Pr Francis Wodié, Président du Conseil Constitutionnel sur Vox Africa : « Je ne me reconnais actuellement d’aucune obédience politique »

Par Autre presse - La grande interview du Pr Francis Wodié sur Vox Africa.

Francis Wodié, président du Conseil constitutionnel, sort de sa réserve. Dans une interview accordée à Vox Africa, le successeur de Yao Paul N’dré parle de l’institution qu’il dirige et des nombreux défis qui s’imposent à la Côte d’Ivoire qui sort de crise. L’expert en droit constitutionnel, sans détour

Qu’est ce qui justifie votre présence au Cameroun en ce moment ?

Nous effectuons une tournée dans la sous région pour prendre contact avec les Conseils constitutionnels de la sous région pour pouvoir échanger et voir comment fonctionnent es institutions pour éventuellement nous en inspirer de certaines dispositions. Le tout, c’est de pouvoir nous connaître dans le cadre d’une coopération que nous jugeons nécessaire. A travers cette coopération, faire des rapports à nos présidents.

Vous héritez d’une institution peu crédible à l’issue de la crise postélectorale. Est ce une chose facile pour vous ?

C’est une situation qui a été difficile pour toute la Côte d’Ivoire. La position du Conseil constitutionnel a été une position particulière comme vous l’avez noté et les dommages étaient visibles. Il s’agissait donc de reprendre les choses là où elles devaient rester. C’est faire du Conseil constitutionnel, une institution indépendante et impartiale. C’est la mission que nous nous sommes assignée. Et comme vous le savez, la formule du serment indique très clairement que nous devons nous comporter en juge impartial, en juridiction indépendante. De manière que les décisions qui seront prises par le Conseil constitutionnel soient comprises par tous pour redonner à cette institution la crédibilité nécessaire.

Votre parcours politique à côté de votre actuelle responsabilité à la tête d’une haute institution laisse les observateurs dubitatifs. Quel commentaire ?

Je ne pense pas qu’il faille raisonner de cette manière parce que le Conseil constitutionnel est essentiellement un organe juridictionnel. Il est vrai que j’ai eu un parcours politique en tant que leader d’un parti politique. Mais dès lorsque j’accède à la tête d’une institution comme le Conseil constitutionnel, je renonce totalement et sincèrement à ma qualité de leader politique. De sorte que je n’ai plus de rapport avec le parti que j’ai dirigé. Cela est d’autant plus nécessaire que la position du Conseil constitutionnel est un peu délicate. Parce que nous sommes à la frontière du juridique et de la politique. Il faut faire en sorte que l’institution que nous dirigeons ne tombe pas dans le jeu politique.

En alliance avec le Fpi, au second tour, vous avez appelé à voter le président Alassane Ouattara. Beaucoup d’observateurs disent que vous avez senti le bon coup.

Il est difficile de répondre à cette question parce que le président du Conseil constitutionnel pourrait répondre. J’ai agi en tant que président d’un parti politique. En cette qualité, nous avons fait des choix que nous considérions comme conformes à l’intérêt du pays. Si j’étais resté président du Pit, j’aurais confirmée choix. Mais aujourd’hui, comme je l’ai confirmé, je ne suis plus le responsable d’un parti politique. De sorte à répondre clairement et de façon précise à votre question. Donc le président du Conseil constitutionnel comme telle était sa qualité auparavant. Aujourd’hui, il a un rôle essentiel et exclusif. C’est de conduire une institution qui doit respecter sa volonté, sa vocation. De faire en sorte qu’elle exerce ses fonctions en toute impartialité parce que si l’institution n’inspire pas confiance, les décisions qu’elle prendra seront mal reçues et l’institution ne pourra pas jouer un rôle dans le sens de la stabilisation des relations de la pacification du pays. Or, c’est l’une des missions essentielles d’un organe comme le nôtre.

Allié du président Ouattara au second tour de l’élection présidentielle, ne pensez vous pas que cela ne pourrait pas donner le même cas de figure que votre prédécesseur dans un même schéma ?

C’est une question à laquelle j’aurais répondu avec une certaine fermeté et avec les précisions qu’il faut. Mais, je suis un peu gêné dans la position qui est la mienne. Cependant, j’aimerais dire, à la différence de mon prédécesseur qui était membre du parti dirigé par Laurent Gbagbo. Moi, je ne suis pas membre du parti du président Ouattara. L’un a été appelé sur la base de considération politique. Moi, j’ai été appelé sur la base de considération technique. De sorte que je ne pense pas qu’il faille passer d’une situation à une autre. Ce sont des situations différentes. Et moi, je ne me reconnais actuellement d’une obédience politique.

