Les Réfugiés ivoiriens de France à Ouattara : ‘’On ne dirige pas un pays le cœur chargé de haine… ‘’

Par IvoireBusiness - Les Réfugiés ivoiriens de France à Ouattara ‘’On ne dirige pas un pays le cœur chargé de haine… ‘’ .

Des membres du bureau de l'URIF autour de leur parrain Christian Vabé, président du Rpci-Ac.

Réponse de l’Union des Réfugiés ivoiriens de France (URIF) au chef de l’État Alassane Ouattara

Le 14 avril 2016, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Alpha Blondy a interpellé le Président Alassane Ouattara en ces termes, sur la situation socio-politique du pays : « Au nom de tous les morts et de toutes les victimes de la crise ivoirienne, je voudrais faire une requête auprès de Son Excellence Monsieur le président de la République de Côte d’Ivoire : amnistiez tous les détenus de la crise post-électorale. Tous, sans exception ».

Et la méga star d’ajouter : « Il est impérieux que vous pesiez de tout votre poids pour sortir MM Gbagbo et Blé Goudé de la Haye. Imaginez que M. Gbagbo meure dans les geôles de la Haye. Ce serait une fracture irréversible de la société ivoirienne, hypothéquant ainsi l’avenir de vos enfants et petits-enfants, et les nôtres. » Alpha Blondy termine son appel citoyen en citant Félix Houphouët-Boigny : « Je préfère l’injustice au désordre ».

A ces propos dont nombre d’Ivoiriens ont apprécié la sagesse, le chef de l’Etat ivoirien a répondu en ces termes, et sur les réseaux sociaux, sans doute par souci de respecter le parallélisme des formes : « Bien sûr que le pardon est dans notre culture africaine. Mais si nous voulons être un pays moderne, il faut allier le pardon à l’Etat de droit. L’Etat de droit veut dire que les procès qui doivent se tenir soient tenus dans de plus brefs délais. Maintenant les décisions qui doivent suivre doivent tenir compte de ce que la Justice ou les juges auront constaté. »

A fin, le chef de l’Etat estime que tous ceux qui sont en ce moment en exil « sont des exilés volontaires car plus de 90% des exilés sont rentrés au pays. »

Après avoir pris connaissance de ces deux interventions, l’Union des Réfugiés ivoiriens de France (URIF) a jugé utile de rendre publique la déclaration qui suit.

I/ De la réponse du chef de l’Etat

Nous estimons peu adroit le fait qu’un chef d’Etat ait répondu sur-le-champ à ces propos d’une star. Une telle réaction dénote une fébrilité regrettable, d’autant plus que l’appel d’Alpha Blondy embrasse des préoccupations plus amples que ne le montrent les apparences.

Vraisemblablement, M. Ouattara n’a pas pris soin d’examiner avec l’attention qui convient, la démarche du chanteur qui, soulignons-le, s’inscrit dans un contexte précis : le décès de Mamadou Ben Soumahoro, ex-compagnon de lutte d’Alassane Ouattara ; Ben Soumahoro, rappelons-le aussi, sera en butte à ce dernier, puis épousera plus tard la cause du Président Laurent Gbagbo engagé dans un combat souverainiste dont la récente histoire politique de la Côte d’Ivoire a enregistré les épiques péripéties.

Tout Africain le sait : chez nous, la disparition d’un membre de la famille ou de tout être cher, est une occasion de régler les dissensions et autre antagonismes relationnels. Le deuil, surtout lorsqu’il est d’amplitude nationale (comme la disparition de M. Ben Souamaoro), est vécu par le corps social comme un moment idéal de partage de la douleur, mais surtout comme une POSSIBILITE d’échanges de paroles d’amour, de compréhension et de pardon mutuel, afin de sceller entre les membres de la Communauté hier déchirée, une Nouvelle Alliance ; tout ceci sous le parrainage de la Mémoire du cher défunt ; car, en Afrique, « Les morts ne sont pas morts ».

C’est fort instruit de ces valeurs culturelles et spirituelles qu’Alpha Blondy, star d’obédience nationale et interplanétaire, mais surtout homme politiquement initié parmi les initiés (pour avoir fréquenté toutes les classes et chapelles politiques de notre pays), a estimé nécessaire de tenir ce discours de la recherche de la concorde. Une attitude hautement responsable que l’URIF salue.

