Art et Culture: Cécile Fakhoury soutient que la Côte d’Ivoire peut se réconcilier par l’art
Par IvoireDiaspo - Cécile Fakhoury propose la réconciliation par l'Art.
Cécile Fakhoury, galeriste et belle-fille de l’architecte de la basilique de Yamoussoukro est une vraie nietzschéenne dans l’âme qui pense que l’art porte en soi des vertus normatives. Lors de notre rencontre, le mois dernier (voir notre articlehttp://www.ivoirediaspo.net/ivoirediaspo-rencontre-cecile-fakhoury-dans-le-cadre-de-visage-de-la-diaspora.html), à Londres, à la faveur de la première foire d’art contemporain africain, l’ivoiro-française nous a confié, avec foi et ferveur, que la Côte d’Ivoire peut se réconcilier par l’art. Interview
IvoireDiaspo : Pourquoi avoir choisi d’exposer à Londres?
Cécile Fakhoury : Je n’ai pas choisi Londres. J’y suis, parce que j’ai été invitée à cette foire d’Art Contemporain. En fait, c’est cet évènement à Londres qui a fait que je me suis déplacé à Londres avec la galerie et les artistes. Et je pense que Londres est un bon choix de grande ville pour cette première édition de la Foire de l’art contemporain africain, parce qu’on n’aurait pas du tout eu le même résultat, le même public ailleurs, dans une autre grande ville d’Europe, si on pense à Paris entre autres. Londres a été une ville intéressante dans tous les domaines par rapport à la première édition de cette foire.
Comment se portent tes artistes sur cette scène londonienne ?
Quand j’ai été contactée pour exposer dans cette foire, j’ai trouvé que c’était un beau projet et je me suis sentie concernée même si j’avais des doutes, parce que je représente une scène francophone avec des artistes francophones et dont les collectionneurs à l’étranger, en dehors de la Côte d’Ivoireet de l’Afrique sont en général des francophones, basés en Belgique et en France. Londres, c’est un marché que je ne connais pas. Je n’étais jamais venu à Londres en tant que Galerie. J’ai donc eu une vraie appréhension, parce que mes artistes ne sont pas connus ici, à part Aboudia qui a une belle place sur la scène londonienne, parce qu’il est représenté par Jack Bell qui fait un très bon travail pour lui. Ainsi, à part Aboudia aucun de mes artistes n’est connu à Londres. Cependant, nous avons très bien travaillé et le public était ravi de découvrir ces artistes qu’il ne connaissait pas. En fait, c’était de vraies découvertes pour eux, alors que ce sont des artistes qui ont déjà une carrière, des expositions. En revanche, nous avons très bien vendu. Ce qui augure que mes artistes auront une belle résonnance ici, parce qu’une exposition de l’envergure de cette foire de Londres permet d’ouvrir une vitrine aux artistes. La machine est donc en route.
Pour parler personnellement de toi, tu t’es spécialisée dans l’art contemporain alors que tu as été nourrie à la sève de l’art moderne par tes parents. Qu’est-ce qui a motivé ton choix pour l’art contemporain ?
Il est vrai que mes parents ont une galerie d’art moderne et j’ai toujours été baignée dedans, j’ai fait les musées, les ateliers, les ventes aux enchères et étant gamine, il est vrai que je me suis vite intéressée à la chose. A 15 ans, J’ai commencé à me déplacer seule, à aller voir des expositions seule. Mais, j’ai découvert l’art contemporain par le biais de mes parents, puisque c’est au cours de nos visites dans des musées avec eux pour voir des expositions d’art moderne que j’ai découvert ma fascination pour l’art contemporain qui est un peu la continuité de l’art moderne. Cela, parce que les artistes de l’art contemporain parlent de mon époque, et j’ai envie de comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Ce que j’aime bien, c’est l’actualité, c’est le propos, c’est être dans notre temps.
Comment définis tu l’art contemporain Africain ?
L’art contemporain africain, c’est un terme qui est compliqué mais c’est une scène, une géographie. Personnellement, je pense que c’est encore comme cela mais bientôt cette scène sera intégrée à l’art contemporain mondial.
Ton choix d’installer ta première galerie à Abidjan cache-t-il une motivation économique ou est-ce un pur choix artistique ?
Abidjan est un choix multiple. En fait, ce n’est pas un choix en soi car à la base, j’ai suivi mon époux qui s’y est installé pour des raisons professionnelles et comme j’étais dans le domaine de l’art en France, je n’avais pas envie de changer de métier en m’installant en Côte d’Ivoire. Toutefois, le choix d’ouvrir une galerie n’était pas la première option. J’ai réfléchit aux possibilités d’ouvrir un atelier d’artistes, une résidence, une fondation, une maison de vente. En revanche, si j’ai choisi d’ouvrir une galerie en Côte d’Ivoire, c’est parce que je suis sûre que le pays a les épaules, la possibilité d’accueillir un marché de l’art dans un futur très proche, parce que maintenant, c’est le début, le développement mais dans quelques temps, je suis absolument certaine que la Côte d’Ivoire peut être moteur d’un marché africain.
J’aime ton optimisme et je veux bien te croire mais nous savons que l’art est en général porté par la classe moyenne. Cette classe moyenne existe-t-elle en Côte d’Ivoire ?
Elle se développe. Je le vois tous les jours à travers les personnes qui franchissent la porte de la galerie. Ce sont des personnes qui commencent à gagner leur vie, qui ont envie de s’intéresser à la culture, parce qu’ils savent qu’on ne peut pas vivre sans culture. Après chacun a son échelle mais nous convenons tous que la culture est importante pour l’histoire d’un pays. Même si en temps de crises sociopolitiques la population a d’autres priorités que la culture, on y revient toujours, parce qu’un pays ne peut pas vivre sans culture.
