Scandale/ Présidentielle: Une ONG basée à Bruxelles démasque la comédie électorale ivoirienne… et le parti pris de l’Europe
Par Mondafrique.info - Une ONG basée à Bruxelles démasque la comédie électorale ivoirienne… et le parti pris de l’Europe.
Va-t-il finalement regretter d’avoir, dans son zèle pro-Ouattara, fait une déclaration publique prétendant que « les conditions d’un scrutin transparent sont réunies » en Côte d’Ivoire ? En tout cas, Jean-François Valette, ambassadeur de l’Union européenne à Abidjan, a eu une « belle réponse » venant du GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), un institut que la Commission européenne juge assez sérieux pour le financer à hauteur de 50%. Le GRIP vient de publier une « note d’analyse » qui s’interroge : « Elections ivoiriennes de 2015 : l’UE aurait-elle dû observer le scrutin ? » Une note dans laquelle il « déshabille » la Commission électorale de Youssouf Bakayoko et remet claire,ent en cause son indépendance en 2010 et en 2015. Extraits.
« (…) Malgré les possibles violences électorales qui pourraient entacher les présidentielles de 2015, certains considèrent que, tout compte fait, celles-ci ne constituent aucun réel enjeu. C’est le cas, notamment, de l’Union européenne (UE), qui a décidé de ne pas déployer de missions d’observation électorale (MOE) dans le pays, quand bien même elle était massivement présente en 2010. Selon le Français Jean-François Valette, Chef de la délégation de l’UE en Côte d’Ivoire, la crise politique du pays est en voie de résolution et les conditions pour un scrutin démocratique sont réunies. La présence des observateurs ne serait dès lors plus nécessaire.
(…) Toutefois, les présidentielles du 25 octobre 2015 demeurent un exercice extrêmement délicat, caractérisé par de nombreuses inconnues et plusieurs zones d’ombre. Les polémiques sur la qualité du processus électoral abondent. Si elles concernent plusieurs points, cette Note d’Analyse ne s’attardera que sur trois d’entre eux, parmi les plus importants : la réforme de la Commission électorale indépendante (CEI) – contestée par l’opposition –, la révision de la liste électorale – à ce jour toujours inachevée – et la question relative à la traçabilité des résultats.
En 2010, la CEI au coeur de la controverse
« En 2010, la CEI ne réussira pas à inspirer la confiance dans le processus électoral. Composée majoritairement par des membres considérés proches du challenger de l’époque, Alassane Ouattara, la CEI émit un verdict qui ne fut ni reconnu par le président sortant –Laurent Gbagbo – ni par la Cour constitutionnelle, favorable à ce dernier. La suite est connue : Ouattara et Gbagbo se proclamèrent tous les deux présidents, ce qui déclencha un conflit meurtrier où plus de 3 000 personnes furent tuées.
Soutenu par la communauté internationale, et surtout par l’armée française, Ouattara réussira finalement à déloger son rival, qui s’était retranché dans le palais présidentiel.
À la lumière de ces évènements dramatiques, réformer la CEI avant les présidentielles de 2015 s’est inévitablement imposé comme une condition sine qua non pour conforter les processus de stabilisation et de démocratisation ivoiriens. (…)
En 2015, la CEI toujours verrouillée par les partisans de Ouattara
« En 2010, les observateurs européens avaient manifesté leur perplexité quant à la nature «très politisée» de la CEI, en remarquant que sa «composante politique est prédominante par rapport à l’expertise technique.» La réforme adoptée en vue des élections de 2015 ne semble pourtant pas avoir rectifié cette tendance. Cinq ans plus tard, en effet, le problème se pose tel qu’en 2010 : au moins douze des dix-sept membres de la Commission centrale sont politisés. (….) Au total, huit des commissaires centraux de la CEI sont affiliés au pouvoir en place, sans compter le représentant du Conseil supérieur de la magistrature, une institution présidée par le Président de la République. L’opposition ne peut compter, quant à elle, que sur quatre représentants. Dès lors, même si les délégués de la société civile devaient se joindre à ceux des partis d’opposition, les délégués issus de la mouvance gouvernementale resteraient majoritaires (neuf sur dix-sept en comptant le représentant de la magistrature).
Et ce problème n’est pas confiné à la seule Commission centrale. Les Commissions locales de la CEI apparaissent elles aussi politiquement orientées : elles sont composées de quatre représentants des partis de la majorité, quatre représentants de l’opposition et un représentant du Préfet. Ce dernier permettant de faire basculer la majorité en faveur des partis gouvernementaux.
Une nouvelle règle empêche tout débat et rend les délégués de l’opposition au sein de la CEI totalement impuissants
« Selon le nouveau texte de loi, celle-ci peut délibérer à majorité simple de ses membres, ce qui revient à dire que, d’un point de vue théorique, les décisions de la CEI peuvent être adoptées sans qu’il y ait de concertation avec ses différentes composantes, notamment de l’opposition et de la société civile. Comme on l’a vu, en effet, les partis au pouvoir sont de facto majoritaires au sein de l’institution. De plus, les délibérations de la Commission demeurent secrètes. Ici aussi la mission d’observation électorale de l’UE de 2010 avait suggéré, dans ses recommandations finales, que les réunions plénières des commissaires soient ouvertes aux représentants des candidats et aux observateurs afin d’assurer la transparence des opérations. Elle avait conseillé, en outre, que les comptes rendus de ces réunions ainsi que les décisions relatives soient rendues publiques et accessibles en ligne. Autant de suggestions qui n’auront pas été suivies. Enfin, même en cas d’égalité des voix au sein de la Commission centrale, celle du président de la CEI demeure prépondérante. Or, la CEI a reconduit à sa présidence le représentant du Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (le PDCI, membre de la majorité présidentielle), Youssouf Bakayoko.
