La Grande Interview - BERNARD DOZA au "Monde d’Abidjan" : "Le Peuple ivoirien doit se soulever pour mettre fin à la politique répressive d'Alassane Ouattara et à la Justice des vainqueurs"

Par Le Monde d'Abidjan - Laurent Gbagbo a été déporté à la Haye en 2011 sur ordre de Nicolas Sarkozy. Seul un soulèvement populaire contre Alassane Ouattara mettra fin à la justice des vainqueurs et à la dictature en Côte d'Ivoire".

LE Monde d’Abidjan : 11 avril 2011- 11 avril 2014, que Retenez-vous de la chute de Gbagbo et de ses conséquences ?

BERNARD DOZA: Je retiens que, du 27 mars au 11 avril 2011, nous avons été bombardés à Abidjan par l’aviation française et les hélicoptères de l’ONUCI, là où le président Gbagbo demandait simplement le recomptage des voix, comme en Haïti (où cela a eu lieu cinq fois de suite), pour départager les adversaires du scrutin. Mais selon Denys Pryen et Arsène Touho (qui viennent de publier à Paris le livre "REBELLION IVOIRIENNE", tout avait été prémédité avant le premier tour des élections. Dans une note référenciée N° 45821/EMA/CPCO/CD/2010 en date du 01 octobre 2010 et classée « secret défense » de l’état major des armées françaises, c’est le général de brigade Castres Didier, qui écrit au général de Brigade Autran Francis commandant de la Force Licorne en Côte D’Ivoire: « Alassane Ouattara, président du Rassemblement des Républicains est le candidat de l’Elysée ». Il s’agissait clairement, indique la note, d’obtenir un changement d’interlocuteur au sommet de l’état ivoirien » afin de « garantir par effet induit, le maintien du leadership français dans la région ». Et pour ne laisser aucune chance à l’interprétation équivoque, l’Elysée a pris le soin de préciser que « cette opération spéciale et clandestine à une haute valeur stratégique pour les hautes autorités politiques françaises et leurs alliés civils et militaires ivoiriens discrètement impliqués dans le dispositif opérationnel qui œuvrent à l’avènement au soir du 31 octobre 2010 ( premier tour de la présidentielle), d’un nouvel ordre politique dans ce pays où les intérêts économiques et militaires doivent être maintenus et renforcés ». Voici pourquoi il a fallu 12.000 morts à Abidjan pour introniser Alassane Ouattara comme président d’une Côte d’Ivoire vaincue. Dès lors, la chute de Gbagbo et ses conséquences, la radicalisation contre l’adversaire RDR et son président qui sont restés sur la brèche de la belligérance militaire (étant très assuré du soutien français), contre toute forme de réconciliation nationale impliquant le FPI et les pro-Gbagbo.

Pensez-vous que le président Gbagbo avait bien fait de résister où c’était un suicide dans lequel il s’était engagé, entrainant avec lui des millions d’ivoiriens ?

BERNARD DOZA : D’abord, le président Gbagbo a résisté contre l’injustice qu’il a subie depuis son accession au pouvoir en octobre 2000 de la part du RDR qui l’a harcelé en le confondant avec ceux qui ont écarté le candidat Alassane Ouattara de la course aux présidentielles. Car, c’est pour cette raison principale que la rébellion de 2002 a frappé la Côte d’Ivoire en tuant Robert Guéï pour exiger la reprise des élections et la candidature d’Alassane Ouattara comme préalable… Ne pas l’avoir reconnu, ni à Marcoussis ni à Kléber, était largement suffisant pour résister contre les ennemis de la Côte d’Ivoire, dont la communauté internationale et la France, s’est faite complice.

Guillaume SORO, a soutenu que l’ancien président est à la CPI pour avoir refusé de demander pardon, qu’en pensez-vous ?

