Ajournement du verdict de Gbagbo: Voici le document en béton de Me Altit pour exiger la libération de Laurent Gbagbo [Document Intégral]

Par Ivoirebusiness - Voici la bombe de Me Altit qui va libérer faire Gbagbo.

Me Emmanuel Altit, Conseil du président Gbagbo à la CPI, a déposé le mardi 25 juin, une demande d’autorisation d’appel pour contester la décision du 3 juin de la Chambre préliminaire 1 de la Cpi ajournant le verdict du procès de Laurent Gbagbo. Voici l’intégralité de ce document qualifié de béton et qui fera libérer Laurent Gbagbo.

I- Rappel des faits et de la procédure

1. Le 3 juin 2013, la Chambre préliminaire rendait une «Décision portant ajournement de l’audience de confirmation des charges conformément à l’article 61-7-c-i du Statut » dans laquelle elle constatait que le Procureur n’avait apporté aucun élément probant au soutien de ses accusations, pas d’«éléments de preuve concrets et tangibles, montrant une direction claire dans le raisonnement supportant les allégations spécifiques », qu’il n’avait pas mené de « véritable enquête » ; par conséquent, la Chambre ne confirmait pas les charges. Mais la Chambre, estimant que le Procureur aurait pu se fonder sur une jurisprudence « plus clémente » et qu’il aurait pu ne pas « présenter tous ses éléments de preuve », décidait, par « souci d’équité », de lui accorder un délai supplémentaire afin qu’il puisse présenter un dossier à charge convainquant.

II- La question posée (appealable issue) : l’utilisation faite par la Chambre préliminaire dans sa décision du 3 juin 2013 de l’article 61 (7) (c) (i) conduit-elle à une violation des droits de la défense ?

2. La défense souhaite soumettre à la Chambre d’Appel la question suivante: « l’utilisation en l’espèce de l’article 61 (7) (c) (i) par la Chambre préliminaire conduit-elle à une violation des droits de la défense » ? Cette question satisfait aux critères que la jurisprudence a déterminés pour permettre que l’appel soit interjeté. En effet, elle découle bien de la décision attaquée (1), est de nature à affecter l’équité de la procédure ou l’issue du procès (2) et mérite un règlement immédiat par la Chambre d’Appel (3).

1. Une question
susceptible d’appel

3. La Chambre préliminaire a considéré dans sa décision du 3 juin 2013 que l’attaque contre une population civile au sens de l’article 7 du Statut n’avait pas été démontrée et que le «tableau présenté à la Chambre était également incomplet s’agissant i) des liens structurels entre les dénommées « forces pro-Gbagbo » impliquées dans tous les évènements ; et ii) de la présence et des activités des forces armées adverses ».

4. La Chambre préliminaire constate qu’en réalité « le Procureur demande à la Chambre d’opérer de nombreuses déductions à partir d’actions ou de comportements de Laurent Gbagbo, de son entourage immédiat et des « forces pro-Gbagbo », mais qu’elle « ne dispose pas d’assez d’informations pour déterminer si ces déductions sont étayées par des preuves suffisantes au regard de la norme d’administration de la preuve applicable à la confirmation des charges ».

5. Plus généralement, la Chambre préliminaire note dans sa décision du 3 juin 2013 « avec beaucoup de préoccupation que, dans la présente affaire, le Procureur s’est largement fondé sur des rapports d’ONG et des articles de presse pour étayer des éléments clés de sa cause, et notamment les éléments contextuels des crimes contre l’humanité. De telles preuves ne peuvent en aucune façon être présentées comme le résultat d’une enquête complète et en bonne et due forme menée par Procureur conformément à l’article 54-1-a du Statut».

6. Ainsi, les Juges considèrent-ils que non seulement le Procureur n’a apporté aucun élément probant au soutien de ses allégations mais encore considèrent-ils qu’il n’a pas donné les informations minimales permettant à la Chambre de juger de la pertinence de la présentation qu’il faisait des évènements. En d’autres termes, le Procureur n’a présenté aucun élément contextuel convaincant, ni aucun élément portant sur le substrat factuel de ses allégations.

