Syrie: Les Etats unis pris de court par l'annonce Russe

Par Le Monde - Recalibrage à la Maison Blanche

C'est la formule en vigueur sur les GPS en cas de changement subit d'aiguillage : "Recalibrating"… "Recalibrage en cours…"
Depuis la proposition russe de mettre les armes chimiques de Bachar Al-Assad sous supervision internationale, c'est aussi le mode opératoire à Washington. On recalibre, on réévalue.
Comme l'a dit lundi Hillary Clinton, après s'être brièvement entretenue avec Barack Obama (elle était justement à la Maison Blanche pour une réunion sur le trafic d'animaux sauvages...), l'initiative russe est "un pas important".
Et un développement qui – temporairement – pourrait sauver la face de Barack Obama, à un moment où il se heurte à un mur d'opposition grandissant.

Personne ne s'attendait à ce coup de théâtre. Lundi matin, la classe politique déroulait le rouleau compresseur habituel : rentrée officielle du Congrès, Obama et toute son équipe engagés dans un forcing sans précédent pour convaincre les élus de voter la résolution sur la Syrie qui prévoit des frappes "limitées", dans une période quatre-vingt-dix jours et sans troupes au sol...
La conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, avait prévu d'intervenir à la New America Foundation, le think tank désormais dirigé par Anne-Marie Slaughter. Barack Obama préparait les six interviews qu'il a prévu d'enregistrer dans l'après-midi, en prélude à son discours solennel à la nation mardi soir… Les télés alignaient les sondages : 59 % des Américains estiment que le Congrès devrait rejeter la résolution ; 72 % que les Etats-Unis n'ont aucun intérêt national en Syrie.

Quand est arrivée de Moscou l'annonce que Serguei Lavrov avait demandé aux Syriens d'abandonner leurs armes chimiques. Puis, de Damas, celle que Bachar Al-Assad pourrait être d'accord. Puis, de l'ONU, que Ban Ki-moon était tout prêt à convoquer le Conseil de sécurité, etc.

L'idée de séquestrer les armes de Bachar Al-Assad a été en fait lancée par John Kerry. Volontairement ou non ? L'histoire le dira. Interrogé un peu plus tôt à Londres sur l'existence d'une dernière possibilité d'empêcher des frappes, il avait répondu que "bien sûr", c'était encore possible :
"(Assad) pourrait remettre jusqu'à la plus petite partie de ses armes chimiques à la communauté internationale dans la semaine – les remettre dans leur totalité, sans délai et permettre leur décompte plein et entier, mais il n'est pas près de le faire, et c'est impossible à faire."
Le département d'Etat avait vite fait savoir que le commentaire de John Kerry était "hypothétique". Un officiel avait même dit, sous couvert de l'anonymat, que Kerry s'était "planté"… Mais à lire l'ensemble des conditions citées, on ne peut que douter qu'il ait totalement improvisé.

L'annonce russe a fait l'effet d'un possible "game changer". La Maison Blanche a reporté son briefing quotidien, puis Tony Blinken, le numéro deux du conseil de sécurité nationale, est venu donner la tonalité de la première réaction de l'administration. Elle tient en quatre points :
1- La Maison Blanche accueille favorablement toute discussion et action sur les armes syriennes ;
2- Elle est d'accord pour examiner "sérieusement" la proposition russe et est prête à en discuter avec Moscou (le département d'Etat a indiqué que Lavrov avait téléphoné à Kerry tout de suite après son commentaire "hypothétique") ;
3- Elle n'est pas dupe d'éventuelles tactiques dilatoires : désarmer Assad suppose un "environnement pacifié" et prendrait un temps considérable, vu le nombre de sites où sont entreposés des armes chimiques ;
4- La proposition russe est bien la preuve que la pression militaire a été utile. Il faut donc continuer à maintenir la menace de frappes. le vote du Sénat est toujours prévu pour mercredi.

