Cour pénale internationale (CPI) - Affaire Laurent Gbagbo: Me Altit pulvérise les derniers arguments de Fatou Bensouda

Par IVOIREBUSINESS - Me Emmanuel Altit fait tomber les derniers arguments de la procureure Fatou Bensouda.

Le Conseil principal du Président Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale, Me Emmanuel Altit, n’arrête pas de démontrer la vacuité des arguments de la Procureure Fatou Bensouda pour maintenir en détention son client.
Le 26 février dernier, il soumettait à la chambre préliminaire I de la Cpi, ses observations concernant le cinquième examen périodique de la détention du Président Laurent Gbagbo. Il démontrait que tous les arguments présentés par Fatou Bensouda pour le maintenir en détention sont devenus CADUQUES, eu égard à la rapide évolution de la situation en Côte d'Ivoire où la majorité des ivoiriens, son parti en tête, exige sa libération.

Il demande en conséquence à la COUR de faire bénéficier à son client, la liberté provisoire.
Voici ci-dessous, l'intégralité des arguments développés par Me Altit.

Serge Touré

(…) II. Droit applicable.

3. Conformément à l’article 60(2) du Statut, le maintien
en détention de la personne
n’est justifié, par renvoi à l’Article 58(1), que si la Cour est convaincue : « a) Qu’il y a des motifs raisonnables de
croire que cette personne a
commis un crime relevant de
la compétence de la
Cour ; b) Que l’arrestation de cette personne apparaît nécessaire pour garantir : i)
Que la personne comparaîtra
; ii) Qu’elle ne fera pas obstacle
à l’enquête ou à la procédure
devant la Cour, ni n’en compromettra le déroulement ; ou iii) Le cas échéant,
qu’elle ne poursuivra pas
l’exécution du crime dont il
s’agit ou d’un crime connexe relevant de la compétence de
la Cour et se produisant dans
les mêmes circonstances ».
4. L’article 60(3) prévoit que « la Chambre préliminaire
réexamine périodiquement sa décision de mise en liberté ou de maintien en détention.
[…]. Elle peut alors modifier
sa décision concernant la détention,
la mise en liberté ou
les conditions de celle-ci si elle est convaincue que l’évolution des circonstances le
justifie ».
5. La Règle 118(2) du Règlement de procédure et de preuve précise que « La Chambre préliminaire réexamine
sa décision de mise en liberté ou de maintien en détention
comme le prévoit le
paragraphe 3 de l’article 60,
au moins tous les 120 jours
».
6. Le concept de changement
de circonstances a été défini pour la première fois par la
Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c. Jean-
Pierre Bemba Gombo dans un arrêt du 2 décembre 2009. Cette définition a été entérinée par les décisions postérieures1 : « “l’évolution des circonstances” [énoncée
à l’article 60-3 du Statut] implique
soit un changement
intervenu dans certains faits,
sinon tous, ayant motivé une précédente décision de maintien en détention, soit
un fait nouveau convainquant la chambre qu’une modification de sa précédente décision est nécessaire
».
7. Le changement de circonstances doit s’apprécier de manière globale3. Par exemple,
la nécessité du maintien
en détention pour s’assurer de la comparution du détenu au procès s’apprécie de manière globale : elle ne doit
pas nécessairement être établie
à partir d’un facteur pris isolément. Elle peut aussi être établie à partir d’une analyse de tous les facteurs
pertinents pris ensemble. Ces facteurs peuvent notamment
être politiques, juridiques,
procéduraux.

III. Discussion.
1. Introduction.
8. Le changement de circonstances peut être évalué à
plusieurs niveaux : à un niveau
global, à un niveau national, à un niveau politique,
etc.
9. En réalité, un changement de circonstances est assimilable à un changement d’environnement : les circonstances sont ce qui structure un certain paysage
; un changement de circonstances
transforme le paysage.
Et si le paysage change,
si le cadre dans lequel se trouvent les protagonistes
change, alors, nécessairement, leur perception
change aussi, leur perception des éléments du décor et leur
perception de leur rôle respectif.