BERNARD DOZA: Demander pardon à qui ? A Alassane Ouattara et à la multinationale du Cacao Armajaro de Loïc folleroux (beau fils de Ouattara), qui ont financé la rébellion de Guillaume SORO pour tuer les ivoiriens à l’Ouest, où plus 1100 personnes ont perdu la vie en une seule journée à Duékoué ? Ne plaisantons pas. Laurent Gbagbo a été déporté à la Haye en 2011, (après un simulacre de procès à Korhogo) sur ordre de Nicolas Sarkozy, pour avoir dit non à la gestion des intérêts français dans nôtre pays. Dire le contraire, c’est faire de la révision de l’histoire. Et Guillaume SORO qui en a fait sa profession, ne perd rien pour attendre une comparution rapide devant un tribunal de fortune dirigé par des nationalistes en armes, où il risque le passage à trépas…

Comment expliquez-vous la politique extérieure de la France au regard du dossier ivoirien. Sarkozy a chassé Gbagbo du pouvoir et Hollande n’a rien fait et ne fait rien pour sortir Gbagbo et les cadres du FPI (son allié, Socialiste ivoirien) du trou dans lequel ils se trouvent ?

BERNARD DOZA : La politique extérieure de la France, par apport au dossier ivoirien, est conforme aux intérêts supérieurs de la France, dans lequel le clivage politique gauche-droite disparait. C’est donc normal que Laurent Gbagbo qui n’obéît pas aux intérêts français, et chassé du pouvoir ivoirien par Nicolas Sarkozy (qui est un président de droite) soit ignoré par le parti socialiste de François Hollande, qui avait déjà dit au plus fort de la crise postélectorale que Laurent Gbagbo n’était plus fréquentable. Cela parce qu’il menaçait la domination exclusive des intérêts français contre le peuple de Côte d’Ivoire.

Après Gbagbo, c’est Blé Goudé qui vient d’être transféré et Madame Gbagbo est sous la menace d’un transfèrement à la CPI. Quand Ouattara vat-il arrêter sa justice des vainqueurs ?

BERNARD DOZA : Ce n’est pas Alassane Ouattara qui décide. C’est la procureure de la CPI qui monte les enchères parce qu’il n’y a pas de véritable réaction sur le terrain ivoirien, à la mesure de la personnalité des déportés de l’impérialisme. Pour la CPI, le manque véritable de réaction de la rue ivoirienne, qui empêcherait Alassane Ouattara de gouverner, montre la perte progressive, de la popularité des détenus. Voilà ce qui rassurent les opérateurs économiques occidentaux, qui soutiennent Alassane Ouattara, qui ne peut donc pas arrêter sa justice des vainqueurs, puisqu’il n’y a pas de soulèvements populaires à Abidjan contre sa politique répressive.

Vous avez déclaré récemment que le général DOGBO BLE est l’homme de la France pour remplacer Alassane Ouattara. Pouvez-vous être plus explicite ?

BERNARD DOZA : Dans tous les pays africains (sous domination française), Paris à toujours et fabrique des Jokers dans l’armée et la classe politique. En 2011, au plus fort de la crise militarisée par la France, Dogbo BLE était dans la défense du palais présidentiel, avant de se rabattre sur la résidence du président Gbagbo, pour constituer un dernier carré autour de la personne du chef de l’état.
Un officier ivoirien que j’ai eu au téléphone le 11 avril 2011, m’a affirmé que lorsque les soldats français sont arrivés pour arrêter Gbagbo, DOGBO BLE n’a pas riposté. Au contraire, sur instruction de Jean Marc Simon (l’ambassadeur de France), il a battu en retraite. Gbagbo a été arrêté et remis aux forces pro-Ouattara sous l’œil des caméras de France 24. Dogbo Blé était donc censé être au cœur de la bataille en tant que général patriote qui dans la logique militaire, devait être abattu au front dans la défense de son pays, comme l’a été dès les premières heures, Gohourou Hilaire (le porte-parole de l’armée) par les soldats français pour son soutien indéfectible à Gbagbo. Finalement, il a été arrêté par les FRCI, caché qu’il était sous le lit de sa deuxième maîtresse (dénoncé par la première). De là, il a été battu, traîné, et emmené dans la honte (en pyjama) au Golf Hôtel, sous l’œil des caméras. Mis en sécurité au 43è BIMA, il a été jugé par Alassane Ouattara au cours d’un simulacre de procès et remis au vert dans une villa du 43è BIMA, en attendant de servir….
C’est pourquoi, je dis aujourd’hui à tous les nostalgiques de la collaboration que dans l’après Gbagbo (déporté), nous combattrons. Nous avons choisi l’exil pour une nouvelle Côte d’Ivoire dans laquelle les marionnettes de la France qui aujourd’hui, sont dans les différents camps du pouvoir comme de l’opposition, prêts à entrer en scène, n’auront plus d’avenir. Parce que les faits d’armes de tous ceux qui ont trahi Gbagbo, avant et après le 11 avril 2011, sont désormais connus.

