Décès de Bohoun Bouabré : Crime et châtiment d’outre-tombe, par Alain Cappeau (Conseiller spécial du Président Laurent Gbagbo)
Le 16 janvier par IVOIREBUSINESS - Ou comment de la tristesse à la vengeance l’homme s’abandonne dans ses travers qu’il assume en connaissance de cause.
Le 16 janvier par IVOIREBUSINESS - Ou comment de la tristesse à la vengeance l’homme s’abandonne dans ses travers qu’il assume en connaissance de cause.
Il est des réflexions philosophiques qui disent peu pour sous-entendre beaucoup, d’autres qui nous montrent que nous voyons clair mais que nous agissons mal. Ce n’est qu’en décortiquant des théories dans un langage assertif que nous pourrons faire passer des messages subliminaux pour se protéger sans être pris à défaut, car chacun sait où son soulier le blesse.
Nous éprouvons à juste titre, une profonde affliction lorsque nous apprenons le décès à 54 ans du ministre Paul-Antoine Bohoun Bouabré, parce que nous l’avons connu, nous avons travaillé avec lui, nous avons partagé du temps avec lui, nous avons apprécié ses compétences et ses qualités humaines et puis parce qu’au travers de cet assassinat par abandon, qui n’est ni plus ni moins qu’un crime contre un être humain, nous vivons des chagrins par procuration. Celui de sa famille, celui de Laurent Gbagbo qui tourne en rond dans sa cellule en luttant pour exorciser un mea culpa qui n’a pas de raison d’être, celui des autres détenus de Bouna ou d’ailleurs, qui du tréfonds de leur cloaque dimensionnent probablement l’événement d’une manière que nous ne pouvons imaginer.
Dans le déroulé de ce sentiment souvent, dans nombre de cultures, on se répand en lamentations, en affres singulières, on pleure des jours et des nuits, et cela il faut le respecter car la souffrance de quelque manière qu’elle puisse être endurée, nettoie les cœurs. Un deuil est un processus psychologique douloureux qui permet d’accepter une perte.
Mais après le sentiment de tristesse vient un sentiment de colère, de cette colère qui nous fait dire que ceux qui n’ont pas sciemment porté assistance à personne en danger, ne peuvent être que des crapules au penchant inné au mal. Des sentiments ! Des mots dont les individus qui sont dans cette disposition morbide n’ont cure.
Peut être même qu’ils en salivent en biffant le nom de Bohoun Bouabré sur une liste rouge, en disant : au suivant ! Mais la nature humaine est ainsi, cette fameuse salissure épandue sur la terre chère à Zola.
Eprouvant de la répugnance pour ces individus, nous allons alors progresser dans un troisième sentiment « border line » qui sera celui de vengeance, de représailles, qui pourra un temps dérégler notre conscience d’honnête homme, mais qui à terme nous fera nous conformer à une nécessité de logique humaine et non plus à une nécessité de morale humaine.
Or donc le sentiment de vengeance est humain tout en étant hors du bon droit, tel qu’établi par le législateur. L’action humaine, « bien qu’elle n’aille jamais sans règle, ne se laisse cependant déduite d’aucune ».
D’une manière plus pragmatique, en université lorsque l’on veut répondre à une question centrale d’un sujet de mémoire ou de thèse, on décrit une situation, puis on l’explique, et on préconise ensuite des actions à mettre en œuvre pour répondre à cette question centrale. Le drame qu’a vécu notre collègue et ami Pierre-Antoine, a été décrit avec précision et expliqué avec une lucidité qui fait froid dans le dos. Alors arrivés à ce stade on est tout naturellement amenés à se demander quels types d’actions nous pourrions conduire pour punir les auteurs directs ou indirects de cette ignominie, sauf à rester enfermés dans une camisole de la logique de l’homme obéissant et compatissant sans rien faire! Il n’y a pas de fatalité qui vaille, il n’y a que défiance qui aille !
Mais avant de préconiser quoi que ce soit, encore faut-il avancer une question centrale qui pourrait être la suivante : Doit-on punir l’homme de ses fautes tout en le laissant vivre paisiblement ? En l’occurrence dans le cas évoqué ci-dessus doit-on punir ceux qui n’ont pas porté assistance à notre ami Bohoun Bouabré, pire qui ont souhaité et provoqué sa mort ? Nous sommes là dans une figure de style proche de l’oxymore qui embarrasse car punition ne s’accorde généralement pas avec paix dès lors qu’on parle d’un seul et même sujet.
