A CHACUN SON IMPOSTURE ET SES IMPOSTEURS: A propos de « Les Ouattara, une imposture ivoirienne » de B. Houdin, Editions du Moment, Par Marcel Amondji
Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - A propos de « Les Ouattara, une imposture ivoirienne » de B. Houdin, Editions du Moment, Par Marcel Amondji.
Ce livre ne tient pas ce que son titre, Les Ouattara une imposture ivoirienne, annonce ou promet. Du reste, il nous en dit bien plus sur son auteur que sur les deux personnes supposées en être les sujets. Encore cette manière d’autohagiographie n’est-elle qu’un survol à grandes enjambées, qui fait souvent venir l’eau à la bouche du lecteur, mais le laisse chaque fois sur sa faim. Ce qui est bien dommage, car la trajectoire de Bernard Houdin, avant et depuis sa rencontre prétendument fortuite avec Laurent Gbagbo, aurait été très intéressante à suivre si elle avait été racontée avec plus de précision dans certains détails.
Soit dit en passant, cette rencontre, telle qu’il la rapporte, ressemble étonnamment à celle de Ghoulem Berrah et de Félix Houphouët trois décennies plus tôt[1]. Un Berrah d’ailleurs si présent dans ce récit, sinon sous son propre nom (3 occurrences), du moins sous celui de sa créature Hamed Bassam (47 occurrences), pour lequel Houdin semble avoir une admiration presque aussi grande que celle qu’il professe pour L. Gbagbo. Après cela, il ne faudrait pas s’étonner si, songeant au titre, le lecteur a l’impression d’entendre parler de corde dans la maison d’un pendu.
Rencontre prétendument fortuite, ai-je écrit. C’est que j’en connais une autre version, dont je n’ai aucune raison de douter, même aujourd’hui que je connais celle de Bernard Houdin… Il est vrai que celle qu’il raconte est plus romanesque, donc plus vendable ; mais est-ce une raison suffisante pour remplacer la véritable histoire, qui eut lieu alors que Gbagbo était déjà président de la République, par celle de ce voyage Abidjan-New York via Dakar qu’il fit avec celui qui n’était alors qu’un chef de parti parmi d’autres ? Ce voyage peut d’ailleurs avoir bien eu lieu. Et il se peut même que ce fût à cette occasion que l’envie vint à B. Houdin d’être connu de ce Laurent Gbagbo qui lui a fait si belle impression cette première fois où il le voyait en chair et en os. N’empêche que dans la réalité il a fallu qu’il attende que Laurent Gbagbo devienne président de la République, puis solliciter des intermédiaires, avant de réaliser son rêve… je ne veux pas avoir l’air de chercher la petite bête mais, dans un livre intitulé « une imposture ivoirienne », une telle substitution, si c’en est une – je veux dire : si elle est intentionnelle –, dénote chez l’auteur, pour dire le moins, une certaine partialité.
Mais revenons au titre. D’après Le petit Larousse illustré, un « imposteur », c’est « quelqu’un qui cherche à tromper par de fausses apparences ou des allégations mensongères, notamment en usurpant une qualité, un titre, une identité, etc. ». Si on s’en tient à cette définition, les Ouattara ne sont pas à proprement parler des imposteurs. Du moins, ils ne l’étaient point au commencement de leur histoire avec la Côte d’Ivoire, tant séparément que comme couple. Jusqu’à leur entrée définitive en politique, vers 1998, sous la bannière du Rassemblement des républicains (RDR), s’ils avaient quelque chose à voir avec l’imposture c’était, l’un comme l’autre, en tant que produits ou, si vous préférez, en tant que conséquences… Et, alors, le véritable imposteur serait donc Félix Houphouët, qu’on donne communément pour leur Pygmalion. Car ce qu’ils sont, et tout ce qu’ils possèdent aujourd’hui, c’est principalement à Félix Houphouët que Dominique Nouvian et Alassane Ouattara le doivent. Enfin, on peut le dire ainsi, tout en sachant bien que c’est surtout à d’autres personnes qu’ils durent d’avoir été introduits dans son entourage.
Aujourd’hui, bien sûr, c’est différent. Quand, pour « blaguer » le bon peuple de Côte d’Ivoire, ils multiplient les promesses et les happenings médiatiques – distributions périodiques de pacotilles pour Madame ; inaugurations de ponts pour Monsieur –, ou quand Monsieur prétend jouer pour de vrai le personnage du Zorro « nordiste » tel que Lamine Diabaté l’annonçait lors d’un fameux meeting à Odienné, on peut avec raison taxer les Ouattara d’imposture. Mais sont-ils les seuls, dans le cirque politique ivoirien, à mériter un tel traitement ? Et même à supposer qu’ils le soient, est-ce là une faute si grave vis-à-vis de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens ? Et si c’en est une, justifie-t-elle qu’un admirateur inconditionnel de Laurent Gbagbo et d’Hamed Bassam leur en fasse grief, jusqu’à leur consacrer tout un livre ? La réponse est évidemment non, et la meilleure preuve en est que ce procès, annoncé à coup de trompe dans son titre, occupe finalement beaucoup moins de place dans ce livre que, par exemple, l’autocélébration de l’auteur.