7. Bien que le Procureur n’ait pas satisfait aux exigences du Statut en matière d’enquête et qu’il n’ait pas apporté « des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés », la Chambre préliminaire a néanmoins estimé qu’elle devait, plutôt que de rejeter les charges, accorder, « par souci d’équité », plus de temps au Procureur pour qu’il complète son enquête et restructure son dossier en répondant à des questions qu’elle lui pose.

8. En conséquence de quoi, la Chambre a posé un calendrier prévoyant une extension importante de la période pendant laquelle le Procureur enquête, la fixation de délais de divulgation de nouvelles pièces et des délais de réponse pour la défense. Le calendrier fixe la fin de cette phase additionnelle de la Procédure au 7 février 2014, date à partir de laquelle le délai de soixante jours durant lequel la Chambre doit se prononcer sur la confirmation ou non des charges commencerait à courir à nouveau. Ainsi, non seulement la phase de confirmation des charges est-elle étendue par les Juges, mais encore la durée de l’ « audience de confirmation des charges » se voit-elle prolongée de près d’un an, puisqu’il s’agit – techniquement – d’un ajournement.

9. En réalité, il ne s’agit pas d’un simple ajournement puisque la Chambre demande au Procureur de recommencer ses enquêtes et de présenter l’affaire de façon autrement structurée.

10. La défense estime que ces délais supplémentaires ne sont pas conformes aux exigences du procès équitable, notamment à l’obligation pour la Cour de s’assurer que la personne soit «jugée sans retard excessif ». En effet, le Président Gbagbo a été arrêté par les Autorités ivoiriennes le 11 Avril 2011. Sa détention dure donc depuis plus de deux ans et si le calendrier prévu par la Chambre préliminaire était appliqué, sa détention serait prolongée de près d’une année supplémentaire, et cela pour la seule raison que le Procureur n’a pas mené de «véritable enquête », ce qui reviendrait à faire payer au Président Gbagbo les défaillances du Procureur.

11. L’ajournement ne se justifie pas quand les Juges ont considéré que le Procureur avait entièrement et globalement failli. La seule solution logique consiste alors pour les Juges à prononcer l’infirmation des charges et la libération du Président Gbagbo. Sinon serait trahi l’esprit du Statut et serait nié le sens de l’existence de la procédure de confirmation des charges ; celle-ci existe pour que les Juges se prononcent, après un délai raisonnable apprécié à la lumière des droits de la défense puisque la procédure de confirmation des charges est destinée à protéger les droits de l’individu, et non être prorogée au-delà du raisonnable. Autrement, qu’est-ce qui empêcherait, année après année, de recommencer à porter des accusations contre un Accusé sans que jamais le Procureur ne paie le prix de ses manques. La logique, le bon sens, la lettre et l’esprit du Statut, le respect des principes de droit exigent que la Chambre tire les conséquences normales du constat qu’elle a fait de la défaillance du Procureur : infirmation des charges et libération de l’intéressé.

12. Il n’est en théorie pas nécessaire que la défense expose plus avant les moyens d’appel précis qui seraient soulevés devant la Chambre d’Appel si l’appel était autorisé. En effet, la présente Chambre préliminaire a, par le passé, considéré que « an application for leave to appeal should not contain in detail the arguments which the party intends to raise before the Appeals Chamber ». Par ailleurs, la défense note que dans l’affaire Katanga, à l’occasion d’un débat similaire au présent débat, la Chambre de première instance II a estimé que la question de savoir si l’utilisation par la Chambre de la Norme 55 du Règlement de la Cour et l’utilisation des délais y afférents violait les exigences du procès équitable était une question susceptible d’appel sans qu’il soit besoin d’entrer dans les détails de la question.

13. Néanmoins, la défense, afin de faciliter l’évaluation de la présente demande par la Chambre préliminaire, tient à mentionner certaines des erreurs commises par les Juges dans le cadre de l’utilisation qu’ils ont faite de l’article 61 (7) c) i) dans la décision attaquée, erreurs sur lesquelles elle s’appuierait si l’autorisation d’interjeter appel lui était accordée.

14. La Chambre préliminaire commet en effet un certain nombre d’erreurs de fait et de droit dans l’évaluation du comportement du Procureur (1.1) et commet une erreur à la fois de droit et de fait dans la détermination des critères pertinents à l’évaluation d’un « délai raisonnable » qui ne porterait pas atteinte aux droits de la défense (1.2). Ces deux séries d’erreurs constituent le fondement de la question soulevée dans la présente demande d’autorisation de faire appel.

