Salvador Saguès (Amnesty International ) : « Ouattara s’est engagé pour l’impunité, qu’il tienne sa promesse ! »

Par Notre Voie - Salvador Saguès « Ouattara s’est engagé pour l’impunité, qu’il tienne sa promesse ! »

Photo: Salvador Saguès (Amnesty International ).

L’ONG de défense des droits de l’homme, Amnesty international, a publié, le 29 juillet 2013, un récent rapport sur le massacre des déplacés internes du camp de Nahibly, en 2012, par les partisans d’Alassane Dramane Ouattara. Dans cette interview exclusive à Notre Voie, M. Salvatore Saguès, Chercheur d’Amnesty International sur l’Afrique de l’Ouest, lève le voile sur de nombreuses questions.
Notre Voie : Monsieur Salvatore Saguès, dans quelles conditions avez-vous réalisé les enquêtes qui ont abouti au dernier rapport publié le 29 juillet 2013 sur la Côte d’Ivoire ?
Salvatore Saguès : Ce rapport est le fruit de deux missions de recherche sur le terrain, en septembre et octobre 2012, puis en février 2013, missions menées par une délégation d’Amnesty International dirigée par mon collègue Gaëtan Mootoo. La délégation s’est rendue à Nahibly, à Duékoué et à Man et a rencontré des victimes parmi les anciens déplacés, des témoins, des défenseurs des droits humains, des responsables des FRCI et de l’appareil judiciaire ainsi que des militaires de l’ONUCI.

NV : En quoi ce rapport diffère-t-il des autres que vous avez publiés depuis la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ?
S. S. : Ce rapport commémore le premier anniversaire de l’attaque et de la destruction du camp de Nahibly, le 20 juillet 2012. Cet événement tragique rappelle les tueries commises par toutes les parties du conflit dans la région de Duékoué, y compris le massacre commis dans le quartier de Carrefour à Duékoué fin mars – début avril 2011. Dans ces deux cas, malgré l’ouverture d’une enquête, les victimes et leurs parents attendent toujours justice et réparation.

NV : Qu’avez-vous découvert que l’on ne sache déjà sur les crimes des forces pro-Ouattara à Duékoué et globalement dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire ?
S. S. : Malgré quelques progrès dans l’enquête ouverte par les autorités, les victimes et leurs parents n’ont toujours pas obtenu de réponse quant au sort des disparus. Les résultats des autopsies pratiquées sur les corps des personnes exhumées dans un puits à Togueï en octobre 2012 n’ont toujours pas été communiqués et les corps n’ont toujours pas été rendus aux familles empêchant celles-ci de pratiquer les cérémonies de deuil.

Notre Voie : Parlant du massacre des réfugiés internes du camp de Nahibly par les partisans du chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, en 2012, vous affirmez que de nombreux corps demeurent dans de nombreux puits. Comment ces corps ont-ils été jetés dans ces puits ?
S. S. : Amnesty International s’est rendue dans ce puits d’où les corps ont été exhumés et nous avons pu parler avec un rescapé qui nous a indiqué comment des personnes arrêtées par des éléments des FRCI avaient été jetées dans un puits. Ce témoin oculaire a affirmé que des FRCI avaient ensuite déchargé leur arme sur les corps jetés dans le puits.

NV : En octobre 2012, alors que le gouvernement Ouattara annonçait 11 personnes seulement tuées dans ce camp de Nahibly qui a été rasé, 6 corps ont été exhumés d’un puits. Les conclusions des autopsies annoncées tambour battant n’ont jamais été publiées. Les enquêtes promises par Ouattara et son régime n’ont jamais démarré. A votre avis, pourquoi ce silence du gouvernement ?
S. S. : Nous ne pouvons pas commenter ce silence. Dans un document publié en février 2013, nous avons appelé les autorités ivoiriennes à accepter la mise en place d’une commission d’enquête internationale afin d’établir le nombre des victimes et les responsabilités de manière impartiale. Nous regrettons que les autorités n’aient pas accepté cette recommandation.

NV : Dans votre rapport, vous semblez pointer aussi du doigt l’ONUCI qui avait la charge de protéger les réfugiés de ce camp de Nahibly. Que reprochez-vous précisément aux soldats onusiens présents dans ce camp au moment du massacre ?
S. S. : Au moment de l’attaque du camp de Nahibly, les forces de l’ONUCI présentes sur les lieux s’élevaient à 14 soldats marocains chargés de garder l’entrée du camp et à 12 policiers pakistanais positionnés à l’intérieur du camp. Bien qu’ayant tenté d’empêcher l’entrée des Dozos dans le camp, ces forces onusiennes ont très vite été dépassées et ont quitté les lieux laissant les personnes déplacées sans défense. Cela rappelle la tragique inaction de l’ONUCI lors du massacre de Duékoué, fin mars-début avril 2011, et il est vraiment regrettable que l’ONUCI n’ait pas tiré les leçons des événements de 2011.

