Débats et opinions : Grâce présidentielle ou gadget contre la réconciliation nationale
Par Correspondance particulière - Grâce présidentielle ou gadget contre la réconciliation nationale.
Avant ADO, feu Félix Houphouët-Boigny a utilisé la grâce présidentielle à la fin des années soixante-dix. Au moment de la rébellion Soro-Ouattara, la table ronde de Linas- Marcoussis a recommandé au président Gbagbo de faire voter une loi d’amnistie par le parlement en faveur des agresseurs du pays. Si la grâce et l’amnistie sont des termes voisins, ils n’ont pas pour autant, le même régime juridique. Il faut donc définir ce qu’est une grâce présidentielle et une amnistie d’une part et d’autre part, se pencher sur les controverses de la grâce présidentielle avant de terminer par son impact sur la réconciliation nationale, eu égard à la guerre postélectorale de 2010.
L’acception de la grâce présidentielle et de l’amnistie.
La grâce est un terme polysémique. Elle désigne la noblesse avec laquelle un acte s’accomplit, mais elle signifie également le pardon et la gratuité. Le cas ici est le pardon d’une offense contre la société. Héritée du droit romain, la grâce présidentielle est une survivance de l’ancien régime français où le roi avait en tant que souverain, le droit de vie ou de mort sur ses sujets. Il pouvait donc exercer sa clémence pour épargner la vie d’un ou plusieurs sujets. Après la Révolution française, c’est au président de la république en sa qualité de magistrat suprême qu’est revenu le droit de grâce. On peut la définir comme une mesure de clémence du Président de la République qui supprime ou réduit la peine qu'un condamné aurait dû subir. C’est dire que l’infraction subsiste, avec toutes ses conséquences ; à savoir l’inscription de la condamnation sur le casier judiciaire et la non publication du décret de grâce au journal officiel etc. Contrairement à cet acte, l’amnistie est le fait du parlement, donc de la représentation nationale. Elle a pour but d’absoudre totalement le fait répréhensible. La conséquence évidente de cet acte est que l’infraction ou le crime est effacé dans son existence même. L’amnistie s’adresse rarement à un individu. Des controverses doctrinales s’opposent sur la grâce présidentielle.
Les controverses doctrinales en droit français
L’amnistie ne pose pas de problèmes particuliers, cependant la grâce présidentielle ne jouit pas de la même unanimité. Le processus menant à la prise de décision est simple en ce qui concerne l’amnistie car la loi qui en découle obéit au même principe que toute autre loi. Elle ne concerne que le fait répréhensible et le saisit dès son origine, qu’il y ait eu ou non un jugement donc une condamnation. Le problème de fond de la grâce présidentielle est la violation de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et l’exécutif. La grâce présidentielle est une décision unilatérale du président de la république, elle est insusceptible de recours quand bien même, elle intervient sur une décision de justice alors que l’exécutif n’est pas un troisième degré de juridiction. Déjà à la période des philosophes des Lumières, le problème de la grâce présidentielle s’était posé. Mais le père de la séparation des pouvoirs (Montesquieu pour ne pas le nommer), l’avait entériné en ces termes : « (…) Ce pouvoir que le Prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d’admirables effets. » C’est dire en d’autres termes que le principe de la grâce présidentielle n’est pas réfuté par les Lumières, mais seulement elles conseillent une modération dans son application pour ne pas dire un emploi avec discernement.
Cependant, plus près de nous, des auteurs contemporains dont Turpin considèrent la grâce présidentielle comme une violation du principe de la séparation des pouvoirs. A ce titre, ils souhaiteraient un aménagement dans la prise de cette décision de manière à ce qu’il y ait un contrepouvoir. Grosso modo, ces controverses aboutiront à une reforme en France en 2008, pour à notre avis d’autres raisons. En effet l’article 17 de la constitution française du 04 octobre 1958, dans sa nouvelle écriture a simplement supprimé la grâce collective pour ne lui conserver que son caractère individuel. S’il est vrai que la grâce présidentielle a longtemps été considérée comme le fait du Prince et donc insusceptible d’aucun recours, il faut reconnaître que le contreseing ministériel, toutes proportions gardées, est déjà en soi, un certain contrepouvoir, parce que le chef de l’Etat n’est pas responsable de ses actes devant le parlement. Mieux, la prise de la décision de grâce présidentielle passe d’abord par la chancellerie qui en interne fait intervenir la direction des affaires criminelles et des grâces. Mais avant la rédaction du projet de grâce présidentielle, le bureau des grâces et des libertés conditionnelles examine les demandes et donne son avis proprio motu. C’est pourquoi, nous disons que la grâce présidentielle est un acte de collaboration entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire. Le seul hic ici a été d’ailleurs corrigé par la réforme française qui a posé le problème de la pertinence des grâces collectives. Bien évidemment, une mesure collective arrange bien de gens qui parfois, ne méritent pas cette grâce. A l’évidence, la grâce au début, était surtout attendue pour les criminels condamnés à la peine de mort. Cependant, la peine capitale supprimée, la grâce de ce point de vue a été vidée de sa substance. Mais avouons que la grâce concerne également les contraventions et les délits, voilà pourquoi en France, ces derniers temps, à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet, les contraventions ne sautent plus automatiquement… Dans un pays comme la Côte d’Ivoire qui a besoin d’une réconciliation nationale, que pouvait-on attendre d’une grâce présidentielle ?
