Bernard Houdin, conseiller du Président Gbagbo: « Les conditions minimales pour un scrutin ne sont pas réunies en Côte d’Ivoire »

Le 10 novembre 2011 par Africandiplomacy.com - Bernard Houdin, conseiller du Président Laurent Gbagbo, est aujourd’hui représentant du porte-parole de Laurent Gbagbo, le ministre Koné Katinan.

Sa zone d’activité est l’Europe. Dans une interview à Africandiplomacy.com, il revient abondamment sur l’actualité politique dans son pays.

Bernard Houdin, Conseiller du President Laurent Gbagbo.

Le 10 novembre 2011 par Africandiplomacy.com - Bernard Houdin, conseiller du Président Laurent Gbagbo, est aujourd’hui représentant du porte-parole de Laurent Gbagbo, le ministre Koné Katinan.

Sa zone d’activité est l’Europe. Dans une interview à Africandiplomacy.com, il revient abondamment sur l’actualité politique dans son pays.

1/ Existe-t-il en Côte d’Ivoire une certaine incapacité à assurer la sécurité des ivoiriens ou devrait-t-on plutôt parler d’un manque de volonté ?
Chaque jour qui passe démontre le caractère artificiel de la situation en Côte d’Ivoire. Le 12 avril dernier, le Premier Ministre français déclarait à l’Assemblée Nationale qu’ « il était fier que l’armée française ait contribué à ramener la démocratie en Côte d’Ivoire » ! Nous voyons aujourd’hui ce qu’il en est : exactions permanentes, expression politique entravée, presse libre sous très haute surveillance, etc.…
La question sécuritaire découle de la nature même du régime installé à Abidjan. C’est une armée hétéroclite qui « assure » la sécurité à « ses » conditions. Après avoir mis le Nord du pays en coupe réglée depuis septembre 2002, elle sévit désormais dans la partie méridionale du pays où sont concentrées l’essentiel des richesses. Les politiques gesticulent, les chefs rebelles amassent des fortunes immenses, tout cela sous le « parapluie » des forces françaises et onusiennes. Tout cela « tient » encore mais avec le risque de voir le taux de désespérance de la population atteindre le point de non-retour.
2/ Dans ces conditions, est-il raisonnable ou opportun d’organiser une consultation électorale en toute sérénité ?
Le « pouvoir » veut organiser des élections législatives en décembre prochain. Comment organiser un tel scrutin dans les conditions qui prévalent aujourd’hui en Côte d’Ivoire ? Soit il s’agit pour Monsieur Ouattara de se faire « plébisciter » dans une élection sur mesure pour occuper la quasi-totalité des sièges de l’Assemblée Nationale, soit l’on organise un scrutin « libre, juste et transparent » et là, des conditions fondamentales sont à réunir avant toutes choses et, d’abord, la libération de tous les prisonniers politiques, à commencer par le Président Laurent Gbagbo et de la Première Dame (qui est, rappelons le, Vice-présidente de l’Assemblée actuelle !).
Notre position est claire : pas d’élection sans le respect des droits fondamentaux de chaque ivoirien et ivoirienne.
J’aimerais ajouter que pour ceux qui ont connu la campagne électorale de la Présidentielle de 2010, ils ont été témoins de ce qu’était une élection « libre, juste et transparente », du moins jusqu’au jour du vote, car l’on connait la suite. C’est, ici, le lieu de rappeler que le Président Gbagbo est le « père » du multipartisme dont les élections sont le point focal. Mais « plaquer » des élections dans un système coercitif, comme cela serait le cas si les élections législatives devaient être organisées dans la situation actuelle, serait un déni de démocratie dont les ivoiriens et ivoiriennes ne seraient pas dupes.
3/ En cas de boycott qui se retrouverait le dos au mur ?
L’on a l’habitude de dire que la « politique de la chaise vide » nuit plutôt à celui qui la pratique. Mais il y a des limites à cette affirmation et, comme je vous l’ai dit, les conditions minimales pour un tel scrutin ne sont pas réunies en Côte d’Ivoire. Si le pouvoir en place s’entête à maintenir ces élections il prend le risque d’être « indexé » par une partie de la communauté internationale et de perdre ainsi son crédit auprès d’institutions-clés pour son avenir immédiat.
4/ La communauté internationale a-t-elle choisi d’observer sans rien dire ou pourrait-t-elle un jour être emmenée à changer le regard qu’elle porte sur la réalité politique ivoirienne ?
Les mois qui viennent vont, sans doute, modifier sensiblement le contexte international. Des échéances électorales décisives vont arriver en France et aux États-Unis, en particulier, ainsi que dans certains pays africains qui ont joué un rôle de « supplétifs » dans la crise ivoirienne. Sans préjuger de l’impact de ces changements potentiels, il nous revient le devoir d’ « inviter » la Côte d’ivoire dans les débats qui vont avoir lieu à ces occasions.
