Syrie: la France pose ses conditions aux Nations unies

Par Le Figaro - la France pose ses conditions aux Nations unies sur la Syrie.

Photo: Réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie, le 29 août dernier. Crédits photo : CEM OZDEL/Anadolu Agency/IMAGEFORUM.

Dans le sillage de Washington, Paris est prêt à prendre au mot l'offre russe de neutraliser l'arsenal chimique syrien. À condition d'obtenir des garanties et une résolution contraignante à l'ONU.

«Une perche, il faut la saisir. Un piège, il ne faut pas tomber dedans.» Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a résumé mardi le dilemme dans lequel la proposition russe de placer les stocks d'armes chimiques syriens sous contrôle international afin de les détruire, a placé la France.

Paris a pris acte de «l'ouverture» mais demande à Damas «des engagements précis, rapides et vérifiables». Les responsables français ont posé plusieurs conditions à la spectaculaire «sortie de crise» offerte par la diplomatie russe. Ils exigent que la mise en œuvre des promesses soit «rapide et réelle». Mais aussi que la destruction de l'arsenal chimique soit faite sur la base d'une résolution contraignante du Conseil de sécurité des Nations unies, qui prévoie «des conséquences fermes» en cas de non-respect des engagements. «Nous devons rester vigilants. Le temps est compté pour que ces décisions soient mises en œuvre», prévient le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, invité de l'université d'été de la Défense, à Pau.

Paris devait déposer dès mardi un projet de résolution au Conseil de sécurité de l'ONU, sous chapitre 7, c'est-à-dire celui qui permet, en cas de non-respect des obligations, l'utilisation de la force militaire. Enfin, la France demande que la Cour pénale internationale (CPI) se saisisse du dossier, afin que le crime commis par le régime syrien ne reste pas impuni.

Un coup diplomatique de Poutine

À première vue, le coup de théâtre moscovite pourrait bien arranger toutes les capitales qui s'affrontent sur la manière de répondre au massacre chimique du 21 août. Barack Obama d'abord, qui voit l'opportunité de s'extirper d'une crise interne en grande partie provoquée par sa décision de demander à un Congrès réticent l'autorisation d'effectuer des frappes en Syrie. François Hollande, ensuite, qui depuis le début de la crise devait affronter le scepticisme de l'opinion publique et les résistances de ses partenaires européens. «Tout cela veut dire que la pression internationale a marché. Sans la pression exercée par les Américains et les Français pour enrayer la prolifération et s'opposer à l'emploi des armes de destruction massive, sans nos menaces de rétorsion, nous n'aurions jamais eu cette réaction-là de la Russie», estime Jean-Yves Le Drian. Vladimir Poutine surtout, qui, grâce à ce coup diplomatique, confirme le retour de la Russie sur la scène internationale et fait un nouveau pied-de-nez aux Occidentaux. Bachar el-Assad enfin, qui évite à son régime une intervention militaire.

Ce scénario qui permettrait à tous - sauf à l'opposition syrienne - de sortir, même de manière peu glorieuse, d'une crise qui empoisonnait les relations internationales depuis deux semaines, est pourtant loin d'être acquis. Il dépend en effet du degré de sincérité de l'offre formulée par Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe. «J'ai cru comprendre que les Russes, à ce stade, n'étaient pas nécessairement enthousiastes - et j'emploie un euphémisme - pour encadrer tout cela dans une résolution contraignante des Nations unies», a indiqué Laurent Fabius mardi soir après s'être entretenu avec son homologue russe. Estimant le projet français «inacceptable», Moscou a prévu de déposer son propre projet de résolution à l'ONU. Lavrov s'entretiendra jeudi à Genève avec John Kerry du dossier syrien.

«S'il ne s'agit que de compliquer les manœuvres diplomatiques des Américains et des Français, le soufflet retombera très vite et la crise reviendra inéluctablement», souligne Camille Grand, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouellem, a beau déclarer, comme il l'a fait hier soir, que son pays est prêt à renoncer aux armes chimiques, sur le terrain, le désarmement s'annonce très compliqué. Certes, il y a déjà eu des précédents dans l'histoire récente: en Libye et en Irak. Mais jamais un tel désarmement n'a été entrepris dans un pays en guerre.

