KOUDJA KOUASSI JEAN-NOEL, Docteur en Droit, Politologue: De la prétendue suspension de l'assemblée nationale par Alassane Ouattara

Le 03 octobre 2011 par Correspondance particulière - « Le mandat de l’actuelle législature a pris fin avec la chute de Laurent Gbagbo ». Alassane Ouattara répondait ainsi à l’Honorable

L'assemblée nationale de Côte d'Ivoire.

Le 03 octobre 2011 par Correspondance particulière - « Le mandat de l’actuelle législature a pris fin avec la chute de Laurent Gbagbo ». Alassane Ouattara répondait ainsi à l’Honorable

Gaston Ouassénan Koné, Député, ancien Président du Groupe parlementaire PDCI , venu il y a quelques mois s’enquérir auprès de lui des indemnités des députés en souffrance depuis Mars 2011. Cette position d’Alassane Ouattara était officiellement confirmée quelques jours plus tard par le Porte-parole du gouvernement, le ministre Bruno Koné qui lançait à la presse que l’Assemblée Nationale était provisoirement suspendue. Trois faits au moins semblent confirmer cette position d’Alassane Ouattara : son refus en avril dernier de se rendre à l’Assemblée Nationale à l’invitation du président Mamadou Koulibaly pour s’adresser aux Députés de la 9ème législature à l’occasion de la séance solennelle d’ouverture de la première session ordinaire de l’année 2011; le non-paiement à ce jour des indemnités parlementaires d’avril à août 2011 ; la non- tenue de la première session ordinaire de l’année 2011, conformément à l’article 62 de la Constitution qui dispose : « Chaque année, l’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires. La première session s’ouvre le dernier mercredi d’avril ; sa durée ne peut excéder trois mois. La deuxième session commence le premier mercredi d’octobre et prend fin le troisième vendredi de décembre ».
Mais tous ces faits et déclarations n’avaient pas un caractère véritablement officiel et l’on avait pensé qu’une normalisation interviendrait tôt ou tard avant les élections législatives, le temps pour Alassane Ouattara de prendre conscience de l’importance de l’Assemblée Nationale dans la vie de la Nation et des conséquences que l’absence de celle-ci pourrait entrainer. C’est peine perdue. En effet, le 25 septembre 2011, de retour de voyage aux Nations-Unies, Alassane Ouattara parlant du nouveau Parlement qu’il voulait mettre en place, a déclaré ceci : « il est essentiel que nous puissions mettre en place cette grande Institution qu’est le Parlement dont le mandat est venu à expiration depuis décembre 2005 ». C’est donc officiel, pour Alassane Ouattara, il n’y a plus d’Assemblée Nationale en Cote d’Ivoire.
En vérité, Alassane Ouattara et ses conseillers juridiques, encore une fois, abusent des ivoiriens. Ils sont dans le faux. C’est Ouassénan Koné qui a raison, le mandat de l’actuelle législature (la 9ème) court jusqu’à l’installation de la prochaine législature c’est à dire après les élections projetées. Il ne prend pas fin avant celles-ci (I). C’est à tort que Alassane Ouattara, qui n’a ni titre, ni qualité, ni pouvoir pour bloquer le fonctionnement de l’Assemblée nationale ait pourtant agi dans ce sens (II). L’absence de réaction vigoureuse des Députés et particulièrement du Président de cette Institution depuis le mois d’Avril à ce jour, s’apparente à une démission de fait des députés face à une grave violation de la Constitution, d’autant plus inacceptable qu’elle porte sérieusement atteinte à la séparation des pouvoirs et à la Représentation Nationale (III). Il faut se réjouir de voir le Président Mamadou Koulibaly, réagir ces derniers temps pour, enfin, s’inquiéter de la fin lamentable qu’Alassane Ouattara réserve à l’Institution parlementaire qui lui a été confiée.