Les 6 conseillers ont été nommés parle président de la République. Les textes indiquent que 3 devraient être nommés par lui et les 3 autres par le président de l’Assemblée nationale. Cela ne pourrait pas être sujet d’interrogation ?

De façon précise, les textes disent que 3sont effectivement nommés par le président de la République, 3 sont désignés. Mais, l’expression correcte, c’est 3 sont proposés. Ils sont proposés par le président de l’Assemblée nationale et c’est le président de la République qui nomme les 6 et qui nomme évidemment le président du Conseil constitutionnel. Voilà donc la réalité des textes. Dans la situation du moment, le président a nommé effectivement les 3. Et les 3 autres, je suppose, sur proposition du président de l’Assemblée nationale.

Pour votre premier challenge lors de ces dernières élections législatives, il vous est arrivé de reprendre des élections dans certaines localités. En êtes vous satisfait ?

Nous en sommes satisfaits dans la mesure où nous croyons avoir décidé dans le respect des textes, en toute dignité et en toute bonne foi. Et nous avons été amenés, en examinant les divers cas dont nous avons été saisis, à confirmer certaines élections, à annuler d’autres sans considération politique. Vous l’avez constaté. Les décisions d’annulations concernent divers candidats des partis politiques. Nous avons pris ces décisions dans le sens de notre devoir. Il y a eu quelques difficultés au départ. Ces décisions n’ont pas été immédiatement comprises par tous. Mais par la suite, je pense que l’opinion, d’une façon générale, a compris et a apprécié à leur juste valeur les décisions que nous avons prises. Ce qui a contribué à redorer le blason du Conseil constitutionnel.

Pourrions-nous nous attendre aux mêmes valeurs de la part du Conseil constitutionnel pendant les élections présidentielles à venir ?

A priori, il n’y a aucune raison d’en douter. Nous voulons faire en sorte que le Conseil constitutionnel soit un juge. Nous avons le droit. Nous prendrions des décisions en conséquence. Il faut dire que les élections présidentielles en Côte d’Ivoire et comme partout en Afrique revêtent un caractère bien particulier parce que le président de la République, ’est la lé de voûte pour toutes les institutions de l’Etat. D’où la délicatesse de la décision. Mais malgré tout dans un Etat qui se veut de droit, il y a divers organes et chaque organe doit rester dans son rôle. En jouant pleinement et effectivement son rôle et ne s’immisçant pas dans des affaires qui lui seraient étrangères. Notre volonté est que notre décision s’appuie sur le droit, sur les principes permettant de faire en sorte que les élections soient le canal par lequel le peuple communique sa volonté. Pour donner de la légitimité aux autorités qui vont en découler. Donc, c’est un devoir qui nous appartient entant que juridiction si l’on veut prévenir les difficultés que nous avons connues.

Concernant la justice ivoirienne, il ya la Chambre d’accusation du tribunal d’Abidjan qui a décidé d’envoyer des proches de Laurent Gbagbo devant la Cour d’assises. Est ce que cette procédure nouvelle ne peut pas constituer un frein au processus de réconciliation actuel ?

A priori non, dans la mesure où la procédure a été engagée. On a maintenu en situation de détention préventive un certain nombre de personnes, donc la justice est à mi chemin. Avec ce que nous savons maintenant, (…) ’est une manière peut être de normaliser cette situation au plan judiciaire. Attendons de savoir quelle décision sera prise par la juge. La décision prise, alors nous pourrons nous livrer à des commentaires. Mais nous livrer à des commentaires en dehors du Conseil constitutionnel et du président du Conseil constitutionnel, dont vous savez, est tenu par l’obligation de réserve. Donc je ne saurais me prononcer sur une procédure judiciaire qui, de surcroît, est en cours. Donc permettez de ne pas aller au delà sur cette question.

On constate qu’en dehors du Pr Aké N’gbo, ce sont tous ceux qui ont collaboré ou ont pris part à ce gouvernement qui sont encore poursuivis. C’est évidemment ce que les observateurs seraient tentés de dire.