10. Un changement de circonstances
entraine donc un
changement de configuration : les protagonistes se trouvent désormais dans un
nouveau type de rapports. Ce
qui pouvait être perçu
comme un risque à un moment
donné ne l’est plus à un autre moment, en fonction
des nouveaux rapports. Et si
la perception de l’un des acteurs principaux change, nécessairement la perception
des autres acteurs va changer
elle aussi.
2. Les changements de
circonstances au plan
national et au plan international.
2.1 Le changement de circonstances au niveau national.
11. La situation politique en
Côte d’Ivoire est caractérisée
depuis quelques mois par une forme de décrispation et
par la normalisation des rapports
entre les différents acteurs politiques. Cette
normalisation est matérialisée
par :
2.1.1 La libération et la relaxe
d’officiers des forces de défense et de sécurité (FDS) impliqués dans les combats de la crise postélectorale.
12. La presse ivoirienne rapporte
que : « Le tribunal
d’Abidjan a prononcé, lundi
[le 3 février 2014], la relaxe de 10 officiers de police poursuivis pour « attentat
contre l’autorité de l’Etat, violation de consigne » pendant la crise postélectorale, pour « délit non constitué »
[…]
Le Contrôleur général, Jean- François Régis Boblae Gossebo
(ex-directeur de
cabinet adjoint du ministre
de l’Intérieur), les Commissaires Philippe Gnépa Kola
(ex-préfet de police de Yamoussoukro), César Néglé (ex-directeur de la DST), Traguéré Siegfried,
Joachim Robé Gogo (ex-chef de la planification du
CECOS), Denis Monnet (exmembre du GSPR) et Claude
Yoro ainsi que les capitaines
major Guédé Zagahi et Rémi Kobly, tous deux ex-membres
de la garde rapprochée
de l’ex-Chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, ont été déclarés
«non coupables ».
2.1.2 Libération d’opposants politiques.
13. La justice ivoirienne a récemment accordé la liberté
provisoire à un grand nombre d’opposants politiques et
d’anciens membres des
Forces de Défense et de Sécurité.
14. Selon le journal L’inter
par exemple, trente et un
prisonniers politiques proches du Président Gbagbo ont été libérés le
lundi 27 janvier 2014.
Trente-deux prisonniers ont été libérés le vendredi 31 janvier
2014.
15. Ces mesures s’inscrivent
dans une politique déterminée au plus haut niveau et
assumée de libération des membres de l’ancienne Administration.
Ainsi le Chef de l’Etat déclarait-il le 31 décembre
2013 : « je viens également
de demander au
Garde des Sceaux, que la justice examine à nouveau une
mesure de mise en liberté
provisoire de certains détenus de la crise postélectorale
», faisant échos à ses déclarations
d’août 2013 dans lesquelles il estimait que «c’est
une très bonne chose,
d’abord pour les personnes
et leurs familles. Je considère que ce n’est pas bon
d’avoir des personnes de ce rang en prison » et à celles
du Premier Ministre Daniel
Kablan Duncan qui répondait
dans une interview sur la chaine BBC Afrique à la
question « la libération de
Laurent Gbagbo vous y pensez souvent ? Est-ce une probabilité
?» que « […] s’il est
relâché il reviendra où il veut, y compris en Côte
d’Ivoire, il n’y aura aucun
problème ».
2.1.3 Retour des exilés.
16. Un grand nombre d’exilés
sont de retour en Côte d’Ivoire ; les plus importants d’entre eux, en particulier
certaines personnalités qui
avaient été « visées » par le Procureur comme faisant
partie de «réseaux » pro- Gbagbo, reviennent à l’invitation
du gouvernement.