Notre rôle sera justement d’amener la communauté internationale à prendre la mesure de la réalité, ce qui passe par la « répétition pédagogique » auprès des uns et des autres de l’analyse des événements qui, de septembre 2002 au 11 avril 2011, ont conduit à la situation actuelle.
5/ La vision idéologique du président Gbagbo et de son parti est perçue comme étant basée sur le concept des libertés. En quoi cette vision ne colle-t-elle pas avec les attentes de la communauté internationale ?
C’est le paradoxe de la crise : le vrai démocrate combattu, au nom de la démocratie, au profit d’un autocrate soutenu par des putschistes…Comprenne qui pourra.
6/ Sur le plan administratif et territorial on assiste à diverses formes de tergiversations. Qu’est-ce que cela vous inspire-t-il ?
Il est clair que la rigueur et la simplicité ne sont pas les vertus cardinales qui président aux choix du pouvoir actuel. Au-delà du caractère un peu désuet de la « valse » des sigles, les décisions de restructuration administrative du pays sont emblématiques d’un pouvoir qui vit dans l’effet d’annonce. Alors que le pays est en plein marasme politique, économique et social, est-il urgent de transformer de fond en comble la carte administrative du pays ? De telles reformes qui, même en Occident prendraient des années de préparation et d’exécution, sont annoncées à grand renfort de publicité, dans un pays où la simple gestion du quotidien est, en elle-même, une difficulté majeure.
7/ Comment se fait-il que malgré tous les soutiens internationaux le nouveau pouvoir ait tant de peine à joindre les deux bouts ?
Il est bon de rappeler quelques vérités incontournables :
-En dix ans le Président Gbagbo a fait passer le budget de l’État de 1600 à 2800 milliards de F CFA,
-Il a obtenu, en mars 2009, le Point de Décision de l’initiative PPTE, reconnaissance par les Institutions Financières internationales, de la bonne gouvernance du pays,
-Il a, dès son élection, en 2000, instauré le budget dit « sécurisé » qui faisait que la Côte d’Ivoire s’assurait de son fonctionnement public sur ses seules ressources propres,
Tout cela a volé en éclat : Ouattara remercie publiquement la France de lui assurer ses fins de mois, l’achèvement du processus PPTE est repoussé et le budget de l’État est compromis par les « prélèvements » anarchiques des ‘’Com’Zones’’ qui sont les vrais maitres sur le terrain, en dépit des affirmations péremptoires du pouvoir.
8/ A-t-il été sérieux à un moment donné de penser ou de faire croire que la communauté et les institutions internationales auraient donné tant d’argent à la Côte d’Ivoire sans contreparties ou sans sacrifices de la part des ivoiriens, n’a-t-on pas un peu exagéré dans ce que l’on pouvait raisonnablement faire pour la Côte d’Ivoire ?
Les promesses de toutes natures n’engagent, généralement, que ceux qui les écoutent. Quiconque a travaillé dans l’appareil d’État sait très bien que les fonds des organismes internationaux et des autres États ne sont jamais distribués sans contreparties et soumis à des « conditionnalités » rigoureuses. Et, à terme, ceux sont les habitants du pays qui payent la note. Pour votre information, la dette que le Président Gbagbo était en train d’apurer dans le cadre de l’initiative PPTE était exclusivement issue de la gouvernance des années Bédié/Ouattara. Comme on dit, « le chien ne change pas la façon de s’asseoir »…
9/ L’on parle beaucoup ces temps-ci d’enquêtes de la part de la fameuse CPI (Cour pénale internationale). Que pensez-vous de cette subite intrusion dans le jeu politique actuel ?
Avec ce débat sur la CPI, nous assistons à un nouvel avatar de l’histoire de la Côte d’Ivoire « revisitée » par les groupes de pression qui ont conduit à la situation actuelle. Depuis son élection, en octobre 2000, le Président Gbagbo a subit deux tentatives de Coups d’État (le premier en janvier 2001) et le second s’est transformé en rébellion sanglante. Il n’a eu, depuis, de cesse de rechercher une solution pacifique et, après de nombreuses initiatives extérieures, il a conclu, dans le cadre d’une négociation ivoiro-ivoirienne, l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) avec les rebelles. C’est le non-respect des termes majeurs de l’Accord par les adversaires du Président, cautionnés par des intérêts étrangers, qui a conduit aux événements actuels. Pendant les huit ans d’occupation de la zone Centre Nord Ouest (CNO), d’innombrables exactions ont été commises dans cette zone devenue de facto « de non-droit ». Et pendant sa marche sur Abidjan, l’armée aux ordres d’Alassane Ouattara (il a signé le 17 mars 2011 une ordonnance plaçant ces forces sous son autorité directe) a commis des crimes de guerre et contre l’humanité qui sont