I – LE MANDAT DE LA 9ème LEGISLATURE COURT JUSQU'A L’INSTALLATION DE LA PROCHAINE LEGISLATURE

La poursuite du mandat parlementaire en cours trouve son fondement d’abord dans l’article 59 de la Constitution, ensuite dans l’Avis no 2005-01\CC\SG du 15 décembre 2005 du Conseil Constitutionnel, le tout conforté par une pratique continue et acceptée par l’ensemble de la classe politique.
La pratique parlementaire et gouvernementale confirme et consolide la poursuite du mandat de la 9ème législature
En effet, l’article 59 alinéa 1 de la Constitution fixe à 5 ans la durée normale du mandat parlementaire. Il précise même à l’alinéa 3 que le mandat se termine à la fin de la 2ème session ordinaire de la dernière année de son mandat. Il en ressort que c’est en décembre 2005 qu’aurait du prendre fin la 9ème législature. Or tout le monde aura constaté que l’Assemblée Nationale, passée cette échéance, a continué de fonctionner jusqu’en 2010, sans qu’aucun parti ni groupement ou responsable politique n’ait trouvé à redire. Les partis politiques et mouvements membres du RHDP qui avaient fort bruyamment contesté la poursuite du mandat du Président de la République au-delà d’octobre 2005 n’ont émis aucune protestation au cours de cette période contre la poursuite du mandat de la 9ème législature. Les Députés du RHDP ont continué de siéger aux cotés de ceux du FPI, de l’UDPCI, du PIT, du groupe Solidarité ainsi que du groupe Loyauté. Courant 2010 on s’en souvient, le Groupe parlementaire RHDP avait demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire à propos de l’affaire Désiré Tagro. De même, le gouvernement de son côté a continué durant toute cette période de travailler avec l’Assemblée Nationale comme prévu et organisé par la Constitution. Le fruit de cette collaboration institutionnelle est matérialisé par une quarantaine de lois votées par l’Assemblée Nationale au cours de la période 2005-2010 ( Voir Adresse à la Haute attention du peuple de Côte d’Ivoire du Président Mamadou Koulibaly, l’Inter du 29 septembre 2011).
Il ressort des faits qu’au-delà de la durée formelle du mandat parlementaire (5ans), l’Institution a fonctionné avec le sentiment, tant de ses membres que des autres institutions politiques, que cette pratique n’était pas contra legem , qu’elle était conforme à la Constitution. Mais cette intime conviction source d’une pratique politique notoire, continue, uniforme et incontestée repose sur un double fondement juridique : l’article 59 alinéa 4 de la Constitution et l’Avis no 2005-013 /CC/SG du 15 décembre 2005.
L’article 59 de la Constitution prescrit la continuité parlementaire