Comment vivez-vous vôtre exil au Benin ?

BERNARD DOZA. Je vis un exil difficile dans un pays où les salaires pour les intellectuels qui vivent de la plume sont insignifiants, voire inexistants. Pour un communicateur parisien, cela dépasse les frais du sacrifice quotidien et devient une torture dans le combat pour son pays. Mais je suis vivant et c’est déjà très important pour la victoire…

Pensez-vous, avoir échoué en rentrant au pays aux côtés de Gbagbo, pendant la crise postélectorale ?

BERNARD DOZA: C’est un choix que j’ai fait pour l’amitié de mon camarade d’exil Laurent Gbagbo. Je suis un concepteur idéologique et partout où on me dépose, je conçois de la politique. Voilà pourquoi Guillaume Soro me fait la cour depuis 2002. En 2011, il m’a encore appelé pour le rejoindre au Golf Hôtel et j’ai dis non. Par contre, j’ai pris la route en voiture, avec ma femme et mon fils, lorsque le pasteur Koré Moïse m’a appelé (de la part de Gbagbo) pour rentrer à Abidjan.

Que pensez-vous de la lutte menée par Affi et le FPI actuellement ? Croyez-vous à un aboutissement heureux ?

BERNARD DOZA : Je demande aux ivoiriens de donner un grand coup de main au président Affi N’guessan. Car, au lendemain de la crise d’avril 2011, les partisans RDR de Ouattara avaient menacé et demandé à leur mentor de dissoudre le FPI. Aujourd’hui, ce qui me pose problème, c’est le concept des « Etats généraux de la République » qui ressemble à mon avis aux états généraux de la nation (de la révolution française) mais sans la guillotine pour les vrais criminels de Côte d’Ivoire. En fait, c’est encore un autre blanc seing pour Alassane Ouattara et sa cohorte de rebelles qui siègent momentanément dans le pouvoir d’Abidjan. Malgré cela, je pense, que les ivoiriens doivent soutenir les militants FPI de l’intérieur qui font un travail gigantesque pour combattre Alassane Ouattara, et l'obliger à emprunter la voie de la démocratie pluraliste et alternative, comme seule solution à la paix pour la Côte d’Ivoire.

A quand, vôtre retour au pays ?

Bernard Doza: Je vais rentrer, ne vous inquiétez pas. Car, le fond du débat, c’est pourquoi et comment je rentre.

Vous qui avez formé des journalistes et vous qui avez été le conseiller politique de plusieurs chefs d’états africains, comment expliquez-vous que vous vous séparez toujours d’avec eux ? Et lequel parmi eux vous a le plus marqué ? Et pourquoi ?

BERNARD DOZA : Dans le métier du journalisme pour la liberté en Côte d’Ivoire, je suis fier du travail que fait Ivoirebusiness.net. Les frères Vabé (Christian et Charles), que j’ai contribué à asseoir sur la région parisienne, sont désormais devenus grands dans le combat de la démocratie.
Et, il faut aussi suivre de très près ce que fait (sur mes traces) en matière d’investigation, Philippe Kouhon. Quant aux chefs d’Etat, avec eux, je tente la formation idéologique depuis 1989 pour éviter que l’Afrique présente de nos jours, des cancres en lieu et place de véritables LEADERS. Et on se sépare quand je finis mon travail qui est la prise de pouvoir, car je ne suis pas intéressé par les bureaux du palais. Celui qui m’a le plus marqué dans cet exercice, c’est bien sûr, mon frère et ami Laurent Gbagbo dont je suis un élève rebelle, pour ne pas l’avoir suivi en Côte d’Ivoire. En 1989, quand il a envoyé à Paris Louis Dacoury Tabley me chercher pour rejoindre Abidjan à la création du FPI, j'ai préféré attendre et reprendre le combat là où l’impérialisme allait l’arrêter dans sa course. Car je savais qu’il allait être stoppé. Voilà pourquoi je me suis positionné sur son extrême gauche depuis 1991.

