Comparution à la Cpi, hier / Gbagbo charge : ``Nous irons jusqu`au bout`` / ``C`est l`Armée française qui a fait le travail``/ ``A Korhogo, je ne voyais pas le soleil``
Publié le mardi 6 décembre 2011 | Soir Info - La prochaine séance fixée au 18 juin 2012
Publié le mardi 6 décembre 2011 | Soir Info - La prochaine séance fixée au 18 juin 2012
Le 5 décembre 2011, la Chambre préliminaire III de la Cour pénale internationale (Cpi) a fixé la date d’ouverture de l’audience de confirmation des charges dans l'affaire de Laurent Koudou Gbagbo au 18 juin 2012. Cette décision a été annoncée au cours de la première comparution de l’ex-chef de l’Etat ivoirien devant la Cour le 5 décembre 2011. Lors de cette audience, en présence de l’accusation et de la défense, représentée par Me Emmanuel Altit, la Chambre préliminaire III a vérifié l’identité de M. Gbagbo et s’est assurée qu’il a été informé des crimes qui lui sont reprochés et des droits que lui reconnaît le Statut de Rome.
Je voudrais m'adresser à M.Gbagbo et lui demander de bien vouloir se présenter. Je vous prie Monsieur de vous léver et je vous invite à nous dire quel est votre nom ainsi que vos dates et lieu de naissance et votre profession actuelle.
Laurent Gbagbo: Bonjour Madame la présidente, je vous remercie de me donner la parole. Je m'appelle Laurent Gbagbo. Je vois Koudou Gbagbo. Koudou, c'est aussi mon nom. Mais officiellement sur les papiers, c'est Laurent Gbagbo. L'affaire indique bien qu'il s'agit de moi.
Je vous remercie, mais il faut faire connaître votre date et le lieu de naissance.
L.G: Je suis née le 31 mai 1945 à Gagnoa en République de Côte d'Ivoire.
Merci, je constate que vous parlez et comprenez parfaitement le français.
L.G: Oui, je ne parle que français, malheureusement.
C'est donc votre langue maternelle?
L.G: Oui.
Merci Monsieur, vous pouvez vous asseoir.
Avant de continuer, il est nécessaire de clarifier la nature et la portée de cette audience. Il est important de rappeler qu'il ne s'agit pas aujourd'hui d'un procès, d'une audience de confirmation des charges. Aucun élément de preuve ne sera ici présenté. Il n'y aura pas non plus de question touchant à la culpabilité ou à l'innocence de M. Gbagbo. La portée de cette comparution initiale est limitée à trois questions conformément à l'article 61 du Traité de Rome et la règle 121 paragraphe 4 du règlement de procédure et des preuves qui définissent l'objet de la présente audience de façon suivante:
Premièrement, la Chambre préliminaire doit s'assurer que la personne ayant fait l'objet du mandat d'arrêt a été informée des crimes qui lui sont reprochés.
Deuxièmement, la Chambre préliminaire doit s'assurer que cette personne a été informée de ses droits garantis par ce statut.
Enfin, la Chambre préliminaire doit fixer une date à laquelle elle à l'intention de tenir une audience relative à la confirmation des charges. Par conséquent, la Cour va annoncer de façon consécutive les trois questions faisant l'objet de l'audience d'aujourd'hui.
Premièrement, mes collègues et moi avons besoin de savoir si vous avez été informé des crimes qui vous sont reprochés?
L.G: Oui Madame, j'ai été informé.
Est-ce que vous souhaitez qu'on vous relise les crimes qui vous sont reprochés dans le mandat d'arrêt?
L.G: Je pense que ce n'est pas nécessaire Madame.
Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir. Merci.
Monsieur Gbagbo, la Chambre doit aussi s'assurer que vous avez été informé de l'ensemble de vos droits et qui vous sont accordés par le statut de Rome notamment à l'article 67. Est-ce que vous avez été informé de vos droits?
L.G: Oui Madame.
Je vous remercie.
De toutes les façons, je vais vous répéter certains de vos droits qui sont d'une importance particulière à ce stade de la procédure.
Je vais vous rappeler que vous avez entre autres, les droits suivants:
Vous avez le droit d’être informé dans les plus courts délais et de façon détaillée de la nature de la cause et de la teneur des charges dans une langue que vous comprenez et parlez parfaitement.
Vous pouvez également disposer de l'assistance pratique d'un interprète, si jamais vous en avez besoin et bénéficier de traduction nécessaire pour satisfaire aux exigences de l'équité.