Déjà en poste lors de la crise électorale de 2010, sa réélection n’a évidemment pas aidé à apaiser les craintes de l’opposition, qui le considère comme acquis à la cause d’Alassane Ouattara. »
Quand tout est organisé pour que les morts puissent voter
« Autre problème de taille : la liste de 2010 n’aurait pas été nettoyée (émigrations, décès, etc.) (…) (Dans ce contexte, nda) » l’enregistrement biométrique des électeurs mérite une réflexion globale. (…) La plupart des experts électoraux s’accordent à dire que la biométrie électorale n’est efficace que si elle repose, justement, sur un État civil moderne et fiable. Car si celui-ci n’est pas en mesure d’enregistrer les décès, et qu’une partie de la population ne dispose pas de cartes d’identité, la liste électorale, qu’elle soit biométrique ou non, ne pourra empêcher les fraudes.Comme l’a souligné le 8 avril 2015 à Lomé Siaka Toumani Sangaré, délégué général aux élections au Mali (un pays qui a recours à la biométrie), en Afrique «les morts élisent les vivants».
L’ambassadeur de l’UE à Abidjan dit n’importe quoi
« À la lumière du contexte exposé dans cette note, l’Union européenne devait-elle ou non observer les présidentielles ivoiriennes ? Pour répondre à cette question, il convient de rappeler la doctrine suivie par l’UE en matière d’observation électorale.Celle-ci, en effet, déploie habituellement ses missions à certaines conditions. Premièrement, elle doit être impliquée politiquement et financièrement dans le processus de démocratisation et de stabilisation du pays concerné, notamment à travers sa politique d’aide au développement. C’est bien le cas en Côte d’Ivoire.
Deuxièmement, cette implication doit généralement s’inscrire dans la durée. Consciente que la démocratie est un processus de longue haleine, l’UE procède souvent à l’envoi de missions électorales successives dans un même pays lors de ses différents scrutins. Rappelons à cet égard que les observateurs de l’UE étaient déjà présents en Côte d’Ivoire lors du scrutin controversé de 2010. Enfin, la qualité du processus démocratique à observer doit présenter une certaine ambivalence : les conditions afin que des élections libres puissent se tenir doivent être réunies, tout en coexistant avec des incertitudes ou des foyers de tension qui justifient le déploiement d’observateurs européens.
Ce troisième cas de figure correspond, lui aussi, au contexte ivoirien de 2015.
Car même si les présidentielles de 2015 en Côte d’Ivoire présentent des aspects encourageants, de nombreuses zones d’ombres persistent. Dès lors, sur la base des lacunes et manquements abordés dans cette note, la décision de l’UE de ne pas envoyer ses observateurs ne semble pas correspondre aux critères qu’elle suit habituellement. (…)
Surtout, ne pas déranger Ouattara
Formellement, l’Union n’aurait pas été invitée par le gouvernement de la Côte d’Ivoire, quand bien même les diplomates européens auraient timidement sondé leurs homologues ivoiriens à ce propos. Il est vrai que Bruxelles doit être invitée par le pays concerné si elle veut suivre son processus électoral. Mais il est tout aussi vrai qu’en tant que plus grand bailleur de fonds au monde en aide au développement, l’UE sait généralement comment s’y prendre pour «se faire inviter», lorsqu’il s’agit d’observer une élection (…)
La décision de ne pas se rendre en Côte d’Ivoire en 2015 ne vient donc pas d’Afrique, mais bien d’Europe. Quant aux motivations de fond, elles ne reposeraient pas tant sur les prétendues bonnes conditions démocratiques ivoiriennes, comme affirmé par le Chef de la Délégation de l’UE.
D’un point de vue politico-administratif, au fond, celles-ci ne sont pas si différentes qu’en 2010 : la CEI demeure politisée, la liste électorale est du même acabit, la traçabilité des résultats n’est toujours pas assurée. (…) La réelle motivation derrière la décision de l’UE pourrait donc être encore différente. Elle pourrait avoir trait à la crainte qu’une évaluation électorale perçue comme négative puisse avoir un effet déstabilisant sur le pays. La Côte d’Ivoire, au fond, est en voie de stabilisation : ce n’est pas le moment de la bousculer. »
Traduction en langage libéré de la langue de bois : en Côte d’Ivoire, l’Union européenne ne veut surtout pas être l’empêcheuse de frauder en rond. Vive la « démocrature » sponsorisée par l’Occident !
Les intertitres sont de l’auteur de ce blog.
Théophile Kouamouo
Journaliste, éditorialiste, blogueur, entrepreneur, j'espère en une Afrique à la fois souveraine, prospère et démocratique.
Source: http://www.grip.org/sites/grip.org/files/NOTES_ANALYSE/2015/NA_2015-10-1...
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