«Les Russes, à ce stade, ne sont pas enthousiastes - c'est un euphémisme - pour une résolution contraignante des Nations unies»
Laurent Fabius
Pour que la destruction des stocks soit effective, elle devra être effectuée sous la menace d'une résolution internationale forte, intrusive et contraignante. Depuis le début de la crise, la Russie cherche à éviter une intervention militaire en Syrie. Elle n'a jamais digéré l'intervention occidentale qui avait mené à la chute du colonel Kadhafi en Libye, en 2011. Acceptera-t-elle de donner une base légale, dans le cadre onusien, à une éventuelle intervention de la communauté internationale si le régime syrien ne respecte pas ses engagements? Rien n'est moins sûr. Or, sans la menace du recours à la force, certains redoutent pour la Syrie un scénario à l'irakienne: des inspecteurs de l'ONU essayant pendant des mois, baladés par le régime, de faire respecter les règles internationales.

Un tel enlisement, redoutent en privé des responsables français, risquerait d'envoyer des messages négatifs aux autres pays détenteurs d'armes de destruction massive ou sur le point de l'être. «Quoi qu'on en dise, la crédibilité des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France va en être affectée. L'Iran et la Corée du Nord retiendront la leçon», prévient un responsable français. La Russie, ce «fauteur de troubles, faiseur de paix», selon l'expression d'un spécialiste, aura imposé sa volonté à l'Occident. Afin de réduire au maximum les risques, Paris, tout en prenant les Russes au mot, a décidé de ne pas relâcher la pression militaire. «Le dispositif français reste prêt», assure Jean-Yves Le Drian, pour qui la rupture du tabou chimique demeure «inacceptable». «Ce sont des armes qui nous projettent au-delà de la guerre», dit-il.

Par Isabelle Lasserre

SYRIE: OBAMA ET HOLLANDE D'ACCORD POUR DISCUTER LA PROPOSITION RUSSE

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Barack Obama, François Hollande et David Cameron se sont accordés pour étudier l'initiative de Moscou qui entend placer l'arsenal chimique de la Syrie sous contrôle international.

La diplomatie prendra-t-elle le dessus sur les armes? Barack Obama est tombé d'accord avec François Hollande et David Cameron pour examiner la proposition russe de placer l'arsenal chimique de la Syrie sous contrôle international. Les présidents américain et français et le premier ministre britannique prévoient de consulter Pékin et Moscou sur le sujet. Les discussions porteront sur différents éléments, dont la possibilité d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce travail commun devrait commencer dès ce mardi.

La France a présenté plus tôt dans la journée un projet de résolution. En l'état, le texte prévoit l'adhésion de la Syrie à la Convention de 1993 sur l'interdiction des armes chimiques et le déferrement des responsables du massacre devant la Cour pénale internationale. Le projet de résolution est contraignant: le recours à la force sera permis en cas de manquement à ces obligations. «C'est à l'acceptation de ces conditions précises que nous jugerons la crédibilité des intentions qui ont été exprimées», estime le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius.

«Nous n'attendrons pas longtemps»
John Kerry, le secrétaire d'État américain.
À Washington, on se montre très sceptiques. «Nous attendons cette proposition. Mais nous n'attendrons pas longtemps», prévient le secrétaire d'État américain, John Kerry. «Le président Obama va l'examiner attentivement. Mais elle doit venir rapidement, elle doit être concrète, elle doit être vérifiable. Il ne saurait s'agir d'une tactique pour gagner du temps.» «Pour que cette option diplomatique ait une chance de réussir, la menace d'une action militaire américaine doit rester très réelle et crédible», ajoute le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, présent à ses côtés lors d'une audition à la chambre des Représentants.

Lundi, la proposition inattendue des Russes a relancé la voie diplomatique. La Chine, bien que farouchement opposée à toute intervention militaire en Syrie, a appuyé l'initiative de Moscou, de même que l'Iran, autre soutien du régime d'el-Assad. Damas se dit prêt à montrer ses armes chimiques à la communauté internationale et à cesser sa production. L'opposition syrienne dénonce de son côté une «manœuvre politique» pour éviter des frappes occidentales. Elle a de nouveau exigé une «riposte» contre le régime.

Sauf que l'idée d'une résolution contraignante de l'ONU n'enthousiasme guère les Russes, fait savoir Laurent Fabius qui s'est entretenu avec le ministre russe des Affaires étrangères. «La proposition de la France d'approuver une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU en conférant aux autorités syriennes la responsabilité pour une possible utilisation d'armes chimiques était inacceptable», confirme Serguei Lavrov. En attendant, «toutes les options restent actuellement sur la table», annonce son homologue français Laurent Fabius, y compris l'option militaire.

Par Roland Gauron