17. L’exemple le plus frappant
est celui de Marcel Gossio, directeur général du port autonome d’Abidjan durant
l’administration Gbagbo,
rentré à Abidjan le 17 janvier 2014, après trois années
d’exil au Maroc12. RFI rapportait
ses propos à son arrivée : « Je me sens bien, a-t-il déclaré. Je suis
revenu dans mon pays. J’ai quitté la Côte d’Ivoire pendant la période post-électorale
pour des problèmes de
sécurité. Donc je suis revenu
parce que je considère aujourd’hui
que le paysage politique est apaisé. Des actions
ont été posées par les autorités
et cela m’amène donc à être rassuré et à rentrer dans
mon pays pour participer à la réconciliation nationale ». Il était accueilli à son arrivée par un Ministre puis rencontrait,
le 20 janvier 2014, le
Ministre d’Etat Hamed Bakayo
qui déclarait « je m’inscris
totalement dans ce processus [de réconciliation]. Je le ferai au niveau de ma région, au niveau de mon
parti».
18. Il est important de relever
que Marcel Gossio avait
été présenté par le Procureur comme l’un des grands financiers
des « réseaux » pro- Gbagbo dont l’existence
aurait interdit la mise en liberté provisoire du Président Gbagbo. Par leur attitude de
bienvenue à son égard, les
Autorités ivoiriennes réduisent
à néant la thèse du Procureur.
19. L’hebdomadaire Jeune
Afrique parle de « près de 1 300 éléments des ex-forces de défense et de sécurité pro-
Gbagbo exilées (au Ghana ou
au Togo) ou entrées en clandestinité
» qui ont « répondu à l’appel au retour lancé par
le président Ouattara, qui leur a garanti la sécurité».
20. Le porte-parole du RDR
– le parti d’Alassane Ouattara a tenu des déclarations rassurantes à
l’attention des exilés politiques
dans un récent communiqué
de presse repris par Imatin le 31 janvier 2014 :
«Cher frères et soeurs ivoiriens qui avez fait l’option de
vivre en exil pour les raisons que vous et nous connaissons.
Retournez au pays. Rentrez chez vous. Il ne vous
arrivera rien. Vos autres
compagnons d’exil, militaires
ou civils, qui sont rentrés circulent librement en
toute quiétude. Nous vous
faisons remarquer que celui que vous considérez comme votre leader, le Président
Laurent Gbagbo, alors syndicaliste
luttant contre le Président
de la Côte d’Ivoire moderne, Félix Houphouët
Boigny, a mis fin à son exil
volontaire à la fin des années 80 pour venir faire de la politique
dans son pays ». 2.1.4 Le rôle central du FPI
dans le processus politique ivoirien actuel.
21. Le FPI est le parti créé
par le Président Gbagbo. Ses
responsables, comme une
grande partie des ivoiriens, continuent de se réclamer du
Président Gbagbo. Les représentants
de la communauté
internationale ont poussé ces
derniers mois pour que le
FPI joue un rôle important
dans la vie politique ivoirienne afin que le processus de réconciliation soit réellement engagé. Les responsables
du FPI sont désormais
régulièrement consultés et le
FPI est redevenu un acteur
politique essentiel en Côte
d’Ivoire. Par exemple, le 9 décembre 2013, les dirigeants
du FPI et du RDR se
rencontraient et échangeaient
à propos du processus
de réconciliation.
22. Les Autorités ivoiriennes
reconnaissent d’ailleurs le rôle essentiel que le FPI doit jouer dans le processus de réconciliation. Par exemple, le Ministre d’Etat, Youssouf
Bakayoko déclarait le 20 janvier
2014 à l’occasion du retour
de Marcel Gossio que « Nous sommes convaincu que
ce pays ne peut se développer
que si nous sommes réconciliés
et si nous travaillons ensemble dans le respect des Institutions et dans le respect des libertés démocratiques. […] C’est un
signal que nous donnons et
en retour nous voulons que
l’opposition reprenne sa
place dans le développement
du pays, car elle a un rôle capital
à ce
niveau ».
23. Le FPI a été invité au
forum ICI 2014 (« Investir
en Côte d’Ivoire 2014 ») organisé par le gouvernement
qui se tenait du 31 janvier
2014 au 1er février 2014. Ses dirigeants déclaraient que : « Nous sommes venus pour manifester aussi qu’en matière de développement, il n’y pas de clivage et que nous sommes tous préoccupés par le redressement et la reconstruction
de notre pays. […]
Nous sommes venus pour
manifester tout l’intérêt que
notre parti, que nos militants,
que toute la Côte
d’Ivoire accorde à toutes les
initiatives visant à donner à
ce pays, les moyens de se redresser, les moyens de sa reconstruction,
les moyens de
son progrès ».