Oui, j’ai une opinion personnelle sur la question, mais e n’est pas Wodié que vous interrogez, ’est le président du Conseil constitutionnel. Et comme je l’ai indiqué, l’obligation de réserve oblige de ne pas en dire davantage. Mais, le souhait reste de faire en sorte, chacun à son niveau, que le processus connaisse son terme le plus rapidement possible et qu’il participe à cette réconciliation que nous recherchons tous de manière à ce que l’apaisement advienne effectivement et que la Côte d’Ivoire évolue pacifiquement vers son destin.

Quel type de justice doit-on engager en Côte d’Ivoire au moment où nous sommes dans un processus de réconciliation ?

La justice, comme vous le dites, doit être impartiale. C’est à dire faire en sorte d’établir objectivement les faits et d’appliquer en toute sincérité le droit, seulement en situation normale. Dans le cadre de la Côte d’Ivoire, la justice doit continuer à jouer son rôle avec impartialité, indépendance. Mais dans le as de la réconciliation dont j’ai dit qu’elle est voulue pas tous, il n’y a pas que la justice. Il y a également le pouvoir politique qui joue son rôle de sorte que je pense que parfois, d’avoir à faire certains commentaires, peut nuire à la bonne marche des institutions. Je pense qu’il est bon, les choses étant engagées comme elles le sont, de les laisser aller à leur terme. Nous verrons alors comment la justice pourra fonctionner et si elle a contribué à la décrispation et à la réconciliation que nous recherchons. C’est une justice qui n’est pas aveugle, qui n’est pas source non plus. Donc je pense que cette justice sera rendue avec la volonté de faire en sorte que les choses se normalisent dans notre pays et que nous avancions véritablement vers la normalisation et donc la stabilisation des choses. Vous devez le croire, nous sommes tous conscients de la gravité de la situation que nous avons connue. Nous sommes tous conscients de la nécessité d’en finir le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions possibles. C’est ainsi que nous devons travailler pour parvenir à la paix de manière totale et durable pour que les prochaines élections se passent dans les meilleures conditions possibles pour l’avenir du pays.

Peut on espérer avoir un processus de réconciliation qui conduise à la paix sans justice équitable en Côte d’Ivoire ?

Je dois simplement dire que nous sommes dans une situation qui est encore un peu particulière, et la justice peut s’en ressentir. Les opinions sont parfois tranchées. Mais, ce n’est pas de cette manière que nous parviendrons à régler les problèmes. Ceux qui parlent, sont les avocats d’un camp ou de l’autre. Nous devons rester des juges au sens où nous devons rechercher la vérité pour savoir comment faire en sorte que la justice soit effectivement équitable, qu’elle joue son rôle sans se dévoyer. Mais elle jouera son rôle, la justice, en n’oubliant pas la situation particulière qui est la nôtre. Une étape peut ne peut pas être comprise. Une autre étape peut ramener la compréhension et la normalité des choses. Il est donc bon de ne pas se précipiter pour porter des jugements prématurés en quelque sorte qui risquent de gêner le déroulement normal du processus. Donc laissons les avocats parler, c’est leur droit. Mais que les juges fassent leur travail en tout devoir, en toute conscience avec en conscience, de la réalité de la situation et en sachant le rôle que doit jouer le juge pour que la justice contribue au rétablissement de la normalisation, de la stabilisation en Côte d’Ivoire.

Concernant la composition du Conseil constitutionnel, les textes réglementaires en Côte d’Ivoire indiquent que tous les présidents et anciens présidents sont donc membres à vie de cette institution. Il y a notamment le président Henri Konan Bédié et le président Laurent Gbagbo qui est actuellement à la Cpi. Comment ça se vit au sein du Conseil constitutionnel ?

Les textes indiquent effectivement que les anciens présidents sont membres de droit du Conseil constitutionnel. Mais l’ancien président, c’est celui qui a cessé de l’être dans des conditions qui sont normales. De sorte que la position de la Côte d’Ivoire, partant, celle de Laurent Gbagbo se trouve être bien particulière. Comme vous le savez actuellement, aucun des anciens présidents ne siège au Conseil constitutionnel.

L’ancien président Henri Konan Bédié, pouvez vous nous expliquer les raisons pour lesquelles il ne siège pas ?

