Fondation Félix HOUPHOUET - BOIGNY pour la Recherche de la Paix de Yamoussoukro.

On peut le dire sans se tromper, toutes les voix s’accordent sur un fait. La réconciliation nationale est un échec et la situation sociopolitique fait craindre le pire. Sept ans après la fin de la crise postélectorale, beaucoup reste à faire et le tissu social est plus que jamais effrité. Et comme le résume si bien l’ex-ministre Gnamien Konan, «on veut faire croire que tout va bien dans ce pays alors que ce n’est pas vrai». L’ancien ministre de l’Habitat et du Logement social sous le gouvernement Dunca 2 débarqué le vendredi 25 novembre 2016, après ses déclarations incendiaires contre le régime Ouattara, rejoint ainsi le fils de Gbagbo. Pour rappel, Michel Gbagbo a toujours relevé que depuis 2011, date de la destitution de son père à l’issue d’une élection présidentielle contestée, «Alassane Ouattara s’efforce de séduire les milieux des affaires et les milieux diplomatiques (mais) le système est structurellement très fragile, car la crise politique, elle, n’est pas réglée et empire. Croyez-moi, bien des investisseurs étrangers ne sont pas dupes et certains font leurs bagages» indiquait en effet, Michel Gbagbo. Pointant du doigt l’échec de la gouvernance Ouattara notamment sur la réconciliation des Ivoiriens. Sept ans après la fin de la crise, d’innombrables Ivoiriens victimes de leur choix politiques croupissent dans les geôles du pays. Une situation qui ne laisse personne indifférent. Quasiment toute les couches de la société ivoirienne interpellent Ouattara sur ces détentions prolongées des proches de l’ancien président Laurent Gbagbo. Les appels à la libération à l’effet d’aboutir à une véritable réconciliation se multiplient. Toute la classe politique (opposition et certains cadres de la coalition au Pouvoir), la société civile et même les communautés religieuses s’engagent dans cette bataille par des plaidoyers auprès du régime Ouattara pour que la liberté soit accordée aux détenus d’opinion. Les derniers appels lancés par le clergé catholique en faveur de la libération des proches de Laurent Gbagbo est la parfaite illustration que le pays va de mal en pire. Les quelques réalisations dont se vante le pouvoir Ouattara et inaugurées en grande pompe n’ont pu faire oublier les plaies béantes occasionnées par la décennie de crise qu’a connue le pays. Le tout auréolé d’une politique clientéliste et tribale sans précédent. En tout cas la détention de nombreuses personnes pour leur choix politique inquiète plus d’un Ivoirien. Tout récemment encore, c’est le corps préfectoral qui a interpellé le mentor du Rdr sur ses manquements aux droits des opposants. Les administrateurs civils tout grade confondu n’ont pu s’empêcher de mettre le pied dans le plat. « Trop, c’est trop tôt », peut-on interpréter la réaction de ces gouverneurs des régions et départements qui ont appelé à «la décrispation de la situation sociopolitique» par le biais de «la libération des détenus d’opinion et le retour apaisé des milliers d’Ivoiriens en exil». Au nom de ses pairs, Georges Gueu Gombagui, préfet de la Région de la Bagoué, et porte-parole du Corps préfectoral, a mis un accent sur la nécessité de booster la réconciliation pour traduire dans la réalité le slogan du ‘’Vivre ensemble’’ sur le terrain. «La réconciliation en Côte d’Ivoire doit prendre la forme d’une amnistie pour entrer dans la vision du ‘’Vivre ensemble’’ », a plaidé le porte-parole des préfets avant d’appeler au « dégel des avoirs des opposants au régime » pour accompagner cette décrispation souhaitée. Une action jugée courageuse et saluée par la majorité des Ivoiriens. Tellement la question des prisonniers d’opinion grippe la marche du pays vers l’émergence tant chantée. L’on a encore en mémoire les appels à répétition des religieux, de toutes communautés confondues, pour que M. Ouattara pose des « actes forts » à l’endroit de l’ancien régime. Car, ont-ils rappelé en Côte d’Ivoire, « la réconciliation naturellement exige la libération des prisonniers dans le cadre du conflit advenu dans le pays, surtout que de ce point de vue, personne ne peut se dire innocent». Déclarait le 22 mai 2016, au nom des évêques ivoiriens Mgr Ignace Bessi Dogbo, l’évêque de Katiola. Ajoutant que « pour se réconcilier, il faut être libre. Pour être libre, il faut avoir la faculté d’aller et de venir sans être inquiété ». Deux ans après, les religieux sont revenus à la charge. Avec cette fois-ci notamment Monseigneur Antoine Koné, évêque d’Odienné et le Bishop Benjamin Boni, de l’Eglise Méthodiste Unie de Côte d’Ivoire (Emuci). Tous les deux dignitaires religieux ont insisté sur la nécessité de libérer les détenus politiques, gage d’une paix sociale et une stabilité retrouvée. « Cela décrisperait sans doute le climat social et favoriserait l’épanouissement de tous ceux ou celles qui s’interrogent sur l’avenir (…) La négociation est un instrument de paix et on n’y participe avec l’objectif de perdre le moins possible. On perd toujours quelque chose dans les négociations, mais tout le monde gagne. Et là, c’est une bonne chose pour notre jeune démocratie », dixit l’Evêque d’Odienné. Quant au Bishop Benjamin Boni il avait été plus précis: « Nous lançons un appel pressant et solennel à la Nation, au Président de la République. L’Eglise Méthodiste Unie vous encourage à poursuivre tous les efforts (…) en vue de la réconciliation nationale. L’Eglise vous exhorte à user de tous les efforts pour la libération de tous les fils et toutes les filles de la Nation détenus pour des faits liés à la crise postélectorale de 2010 ». Peine perdue ? De toute évidence, tous ces appels sont pour le moment sans suite. Le constat est qu’à la lecture des appels qui se font de plus nombreux, le pouvoir Ouattara se trouve coincé. Voire isolé sur la scène nationale. Va-t-il entendre raison pour libérer, enfin, les détenus d’opinion? La question reste posée. Dans tous les cas, sur le plan international, les plus sceptiques découvrent Alassane Ouattara sous son vrai jour. D’autant que les informations en provenance de la société civile sont formelles. «Les conditions de détention sont aujourd’hui très, très, très difficiles. Les conditions sont même inhumaines. Il y a le surpeuplement dans les cellules et les droits des prisonniers ne sont pas respectés. Le droit pénal ivoirien nous dit que la détention préventive et de 18 mois. Aujourd’hui, les 300 personnes en prison ont pour la plupart fait 7 ans de détention préventive. De 2011 à 2018, nous n’avons fait que du lobbying, mais ils savaient que nos parents n’arrêtent pas de mourir en cascade. C’est vraiment un cri de désespoir, c’est un cri de cœur que nous lançons aux autorités ivoiriennes. Nous plaidons afin qu’ils libèrent nos parents », s’indigne Désirée Douati, première responsable de l’Association des femmes et familles des détenus d’opinion, (Affdo-CI). Même si le régime Ouattara tente de minimiser le dossier en rétorquant qu’il s’agit d’allégations sans fondement et ‘’invite’’ l’association à lui produire ‘’la liste nominative’’ des personnes ‘’incarcérées abusivement’’ selon elle, il est beaucoup plus regrettable cependant que la détention prolongée des proches de Laurent Gbagbo est le signe d’une Côte d’Ivoire fortement divisée et fragilisée. De quoi inquiéter préfets, hommes religieux et société civile. Ce, à deux ans de la présidentielle, une échéance électorale qui va encore soulever les passions.

T N