INVITÉ AFRIQUE/Ahoua Don Mello: «Il y a des liens coloniaux qui doivent disparaître»
Par RFI - INVITÉ AFRIQUE/Ahoua Don Mello «Il y a des liens coloniaux qui doivent disparaître».
Il y aura un nouveau sommet Russie-Afrique en 2023 et ce sera en Russie, dit l’Ivoirien Ahoua Don Mello, consultant du patronat russe sur les dossiers africains et représentant pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale des Brics, l’alliance entre la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Sa parole est rare. Que pense-t-il du groupe Wagner en Centrafrique et au Mali ? Que lui inspire le sommet États-Unis – Afrique, qui doit s’ouvrir ce mardi à Washington ?
RFI : En Centrafrique et au Mali, la Russie est vue comme une alternative à la France. Quelle est, de votre point de vue, la différence d’approche entre les Français et les Russes ?
Ahoua Don Mello : Du côté de la France, je pense qu’il est bon de prendre conscience que les derniers liens coloniaux doivent sauter. Je pense notamment à la question monétaire, à la question militaire, et puis aussi à la question de l’économie des matières premières. De l’autre côté, vous avez la Russie qui se positionne, mais vous ne verrez jamais les Russes venir imposer une politique à un pays africain. Ça ce n’est pas possible.
Mais n’y a-t-il pas des entreprises minières russes qui s’intéressent à certaines matières premières africaines, comme la bauxite de Guinée-Conakry ?
Mais vous savez, depuis les années Sékou Touré, l’accord entre la Guinée et la Russie est un accord d’abord militaire. Mais comment financer cet accord militaire-là ? Ça a été par le biais la bauxite. Donc la Russie opère dans le secteur minier pour financer ces accords de coopération avec ces différents pays. Elle n’est pas un acteur majeur. Vous prenez la Guinée, les acteurs majeurs dans le secteur de la bauxite, ce sont les Américains, ce sont les Chinois.
Et vous dites qu’à la différence de la France, la Russie n’a pas d’influence militaire en Afrique, mais n’y a-t-il pas le groupe Wagner en Centrafrique et au Mali ?
Le groupe Wagner, c’est ce qu’on appelle dans le jargon moderne des sociétés militaires privées, donc je dirais des Bob Denard modernisés. Il y a plusieurs groupes comme ça en Afrique, que ce soit des groupes américains, que ce soit des groupes français, à travers d’anciens gendarmes, comme Robert Montoya ou Paul Barril. Si le Mali estime que ça peut leur rapporter, eh bien c’est leur droit. Si la Centrafrique estime que ça peut lui rapporter, c’est aussi un droit.
En Centrafrique comme au Mali, le groupe Wagner est pointé du doigt. Est-ce que vous ne craignez pas que ces exactions puissent ternir l’image de la Russie en Afrique ?
Non, ce sont des sociétés privées, c’est comme si on me disait : c’est vrai que l’image de Bob Denard, etc. n’est pas reluisante, et que c’est reproché à la France d’avoir utilisé ces services-là.
Certes, le groupe Wagner est une société privée, mais elle est dirigée par M. Prigojine qui est très proche du président russe, Vladimir Poutine, et elle combat actuellement à Bakhmout, face aux forces ukrainiennes et aux côtés des forces russes…
Bouygues, Bolloré, etc., ils sont proches du gouvernement français, mais ça ne veut pas dire qu’ils perdent du coup leur statut de société privée.
Est-ce que vous ne craignez pas que les exactions dénoncées ternissent non seulement le groupe Wagner, mais l’image de la Russie tout simplement ?
Vous savez aujourd'hui en Occident, on cherche à instrumentaliser la question des droits de l’Homme, parce qu’on voit le silence que les Occidentaux observent quand eux-mêmes sont responsables de ces exactions. On voit comment ils montent en épingle… Moi, je me souviens du cas de la Côte d’Ivoire, on a accusé Laurent Gbagbo de tous les maux, et on s’est rendu compte en fin de compte qu’il est innocent.
Ahoua Don Mello, ce mardi à Washington s’ouvre un sommet États-Unis – Afrique, est-ce que les Américains n’ont pas des arguments, à la fois politiques et économiques, beaucoup plus importants que les arguments russes sur le continent africain ?
Ce qui est sûr, c’est que pour nous, c’est une situation qui favorise le continent africain. Voyez-vous, les États-Unis se réveillent brusquement, pour proposer un sommet et pour faire encore des propositions, c’est bon à prendre. Et donc nous avons une panoplie de propositions, et je pense que c’est à l’Afrique de choisir le meilleur pour son continent.
Et quand vous dites que les Américains se réveillent brusquement, voulez-vous dire que c’est à cause de la crise internationale provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie ?
On constate qu’il y a coïncidence et on constate que la position de l’Afrique a beaucoup gêné les Américains et les Occidentaux, et je constate qu’on convoque les Africains justement pendant cette période de crise ukrainienne.
Alors, il y a eu un sommet Russie-Afrique, c’était à Sotchi en 2019, est-ce qu’il y aura un nouveau sommet Russie-Afrique en 2023 ?
Tout est bon à prendre, c’est à nous de prendre le meilleur de chaque offre.
Donc, il y aura un sommet Russie-Afrique en 2023 ?
Eh bien oui.
Et ce sera quand ?
Je n’ai pas la date précise, mais on le saura bientôt.
Et ce sera en Russie ?
Ce sera probablement en Russie.
Par
Christophe Boisbouvier