1.1. Les erreurs relatives à l’évaluation du comportement du Procureur

1.1.1 Les Juges excusent la faillite du Procureur en posant une hypothèse

15. Pour justifier les délais supplémentaires accordés au Procureur, la Chambre préliminaire a considéré qu’« avant les arrêts susmentionnées de la Chambre d’appel, la jurisprudence de la Cour a pu sembler plus clémente. Par conséquent, le Procureur n’a peut-être pas jugé nécessaire en l’espèce de présenter tous ses éléments de preuve ou de pratiquement terminer son enquête en suivant toutes les pistes pertinentes, à charge comme à décharge, en vue de la manifestation de la vérité ».

16. En d’autres termes, au lieu de tirer les conséquences logiques du constat qu’elle pose elle-même de faillite du Procureur et au lieu d’infirmer les charges et libérer le Président Gbagbo, la Chambre retient l’hypothèse que le Procureur aurait pu lourdement se tromper sur le sens de la jurisprudence et sur ses obligations.

1.1.2 L’hypothèse retenue par la Chambre n’est pas fondée

17. Cette hypothèse n’est pas fondée : le Procureur n’a cessé d’indiquer pendant toute la phase de confirmation des charges qu’il était au fait de ses droits et obligations et avait rassemblé un dossier complet. Il n’a cessé de s’appuyer sur la supposée «strength of the case »; il a aussi rappelé lors de l’audience de confirmation des charges qu’il s’appuyait sur l’ensemble de sa preuve, une preuve dont il estimait qu’il l’avait obtenue grâce à un travail approfondi : « the Prosecution has worked diligently ».

18. En réalité, rien dans le dossier ne laisse entendre que le Procureur n’aurait pas fait état de toute sa preuve, aurait gardé des éléments de preuve par devers lui ou serait susceptible d’en trouver de nouveaux. Les propres déclarations du Procureur à cet égard sont éclairantes.

19. De plus, la teneur de la décision du 3 juin 2013 et l’ampleur de ce que les Juges demandent au Procureur de faire montrent que, pour les Juges eux-mêmes, le problème ne porte pas sur quelques éléments de preuve mais bien sur la façon dont le dossier leur a été présenté par le Procureur. Les Juges ont souligné que le Procureur n’apportait aucun élément probant au soutien de ses multiples accusations. Par conséquent, le problème n’est pas pour les Juges de pouvoir disposer de quelques éléments de preuve supplémentaires que le Procureur aurait pu conserver ou serait susceptible de trouver mais bien que leur soit présentée une ligne d’argumentation plus convaincante.

20. Ainsi, du point de vue du dossier, la situation décrite par la Chambre pour excuser le Procureur, consistant à émettre l’hypothèse qu’il n’aurait pas présenté tous ses éléments de preuve afin de lui donner l’occasion de le faire à nouveau, ne reflète-t-elle pas la réalité. Le fait est que la Chambre a fait une mauvaise utilisation des éléments à sa disposition, et a donc commis une erreur de fait préjudiciable, pour en tirer un constat erroné et proposer une solution inadaptée.

1.1.3 L’argumentation de la Chambre

21. Pour tenter de minorer les conséquences de cet état de fait, la Chambre suggère que, si le cadre jurisprudentiel avait été différent, le résultat aurait dû être différent. Ce constat est erroné car la décision de la Chambre ne porte fondamentalement pas sur la définition d’un cadre jurisprudentiel ou l’interprétation d’une jurisprudence antérieure et par conséquent ne concerne pas un éventuel changement jurisprudentiel portant sur l’administration et le degré du standard de preuve mais porte sur l’incapacité du Procureur à soutenir son argumentation, par exemple sur l’existence d’un plan commun et ce, quel que soit le standard de preuve retenu. En avoir conclu que le comportement du Procureur aurait pu être différent en fonction du cadre jurisprudentiel constitue donc une erreur de fait dans l’évaluation de la situation ayant conduit à lui octroyer des délais supplémentaires d’enquête.

22. Ici donc, la question est celle de l’absence de toute véritable enquête menée par le Procureur et l’absence d’élément probant au soutien de son argumentation.