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Au tout début des années 1990, quand cette crise ne faisait que commencer, et alors qu’on n’en imaginait pas encore toutes les conséquences, la lecture d’un éloge dithyrambique de Laurent Gbagbo m’avait inspiré ce billet d’humeur que j’avais intitulé « L’Hégémon nouveau arrive ! ». Ecrit spécialement pour Téré, l’organe du PIT, je l’avais remis en mains propres à Laurent Akoun de passage à Paris, à l’intention du regretté Tapé Gozé, qui à l’époque faisait fonction de secrétaire de rédaction de ce journal. A mon grand étonnement, la publication en fut sans cesse différée, puis finalement annulée, pour, me dira Tapé Gozé en février 1995, lors d’une rencontre amicale chez Mme Angèle Gnonsoa, « des raisons d’opportunité politique » ! Vingt-cinq ans plus tard, après avoir lu le livre de Bernard Houdin, je constate avec tristesse que ce petit texte n’a rien perdu de son actualité ni de sa pertinence.
L’HEGEMON NOUVEAU ARRIVE ![2]
Par Marcel Amondji (1991)
A moins que François Mitterrand n’y mette encore une fois beaucoup du sien comme en 1950, ou un autre Jacques Foccart comme en 1959 et en 1963, il est fort peu probable que la Côte d’Ivoire connaisse le malheur de subir un deuxième Houphouët-Boigny lorsque le premier aura disparu. Mais, hélas !, il n’y manquera point de Yacés, de Siriex, de Faurés ni d’autres sortes de griots experts à balancer l’encensoir, prêts à acclamer un quelconque général Boulanger comme s’il s’agissait du premier Napoléon en personne !
A lire la préface que Me Gouhiri Titro a donnée au dernier livre de Laurent Gbagbo[3], et qui en constituera sans aucun doute, aux yeux de ceux qui suivent la vie politique ivoirienne depuis longtemps, le morceau de loin le plus original, et, aussi, le plus indicatif des intentions de l’auteur, on se croirait en présence du prologue d’un nouvel éloge de l’homme providentiel que la France généreuse nous imposa, malgré nos réticences et notre méfiance, entre 1950 et 1963, et que nous dûmes supporter trente années durant ! Jugez-en par vous-mêmes : « Il est, (…), dans la vie des sociétés humaines, des moments rares, privilégiés et magiques, où un pacte de confiance, lentement et obscurément mûri dans les profondeurs de la conscience collective, s’établit soudain entre la communauté nationale et un homme. Dès lors, toutes les attentes et les aspirations du peuple se cristallisent et, tel un fleuve immense débordant de roulis, subitement devenu trop étroit, elles convergent, irrésistibles, vers cet homme ou le groupe d’hommes marqués par le destin. L’histoire s’emballe. Et la société, comme brutalement réveillées d’un long sommeil, bande toutes ses énergies et s’apprête à accomplir le saut libérateur » (Page 7).
C’est beau. C’est éloquent. Mais que c’est effrayant ! J’ignore quel âge avait ce Gouhiri Titro en 1944. Laurent Gbagbo, lui, n’était pas encore né. Mais ils ont certainement – j’écris certainement parce que je n’en doute pas – lu quelques bons livres sur cette époque. Ils n’ignorent donc pas qu’il se passa alors, entre les Ivoiriens et Félix Houphouët – juste avant qu’il ne devienne Houphouët-Boigny –, quelque chose de très semblable au phénomène ici décrit. Et qu’en est-il résulté ? Cette situation, produit à la fois de notre premier enthousiasme, de la lâcheté de quelques-uns des hommes en lesquels nous avions cru et espéré, du machiavélisme des gouvernements français successifs – y compris ceux de 1981 à ce jour –, de la médiocrité, enfin, de tous ceux qui, à différentes époques depuis 1957, se sont présentés à nous comme des messies venus pour rédimer la Côte d’Ivoire… Le système de parti unique fut, à l’origine, une conséquence très logique de cette combinaison de facteurs, et non pas, comme on l’entend dire trop souvent ces derniers mois, sa cause !
