Au Niger: plus de six mois après le coup d’Etat, des Français refoulés à leur arrivée

Par Le monde - Au Niger, plus de six mois après le coup d’Etat, des Français refoulés à leur arrivée.

La plupart des ressortissants français qui ont voulu se rendre dans le pays ont été empêchés d’y entrer, illustrant la dégradation des relations depuis le putsch du général Abdourahamane Tiani, en juillet 2023.

Par Morgane Le Cam

Les partisans du Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP) du Niger manifestent devant la base aérienne nigérienne et française de Niamey, le 16 septembre 2023. - / AFP
La brouille diplomatique entre Paris et la junte nigérienne a gagné les aéroports. Depuis fin janvier, la plupart des ressortissants de l’Hexagone ayant tenté de se rendre au Niger avec des documents en règle ont été refoulés lors de leur arrivées à Niamey, selon plusieurs sources diplomatiques françaises et des responsables nigériens. Lundi 19 février, une Franco-Tchadienne s’est vu refuser l’entrée au Niger à sa descente de l’avion, rapporte un salarié de l’aéroport de Niamey. Fin janvier, Jean-Noël Gentile, le responsable du Programme alimentaire mondial (PAM), pourtant titulaire d’un passeport diplomatique des Nations unies, avait connu le même sort.
« Les Français et les binationaux doivent désormais avoir un laissez-passer de la part des autorités pour pouvoir venir chez nous. Sinon, on les renvoie. Ce sont les consignes qu’on nous a données », témoigne la source nigérienne, affirmant avoir assisté au refoulement de six ressortissants français ces dernières semaines.

La junte du général Abdourahamane Tiani, au pouvoir depuis le coup d’Etat perpétré fin juillet contre le président élu, Mohamed Bazoum – toujours détenu avec son épouse –, n’a pas officiellement communiqué sur un quelconque changement de procédure d’entrée. Contacté par Le Monde, un conseiller du gouvernement nigérien reconnaît toutefois que les Français sont bien « refoulés à Niamey, sans être arrêtés ». Les rares qui ont réussi à franchir les portes de l’aéroport ces dernières semaines se sont vu confisquer leur passeport par les autorités, d’après nos informations.

Samedi 10 février, la route a été barrée à Patrick (son prénom a été changé), un Français résidant depuis plus de dix ans au Niger, titulaire d’un titre de séjour et muni d’un passeport valide, après qu’il a atterri. « L’agent a repéré que j’étais français à la couleur de mon passeport, que je tenais à la main. Il me l’a pris et est parti avec. Quand il est revenu quelques minutes plus tard, il l’a donné au commandant de bord en lui disant : “Ramenez-le d’où il vient.” Je n’ai donc pas pu débarquer et je suis reparti en Europe », raconte-t-il.

Actes « illégaux et xénophobes »

Comme lui, une dizaine de Français avec des visas ou des cartes de séjour en règle, délivrées par les autorités nigériennes, ont ainsi été priés de repartir, confirme une source officielle française, qui fustige des actes « totalement illégaux et xénophobes ». « La France aussi a refoulé des ressortissants nigériens, à qui on a dit que le visa était annulé, sans explications », rétorque le conseiller gouvernemental nigérien. Paris a en effet révoqué une dizaine de visas accordés à des Nigériens jugés hostiles à la France. « On n’allait pas les maintenir pour des gens qui passent leur temps à nous insulter », réagit la source officielle française, qui voit dans les expulsions récentes une manière pour le régime militaire de rendre à la France la monnaie de sa pièce.

Depuis le putsch du 26 juillet 2023, les relations n’ont cessé de se dégrader entre Paris, allié indéfectible du président déchu Mohamed Bazoum, et les militaires au pouvoir. Fin septembre, l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, a été contraint de quitter le Niger après trois semaines de bras de fer avec la junte. En parallèle, les quelque 1 500 soldats français présents dans le pays ont été sommés par les putschistes de plier bagage, après que Paris a notamment été accusé de complicité avec les groupes djihadistes.

L’ambassade de France et le consulat à Niamey ont dû fermer leurs portes le 2 janvier, cinq mois après avoir été violemment attaqués par des partisans du régime. Depuis, l’ambassade de France n’est donc « plus en mesure de délivrer des visas » aux Nigériens souhaitant se rendre dans l’Hexagone, a-t-elle annoncé sur son site Internet le 3 février.
S’il a effectué une demande auprès des autorités nigériennes afin d’obtenir le sauf-conduit qui semble désormais nécessaire pour lui permettre de rejoindre sa famille à Niamey, Patrick se fait peu d’illusions. « Tôt ou tard, il faudra que les expatriés français au Niger quittent le pays », regrette-t-il. Sur les quelque 1 200 Français inscrits sur les listes consulaires au Niger en 2023, entre 150 et 200 sont encore installés à Niamey. Les autres avaient préféré plier bagage, de leur propre chef ou en bénéficiant de l’évacuation organisée par la France au lendemain du putsch.

Morgane Le Cam