23. Le constat fait par les Juges est simple : le Procureur a le devoir d’enquêter, à charge et à décharge, et il n’a pas mené d’enquête.

1.1.4 La Chambre excuse le Procureur aux dépens du Président Gbagbo

24. La Chambre considère que, même si les erreurs du Procureur lui sont imputables, il n’en serait pas pour autant responsable car il aurait pu se méprendre sur le sens de la jurisprudence. En conséquence, la Chambre lui permet de recommencer le processus mais ce faisant, elle oublie de prendre en considération les droits Président Gbagbo. Elle décharge donc le Procureur de ses erreurs aux dépens du Président Gbagbo. De plus, à ce compte-là, plus aucune erreur du Procureur n’aurait de quelconque conséquence : après chaque faillite, il pourrait recommencer. En d’autres termes, le Statut et les Normes n’auraient plus de sens.

25. La Chambre commet donc une erreur de droit, en ne tirant pas les conséquences du fait que le Procureur n’a pas mené d’enquête sérieuse et en lui accordant plus de temps, déséquilibrant la procédure au détriment du Président Gbagbo. Or, le principe de présomption d’innocence veut, lorsqu’il y a doute, que ce doute profite à l’accusé ; ici c’est le Procureur qui en tire avantage.

1.1.5 Le Procureur n’avait aucune raison d’ignorer ce qui était attendu de lui et par conséquent la Chambre n’était pas fondé à présumer sa bonne foi

26. L’argumentation de la Chambre est d’autant moins recevable que le Procureur a été sanctionné plusieurs fois pour ses erreurs et faillites :

27. Ce n’est pas la première fois qu’une Chambre de la CPI exprime des doutes sur le fait que le bureau du Procureur s’appuie de façon exagérée sur des rapports d’ONG. Ainsi, dans Mbarushimana, la Chambre préliminaire I, dans son évaluation de la valeur probante des rapports de Human Rights Watch a estimé que « as a general principle, the Chamber finds that information based on anonymous hearsay must be given a low probative value in view of the inherent difficulties in ascertaining the truthfulness and authenticity of such information » la Chambre ajoute « par conséquent, ces informations ne seront utilisées que dans le seul but de corroborer d'autres éléments de preuve ». Les charges contre Mbarushimana ne furent pas confirmées. De la même manière, la Chambre de première instance I dans l’affaire Lubanga a mentionné à plusieurs reprises le témoignage d’enquêteurs de la CPI qui expliquent le peu de crédit à accorder aux rapports de certaines ONG.

28. De façon plus générale, l’analyse des différentes affaires traitées par la CPI montre que ce n’est pas la première fois que le Procureur est pris en défaut sur ses enquêtes et sur la présentation de ses dossiers. Dans deux des affaires où les charges n’ont pas été confirmées (Abu Garda, Mbarushimana) les Juges ont souligné les manques des enquêtes du Procureur. Dans l’affaire Bemba, actuellement en procès, l’analyse du Procureur a été modifiée par les Juges, les charges ayant été requalifiées dès la confirmation des charges.

29. Dans les affaires ayant fait l’objet d’un procès, Mathieu Ngudjolo Chui a été acquitté notamment sur la base d’erreurs commises par le Procureur. La Chambre de jugement a soulevé les nombreux manquements de l’enquête du Procureur, allant jusqu’à conclure que « l'enquête du Procureur aurait gagné à approfondir ces différentes questions ce qui aurait permis de nuancer l'interprétation à donner à certains faits, d'interpréter plus justement certains témoignages recueillis ». La Chambre de jugement a insisté sur le fait qu’elle « ne peut aussi que constater qu'elle ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve ». Dans l’affaire Germain Katanga, les Juges ont été obligés de requalifier les faits en cours de procès. Enfin, même si Thomas Lubanga a été condamné, la Chambre de jugement a fortement critiqué à cette occasion l’enquête du Procureur, et notamment l’utilisation qu’il a faite d’intermédiaires peu fiables. Elle a consacré près de vingt pour cent du jugement à analyser le problème que lui avait posé la mauvaise utilisation des intermédiaires par le Procureur.

30. Au vu de ce précède, il apparaît que la conclusion de la Chambre, selon laquelle le Procureur ne pouvait anticiper le rejet des éléments qu’il présentait au soutien des charges du fait de leur valeur probante insuffisante, est fondée sur une évaluation factuelle erronée.

