Soro au perchoir: Le paroxysme de la démence juridique
Le 16 mars 2012 par Notre voie - Le lundi 12 mars 2012, l’ex-chef des rebelles, ancien Premier ministre ivoirien, Soro Guillaume, a été élu président de l’Assemblée nationale à 39 ans. Cette montée fulgurante du jeune Soro est à
Le 16 mars 2012 par Notre voie - Le lundi 12 mars 2012, l’ex-chef des rebelles, ancien Premier ministre ivoirien, Soro Guillaume, a été élu président de l’Assemblée nationale à 39 ans. Cette montée fulgurante du jeune Soro est à
saluer, surtout, à cause de son jeune âge et de son parcours EX CEP TION NEL. Bravo Monsieur !
Paradoxalement, cette montée contraste avec l’idée qu’elle donne de la Côte d’Ivoire. Pendant que l’auteur de «Pourquoi je suis devenu rebelle» prend son envol comme l’oiseau de Minerve, la Côte d’Ivoire voit chaque jour son image s’affaisser, sa dignité trainée dans la boue pour enfin devenir, comme l’a noté avec une intelligence déchirante, Le Nouveau Courrier, «la République du n’importe quoi». Désormais, l’huissier de l’Assemblée nationale, lors des séances plénières, annoncera l’entrée de M. le président de l’Assemblée nationale, M. Soro Guillaume, tous les autres parlementaires se lèveront pour accueillir celui dont l’élection a porté la démence juridique à son paroxysme.
Quelle est donc cette démence juridique?
Le pouvoir d’Abidjan excelle dans la violation des règles d’accession et d’exercice du pouvoir politique. Les exemples en la matière sont pléthores. Sans nous attarder sur ces exemples, allons à l’essentiel.
Relativement à l’élection du président de l’Assemblée nationale, les règles sont strictes. Il n’y a aucune dérogation possible. En effet, l’article 65 de la Constitution du 1er août 2000 dispose : «Le Président de l’Assemblée nationale est élu pour la durée de la législature. Le président de l’Assemblée nationale et le premier Vice-président sont soumis aux mêmes conditions d’éligibilité que le président de la République.» Si le mandat du Président est clair, pour ce qui concerne les conditions générales et singulièrement celles liées à la condition d’âge, l’article 65 nous renvoie à l’article 35 lequel précise : «Le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au plus et de soixante quinze ans au moins.» Dans notre cas, à quoi avons-nous assisté? Soro, né le 08 mai 1972, a 39 ans. Il n’aura 40 ans que le 08 mai 2012. Pourtant il a été élu, contre tout bon sens, président de l’Assemblée nationale, échappant par là, à la rigueur de l’article 35 de notre Constitution. Certainement que des dispositions de certaines lois autorisent une telle anomalie. Cherchons donc la base légale de l’acte posé par les parlementaires ivoiriens.
La Constitution du 03 mars 1960 ne contient aucune disposition mentionnant l’âge légal, le règlement de l’Assemblée nationale non plus n’en parle, qui elle, vient en application de l’article 70 de la Constitution. Nous ne commettrons pas la bêtise d’examiner le Code électoral. Peut être que, si nous le faisons, les Ivoiriens excuseront notre errance parce qu’habitués qu’ils sont, à voir des incohérences. La Constitution de 1960 ne précisant pas l’âge des postulants, l’on pouvait comprendre aisément qu’à 39 ans, un député devienne président de l’Assemblée nationale. Mais en 2012, nous ne comprenons pas comment un jeune de 39 ans peut être élu président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Pour se dédouaner, les violateurs permanents de la Constitution brandissent un décret.