Si l’histoire enseigne quelque chose, que ce soit ceci : il n’y a pas d’hommes providentiels ! C’est du reste ce qu’on a vraiment voulu dire quand on a dit cette sentence par laquelle l’éloquent avocat conclut sa préface : « Malheur aux peuples qui ont besoin de héros ! ».
Il est juste de dire maintenant que cette préface n’est pas vraiment le reflet du contenu du livre de Laurent Gbagbo. « Ce livre, nous prévient celui-ci dans l’introduction, présente les déclarations que j’ai faites et les textes que j’ai écrits depuis 1980 jusqu’en avril 1990. » C’est dire que, à la limite, et quoi qu’on y rencontre beaucoup des thèmes aujourd’hui favoris du leader du FPI, ces textes n’ont cependant qu’un rapport lointain avec la situation actuelle de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. Et avec la situation actuelle de Laurent Gbagbo lui-même. Il est d’autant plus délicat de les juger au fond aujourd’hui que leur auteur est devenu ce qu’il est, et que, de toute évidence, il vise plus encore. On risquerait de juger aussi cet homme-là, qui cependant n’est sans doute plus exactement le même homme que celui qui pensa et rédigea ces textes entre 1980 et 1990. D’autant que l’époque elle aussi est radicalement changée.
Dans l’un des textes qui composent ce livre (l’interview avec M. Maïga autour de son autre livre : Côte d’Ivoire, économie et société à la veille de l’indépendance (1940-1960), paru en 1982, L. Gbagbo déclarait : « Avant d’écrire cet ouvrage j’avais un certain nombre d’idées bien arrêtées. Quand j’ai abordé la recherche, l’analyse des documents et la rédaction, je me suis rendu compte que ces idées étaient complètement erronées. Je les ai corrigées aussitôt car les documents me donnaient tort. J’aimerais que ceux qui me liront fassent la même démarche » (Page 19). Plus loin dans ce livre-ci, mais plus proche de nous dans le temps, on retrouve un autre passage qui dit un peu la même chose : « Il faut, écrit L. Gbagbo, par souci de clarté et d’honnêteté, expliquer à nos concitoyens qu’un programme de gouvernement n’est ni une bible, ni un bréviaire ; il n’a jamais été appliqué intégralement, quel que soit le pays et quelles que soient les organisations politiques, car entre le moment où l’on écrit un programme et le moment où l’on arrive au pouvoir, les données sur lesquelles on est amené à agir changent, et il faut tenir compte de ces changements. Mais, en plus de cela, quand l’on n’est pas au pouvoir, il est impossible d’apprécier avec exactitude le poids de l’appareil d’Etat et les freins inhérents à la machine administrative ; il est difficile de se rendre compte avec précision de toutes ces "féodalités" constituées par les corps intermédiaires, par les intérêts catégoriels et d’appréhender à leur juste valeur le poids des contraintes extérieures. Ces difficultés qu’ont les hommes politiques à connaître à l’avance les problèmes qui les attendent au pouvoir ont donné, dans l’histoire de l’humanité de beaux exemples de "révision", etc… » (Page 122).
Connaissant cette opinion de l’auteur, et quoi qu’on pense soi-même, on doit convenir qu’il serait mal venu de demander à L. Gbagbo comment il se fait que, à tant d’égards, sa démarche politique d’aujourd’hui démente un assez grand nombre de beaux principes qu’il prône dans son livre. Celui-ci par exemple, pour n’en prendre qu’un seul : « Dans un pays encore sous-développé, (…) aucun parti n’a le droit de confisquer pour lui tout seul le droit de faire des propositions pour sortir le pays du sous-développement ».[4] Il doit certainement y avoir de bonnes raisons qui justifient toutes les entorses faites à un si beau principe par le leader du FPI depuis 1990.
Livre pour la mémoire plutôt que livre de doctrine, cet Agir pour les libertés est donc un document qu’il faut lire sans y chercher l’explication de la manière dont, aujourd’hui, son auteur compose et dirige son parti, et conduit une campagne politique résolument tendue vers la conquête de l’hégémonie. En attendant que son prochain livre nous éclaire sur les raisons pour lesquelles, autour de l’enseignant pauvre et désemparé forcé à l’exil en 1982, sont apparus, depuis le 16 septembre 1990, des Gouhiri Titro…
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Oui, Monsieur Houdin, quoi qu’on puisse penser et dire des Ouattara – et Dieu sait si ce blog ne leur passe rien –, notre pauvre Côte d’Ivoire n’a point attendu leur règne pour devenir ce pays où, si l’imposture faisait pousser des ailes à ceux qui la pratiquent, le ciel d’Abidjan serait aussi embouteillé que ses ponts et ses rues .
Une contribution de Marcel Amondji