1.1.6 L’hypothèse posée par les Juges selon laquelle l’ignorance du Procureur de l’état du droit n’aurait pas de conséquence et pourrait même être portée à son crédit n’est pas fondée

31. La Chambre a fondé sa décision notamment sur le fait «qu’avant les arrêts susmentionnées de la Chambre d’appel, la jurisprudence de la Cour a pu sembler plus clémente à cet égard ». En d’autres termes, la Chambre prend en compte comme critère le fait que le Procureur aurait pu ne pas connaître l’état du droit. Or, la Chambre ne saurait se fonder sur une telle hypothèse car les parties, ainsi que les Juges, sont censés connaître l’état du droit. Il est à noter que les arrêts datent de mai 2012, ce qui laissait suffisamment de temps au Procureur pour en prendre connaissance. Cela constitue donc une erreur de droit.

1.1.7 Le Procureur a développé une stratégie qu’il a librement choisie

32. En fait, les demandes formulées par la Chambre sont destinées à obtenir du Procureur des éléments qu’il ne désirait pas transmettre à la Chambre et que la Chambre considère indispensables pour saisir et le contexte et le substrat factuel des allégations formulées par le Procureur. Ainsi, la question posée par la Chambre concerne l’absence d’éléments nécessaires à la compréhension et à l’analyse des faits invoqués par le Procureur et ne consiste pas en une discussion sur le type de preuve ou le niveau de cette preuve.

33. La réalité est la
suivante :

- Soit le Procureur n’a pas transmis les éléments qui lui sont aujourd’hui demandés par la Chambre du fait de son propre choix et alors la Chambre ne peut s’appuyer sur ce fait pour considérer qu’il se serait mépris sur ses obligations et lui accorder du temps supplémentaire. Ainsi, par exemple, le fait qu’il ait décidé de ne pas prendre en compte l’existence d’un conflit armé résulte clairement d’un choix stratégique qu’il a librement effectué et ne peut en aucune manière être utilisé pour considérer qu’il se serait mépris sur l’administration de la preuve et plus particulièrement sur le type d’éléments à présenter à la Chambre. Le fait de ne pas avoir pris en compte le conflit armé relève d’une volonté clairement exprimée parce que le Procureur avait par ailleurs mentionné le conflit armé dans son DCC.
- Soit l’absence des éléments réclamés par la Chambre est la conséquence d’une absence d’enquête « complète et en bonne et due forme » que la Chambre déplore et illustre un manque de « direction claire dans le raisonnement supportant les allégations spécifiques » que la Chambre reproche au Procureur ; alors, devant cette faillite globale, la conséquence logique devrait être l’infirmation des charges et la libération du Président Gbagbo. Ainsi, par exemple, concernant le plan commun, lorsque la Chambre demande « Comment, quand et par qui ont été adoptés la politique ou le plan allégués d’attaquer la « population civile pro-Ouattara », réclamant notamment des informations spécifiques sur les réunions au cours desquelles cette politique ou ce plan auraient été adoptés ainsi que sur la manière dont l’existence et la teneur de cette politique ou ce plan ont été communiquées aux membres des « forces pro-Gbagbo » ou portées à leur connaissance une fois adoptés », elle montre que ce qu’elle exige du Procureur est en réalité qu’il présente réellement son cas de façon argumentée, à la différence de ce qu’il a fait jusque-là. Ces demandes de la Chambre préliminaire montrent bien que, pour les Juges, le Procureur n’a apporté aucun élément de preuve satisfaisant concernant l’établissement de l’existence d’un plan commun et ce, quel que soit le niveau de preuve requis. De même, concernant le marché d’Abobo, les demandes de la Chambre préliminaire tendant à obtenir des précisions sur d’où viennent les tirs, qui sont les tireurs et quelles sont les cibles, montrent qu’en réalité, pour la Chambre, le Procureur a échoué à présenter un élément quelconque de réalité concernant les faits allégués et ce, indépendamment de toute discussion juridique sur l’évaluation de la preuve ou le standard de preuve.