24. Ainsi, la théorie du Procureur sur l’existence de « réseaux pro-Gbagbo » et sa position selon laquelle se réclamer du Président Gbagbo constituerait un acte répréhensible et manifesterait l’appartenance à un réseau clandestin est-elle battue en
brèche par la réalité.
2.2 Le changement de circonstances
au niveau international.
25. Non seulement le FPI
est-il redevenu un acteur essentiel
de la vie politique
ivoirienne mais encore ses
responsables sont les interlocuteurs
incontournables des
représentants de la communauté
internationale.
26. Par exemple, le 17 février 2014, le Président du FPI recevait une délégation conduite par le Sous-secrétaire Général aux opérations de maintien de la paix, Edmond Mulet, et la Représentante Spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en Côte d’Ivoire, Aïchatou
Mindaoudou. A ce propos, le
Journal Notre Voie rapportait
que
Monsieur Mulet « s’est dit heureux d’avoir pu écouter la
vision du FPI pour des élections
crédibles et apaisées ».
27. Le 21 février 2014, le Président
du FPI rencontrait à
nouveau la Représentante
Spéciale de l’opération des
Nations Unies en Côte
d’Ivoire afin de porter à son
attention certaines de ses
préoccupations.
28. Le 24 février 2014, le
Président du FPI recevait
l’Ambassadeur des Etats-
Unis en Côte d’Ivoire, Terence
McCulley. Le
secrétaire national du FPI
chargé de la communication,
précisait que «l’Ambassadeur
des Etats-Unis en Côte
d’Ivoire est venu rencontrer
la direction du FPI pour
marquer sa volonté d’aider la
Côte d’Ivoire à aller de
l’avant […]. Le président du
parti a évoqué tous les problèmes
auxquels le FPI est confronté en ce moment. Et
on peut dire au terme de leur
conversation que les deux
personnalités se sont comprises
».
29. Concernant les délégations
étrangères, il est intéressant
de noter que le 12 décembre 2013, une délégation
du Comité Central du
Parti Communiste Chinois
(PCC), menée par Zhon
Weiyun, directeur général
adjoint des affaires africaines,
était reçue par le président
du
FPI. La presse rapportait que
« De source proche de cet
entretien, il ressort que la délégation
du Comité Central
Chinois a mis un point
d’honneur à réaffirmer l’amitié
du Parti communiste chinois
au FPI et souhaite
raffermir les liens de coopération qui existent entre le
FPI et
PCC ».
30. Le FPI est donc un acteur
essentiel de la vie politique
ivoirienne et ses responsables, qui proclament leur attachement au Président
Gbagbo, sont les interlocuteurs des représentants de la communauté internationale.
2.3 Le sort du Président
Gbagbo, une question sensible
dans l’optique de la réconciliation
nationale.
31. Les responsables du FPI ont toujours considéré que la libération provisoire du Président
Gbagbo constituerait
un pas important dans le processus de réconciliation
nationale.
32. Ils ne sont pas les seuls.
Ainsi, de nombreux représentants
de la société civile considèrent que la libération du Président Gbagbo serait un facteur contribuant à la réconciliation et la stabilisation du pays.
33. Le 7 décembre 2013,
Monseigneur Marcellin
Kouadio, Evêque de Yamoussoukro,
déclarait en
présence d’Alassane Ouattara
: « La belle Côte d’Ivoire, jadis enviée parce que prospère, est aujourd’hui défigurée et meurtrie par de multiples crises militaro-politiques dont les raisons profondes restent encore à
élucider. La dernière en date
a fait officiellement, semblet-
il, 3000 morts. La rébellion
de 2002 a fait une foule innombrable
de victimes.
Curieusement, Nanan, ceux qui mentent et tuent croient
servir ainsi la Côte d’Ivoire.