NV : L’ONUCI avait habitué les Ivoiriens, sous le régime du président Gbagbo, à des rapports détaillés et publics sur les évènements de cette nature. Or, sur les cruautés de Nahibly, l’ONUCI se tait. Avez-vous cherché à savoir pourquoi le silence des responsables de l’ONUCI sur les violations, des « actes inhumains » selon vous, des partisans d’Alassane Ouattara ?
S. S. : Dans une lettre adressée à Amnesty International, M. Koenders a indiqué que l’ONUCI avait menée une enquête interne qui avait confirmé le caractère approprié de la réaction de l’ONUCI. Nous citons dans notre document de larges extraits de ce courrier. Nous demandons la publication de cette enquête interne. Nous nous étonnons que l’ONUCI ait fondé son dispositif de protection des populations civiles sur le postulat que la sécurité de ces populations pouvait être assurée par les forces de sécurité ivoiriennes, celles-là même qui avaient commis des graves violations des droits humains dans la crise postélectorale.

NV : En Côte d’Ivoire, l’ONUCI a toujours été soupçonné de partialité au profit du camp Ouattara et de ses rebelles. Son comportement sous le régime Ouattara le démontre. Pourquoi Amnesty international ne dénonce-t-il pas clairement ce fait comme étant un encouragement des pro-Ouattara aux crimes ?
S. S. : Nous n’avons pas à porter un jugement global sur l’attitude de l’ONUCI. Amnesty International a toujours demandé que l’ONUCI s’acquitte de sa mission de protection des populations civiles quelles qu’elles soient.

NV : Vous-mêmes, responsables d’Amnesty international, de nombreux Ivoiriens, vous accusent d’avoir été très tendres sur les crimes de la rébellion ivoirienne jusqu’en 2011. N’avez-vous pas contribué à consolider l’impunité dont jouissent Alassane Ouattara et son camp malgré l’ampleur et la cruauté de leurs crimes depuis 2002 ?
S. S. : Depuis plus de 20 ans, Amnesty International a dénoncé les violations commises par toutes les parties. Notre organisation a successivement défendu Laurent Akoun, Laurent Gbagbo et Simone Gbagbo (Ndlr, alors dirigeants syndicaux et opposants politiques) lorsqu’ils étaient détenus sous Houphouët-Boigny (Ndlr, premier président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993) ; Elle a défendu les leaders de la FESCI (Ndlr, syndicat estudiantin), y compris Guillaume Soro et Charles Blé Goudé détenus sous Henri Konan Bédié (Ndlr, chef de l’Etat de 1993 à 1999, renversé par un coup d’Etat), les parents d’Henri Konan Bédié torturés et harcelés à Daoukro par les forces du général Gueï (Ndlr, auteur du coup d’Etat de 1999). Nous avons également défendu les militaires détenus sous le général Gueï, dont le commandant Wattao.
Tout au long de la présidence de Laurent Gbagbo, nous avons dénoncé les dérives de l’ivoirité et les violations des droits humains commises à l’encontre de membres ou partisans du RDR et plus généralement des « Dioulas ». Au cours de la même période, Amnesty International a été la seule organisation à dénoncer le massacre d’une centaine de gendarmes et de leurs enfants à la prison de Bouaké en octobre 2002. Nous avons dénoncé les violences sexuelles à l’égard des femmes commises par toutes les parties du conflit. Durant la crise postélectorale, nous avons dénoncé aussi bien les actes commis par les partisans de Laurent Gbagbo que ceux perpétrés par les soutiens d’Alassane Ouattara. Depuis l’intronisation de l’actuel chef de l’Etat, nous poursuivons notre travail de défense des droits humains avec la même impartialité.

NV : Qu’attendez-vous exactement, vous défenseurs des droits humains, du régime Ouattara dont les cruautés semblent bénéficier de la protection de l’ONU et peut-être d’autres puissances internationales ? Ne prêchez-vous pas dans le désert ?
S. S. : Notre travail est un travail de recherche et de plaidoyer. Le Président Ouattara s’est engagé à plusieurs reprises à mettre un terme à l’impunité et à faire en sorte que tous les auteurs présumés des crimes commis répondent de leurs actes quels qu’ils soient. Nous l’appelons à nouveau à mettre en œuvre cette promesse n

Interview réalisée par César Etou cesaretou2002@yahoo.fr