Conclusion :
34. Au vu de ce qui précède, il apparaît clairement que la base factuelle sur laquelle s’est fondée la Chambre préliminaire pour accorder un délai supplémentaire au Procureur est erronée. En effet :
1- Le Procureur pouvait s’attendre à ce que le type de preuve qu’il a utilisé, notamment des rapports d’ONG contenant des témoignages anonymes, des attestations par ouï-dire et des articles de presse, ne soient pas suffisants ;
2- Il convient de noter que les questions posées par la Chambre touchent à des éléments dont l’absence relève non d’une méconnaissance prétendue du régime de la preuve par le Procureur mais d’un choix délibéré de ce dernier ou d’une défaillance de son enquête.

1.2 La mauvaise appréciation des critères du « délai raisonnable » par la Chambre préliminaire

35. La Chambre considère que la gravité des faits invoqués contre le Président Gbagbo justifierait de nouvelles enquêtes et que, par conséquent, il n’y aurait pas atteinte au principe du délai raisonnable.

36. Le critère de gravité ne peut être applicable que s’il est fondé sur un raisonnement. Or, ici la Chambre n’a pas expliqué ce qu’elle entendait par gravité. Il convient de noter qu’au regard du Statut de Rome, tous les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour sont graves. Par conséquent, si la Chambre préliminaire faisait ici référence à cette notion de gravité elle ne ferait qu’affirmer l’évidence ; mais cela signifierait que, pour la Chambre, puisque tous les crimes de son ressort sont par définition « graves », aucune extension du délai d’enquête, quel que soit l’allongement de la période considéré, ne serait susceptible d’attenter aux droits de la défense. Une telle analyse serait à l’évidence contraire à l’esprit du Statut et des instruments internationaux de défense des droits de l’Homme. Par conséquent, en mentionnant la notion de gravité, les Juges devaient avoir en vue la gravité particulière de la présente affaire ; mais alors il serait souhaitable d’obtenir des précisions sur les critères d’évaluation qu’ils ont utilisés et sur les outils de comparaison qui leur ont permis de distinguer entre cette affaire et d’autres affaires (comme Abu Garda, Mbarushimana, Ali ou Kosgey) à l’occasion desquelles les charges ont directement été rejetées, sans que des précisions supplémentaires soient demandées par la Chambre au Procureur.

37. De plus, la Chambre, pour considérer que la présente phase de confirmation des charges pouvait durer une année supplémentaire sans attenter au principe du délai raisonnable, a confondu deux notions :
- Elle a avancé que la durée de la procédure serait due en partie au fait que des expertises médicales auraient été menées pour déterminer si l’intéressé était apte à être jugé. Le temps passé à de telles expertises ne constitue pas un délai à proprement parlé mais est la conséquence d’un simple exercice des droits de la défense. Il convient d’ailleurs de noter que les experts ont relevé la présence de pathologies graves et qu’ils ont considéré pour certains d’entre eux que l’intéressé n’était pas apte à être jugé. Il était donc de la responsabilité de la défense de soulever ces questions.
- En revanche, quant au retard, uniquement imputable à l’incapacité du Procureur de mener des « enquêtes complètes et en bonne et due forme », il ne peut justifier, à l’évidence, une atteinte au principe du délai raisonnable.

38. La Chambre utilise ensuite la notion de complexité de l’affaire pour justifier du fait qu’étendre la phase de confirmation des charges ne serait pas attentatoire au principe du délai raisonnable. Si la complexité de l’affaire est indéniable, la décision n’indique pas comment la Chambre préliminaire a appliqué ce critère dans le cas d’espèce. Ainsi, elle n’explique pas en quoi le délai déjà accordé au Procureur pour préparer l’affaire et conduire son enquête depuis avant la délivrance du mandat d’arrêt en Novembre 2011 n’aurait pas été suffisant pour recueillir les informations nécessaires dans le cadre de la confirmation des charges.

39. La défense note aussi que le Procureur lui-même s’était opposé à ce que la notion de complexité de l’affaire soit utilisée pour étendre la période d’enquête et de confirmation des charges. Il s’était en effet opposé aux demandes de report formulées par la défense, notamment à celle fondée sur le manque de moyens nécessaires pour le traitement d’une affaire d’une grande complexité en affirmant que « all cases before this Court are complex and this one is not unique in that regard ». Faire bénéficier aujourd’hui le Procureur de ce qu’il refusait hier à la défense ne semble pas correspondre à l’idée de « souci d’équité » mis en avant par la Chambre.