Les grâces gadgets et l a ruse du pouvoir devant les vrais problèmes
Nous ne saurions nier l’évidence pour deux raisons. Primo, l’article 49 de la constitution d’Août 2000 stipule que le président de la république a le droit de Grâce. Le chef de l’Etat ivoirien à défaut de président de la république, a donc ce droit. Secundo, la constitution ne limite pas le domaine de définition du droit de grâce à un certains nombre de délits, contraventions ou crimes. Par conséquent, C’est tout à fait légitimement que trois mille condamnés aient été graciés à l’occasion du 7 août jour de la fête nationale. Ainsi donc, côté jardin, il n’y a rien à reprocher au chef de l’Etat ivoirien. C’est plutôt sur le front social qu’il y a problème.
Tout le monde ne cesse de mettre le doigt sur l’acharnement de la justice étatique sur un seul camp, dans un conflit qui a opposé deux clans. Or, le pouvoir crie à qui veut l’entendre qu’il veut que justice soit faite d’abord. Bien évidemment, le chef de l’Etat met les magistrats en difficulté par sa volonté de vouloir faire primer la justice. Parce que lui-même le chef de l’Etat est le premier délinquant en chef. Il est le père de la violence politique, mais également l’instigateur avéré des coups d’Etat répétitifs. Si la justice doit primer, c’est lui qui le premier doit aller au cachot. Ses crimes étant imprescriptibles parce que des crimes contre l’Humanité ; à moins que la mort ne l’emporte avant, dès qu’il aura quitté le pouvoir, il rejoindra la prison. Wait to see.
Cette difficulté de la magistrature se retrouve également contre la procureure de service en la personne de Madame Bensouda. Comment peut-elle s’attaquer concomitamment aux deux ex-belligérants sans interpeler ADO lui-même ? A l’évidence, les lampistes ne voudront pas aller seuls à La Haye, puisque ADO est l’alter ego de Laurent Gbagbo dans cette tragédie Ivoirienne. Le pouvoir de Laurent Gbagbo a été attaqué et il a fallu se défendre. Donc, celui qui aime la justice et qui a un brin de jugeote, doit s’abstenir de se masturber les méninges en insistant sur la poursuite d’un camp. A moins que le chef de l’Etat ignore ce que veut dire le mot justice. Pour notre part, la justice rime avec l’équité. Quand deux personnes se battent, on interroge les deux protagonistes avant de mettre celui qui a tort en difficulté.
ADO, une fois de plus vient de manquer un rendez-vous avec l’Histoire. Parce que, ce que le peuple de Côte d’Ivoire attend de lui, ce n’est pas seulement une mesure de grâce pour les délits mineurs fussent-ils des millions. ADO ne voit pas que le peuple a envie de se retrouver ensemble comme avant son arrivée dans ce pays. Pour ce faire, à l’occasion de la fête nationale, tout le monde l’attendait sur une décision d’élargissement des prisonniers politiques. Cela l’amènerait à inviter le parlement à voter une loi d’amnistie. Lui-même, à moins d’être un sérieux candidat pour un asile de fous, il devrait comprendre qu’il n’a jamais gagné d’élection et que la France qui a fait le coup pour qu’il soit chef de l’Etat plutôt que président de la république, l’a choisi dit-on, parce qu’il ressemblerait aux Français. Or en agissant ainsi, le président français de l’époque le faisait par nationalisme. ADO est tout sauf un nationaliste. Le seul qui objectivement revêt ses qualités s’appelle Laurent Gbagbo. Tout le monde est d’accord sur ce point y compris les Français… A défaut d’avoir pris les mesures idoines allant vers la réconciliation nationale, ADO sauve les apparences, en agitant la grâce présidentielle de pacotille. On applaudit la libération des trois mille quidams, mais il nous a laissés sur notre faim.
Une contribution de Julius Blawa Aguisso