Après avoir établi la durée du mandat parlementaire à 5 ans en son premier alinéa, l’article 59 en son alinéa 4 dispose que les « élections ont lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus avant l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée Nationale. ».
Deux observations s’imposent ici :
D’une part, le Constituant distingue la durée formelle du mandat (5 ans), de la durée matérielle, effective, qui elle n’intervient qu’avec l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée Nationale, laquelle elle-même, dépend de l’organisation préalable d’élections destinées à renouveler le Parlement. Cette formule de fin de mandat n’est pas propre à la seule Assemblée Nationale, on la retrouve également à propos de la durée du mandat présidentiel fixée à 5 ans mais dont l’article 39 alinéa 1 de la constitution dispose que « les pouvoirs du Président de la République en exercice expirent à la date de la prise de fonction du Président élu, laquelle a lieu dès la prestation de serment ». Ce qui veut dire ici aussi, qu’il faut d’abord organiser des élections avant que n’intervienne la fin effective du mandat présidentiel en cours.
D’autre part, le Constituant prévoit des élections de renouvellement du corps législatif, enfermées dans une double conditionnalité temporelle. Concernant le moment, elles doivent intervenir avant la fin des pouvoirs. Concernant le délai, elles doivent être organisées entre 20 et 50 jours.
Il faut voir que c’est l’organisation des élections qui donne leur sens à la notion de souveraineté nationale et à la durée du mandat prescrite par la Constitution. L’élection, c’est l’acte périodique par lequel le peuple souverain désigne ceux qui auront qualité pour le représenter et exprimer sa volonté.
Il apparait ainsi que la fin du mandat parlementaire, ne va pas sans la condition de l’organisation des élections en vue du renouvellement du corps législatif.
L’usage du mot « avant » indique clairement que ces élections sont une nécessité pour sanctionner la fin du mandat en cours mais aussi et surtout un préalable à celle-ci, préalable dont le sens et la portée ne s’éclairent que par le souci du constituant d’éviter à la fois un vide parlementaire ( la non représentation du peuple souverain conformément à l’article 32 alinéa 1 « le peuple exerce sa souveraineté par la voie du referendum et par ses représentants élus »), et un vide juridique( l’absence de l’Assemblée nationale ,organe institutionnel chargé de faire les lois de la République). Peut-on imaginer un seul instant que le pouvoir judiciaire soit suspendu par l’exécutif ? Que l’ensemble du système judiciaire soit interdit d’exister ou empêché de fonctionner pour rendre la justice ?
Enfin, il s’agit pour le constituant d’éviter un vide parlementaire ou juridique qui porterait immanquablement atteinte au principe de l’existence, de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, tel que prévu et organisé par la Constitution du 1er Août 2000 dans son Préambule et aux Titres II, III , IV, V, VI, VII, VIII, IX, XIV. La continuité parlementaire et par conséquent la continuité de l’actuelle législature se déclinent aussi du principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, un principe inscrit dans le préambule de la Constitution et donc de valeur constitutionnelle. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’est prononcé le Conseil Constitutionnel formellement saisi à propos de la prolongation du mandat de la 9ème législature.

L’avis n° 2005-013/CC/SG du 15 décembre 2005 autorise la prolongation du mandat de l’actuelle législature