Vous avez le droit à disposer de temps et de facilités nécessaires à la préparation de votre défense et communiquer librement et confidentiellement avec le conseil de votre choix. Vous avez le droit de garder le silence et vous ne pouvez pas être forcé à témoigner contre vous même, ou de vous avouer coupable.
Vous pouvez faire des déclarations dans le cadre de votre défense sans que cela se fasse sous serment. Je ne vais pas être exhaustive sur vos droits ou toute autre communication prévue par le statut. Le procureur doit vous communiquer dès que cela est possible, les éléments de preuves en sa possession ou à sa disposition qui vous disculpent ou qui tentent à vous disculper pour atténuer votre crédibilité ou qui pourraient entamer la crédibilité des éléments de preuves à charges.
Monsieur Gbagbo, je m'adresse à vous une nouvelle fois pour savoir si vous avez des observations à apporter sur les conditions de votre remise à la Cour pénale internationale ainsi que sur les conditions de votre détention au sein de la Cour à La Haye, depuis votre arrivée?
L.G: Merci Madame, les conditions de ma détention à la Cour à La Haye sont correctes. Ce sont les conditions normales de détention d'un être humain.
Mais ce sont les conditions de mon arrestation qui le sont moins. J'ai été arrêté le 11 avril 2011, sous les bombes françaises. Président de la République, la résidence du président de la République a été bombardée du 31 mars au 11 avril. Pendant qu'on bombardait cette résidence qui était à terre, nous, on s'est caché dans les trous de la résidence. Et une cinquantaine de chars français encerclaient la résidence pendant que les hélicoptères me bombardaient. C'est dans ces conditions que j'ai été arrêté. J'ai vu devant moi, mourir mon ministre de l'Intérieur Tagro. J'ai vu mon fils aîné qui est encore détenu en Côte d'ivoire; je ne sais d'ailleurs pas pourquoi on l'a arrêté. C'est peut-être parce qu'il est mon fils, je l'ai vu battu. J'ai vu mon médecin personnel qui était avec moi, le docteur Blé qui est encore à Korhogo, je l'ai vu battu, j'ai cru qu'il allait mourir. Dieu merci, il n'est pas mort. Mais Tagro a eu moins de chance, le ministre de l'Intérieur. C'est dans ces conditions...Je n'ai pas encore terminé, parce qu'on n'est pas encore dans le procès. Mais, je veux dire les conditions d'arrestation sont celles-là.
C'est l'Armée française qui a fait le travail et elle nous a remis aux Forces de Alassane Ouattara qui n'étaient pas encore les Forces régulières de Côte d'Ivoire. Les Forces régulières travaillaient avec moi. On nous a amené à l'Hôtel du Golf qui était le Qg (quartier général) de campagne de M. Ouattara, le 11 avril. Et le 13 avril, l'Onuci nous a transféré, mon médecin personnel et moi à Korhogo à peu près à 600 km au nord de la Côte d'Ivoire. J'étais logé dans une maison. J'avais un lit, une moustiquaire, une douche. J'avais deux repas par jour à ma demande. On m'avait proposé trois. Généralement, je ne mange pas trois repas par jour, j'en mange que deux. Donc, le problème n'était pas là. Mais, je ne voyais pas le soleil. Je ne savais pas ce qui se passe dans le ciel que quand il pleuvait sur le toit. Je ne voyais pas le soleil. Les quelques rares fois que j'ai vu le soleil, c'est quand mes avocats sont venus. Quand Me Emmanuel Altit est allé à Korhogo, il a fait deux jours, on l'a empêché de me rencontrer. Cela a été tout le temps ainsi. Une bataille entre mes avocats et mes geôliers. Là, je vais m'arrêter. Ce n'est pas une séance pour apitoyer les gens! J'essaye de décrire ce qu'il y a dire à propos.
L'enfermement sans pouvoir marcher, sans pouvoir voir le ciel, sans pouvoir sortir a fait que j'ai eu de nouvelles pathologies en plus de celles que j'avais déjà. Et je ne suis pas un jeune homme comme vous le voyez Madame! Je ne suis plus un jeune de 20 ans ni de 30 ans. J'ai aujourd'hui 66 ans. Aujourd'hui, j'ai mal à l'épaule, j'ai mal à tous les poignets. Ici même, quand je suis arrivé heureusement, on m'a fait des radios, on me donne des médicaments.