C’est en toute liberté qu’il a décidé de ne pas siéger. Parce que l’idée, c’est qu’ils sont membres de droit, sauf renonciation expresse de leur part. Ce qu’il a fait. C’est un point sur lequel nous avons discuté au sein du Conseil constitutionnel. De sorte que nous avons notre opinion sur la question. Mais, vous me permettrez de ne pas vous la communiquer et de ne pas en parler publiquement. Il y a des choses qui appartiennent au Conseil constitutionnel et d’autres qui peuvent aller jusqu’au public.

L’ex président Laurent Gbagbo est à la Cpi, et l’on demande des preuves supplémentaires pour savoir s’il va être poursuivi ou pas. Comment cette situation se vit en Côte d’Ivoire et quelle interprétation faites vous entant qu’expert du droit ?

Un juge ne juge pas un juge. Et le président du Conseil constitutionnel qui est le président d’une institution juridictionnelle donc, juge lui même, ne peut passe permettre de porter publiquement des critiques sur une procédure qui est en cours dans une autre juridiction, de sorte que je ne me prononcerai pas, pour cette raison et pour des raisons liées à l’obligation de réserve. Comme je vous l’ai indiqué, dans la vie, il faut toujours que chacun fasse ce qu’il a à faire avec pour juge l’indépendance et l’impartialité qui restent toujours relatives malgré tout. Et en l’espèce, c’est une procédure qui est engagée devant une juridiction particulière. Elle va en être à son terme avec les décisions que nous aurons. C’est une décision provisoire d’attente, la procédure n’est pas encore à son terme. Le juge que nous sommes serait très malvenu de nous prononcer.

La question de la nationalité et du foncier préoccupe t elle au plus haut niveau le Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel, en tant qu’organe, ne s’est pas saisi de la question. Nous n’avons pas encore réfléchi en tant qu’institution parce que cela ne rentre pas dans le cadre de nos compétences. Et puis, la question est encore dans l’air en quelque sorte, on en parle, on a quelques éléments ici et là, mais on est loin d’être parvenu à des règles à la confirmation des anciennes ou à de nouvelles règles. Donc, c’est un mouvement qui suit son cours. Il est clair qu’en tant que citoyen, nous sommes, bien sûr, intéressés et préoccupés par es questions là. Les questions de la nationalité et du foncier sont délicates. Si un législateur doit s’en emparer effectivement, je suppose qu’il saura tenir compte de la partie particulière de ces questions pour qu’elles n’alimentent pas des malentendus et des situations susceptibles de déboucher sur des conflits qui vont gêner inutilement.

Quels sont les challenges actuels du Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel n’est pas bien connu de l’opinion nationale. De sorte que la première préoccupation, c’est de faire en sorte que le Conseil soit présenté à l’opinion nationale. C’est en cela que nous avons tenu des séminaires au sein du Conseil constitutionnel dont les résultats seront communiqués aux autorités compétentes et puis, on verra quelle sera la procédure à suivre. Nous avons organisé une rentrée solennelle ;’est la première dans la vie du Conseil constitutionnel, pour faire connaître cette institution. C’est la première action entreprise et à prolonger. Il y a peut être aussi le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Peut être parce que les citoyens ou les Ivoiriens, d’une manière générale, ne connaissent pas très bien le Conseil constitutionnel ; nous ne sommes pas très souvent saisis de certaines situations. Comme vous le savez, nous avons une double compétence. Il ya les attributions que nous avons en matière de contrôle de constitutionnalité. C’est à dire, voir si la loi votée par l’Assemblée nationale est conforme à la constitution. C’est une action que nous exerçons peu parce que nous sommes peu saisis. Nous avons réfléchi sur cette question là pour savoir s’il ne faut pas penser à ouvrir le prétoire du juge et à ouvrir la possibilité à tous de saisir le Conseil constitutionnel. C’est un point qui est en réflexion actuellement. Nous avons nos idées, nos propositions, et nous allons saisir les autorités compétentes. Et puis, nous sommes compétents pour connaître le contrôle des élections, notamment, les présidentielles et les législatives. Sur ce point, nous ne jouons notre rôle selon les textes. Et nous avons déjà joué notre rôle pour les élections législatives. Et comme vous les avez, en 2015, je vois l’élection présidentielle. Ce sont donc les deux missions que nous accomplissons et nous pensons qu’en jouant e rôle là, nous accomplissons la mission que la nation attend de nous.

AUTEURS: Lance Toure Et Morgane Ekra SOURCE Vox Africa