Le scénario de la proposition russe est-il le résultat d'un compromis entre Barack Obama et Vladimir Poutine ? Au sommet de Saint-Pétersbourg, les deux hommes ont eu un entretien de vingt minutes en aparté. Ils ont tiré leurs chaises dans un coin et se sont parlé à part, en pleine séance plénière. Se sont-ils entendus, moins mal qu'on ne l'a dit ? Barack Obama a-t-il enfin trouvé un argument susceptible d'intéresser Moscou ?
Après l'aparté, Susan Rice a eu un entretien avec son homologue russe, et elle a rappelé tout l'attachement porté par les Etats-Unis à assurer le succès des Jeux olympiques de Sotchi.

Autre hypothèse évoquée par les experts: les Russes ont préféré prendre l'initiative avant la présentation du rapport cette semaine à New York des inspecteurs de l'ONU. Lequel devrait attester officiellement de l'utilisation d'armes chimiques.

Quoi qu'il en soit, "Poutine vient d'offrir à Obama une bouée de sauvetage, a commenté l'ancien porte-parole du département d'Etat Philip Crowley. Une solution diplomatique qui permet le report d'un vote qu'il allait peut-être perdre sur une action militaire.".

Mais pour le spécialiste du Proche-Orient Aaron David Miller, l'offre russe ne peut pas être prise véritablement au sérieux. Les gaz syriens – plusieurs centaines de tonnes – sont dispersés sur près de quatre-vingts sites. Les récupérer, une tâche périlleuse, exigerait un cessez-le-feu. Il faudrait un processus de vérification et de transparence pour être sûr que tout a bien été recensé (au risque de se retrouver avec une situation "irakienne", avec des inspecteurs en désarmement cherchant pendant des années la preuve que tous les stocks ont bien été détruits). On se souvient du jeu du chat et de la souris de Saddam Hussein et des inspecteurs de l'ONU en Irak.

Barack Obama va devoir décider s'il saisit la perche… Pour l'instant, il réclame quand même le vote du Congrès sur les frappes.

Le Monde

MISE SOUS CONTRÔLE DE L'ARSENAL CHIMIQUE SYRIEN: UNE POSSIBLE "PERCEE" POUR OBAMA

Le Monde.fr avec AFP |
La Russie a appelé la Syrie à mettre sous contrôle international ses armes chimiques et à les détruire.

La Russie a tenté de reprendre la main dans le dossier syrien, lundi 9 septembre, en proposant à Damas de placer son arsenal chimique sous contrôle international, quelques heures avant l'intervention du président américain devant le Congrès, pour le convaincre de la nécessité de frappes militaires contre le régime de Bachar Al-Assad.

"Nous appelons les dirigeants syriens à non seulement accepter de placer sous contrôle international leur stock d'armes chimiques, et ensuite à le détruire, mais aussi à rejoindre pleinement l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques", a déclaré le chef de la diplomatie russe, disant espérer une réponse "rapide et positive" de Damas.
La réponse syrienne n'a pas tardé, par la voix du chef de la diplomatie Wallid Mouallem, qui a dit accueillir favorablement "l'initiative russe, fondée sur les inquiétudes des dirigeants russes concernant la vie de nos citoyens et la sécurité de notre pays".

Un développement "potentiellement positif" pour Obama

Le président américain a qualifié la proposition russe de développement "potentiellement positif" dans le conflit, et a promis de la prendre "au sérieux". M. Obama, qui a accordé des interviews à six chaînes de télévision, a toutefois mis en garde contre toute tentative de diversion du régime de Bachar Al-Assad, et a estimé que ce changement d'attitude était le résultat des menaces de frappes émises par son administration pour punir Damas d'avoir eu recours à son arsenal chimique.

"Ce à quoi nous assistons à mon avis, c'est que la menace digne de foi d'une frappe militaire des Etats-Unis (...) les a fait réfléchir sur la possibilité de prendre cette mesure", a déclaré le président à NBC. "Et s'ils le font, alors cela pourrait constituer une percée importante. Mais il nous faut rester sceptiques parce que ce n'est pas ainsi que nous les avons vus fonctionner ces deux dernières années" au cours de la guerre civile qui déchire le pays, a ajouté le dirigeant américain. M. Obama doit s'adresser mardi soir à la nation depuis le cadre solennel de la Maison Blanche.

Le Monde