consignés dans des rapports accablants d’organisations humanitaires telles que Amnesty International et Human Right Watch. Le massacre de Duekoué, où plus de mille personnes ont été sommairement assassinées alors que des troupes de l’ONUCI et de la Force Licorne stationnaient dans les environs, sont de même nature que le massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine. La campagne médiatique orchestrée principalement en France pour « salir » le Président Gbagbo (la récente couverture de l’hebdomadaire « africain » Jeune Afrique est particulièrement nauséeuse à cet égard) est destinée à masquer les véritables coupables qui sont aujourd’hui en place en Côte d’Ivoire. Heureusement, tout le monde n’est pas dupe et ce débat sur la CPI va nous permettre de rétablir des vérités indiscutables.
A cet égard l’attitude du procureur de la CPI, lors de sa visite récente à Abidjan, se faisant complaisamment photographier en compagnie de monsieur Soro Guillaume, qui, en tant que responsable revendiqué de la rébellion, est susceptible d’être traduit devant cette juridiction, est parfaitement indécente. Concernant Monsieur Moreno-Ocampo, il faut savoir qu’avant de se « promouvoir » en accusateur des généraux argentins, à la fin de la dictature, il fut durant quatre ans en poste à la Procure Générale à Buenos Aires et, de ce fait, un auxiliaire de justice de la junte au pouvoir, ce qui devrait l’inciter à un peu de pudeur. Nous possédons suffisamment d’éléments sur les principaux dossiers où l’on cherche à impliquer le Président et nous saurons, en temps et en heure, les faire valoir.
10/ Serait-il raisonnable de penser que les occidentaux en général, certains membres de l’International Socialiste en particulier mais aussi de fervents politiciens de gauche soient à ce point induits en erreur par une campagne de presse ?
L’on vient d’observer, en Côte d’Ivoire et en Libye, dans deux situations différentes, que la méthode employée était sensiblement identique : intervention pour « sauver » les populations civiles. On voit, dans les deux cas, où cela nous a menés. Et, paradoxalement, alors que toute la gauche française et une grande partie des medias sont arc-boutés contre Nicolas Sarkozy en ce qui concerne la politique intérieure française, dans ces deux cas, elles ont suivi la ligne présidentielle. Je pense que ni la gauche, ni les medias ne pourront faire l’économie d’un aggiornamento.
Cela-dit, il est toujours plus facile d’épouser l’air du temps et de hurler avec les loups. Le Président Gbagbo aime rappeler cette expression : « quand tu danses avec un aveugle, marche lui de temps en temps sur les pieds pour lui rappeler qu’il n’est pas seul dans la pièce ». C’est à nous de bousculer les idées reçues sur la crise ivoirienne, c’est à ce prix que les choses pourront évoluer dans le sens de la vérité.
11/ Il est assez étonnant de voir certains politiciens français notamment la dernière en date Madame Martine Aubry, être très durs envers le président Gbagbo sans formuler autant de critiques à l’encontre de ses adversaires. Êtes-vous surpris par ce genre d’indignations sélectives ?
La dernière « sortie » de Madame Aubry m’a particulièrement choqué, par sa méchanceté gratuite. Cela a du, d’ailleurs, lui couter cher auprès des électeurs d’origine africaine, au deuxième tour de la Primaire socialiste. Elle est symptomatique de la méconnaissance profonde de la réalité du dossier ivoirien qui est le « socle » commun de la grande majorité de la classe politique française, alimentée par une presse univoque.
D’un autre coté, que ce soit pour l’assassinat de Philippe Reymond ou la détention de nationaux français tels que Michel Gbagbo et Madame Danielle Boni-Claverie, la diplomatie française, souvent si prompte à réagir au nom des Droits de l’Homme, est curieusement restée silencieuse. C’est bien une illustration de l’ « indignation sélective » dont vous parlez.
12/ Avez-vous des nouvelles des personnalités arrêtés et comment se portent-elles à ce jour ?
Contrairement aux rumeurs trop souvent propagées sur Internet, par exemple, le Président et l’ensemble des personnalités illégalement et illégitimement détenues sont en bonne santé. J’arrive à communiquer personnellement avec certains d’entre eux. Paradoxalement ils me disent avoir un moral à toute épreuve et espèrent que nous-mêmes ne soyons pas trop découragés! C’est cette force de caractère, à commencer par celle du Président (qui a étonné ses avocats lors de leur visite du 15 septembre), qui doit être pour chacune et chacun d’entre nous un encouragement dans notre combat quotidien pour le retour à l’État de Droit en Côte d’Ivoire.

Interview réalisée par: Romarick Okou et Frank P. Kobéa
Pour: www.african-diplomacy.com