A suffisance, la mauvaise foi politique et juridique a caractérisé le (faux) débat lancé fin 2005 par le RHDP, exigeant la fin obligatoire en octobre 2005 du mandat du Président Laurent GBAGBO, malgré la crise militaro-politique qui a fait obstacle à l’organisation à cette époque de l’élection présidentielle. En vue de clore ce débat qui touchait également les Députés, le Président de la République a tenu à s’assurer, en sa qualité de garant du respect de la Constitution, de la conformité de la poursuite de la 9ème législature à celle-ci. C’est dans ce contexte et dans ce cadre qu’il a saisi le Conseil Constitutionnel d’une demande d’Avis à l’effet de savoir « si le défaut d’élection dû à la situation de crise que connaît la Côte d’Ivoire, entrainait la dissolution et la fin des pouvoirs de l’Assemblée Nationale ? ».
Dans son Avis précité du 15 décembre 2005, le Conseil Constitutionnel a apporté une réponse claire et négative qu’il importe de rappeler.
Le Conseil constate d’abord, « que l’atteinte portée à l’intégrité du territoire depuis le 19 septembre 2002 n’a pas permis la tenue d’élection dans les délais constitutionnels ». Puis il poursuit aussitôt par un considérant mémorable : « …considérant cependant, qu’à défaut d’élections dans les délais constitutionnels, les pouvoirs de l’Assemblée Nationale ne peuvent prendre fin sans porter atteinte à des principes et des règles de valeur constitutionnelle à savoir :
- la séparation et l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif, la cessation des fonctions de l’Assemblée Nationale pouvant rompre l’équilibre ;
- la continuité de la vie de la Nation, qui implique le maintien du Parlement.
- La mise en œuvre de l’article 48 de la constitution au terme duquel l’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ce aux fins de contrôle des mesures exceptionnelles pouvant être prises par le Président de la République.
De ce qui précède, le Conseil Constitutionnel tire la conclusion que « l’Assemblée Nationale demeure en fonction et conserve ses pouvoirs ».
Faut-t-il rappeler qu’aux termes de l’article 88 de la Constitution, c’est au Conseil constitutionnel et à lui seul que revient la compétence de régulation du fonctionnement des pouvoirs publics. Si l’article 34 de la Constitution donne au Président de la République mission de « veiller au respect de la Constitution », en revanche en ce qui touche le fonctionnement des Institutions de la République, ses attributions au titre de l’article 48 de la Constitution qui du reste sont exceptionnelles, ne concernent nullement leur régulation mais plutôt la prise de mesures exceptionnelles en vue d’assurer leur fonctionnement régulier dans l’hypothèse ou celui-ci serait « gravement menacé ou interrompu » . Par ailleurs il aurait été paradoxal, vue la nature présidentielle du régime ivoirien, qui postule une stricte séparation des pouvoirs politiques, exécutif et législatif, de confier à l’un, la compétence de réguler le fonctionnement de l’autre, sans affecter ce principe et sans détruire l’équilibre constitutionnel et politique institué à dessein. Sous cet angle, les mesures prises par Alassane Ouattara et qui ont pour effet ou pour conséquence d’empecher le fonctionnement de l’Assemblée nationale sont manifestement anticonstitutionnelles.
Mais elle l’est encore plus, d’autant qu’elle méconnait l’Avis du 15 décembre 2005, rendu par l’Autorité habilitée à réguler le fonctionnement des pouvoirs publics. Or, l’Avis du 15 décembre 2005 disposant que « l’Assemblée Nationale n’est pas dissoute, elle demeure en fonction », s’impose sans discussion à Alassane Ouattara. Il s’impose parce que aucune autre Autorité n’est habilitée à donner un autre Avis sur la question.
Ainsi Alassane Ouattara n’a pas compétence pour mettre fin au fonctionnement de l’Assemblée nationale ni pour la suspendre ; mieux il est même tenu, au regard, tant de l’article 98 que de l’article 48 de la Constitution, d’assurer par tous les moyens, y compris par des mesures de caractère exceptionnel, le fonctionnement régulier de l’institution parlementaire. Il ne saurait dans ces conditions constituer un obstacle au fonctionnement de l’institution parlementaire sans se rendre coupable de violation manifeste et délibérée de la Constitution.

II - SUSPENSION OU EMPECHEMENT DE l’ASSEMBLEE NATIONALE DE FONCTIONNER ?