Parlant de l’art contemporain d’Afrique, plusieurs galeristes africains me disent qu’il est plus aisé de vendre la sculpture et la peinture que de vendre la photo. Qu’en penses-tu toi qui as plusieurs artistes photographes dans ton écurie
Je ne partage pas cet avis. Je vends beaucoup de photos sur le continent africain mais pas la photo classique, argentique noir et blanc qu’on connait. J’ai par exemple Paul Sika et Nestor Da qui ne sont pas des photographes classiques tels qu’on les connaît sur le continent africain à l’image de Seydou Kéita. Ce sont des artistes contemporains qui utilisent la photo comme medium et j’en ai vendus et j’en vends en Côte d’Ivoire. Toutefois, il est certain qu’il y a un côté plus facile avec la peinture, parce que c’est ce qu’on connait. On est à l’aise avec car c’est un medium rassurant étant entendu que c’est quelque ’chose qu’on connaît et on est toujours plus à l’aise avec ce qu’on connaît. Mais comme je le disais, la scène est une jeune génération qui est curieuse, qui comprend que la peinture et la photo, ce n’est pas la même chose mais qui sait que la photo est autant intéressante, parce que c’est de l’art de la même manière qu’une sculpture, une peinture et même une vidéo, qui toutefois est encore autre chose mais on y reviendra aussi.
Quel rôle peut jouer l’art contemporain dans un pays comme la Côte d’Ivoire qui sort de guerre ?
La Côte d’Ivoire, ce n’est pas un pays qui peut être aidé mais qui doit être sauvé par la culture. Il y a là un intérêt énorme pour un peuple comme celui de la Côte d’Ivoire qui est traversé par des tensions qui sont en fait des tensions de communication, des incompréhensions. Et les artistes sont là pour nous montrer d’autres fenêtres de vision. Ils proposent une autre lecture du monde mais à l’évidence qu’il faille savoir lire, comprendre et appréhender. Et l’art contemporain, c’est aussi se documenter, c’est des textes, c’est plus que regarder pour dire c’est beau ou ce n’est pas beau; ça va avec mon canapé ou non. Quand je parle des artistes qui doivent prendre la parole pour exprimer quelque ’chose, c’est qu’ils ont vraiment quelque ’chose à dire. Ce faisant, il est important de les écouter car ils peuvent aider à porter un pays qui sort de crise.
A ce propos, penses-tu que les politiciens écoutent les artistes ?
Non ! Je mentirais si je disais le contraire. Non, les politiciens n’écoutent pas encore les artistes. On n’y est pas encore mais je vois sur une longue période. A terme, on comprendra. Dans le domaine du tourisme, par exemple, si on veut attirer une nouvelle population, redorer l’image de la ville d’Abidjan, il n’y a pas que les plages et le soleil qui comptent. Un beau musée, une belle galerie etc. ça fait venir des gens. Je ne t’apprends pas qu’Il y a des pays qui ne se développent que sur la culture. C’est quelque ’chose qui est réel. La culture fait bouger les masses.
L’art contemporain est le parent pauvre du système économique des pays africains. Quelles sont tes stratégies pour le promouvoir localement afin d’en faire un art qui nourrisse celui qui le pratique ?
Le but de ma galerie, c’est d’être un lieu ouvert, un lieu fréquenté. Les gens de toutes les couches sociales viennent, s’installent, regardent, parlent, discutent. Mais évidemment, j’ai besoin de collectionneurs, parce que ma galerie est une entité économique, commerciale qui ne vit que de ses ventes. Mais le but d’une galerie, c’est qu’elle vive socialement aussi. Ce faisant, nous avons besoin de toutes sortes de visiteurs. Nous organisons de nombreuses visites scolaires et estudiantines d’un peu partout. Des gosses qui n’ont jamais vu un tableau ; qui ne sont jamais rentrés dans un musée ni dans une galerie. C’est d’ailleurs des moments extraordinaires ! Evidemment, ce ne sont pas des collectionneurs maintenant mais ce pourrait être de futurs collectionneurs. Justement, c’est eux qu’il faut sensibiliser afin de porter haut le drapeau de la culture dans leur pays, comprenant déjà à bas âge l’importance de la culture.
Dans une interview au Magazine AMA, tu disais que « pour que le continent africain puisse se positionner de manière forte sur la scène artistique internationale, il faudrait plus de lieux et d’évènements d’art… ». En référence à cette citation et sachant pertinemment que ce n’est pas à toi seule qu’il revient de développer l’art contemporain en Afrique, je voudrais te poser cette question bien légitime à savoir, comptes-tu ouvrir d’autres galeries dans d’autres pays africains ?
Pourquoi pas ? A terme, ça pourrait être une idée. Mais mon idée, c’est de développer quelque ‘chose de très solide dans mon pays et surtout dans un temps présent et dans un futur proche développer des dynamiques, des ponts, des échanges avec les autres pays africains. J’ai fait des choses avec le Sénégal, le Bénin, le Nigeria. Nous sommes certes des pays non éloignés les uns des autres mais nous ne connaissons pas les travaux les uns des autres. Actuellement, ce qui manque le plus, c’est cette volonté d’échange et de collaboration et c’est ce que je vais essayer de développer en partant d’Abidjan.
Quel bilan fais-tu de ta jeune expérience de galeriste à Abidjan, es-tu satisfaite ?
Je suis satisfaite. Cette foire vient d’ailleurs pour couronner une année et demie de travail, puisque c’est la première fois que nous sortons du continent , qu’on montre nos artistes qui se vendent bien et que les gens sont surpris et heureux de savoir qu’il y a des expositions qui se montent en Afrique et que c’est sérieux. C’est donc un bilan positif.
Interview réalisée par Serge Daniel Atteby