Sur mon transfert à La Haye, je suis surpris par certains comportements. Si on me dit: ''Gbagbo tu vas aller à La Haye''. Je vais monter dans l'avion et je viens à La Haye. Mais là encore, on nous a trompés.
On m'a appelé pour me dire que je vais rencontrer un magistrat à Korhogo dans le cadre de, je ne sais plus quelle affaire, mes avocats étaient là-bas. Et pendant qu'on discutait, le juge d'application des peines est arrivé avec un papier, que je n'ai d'ailleurs pas lu. Voilà le mandat d'arrêt et donc immédiatement, il faut qu'on fasse une séance. Ils ont improvisé là, alors que mes avocats n'étaient pas préparés à cela. Alors que moi-même, je n'étais pas préparé à cela. Il s'est improvisé là une séance pour que la Cour donne son autorisation à mon transfèrement.
Madame, je ne regrette pas d'être là, on va aller jusqu'au bout. Mais, je veux dire qu'on peut faire les choses de façon plus normale. On n'a pas besoin de se cacher. J'ai dirigé ce pays pendant dix ans, je n'ai pas fait cela. Quand cette séance volée s'est achevée, mon geôlier m'a pris dans la voiture pour me ramener à mon lieu de détention. Et puis à un moment, je vois qu'on dépasse mon lieu de détention. Je lui dis: ''on a dépassé l'endroit''. Il me dit '' on va à l'aéroport, qui n'est pas éclairé à partir de 18h30, il faut que l'avion s'envole''. J'ai dit: ''je vais où en avion ?''. Il n'a même pas eu le courage de me dire que ''vous allez à La Haye''. Il me dit: ''vous allez à Abidjan''. Alors j'ai ri, parce que j'avais compris. C'est pour cela je suis venu sans rien sauf avec mon pantalon et ma chemise. Sans rien du tout! Je tenais à cela pour que vous puissiez prendre des précautions pour que prochainement, dans d'autres pays, dans d'autres cas, cela ne se répète plus parce que ça ne sert à rien. Si on m'accuse, c'est qu'on a des éléments de preuves pour m'accuser, donc je comparais. Je vais voir ces éléments de preuves. Je vais les confronter à ma vérité à moi, et puis vous jugerez. Mais ce n'est pas bon qu'on essaye de jouer des petits tours de passe-passe. Madame, voilà ce que je voulais vous dire sur les conditions d'arrestation, le transfert. Je suis ici, je vit normalement. Ici, je n'ai pas de problème. Voilà Madame.
La chambre est satisfaite que M.Gbagbo soit informé des crimes qui lui sont reprochés.
Nous allons à présent fixer la date de l'audience de confirmation des charges.
Le troisième point qui figure à l'ordre du jour conformément à la règle 121A. La Chambre doit donner suffisamment de temps pour que les parties puissent se préparer et participer efficacement à l'audience de confirmation des charges. En dehors des expériences préalables de cette Cour en la matière la Chambre a décidé de fixer la date de confirmation des charges au 18 juin 2012. Cette date peut être reportée en fonction de l'évolution des procédures d'office par la Chambre à la demande du procureur ou de la défense. La Chambre espère que ça ne sera pas le cas que le délai sera suffisant pour assurer la divulgation des preuves aussi pour permettre aux parties de se préparer utilement pour cette audience.
Je voudrais vous informer que la règle de procédure de preuves stipule que la Chambre doit tenir des conférences de mises en état pour que les divulgations d'éléments de preuves se déroulent dans de bonnes conditions. Pour ce faire, un juge de la Chambre préliminaire doit être désigné pour organiser cette conférence. Par conséquent, la Chambre décide ce qui suit:
la juge Mme la juge Silvia Alejandra Fernandez De Gurmendi (Argentine) est désignée comme juge unique dans la présente affaire pour toutes questions relevant de la compétence du juge unique en l'application de l'article 57 parapgraphe2 du Statut sur la divulgation des éléments de preuves. J'ai l'intention de convoquer une première conférence de mise en état pour la divulgation les jours qui viennent. Je fixerez la date en consultation avec les parties.
Je voudrais vous donner la parole pour savoir si vous avez des observations sur la date fixée par la Chambre ou sur d'autres questions sur ce que je viens de soulever.
Je m'adresse d'abord à Monsieur le procureur.
Louis Ocampo: Je n'ai aucune observation.
Me Emmanuel Altit: Madame la présidente, je n'ai pas d'observations.
L'audience est levée.
K.A.Parfait