40. Par ailleurs, la nature de la phase de confirmation des charges est d’être protectrice des droits de la défense. En effet, il est de jurisprudence constante que « l’objectif » de l’audience de confirmation des charges est de « renvoyer en jugement uniquement les personnes à l’encontre desquelles des charges suffisamment sérieuses ont été présentées », ce qui en fait un mécanisme tendant à « protéger les droits de la Défense contre des accusations abusives et entièrement infondées ». En d’autres termes, l’essence de la procédure de confirmation des charges est de protéger les droits de l’individu en évitant qu’il subisse les conséquences de simples allégations non soutenues par des éléments probants. En l’espèce, la décision du 3 juin 2013 de la Chambre, en ce qu’elle conduit à fonder la nouvelle phase de la procédure – commençant avec le délai supplémentaire octroyé au Procureur – sur de simples allégations (puisque la Chambre elle-même a considéré que le Procureur n’apportait aucun élément probant) est en contradiction avec la raison d’être de l’existence de la procédure de confirmation des charges.

41. Protectrice des droits de l’individu, la phase de confirmation des charges doit être limitée – plus que d’autres – dans le temps. A défaut, elle ne joue plus son rôle protecteur des droits de l’accusé mais devient au contraire l’occasion pour le Procureur de mener une enquête et demander le maintien en détention de l’intéressé au-delà du raisonnable. Elle change alors de nature. Pour éviter un tel dévoiement de l’esprit du Statut, il suffit d’appliquer littéralement les dispositions de l’article 61 (7) qui prévoit qu’à l’issue de l’audience de confirmation des charges, la Chambre préliminaire détermine s’il existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés. En l’espèce, la Chambre préliminaire ayant considéré qu’il n’y avait pas de motifs substantiels de croire aux allégations du Procureur, la conséquence logique de ce constat devrait être l’infirmation des charges, conformément à l’esprit du Statut.

42. Si dans des cas exceptionnels la Chambre peut demander, sur des points de détail, des précisions au Procureur, il est clair qu’ici les demandes de la Chambre ne concernent pas des précisions ou des points de détail mais portent sur l’ensemble de la preuve du Procureur et, au-delà, sur ce qui la structure. Dans ces conditions, l’infirmation s’imposait.

43. D’ailleurs, la Chambre elle-même a indiqué qu’elle « doit présumer que le Procureur a tout mis en œuvre pour présenter les moyens à charge les plus solides » puisque « cette approche permet…d’éviter que l’ouverture d’un procès ne soit indûment retardée et d’assurer le respect du droit du suspect à être jugé sans retard excessif, tel que consacré par l’article 67-1-c du Statut ».

44. A partir du moment où la Chambre a décidé – conformément au désir du Procureur – que l’audience de confirmation des charges devait être tenue et qu’elle l’a été, elle ne peut revenir sur les dispositions du Statut qui lui demandent de décider dans les soixante jours, au motif que le Procureur aurait fait preuve de faiblesse. Le Statut a sa propre logique qu’il convient, d’après la défense, de respecter ici.

45. L’article 61 (7) c) i) ne peut pas être utilisé pour faire échec aux dispositions et à l’esprit du Statut et conséquemment attenter au principe du délai raisonnable. Affirmer le contraire constitue donc en l’espèce tant une erreur de droit, portant sur les critères juridiques à utiliser dans l’évaluation du délai raisonnable, qu’une erreur de fait, portant sur l’application de ces critères au cas d’espèce.

2. La question soulevée est susceptible d’affecter l’équité ou l’issue du procès

46. Comme la question soulevée touche au délai raisonnable, notion constitutive de la notion plus large d’équité du procès, elle touche par conséquent à l’équité du procès.

47. La Chambre préliminaire, tout en reconnaissant qu’il n’existe pas d’élément de preuve suffisant pour confirmer les charges, ayant décidé de prolonger la procédure de près d’un an, la question du droit du Président Gbagbo d’être jugé dans les plus brefs délais est posée.