A contrario, nous avons été désagréablement surpris que le chef de l’Etat ait repoussé en un coup de langue, cette proposition sage. Les arguments qu’il brandit pour justifier son refus d’entendre un tel discours nous surprennent tout autant. A l’en croire, au nom de la démocratie et de la modernité, la requête d’Alpha Blondy n’est pas recevable. Cette réflexion nous paraît peu sérieuse, voire dangereuse. Il convient donc de rappeler à Monsieur Ouattara, certains faits analogues vécus dans notre pays, et comment ces faits furent traités par ses prédécesseurs :

1 – Septembre 1988. Retour d’exil de Laurent Gbagbo. C’est le Président Félix Houphouët-Boigny qui, par l’intermédiaire de M. Abdoulaye Diallo son homme de confiance, a entrepris les démarches pour faire rentrer au pays Laurent Gbagbo, son unique et opposant officiel, alors en exil en France. Et c’est donc très officiellement (alors qu’il était sorti clandestinement du pays) que Laurent Gbagbo est rentré au pays. Il y sera accueilli fraternellement et paternellement par le Président Houphouët-Boigny. L’illustre Homme fera même mieux que d’accueillir son farouche opposant : il lui a affecté une garde de sécurité, afin que rien ne lui arrive. C’est cela, être un grand Homme, un vrai chef.

2 – Décembre 1999 : appel d’Alassane Ouattara à la libération de ses militants incarcérés à la Maca. Henri Konan Bédié, sourd à l’appel de Ouattara alors opposant farouche de ce dernier, refuse de libérer ces prisonniers. L’argument de Bédié à cette époque était que cela relevait du devoir de la Justice et de l’Etat de Droit qui dit que tout fautif doit être jugé et puni ! On sait l’aboutissement de l’entêtement de Bédié à ne pas libérer les amis de M. Alassane Ouattara : un coup d’Etat (salué par tout le camp des Républicains qui en tiraient le bénéfice) le destitua. Alassane Ouattara, alors traqué comme une bête sauvage par Henri Konan Bédié, put ainsi rentrer d’exil !

3 – Loi d’amnistie prise par Laurent Gbagbo en 2003. Tout le camp rebelle, soutenu par la communauté internationale, demande au Président Laurent Gbagbo, de libérer les prisonniers des tueries du 18 septembre, et d’amnistier les rebelles, suivant en cela l’exemple de ATT au Mali, avec les rebelles Touaregs. Le Président Gbagbo, au nom de la Paix nationale et de la Réconciliation nationale, a accédé à ces exigences du camp rebelle (Rdr, Mpci, Mpigo, Mjp, etc.) soutenu, dans l’ombre, par certains partis politiques. Les criminels qui ont porté le deuil au cœur de la Côte d’Ivoire et fracturé le pays furent ainsi amnistiés. Nombre d’entre eux, dont des analphabètes ou demi analphabètes furent même promus au rang de ministre de la République ! Et c’étaient les hommes de M. Ouattara.

4 – Disqualification juridique d’Alassane Ouattara. Monsieur Alassane Ouattara, jugé étranger par Henri Konan Bédié, et conséquemment disqualifié de la course à la présidentielle par ce dernier et, plus tard, par le Conseil constitutionnel de 2000 présidé par Tia Koné, sous la gouvernance de Robert Guéi, a été réhabilité en 2009, par la seule volonté du Président Laurent Gbagbo, soucieux qu’il était, lui, d’offrir la paix à ses compatriotes en peine sous le joug des kalachnikovs de Ouattara et ses bandes armées.

De ces quatre faits majeurs que nous rappelons à l’actuel chef d’Etat ivoirien, nous tirons les leçons et enseignements suivants :
De la démocratie et de l’Etat de droit.