Les innocents dont les droits
sont bafoués sont déclarés
coupables – d’où le nouveau
concept de la culpabilité collective
doublé de la culture
de l’impunité où les médiocres
sont célébrés, certains de nos jeunes revendiquent
fièrement le statut d’ex-combattants
afin d’être récompensés.
Et dans cette
situation trouble, les ressources
de notre pays sont livrées
en pâture aux
prédateurs. […] demandons au Seigneur Jésus, le roi des
rois, d’accorder à notre
pays la grâce de la paix par la
réconciliation vraie ; qu’il
touche le coeur des bourreaux
et prenne en pitié les
victimes de ces multiples
crises. Les Ivoiriens parlent
de paix et de réconciliation.
[…] Pour que la Côte d’Ivoire renoue avec la paix, je verrais
humblement,
pour ma part, les présidents
Ouattara et Gbagbo faire la
paix au sommet ; et une fois
réconciliés qu’ils demandent
pardon à leurs militants et
aux Ivoiriens qui, à leur tour,
feront la paix. En Dieu, cela
est encore possible pour le
bonheur de tous ».
34. Monseigneur Paul Siméon
Ahouana, Archevêque de Bouaké, vice-président de
la Commission Dialogue, Vérité
et Réconciliation
(CDVR) indiquait quant à lui
le 21 février 2014 : « Nous
prenons des dispositions pour que tous ceux qui sont
hors du pays reviennent,
même le président Laurent
Gbagbo. Nous sommes au
sein de la commission pour
faire des recommandations
».
35. Certaines ONG prennent
également position pour la
libération du Président Gbagbo car elles y voient un
pas vers la réconciliation
ivoirienne.
36. Il convient donc d’accompagner
ce processus à un
moment charnière de l’histoire
de la Côte d’Ivoire, à un
moment où il est absolument nécessaire d’engager une dynamique vertueuse pour contrer une dynamique mortifère et délétère.
37. Même les responsables
de la nouvelle administration
ivoirienne ne voient pas
la libération du Président
Gbagbo comme une menace. Dès le mois d’août 2013, Daniel Kablan Duncan, Premier Ministre, dans une interview sur la chaine BBC Afrique répondait à la question, « la libération de Laurent Gbagbo
vous y pensez souvent ? Estce
une probabilité ? » que «
[…] s’il est relâché il reviendra
où il veut, y compris en
Côte d’Ivoire, il n’y aura
aucun problème ».
38. Il appartient à la Cour
Pénale Internationale dont
l’un des buts proclamés est
de lutter contre l’impunité et
de restaurer une paix durable,
d’accompagner autant
que possible ce processus et en tout cas de ne pas souffler
sur les braises de la discorde
et de la violence.
39. Il s’agit ici d’autant d’éléments
nouveaux que la
Chambre doit prendre en
considération lorsqu’elle
examine si les conditions de
maintien en détention sont
toujours réunies. En d’autres termes, puisque le contexte change, la perception du risque change.
L’évolution des choses et tout ce qui contribue à changer le contexte entraine une lecture différente des dispositions
de l’article 58(1)(b).
40. Réfléchissons un instant
à ce que signifie le maintien
du Président Gbagbo en détention
dans un tel contexte
: c’est, pour les ivoiriens, un
signe de défiance à leur
égard, le refus de prendre en
compte la possibilité d’une
réconciliation, la volonté
réaffirmée de désigner un
seul responsable alors qu’il
est désormais clair aux yeux de tous que certains de ceux
qui sont accusés de crimes
contre l’humanité par les Organisations
de défense des
droits de l’Homme sont au
pouvoir en Côte d’Ivoire. Le
maintien en détention du Président Gbagbo ne peut
être compris aujourd’hui par l’opinion publique ivoirienne et internationale que comme une prise de position de la
Cour en faveur d’un camp contre l’autre. Il s’agit ici de liberté provisoire, pas de liberté
définitive, la liberté
provisoire n’ayant aucun impact
sur le déroulé de la procédure.