48. La question soulevée est en outre de nature à affecter l’issue du procès. En effet, s’il était décidé que la Chambre préliminaire avait fait un usage erroné et contraire aux exigences du procès équitable de l’Article 61(7)(c)(i), la seule solution logique d’après la teneur même de la décision, serait l’infirmation des charges et la mise en liberté du Président Gbagbo, mettant ainsi fin au procès.

3. La question requiert une résolution immédiate de la part de la Chambre d’Appel

49. La Chambre d’appel a jugé dans l’affaire Lubanga que la question, dont le règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait faire sensiblement progresser la procédure, doit être telle qu’elle permettrait « d’apporter une solution définitive et par là même de purger le processus judiciaire d’erreurs susceptibles d’entacher l’équité de la procédure ou de compromettre l’issue du procès ».

50. Dans la même décision, la Chambre d’appel a jugé que le verbe « avancer » signifiait « move forward (aller de l’avant, progresser), en veillant à ce que la procédure aille dans la bonne direction. Le fait d’ôter tout doute quant au bien fondé d’une décision ou d’indiquer la bonne marche à suivre protège l’intégrité de la procédure ».

51. En application de cette jurisprudence, il apparaît bien que la question soulevée par la défense dans la présente demande exige une résolution immédiate de la part de la Chambre d’Appel. En effet, s’il apparaissait à un stade ultérieur de la procédure que l’utilisation faite par la Chambre préliminaire de son pouvoir sous l’Article 61(7) (c) (i) était non conforme aux exigences du procès équitable, le préjudice causé apparaîtrait indu et comme ayant pu être évité si la Chambre d’Appel avait tranché immédiatement cette question.

52. De la même façon, dans un souci d’économie judiciaire, il apparaît également nécessaire que cette question soit tranchée immédiatement. En effet, la décision attaquée conduit à ce que les parties et la Cour consacrent des ressources non négligeables à la poursuite de l’enquête, dépenses qui seraient irréversibles, même si la décision attaquée devait être infirmée à un stade ultérieur.

53. Enfin, la défense souligne que si elle ne pouvait pas faire appel de la légalité de la décision de report aujourd’hui, elle ne pourrait le faire plus tard, même pas au moment de la décision finale de la Chambre préliminaire. Comme la décision de confirmation des charges n’est pas susceptible d’un appel de droit, la défense devrait présenter une nouvelle demande d’autorisation d’interjeter appel alors que le préjudice aurait déjà été subi. De ce point de vue, la défense note une fois encore la similitude entre la présente demande et celle faite sur la base de l’utilisation la Norme 55 dans l’affaire Katanga. Dans l’affaire Katanga, la Chambre de première instance II estimait que : « s’il est vrai que la Défense pourrait aussi faire valoir ses objections à l’égard de la Décision attaquée une fois que la Chambre aura prononcé son jugement en vertu de l’article 74 du Statut, attendre jusque là pourrait créer une situation peu souhaitable, où la Chambre se serait prononcée sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé et aurait peut-être infligé une peine et accordé des réparations, alors même que la question de la légalité de la Décision attaquée ne serait toujours pas résolue».

54. Le raisonnement est applicable mutatis mutandis à la présente situation, puisque la Chambre préliminaire se prononcerait sur la confirmation des charges sans que la légalité de la décision du 3 juin 2013 ne soit examinée. Par ailleurs, la Chambre de première instance II a accordé l’autorisation de faire appel dans Katanga alors même que l’accusé bénéficiait d’un appel de droit du jugement final. A fortiori, en l’absence d’appel de droit dans le cadre d’une décision de confirmation des charges, il apparaît d’autant plus nécessaire ici que la Chambre d’Appel se prononce sur la question de la légalité de la décision attaquée dès à présent.

PAR CES MOTIFS, PLAISE À LA CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I, de :

Vus l’Article 82 (1) d) du Statut de Rome, la Règle 155-1 du Règlement de Procédure et de Preuve et la Norme 65 du Règlement de la Cour ;
- Autoriser la Défense à interjeter appel de la Décision de la Chambre préliminaire I du 3 juin 2013 intitulée «Décision portant ajournement de l’audience de confirmation des charges conformément à l’article 61-7-c-i du Statut» (ICC-02/11-01/11-432-tFRA).

Emmanuel Altit Conseil Principal de Laurent Gbagbo Fait le 25 juin 2013 à La Haye, Pays-Bas.
Source : ICC/CPI