Pourquoi, en 1999, M. Alassane Ouattara, lui si instruit des exigences de la démocratie et de l’Etat de droit, a-t-il exigé, avec l’outrance verbale qu’on lui connaît, la « libération sans condition » (l’expression était à la mode) de ses amis et camarades incarcérés à la Maca par le régime de Bédié pour faute lourde contre l’Etat de Côte d’Ivoire ? Pourquoi n’a-t-il pas laissé la justice faire son travail au nom de cette modernité politique qu’il brandit aujourd’hui ?
Traqué par Bédié, Alassane Ouattara n’a pu renter en Côte d’Ivoire qu’à l’issue d’un putsch militaire. Alassane peut-il affirmer qu’il était en exil de manière volontaire ? Plus que le mandat d’arrêt international, n’étaient-ce pas la menace et la peur de se faire arrêter par le régime de Konan Bédié qui l’avaient dissuadé d’oser rentrer en Côte d’Ivoire ?

Disons donc haut et fort à l’actuel chef de l’Etat ivoirien : nous, de l’URIF, avons été profondément déçus d’entendre un homme comme lui, qui a souffert de l’amère expérience de l’exil, dire de nous que nous sommes « des exilés volontaires » !

Non, Monsieur le Président, nul Homme ne choisit par plaisir de vivre hors du pays natal. La célérité mémorable avec laquelle les autorités françaises ont accordé le droit d’asile à Tiburce Koffi, est la preuve indiscutable que le péril ‘‘insécuritaire’’ attend tout exilé qui rentre en Côte d’Ivoire.
Le Président Ouattara peut-il dire aux Ivoiriens pourquoi, jusque-là, n’a-t-il pas fait libérer le professeur Assoa Adou, lui qui prétendait ignorer que cet universitaire de renom croupissait au fond d’une geôle ?
Le Président Alassane Ouattara refuse donc de promulguer une loi d’amnistie en faveur des prisonniers de la crise. A contrario, Laurent Gbagbo a amnistié les rebelles armés qui ont tué des milliers d’Ivoiriens. Laurent Gbagbo a-t-il eu tort de l’avoir fait ?
Justice pour justice, et modernité pour modernité, pourquoi donc ne pas respecter le symbole de la justice en mettant aussi aux arrêts les criminels issus des bandes de rebelles qui ont commis ces exactions inouïes sur le territoire ivoirien ? Le président Ouattara aurait prouvé, par ce geste, son haut souci de construire un Etat moderne et démocratique.
L’état moderne et la justice dont parle le chef de l’état n’est-il pas une « justice des vainqueurs » dénoncée dans le monde entier, y compris par les organisations de défense des droits de l’homme les plus crédibles ?

En conclusion, nous exprimons notre satisfaction et reconnaissance à Alpha Blondy pour avoir courageusement pris sur lui le courage de dire haut ce que le commun des Ivoiriens, même des gens du camp du Président Ouattara, pensent bas : la nécessité d’apaiser davantage le climat relationnel ivoirien en libérant les prisonniers politiques qui emplissent les prisons de notre pays depuis son accession au pouvoir ; mais aussi, l’urgence de prendre des mesures salutaires allant dans le sens de la libération du Président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé.

Notre dernier mot à l’endroit de l’actuel chef de l’Etat ivoirien : on ne dirige pas un pays avec le cœur chargé de haine et d’intolérance. Nelson Mandela avait donné l’exemple en ne mettant en prison AUCUN des acteurs blancs de l’apartheid, vilaine politique qui a réduit le peuple sud-africain noir à la servilité et conduit à la tombe des milliers de Noirs aussi célèbres (Steve Biko) qu’anonymes (les enfants de Soweto).

Nous souhaitons au chef de l’Etat ivoirien qu’il ait ce sursaut moral et cette grandeur spirituelle qui, en tout lieu et à toute époque, ont fait les grands Hommes. C’est par le dépassement de la politique d’un homme de clan, dans laquelle tentent de l’enfermer ses partisans, qu’il fera cesser les périls qui pèsent sur notre pays. Terminons cette publication par deux réflexions :

- Tout chef doit être une force centrifuge, réconciliatrice, une énergie spirituelle et paternelle qui tend les mains à son peuple, et non une menace sur ses administrés ;

- si l’injustice est préférable au désordre, il convient cependant de comprendre que l’injustice persistante finit par susciter l’amertume et le chao.

Pour l’URIF,

Le Président, Michel Baroan.

Paris, le 24 avril 2016