Vous qui avez été pendant le parti unique (dans les années 80), le journaliste de l’opposition africaine à Paris, qui est Laurent Gbagbo ?

BERNARD DOZA: Laurent Gbagbo est un homme politique qui brille pour son intelligence intellectuelle, d’une clarté et d’une rare puissance pour un africain. Il écrit un livre comme il parle, c’est rare. Une écriture, une narration limpide, à vous couper le souffle. Au-delà du politique, Laurent Gbagbo, c’est donc d’abord un intellectuel brillant. Qui explique des choses difficiles avec des mots simples. Demandez à un ivoirien aujourd’hui de rédiger et d’expliquer sur du papier, les raisons politiques et pourquoi en 1983 LAURENT GBAGBO quitte la Côte d’Ivoire et lance à Paris, le concept anti-impérialiste de « la transition pacifique à la démocratie ».

Et qu’est que c’est « la transition pacifique à la démocratie », pour la bonne compréhension des ivoiriens qui n’ont pas suivi le parcours intellectuel de l’homme ?

BERNARD DOZA: C’est la première philosophie de contournement (donc non armé) du néocolonialisme, qui est un système de gestion antinationale, imposé au peuple africain par la France depuis les indépendances de 1960. Un concept imaginé et inventé dans le combat politique (en pleine guerre froide) par un intellectuel ivoirien, contre les dégâts du sous-développement en Afrique noire. Pour bien comprendre, il faut lire Laurent Gbagbo attentivement (entre les lignes) dans le livre « Côte-d’Ivoire : Pour une alternative démocratique », sorti à Paris en 1982 et surtout l’introduction dans le livre : « Proposition pour gouverner », sorti en 1985. Tout deux aux éditions l’harmattan.

Comment en est-il arrivé là dans la réflexion ?

BERNARD DOZA: Il faut partir de la somme d’expériences observées sur le continent dans le combat contre la dictature du parti unique. Toutes les tentatives de grands leaders africains ont échoué depuis les indépendances sur les digues liberticides. C’est sur ces échecs que Laurent Gbagbo a innové en écrivant une philosophie qui implique le peuple africain aux mains nues avec toute sa composante sociale, dans la révolution anti-coloniale. Cela s’appelle de la science politique. Dans quelques années, il y aura débats. La philosophie de « La transition pacifique à la démocratie » sera le casse-tête de thèses de doctorat, pour la génération future.
D’ailleurs je ferai bientôt une ébauche écrite pour la bonne compréhension au profit de la jeunesse africaine et de Côte d’Ivoire. Des gens parlent, écrivent, mais ils n’ont pas étudié la grande marche des intellectuels ivoiriens partie depuis la fin des années 50 contre le parti unique, qui à abouti à la rencontre et au débat idéologique de 1980. Un grand débat idéologique qui a donné le tournant sur le discours communiste, pour l’option de la social-démocratie par une minorité. Qui a fait de l’homme Laurent Gbagbo, l’écrivain, l’opposant venu en exil à Paris en 1982, avec le manuscrit du concept de la « transition pacifique à la démocratie », avant la création du FPI en 1990. Lequel FPI a mobilisé le peuple ivoirien, et lancé au devant de la scène nationale, le président élu d’octobre 2000, Laurent Gbagbo.

Le Monde d’Abidjan: Je vous remercie BERNARD DOZA.

Propos recueillis par Le Monde d'Abidjan