Un décret illégal aux effets nuls
Précisons d’entrée de jeu que dans la hiérarchie des normes juridiques, le décret est de loin inférieur à la Constitution, la loi fondamentale. Cela veut tout simplement dire, qu’un décret ne peut en aucune manière modifier la Constitution ou créer une dérogation à des dispositions constitutionnelles. Le décret lui-même découle des pouvoirs que confère la Constitution au président de la République qui, en le signant (le décret), met en mouvement son pouvoir réglementaire. De plus, le parallélisme des formes n’autorise pas le président de la République à utiliser un décret pour modifier une loi ordinaire. Le faire serait battre en brèche le riche travail abattu par Montesquieu. Cela dit, penchons nous maintenant sur le décret pris par Ouattara pour positionner «son petit».
Le décret partiellement porté à la connaissance des Ivoiriens (cela se comprend), s’appuie sur les accords de Linas Marcoussis, pour aider Soro. Soro devient donc un candidat EX CEP TION NEL comme Ouattara et Bédié.
Mais là encore, Ouattara est dans le faux parce que cet accord est ici inopérant. En effet, les modifications constitutionnelles souhaitées par Linas-Marcoussis n’ont pu être effectives car les rebelles pro-Ouattara de Soro avaient refusé de déposer les armes, ce qui rendait impossible l’organisation d’un référendum. L’idée de référendum ici à tout son sens dans la mesure où l’article querellé, exigeait, pour la validité de la modification, un référendum. Il s’agit de l’article 35 relatif aux conditions d’éligibilité du candidat aux élections présidentielles.
Le caractère exceptionnel des candidatures de Bédié et Ouattara découle de l’accord de Pretoria et non de ceux dit de Linas-Marcoussis. Toutefois, tentons de pénétrer la logique de Ouattara. Marcoussis n’a jamais indiqué que ses signataires devaient d’office être candidats à la présidence de l’Assemblée nationale. Seuls les signataires de l’accord étaient concernés et seulement aux élections présidentielles. Par ailleurs, notons que si Ouattara et Bédié sont devenus des candidats EX CEP TION NELS, c’est simplement par l’exercice de «la dictature constitutionnelle» du président de la République dont la base légale réside dans l’article 48 de notre Constitution. Dans son application, le Président Laurent Gbagbo avait respecté toute la procédure. Que fait Ouattara ? Il s’autorise à prendre un décret pour faire bénéficier à Soro de circonstances exceptionnelles. Alors, sur quelles dispositions constitutionnelles Ouattara s’est-il appuyé pour prendre ce décret? A l’évidence aucune. Le seul article que Ouattara pouvait utiliser est l’article 48. Là encore, il y a problème car ce n’est pas un article bateau qui permettrait de faire n’importe quoi.
Quelles sont les dispositions constitutionnelles?
Lisons ensemble : «Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances après consultation obligatoire du Président de l’Assemblée Nationale et de celui du Conseil Constitutionnel. Il en informe la nation par message. L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit». Nous voyons clairement que les conditions liées au recours à l’article 48 ne sont pas cumulatives c’est-à-dire que l’une peut exister indépendamment de l’autre. Toutefois, le Président se doit de consulter obligatoirement les présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, s’adresser à la nation et l’Assemblée nationale doit se réunir de plein droit. Ce sont donc des conditions très rigoureuses. Qui nous dira ici que les conditions exigées par la Constitution sont réunies, même Maurice Hauriou ne réussira pas l’exercice. Ouattara ne dit donc pas qu’il a utilisé l’article 48, il nous dit simplement que Soro sera candidat à 39 au lieu de 40 ans. Silence ! Quelle est la base de sa décision? Motus! Quelle est donc cette République où tout fonctionne comme si l’on se trouvait au marché d’Abobo? Même dans un micro Etat, de tels actes démentiels ne peuvent être posés.