Il est vrai que dans ce cas de figure le spectre des préconisations punitives est large. Mais ce n’est pas tant ici des modèles de préconisations de punitions que nous cherchons, qu’une réflexion sur un acte à commettre ou pas, qui serait contre nature ou pas. Mais de quelle nature parle-t-on ! Et dans quelle société sommes-nous !
Au final la question est de savoir si aujourd’hui en Côte d’Ivoire nous revenons peu à peu au modèle de société primitive qui prônerait des mœurs de justice par réciprocité, guidées par un sentiment de versatilité émotionnelle, ou si nous sommes dans une communauté dite civilisée où justice et miséricorde seraient des notions expiatrices de fautes, et si la réintégration du coupable est encore l’objectif visé ! Sur ce dernier point, il semblerait que non si l’on comptabilise tous les « coupables » réfugiés politiques à l’étranger, qui ne souhaitent pas tenter le retour au pays, ayant été échaudés par des arrestations punitives arbitraires à l’encontre de certains qui avaient cru naïvement la chose possible.
Dans les anciennes sociétés dites archaïques, le sang de la victime crie vengeance contre celui qui l’a versé. L’entourage de la victime sera alors dans la recherche de ce l’on appelle une justice compensatrice et réparatrice, plus communément appelée Loi du talion que l’on retrouve dans l’exode XXI, 24,25 « tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, blessure pour blessure etc. »
Si on considère que la société ivoirienne a renoué avec ses mœurs archaïques d’antan, alors tout individu en droit de recherche de légitime vengeance ne sera point dans un déni de justice, au sens ou nous l’entendons dans nos sociétés démocratiques occidentales.
Si le sentiment de colère est le résultat d’une frustration que l’on doit affronter, celui de riposte ou de vengeance sera le bout du bout d’un sentiment d’exaspération impossible à refouler car trop générateur d’aigreurs, de rage et de rébellion. Alors soit on considère que la violence appelle la violence, « tous ceux qui prendront l’épée, périront par l’épée » (Matthieu XXVI 52) soit on supporte l’injustice avec patience et espérance. (Pierre II, 8,17). De ces deux espaces d’une théologie chrétienne post Constantin, lequel sera le plus opportun pour expulser la haine qui embrase nos cœurs, après avoir entendu les descriptions et les explications des conditions d’abandon et de décès de notre collègue et ami Paul-Antoine Bohoun Bouabré !
Ce n’est qu’une fois assouvies d’une manière ou d’une autre, que ces deux émotions, la colère et la vengeance vont se neutraliser pour laisser place à une sérénité toute relative. La vengeance n’étant que le prolongement de la colère.
On sait très bien cependant que dans un monde globalisé la logique d’uniformisation dans l’application du droit est l’épine dorsale d’une reconnaissance d’une même justice pour tous, dont acte.
On sait très bien qu’un système de peines de substitution a remplacé l’urgence de la vengeance mortelle par des compensations rituelles et financières .Mais quand ceux qui jurent devant Dieu que ces théories sont valables pour tous et qu’ils ne les appliquent pas à eux-mêmes, on peut aussi être en droit de raisonner différemment, au moins pour défendre sa peau si ce n’est pour venger celle d’un autre.
La fin justifiant les moyens, ces derniers doivent être listés, positionnés dans un contexte, puis activés à dessein car une frustration est à terme plus lourde à porter qu’un remords.
On dira que la haine est tonique parce qu’elle fait vivre et qu’elle inspire un sentiment de vengeance, rendons-lui en grâce. Mais une haine qui ne cesse de se nourrir d’autres haines sans pouvoir se régénérer devient une haine plus nocive que tonique pour l’individu qui en porte le poids.
Dans ce théâtre de l’absurde qu’est la Côte d’Ivoire post démocratique d’aujourd’hui, dans lequel tout s’exécute à sens unique, sur du fanatisme, de l’horreur, de l’abomination, du mensonge, de l’infantilisation et de la traite du vaincu, le touilleur de fond de cuve, jouisseur du crime commis sur Paul-Antoine Bohoun Bouabré, toise la vindicte publique et plastronne dans l’impunité la plus indécente.
Alors réfléchissons et posons nous la question de savoir comment faire bouger les lignes ténues, du châtiment juste et conforme aux lois de nature à défaut d’être conforme aux lois des hommes.
Alain CAPPEAU
Conseiller Spécial du Président Laurent Gbagbo.
Nommé par décret présidentiel N°2007584 en date du 21 septembre 2007.