3. Les critères de l’article
58(1)(b) du Statut ne
sont plus remplis.
41. Concernant le risque
d’une possible continuation
des crimes, la chambre a
considéré que cette condition
n’était plus réalisée ;
c’est pourquoi nous n’examinerons
que les deux risques
restants : 1) Le risque de
fuite 2) Le risque d’obstruction
aux enquêtes.
42. Le Procureur prétend
que ces risques existeraient
toujours du fait de la présence
d’un réseau de soutien
au Président Gbagbo, du fait
des moyens dont il disposerait
qui lui permettrait de
s’enfuir ainsi que du fait de la
connaissance qu’il a du dossier,
ce qui lui permettrait de
faire obstacle aux enquêtes.
3.1 Sur l’inexistence d’un réseau
de soutien au Président
Gbagbo.
43. Pour tenter de faire
croire que mettre en liberté provisoire le Président
Gbagbo serait prendre le
risque de le voir fuir, le Procureur
n’a cessé depuis le
début de la procédure de prétendre qu’existerait un «
réseau » constitué de personnes
aux moyens gigantesques,
prêtes à tout pour
soustraire le Président
Gbagbo à la CPI.
44. Or ce prétendu réseau
n’existe pas. Comme il a été
démontré supra, le FPI est
un parti légal, qui joue un
rôle important dans la vie
politique ivoirienne. Ses responsables
sont des interlocuteurs
reconnus et respectés
des représentants de la communauté
internationale.
45. Le Procureur n’a jamais
réussi à prouver qu’existerait
un réseau clandestin dont le
but serait de déstabiliser la
Côte d’Ivoire. Au contraire,
l’attitude des responsables
ivoiriens qui reçoivent avec
les plus grands égards ceux
que le Procureur désignait
comme les chefs de ce soi-disant
réseau démontre l’inanité des accusations du
Procureur (cf. Supra paragraphes
21 à 30).
3.2. Les moyens financiers
et logistiques pouvant être
prétendument mobilisés au bénéfice du Président
Gbagbo.
46. Le Procureur prétend
que le risque de fuite existerait car le Président Gbagbo
disposerait de moyens et que
même s’il n’en disposait pas, les membres de ce soi-disant « réseau » - dont il peine à prouver l’existence pourraient prendre en charge cette fuite.
3.2.1 L’absence de moyens
du Président Gbagbo.
47. Le Procureur s’était appuyé
sur les allégations de
quatre experts que la défense
a démontrées fausses lors
des précédents débats. Depuis
lors, les experts ont,
semble-t-il, abandonné ces
allégations, faute d’élément
probant.
48. De plus, aucune des enquêtes
menées par le Greffe
de la CPI n’a abouti et aucun
compte non déclaré qui appartiendrait
au Président
Gbagbo n’a jamais été
trouvé.
3.2.2 Le changement d’attitude
des Autorités étatiques
à l’égard de proches
du Président Gbagbo constitue
un changement de circonstances.
49. La thèse du Procureur selon laquelle certains anciens
membres de l’administration
Gbagbo seraient
prêts à financer sa fuite est
d’autant moins crédible que
de nombreux pays ont commencé
à dégeler les avoirs
d’un certain nombre de personnes proches du Président
Gbagbo. Par exemple, la
Confédération suisse a récemment
décidé de dégeler les avoirs de quatre proches du Président Gbagbo. Surtout, ce sont les Autorités ivoiriennes elles-mêmes qui
dégèlent les avoirs de
proches du Président
Gbagbo34. Ainsi, la thèse du
Procureur n’est-elle plus
prise au sérieux par les Autorités
étatiques.
3.3 Concernant une éventuelle
obstruction aux enquêtes
en cours.
50. Le risque ne semble pas exister, le Procureur n’ayant jamais cru bon d’apporter un quelconque élément au soutien d’une telle allégation.
51. Le Procureur enquête au
moins depuis juin 2011 et n’a
jamais mentionné une quelconque
obstruction. D’ailleurs,
son enquête est arrivée
à son terme après trois ans
d’investigations. Dans ces
conditions, il ne peut y avoir,
aujourd’hui, de véritable
risque d’obstruction.