En outre, il est opportun de noter que l’évocation des accords de Linas-Marcoussis pose problème. Le problème c’est de savoir si cet accord régente encore la marche de la nation. Marcoussis est mort et avec lui, tous les autres accords. Même ceux de Ouaga ont leur sépulture à l’Elysée, non loin du regard de Sarkozy. En effet, l’objectif pour lequel les rebelles du MPCI avaient pris les armes est atteint, Ouattara est au pouvoir. Alors pourquoi nous parler de façon incantatoire de Marcoussis et ses frères? Il apparait clairement que Ouattara veut faire de ces accords, un vêtement de rechange chaque fois qu’il sera confronté à des difficultés majeures. Attention, le danger nous guette !
Pris dans tous les sens, ce décret est manifestement illégal. Son illégalité contamine l’élection de Soro. C’est donc dire que de Soro ne pourra sortir que des actes illégaux. Mais cela ne pose aucun problème tant que nous avons des adjuvants comme Bédié et Wodié.
Bédié, Wodié, les adjuvants de la démence juridique
Henri Konan Bédié, celui sous l’autorité de qui Ouattara travaille, (Cf discours de Ouattara lors l’investiture du candidat RHDP au deuxième tour des élections présidentielles de 2010) a offert la Côte d’Ivoire à la vindicte populaire. En effet, au nom de ses intérêts, il a engagé son parti, le PDCI, à rendre effective cette démence juridique. En sa qualité d’ancien chef d’Etat, il sait mieux que quiconque la valeur de la Constitution. N’est-ce pas lui, qui, le 22 décembre 1999 a affirmé : «Un Etat de droit est un pays où les lois régulièrement votées par le Parlement élu s’appliquent à tous. Cela est vrai des lois ordinaires, cela l’est plus encore des lois constitutionnelles»? A voir Bédié comme il agit actuellement, nous sommes tentés de dire que le respect des lois n’avait de valeur à ses yeux que parce qu’il était président de la République. Il a déversé de l’eau bénite sur la dérive de Ouattara en déshonorant la Côte d’Ivoire contre le poste de Premier ministre, lequel peut être révoqué ad nutum. Si Ouattara a fait de Soro, le président de l’Assemblée nationale, c’est bien avec la bénédiction de Bédié. N’ayant peut-être plus rien à perdre, l’auteur de «Les chemins de ma vie» a préféré s’accrocher aux peu de privilèges qui lui restent au mépris de l’intérêt du peuple ivoirien.
Quant à Wodié, le président du Conseil constitutionnel, nommé en violation de l’article 90 de notre Constitution, il garde un silence coupable. Son silence peut se comprendre dans la mesure où sa nomination est aussi illégale. Son expertise en droit a foutu le camp depuis qu’il travaille pour Alassane Ouattara, qu’il a qualifié d’«Ivoirien de fraîche naissance» (in Institutions politiques et droit constitutionnelles en Côte d’Ivoire. PUCI, Juillet 1996, page 352). S’il ne peut se saisir des violations constantes de la Constitution, la morale et son rigorisme devraient l’aider à démissionner. Mais que non, il assiste tranquillement au viol de la loi fondamentale. Que dira t-il des lois qui émaneront de cette législature? Seront-elles régulières ? Franchement, nous ne le croyons pas car, celui même qui dirigera l’institution n’a pas été élu selon les règles. Alors vu qu’une autorité illégale ne peut que sécréter des normes illégales, nous disons que Wodié et l’institution qu’il dirige n’ont plus rien à faire parce qu’ils n’auront pas l’occasion de vérifier la constitutionnalité de la loi. Wodié sera-t-il en harmonie avec lui-même lorsqu’il se tiendra auprès de Soro lors des cérémonies officielles? Dieu seul sait !
L’élection-plébiscite de Soro vient donc d’inscrire la Côte d’ivoire sur la liste des pays dont la simple évocation du nom fait sourire n’importe qui. Aujourd’hui, la démence juridique est telle que même les plus grands constitutionnalistes du monde avoueront leur finitude face au cas, objet de notre réflexion. Il n’ya donc pas de remède approprié.
Pauvre Côte d’Ivoire!
Alain Bouikalo, Juriste-Consultant