52. Concernant les enquêtes
en Côte d’Ivoire, il convient
d’ailleurs de noter que les Autorités judiciaires ivoiriennes
qui traitent de nombreux
dossiers de crimes
survenus pendant la crise
postélectorale, y compris
concernant des proches du
Président Gbagbo, n’ont jamais
fait état de la moindre obstruction.
53. Il est intéressant de relever
que, alors que les enquêtes
concernant ces
dossiers arrivent à leur
terme, les Autorités ivoiriennes ne voient aucun problème
à prononcer la liberté
provisoire des anciens responsables
de l’administration
Gbagbo.
54. Pourquoi ce que les juridictions
ivoiriennes font,
mettre en liberté sans craindre
une quelconque obstruction,
la Cour pénale
internationale ne voudraitelle pas le faire ? Et pourquoi
le Procureur s’obstine-t-il,
contrairement aux Autorités
ivoiriennes ?
4. Concernant l’écoulement du temps, changement
de circonstances
en soi.
55. La situation, comme
nous venons de le voir, a
changé, ce qui induit nécessairement une perception
différente des risques.
56. Comment peut-on sérieusement
dans ces conditions agir comme si la
situation prévalant il y a trois
ans était toujours d’actualité,
comme si la connaissance
que les parties ont de l’affaire
ne les conduisait à la comprendre
différemment,
comme si les prétendus
risques dont il est avéré aujourd’hui
qu’ils n’existent
plus - s’ils avaient jamais
existé - étaient une réalité ?
En d’autres termes, comment
la Chambre pourraitelle
se reposer, pour maintenir un homme en détention,
sur un constat auquel
elle avait procédé deux
ans et demi auparavant alors qu’elle ne disposait à
l’époque pas de tous les éléments
dont elle dispose aujourd’hui
? La
compréhension que les parties
et la Chambre ont des évènements et du rôle des
protagonistes a changé et les
circonstances ont changé. Il
est important d’en tirer les
conséquences.
57. Que la Chambre examine d’éventuels risques de fuite ou d’obstruction aux enquêtes consécutifs à la mise en liberté provisoire du Président Gbagbo est normal : c’est son devoir d’agir avec précaution. Mais à qui appartient- il de faire valoir de tels risques éventuels ? Au Procureur.
5. Sur la charge de
la preuve. 58. Ce n’est pas aux Juges de
se substituer au Procureur et
de partir du constat qu’un
maintien en détention se justifierait
par principe. C’est au
Procureur de donner aux
Juges les éléments qui justifieraient d’après lui un maintien
en détention. Sinon cela signifierait que la règle est la détention et l’exception la liberté. Or, c’est le contraire,
c’est la liberté qui est la règle et la détention l’exception.
Le maintien en détention
doit donc être motivé de manière
détaillée, précise, actualisée
: il ne peut être décidé sur la base d’un
constat ancien fait à partir
d’éléments dont nous savons
désormais qu’ils étaient faux
ou décidé en fonction de circonstances
qui ont depuis
changé. Or ici, le Procureur
ne prouve rien, ne dit rien, il ne fait que se baser sur des
allégations qui datent d’il y a
plus d’un an et demi.
59. Dans l’affaire Bemba, la
Chambre d’Appel indiquait que : « S’agissant du
contexte de l’article 60-3 du Statut lu en conjonction avec la règle 118-2 du Règlement, la Chambre d’appel relève
que l’article 60-2 renvoie aux « conditions énoncées à l’article58, paragraphe 1 ». Aux termes de l’article 58-1 du
Statut, c’est sur la base des «
éléments de preuve ou autres
renseignements fournis par le Procureur » que la Chambre
préliminaire décide de délivrer ou non un mandat d’arrêt. Dans le cadre des réexamens
périodiques du
maintien en détention visé à
l’article 60-3, cela signifie
que le Procureur doit
également fournir des renseignements à la
Chambre afin de la
convaincre que le maintien
en détention est justifié
».
60. La Chambre d’Appel ajoutait « s’il est exact que le
Procureur n’est pas tenu
d’établir de nouveau des circonstances
qui l’ont déjà été,
il doit néanmoins démontrer qu’il n’y a pas
eu de changement dans
ces circonstances […] Par
conséquent, lors de chaque
réexamen périodique de la
détention, le Procureur est tenu de présenter des
conclusions indiquant
s’il y a eu une évolution
des circonstances qui
avaient précédemment
motivé la décision de maintien en détention,
et il doit porter à l’attention
de la chambre toute
autre information pertinente qu’il sait liée à la question de la détention ou de la mise en liberté».
61. L’a-t-il fait ici ? A l’évidence
non. Il n’a rien démontré.
62. Cette obligation de démonstration tombe sous le
sens car la question de l’existence de circonstances nouvelles
ne peut changer le principe fondamental que la liberté est la règle et la détention l’exception ; c’est pourquoi, c’est sur le Procureur qu’incombe logiquement la charge de la preuve ou disons-le autrement, la charge d’un aspect de la
preuve.

63. Il incombe donc ici à la Chambre d’exiger du Procureur
qu’il contribue activement à la procédure en fournissant des éléments à l’appui de son argumentation.

64. Si l’on revient un instant
sur les éléments concrets dont s’est prévalu le Procureur,
il faut bien constater
que :

- Concernant les moyens dont disposerait le Président
Gbagbo, le Procureur n’a jamais
fait autre chose que de
répéter, y compris lors du dernier examen, les affirmations
de quatre experts formulés
il y a plus d’un an et
demi selon lesquelles le Président
Gbagbo disposerait de
comptes bancaires cachés. Il
est acquis aujourd’hui que ces accusations sont fausses.
Il est intéressant de noter que le Procureur fait pourtant comme si elles étaient toujours valables. Il appartient
à la Chambre de tirer
les conséquences de ce
constat.

- De la même manière, si la Chambre pouvait considérer
en début de procédure
qu’existait un risque hypothétique
pour la poursuite de l’enquête, il convient aujourd’hui
qu’elle prenne en compte la réalité.

6. Sur l’argumentation
du Procureur.
65. Le Procureur va probablement s’opposer a la mise
en liberté du Président
Gbagbo au prétexte que les conditions de l’article
58(1)(b) seraient réalisées,
sans pour autant apporter le
moindre élément probant a l’appui de cette allégation et
encore moins apporter le moindre élément concret et
nouveau datant de moins de
quatre mois. Dans ces conditions,
il convient que la Chambre constate que le
Procureur ne s’appuie sur rien de tangible et qu’il ne
s’oppose à la libération du
Président Gbagbo que de
façon mécanique. Puisque
dans ces conditions, la Chambre ne dispose d’aucun
élément qui conforterait la
vision du Procureur, pourquoi ne se tournerait elle pas
vers les Autorités ivoiriennes et ne leur demanderait-elle
pas si la liberté provisoire du
Président Gbagbo constituerait
de leur point de vue un risque, notamment parce qu’elle pourrait entrainer une éventuelle fuite ou une possible obstruction à l’enquête. Après tout, les Autorités ivoiriennes disposent probablement de plus d’éléments concernant cette
question que le Procureur.

7. Sur les garanties [Expurgé].
66. [Expurgé], [Expurgé],
[Expurgé].
PAR CES MOTIFS, PLAISE A LA CHAMBRE PRELIMINAIRE I, DE:
Vu les article 58(1)(b), 60 (2)
et 60 (3) du Statut de Rome,
A titre principal,
- Constater que les conditions de l’article 58 (1) ne sont plus remplies;
Par conséquent,
- Prononcer la mise en liberté provisoire du Président Gbagbo ; A titre subsidiaire,
- Demander aux Autorités ivoiriennes quelle est leur position concernant une éventuelle libération provisoire
du Président Gbagbo.

Emmanuel Altit
Conseil Principal de Laurent Gbagbo
Fait le 26 février 2014 à La Haye, Pays-Bas.