Alassane Ouattara en vérité n’a pris aucun acte formel de dissolution, ni de suspension de l’Assemblée nationale, cependant le résultat à l’arrivée est le même : celle-ci ne fonctionne pas depuis le 11 avril 2011, aucune réunion officielle ni même officieuse, n’a été tenue! La première session ordinaire 2011 qui devrait s’ouvrir le dernier mercredi du mois d’avril n’a jamais eu lieu.
Dans les faits il y a blocage, il y a empêchement de l’Assemblée nationale de fonctionner du fait de certains actes posés par Alassane Ouattara :
- Il y a d’abord les déclarations affirmant la fin du mandat des Députés de la 9ème législature. Lancées officiellement dans le contexte socio-politico-militaire actuel, caractérisé par une insécurité généralisée, de tels messages sont de nature à tempérer fortement les ardeurs des représentants du Peuple.
- La non allocation d’un budget de fonctionnement à l’Assemblée nationale. Sans moyens financiers comment l’institution pourrait-elle faire face aux dépenses courantes que sont le salaire du personnel, les indemnités parlementaires, le fonctionnement de l’administration… ?
- Le refus du versement de leurs arriérés d’indemnités aux députés de la 9ème législature, malgré l’insistance de ceux-ci auprès de AO . Le silence par lui adopté sur cette question ne peut être interprété autrement que dans ce sens ;
- L’arrestation et la détention de nombreux Députés en dépit de leurs immunités qui traduit de la part d’Alassane Ouattara un mépris manifeste de l’institution parlementaire, de son « essence souveraine », de ses principes et règles fondamentaux. Cette violation flagrante de la Constitution a pour conséquence directe d’empêcher des députés de siéger et pour conséquence indirecte, de dissuader les députés non arrêtés mais craignant pour leur liberté, tant de parole que d’aller et de venir, de participer aux sessions parlementaires, dans la mesure ou « la couverture immunitaire statutaire » que leur garantissait les articles 67 et 68 de la Constitution a été rendue inopérante par Alassane Ouattara.
Et pourtant la Constitution fait obligation à Alassane Ouattara, sauf si elle est suspendue en droit ou en fait, de ne pas bloquer mais d’assurer le fonctionnement régulier des institutions y compris l’Assemblée Nationale qui vote le budget de l’Etat (article 48 précité).
En effet, notre régime constitutionnel est de type présidentiel et se présente donc comme un régime de séparation rigide et équilibré des pouvoirs. Dans un tel régime le Président de la République ne peut ni dissoudre ni suspendre l’Assemblée nationale et à fortiori bloquer son fonctionnement. A l'inverse, la responsabilité politique du Président de la République et de son Gouvernement ne peut être engagée devant l’Assemblée Nationale.
A la vérité, affirmer que l’Assemblée Nationale est suspendue relève à notre sens d’une grave méconnaissance du rôle et des missions de cette institution dans le fonctionnement de l’Etat. En effet, la Constitution confie à l’Assemblée Nationale des missions propres qu’elle exécute seule, et des missions qu’elle exécute en liaison obligatoire avec le Président de la République, mais toutes ces missions s’inscrivent dans le principe de la continuité de l’Etat.
MISSIONS PROPRES DEVOLUES A L’ASSEMBLEE NATIONALE
Au titre des fonctions propres, Les fonctions législatives et le vote du budget sont certainement les mieux connues. Ce sont des attributions propres et permanentes que nul ne peut confisquer ni exercer en ses lieux et place, pas même le Président de la République, du fait du principe de la séparation des pouvoirs. L’adoption du budget par voie d’ordonnance suite à une habilitation formelle de l’Assemblée Nationale est une exception qui ne saurait être érigée en une règle de gouvernement sauf bien sur s’il s’agit d’un régime d’exception.
Outre ces deux fonctions, d’autres sont prévues dont l’importance n’est pas des moindres.
Aux termes de l’article 32 de la Constitution, les députés sont des représentants du Peuple souverain, élus comme tels, avec pour mission d’exprimer sa volonté dans le temps de leur mandat. Seul le Peuple qui l’a mandaté peut mettre fin au mandat du Député, à l’exclusion du Président de la République qui n’est rien d’autre qu’un autre élu mandaté aussi par le même Peuple. En déclarant la fin de l’Assemblée Nationale, Alassane Ouattara se rend-t-il compte qu’il s’arroge le droit de mettre fin au mandat des Députés qu’il na pas désignés, en lieu et place de leur mandant qui est le Peuple de Côte d’Ivoire ? Pense-t-il être égal ou supérieur au Peuple de Côte d’Ivoire au point d’ignorer la souveraineté et la volonté de celui-ci ?
L’Assemblée nationale est par ailleurs chargée d’une mission de contrôle de l’action gouvernementale, même si la responsabilité politique de l’exécutif ne peut être mise en cause. C’est le sens des moyens d’information prévus par l’article 82 de la Constitution que sont les questions orales et écrites et les commissions d’enquête parlementaires. Qui assurera un tel contrôle sur le Gouvernement en l’absence de l’Assemblée nationale ?
L’Assemblée Nationale est également chargée de surveiller le Président de la République agissant es qualité dans le cadre de l’article 48 de la Constitution qui confère à celui-ci des pouvoirs exceptionnels. De même, l’Assemblée Nationale joue un rôle déterminant en cas de crime de haute trahison du Président de la République, la responsabilité pénale de ce dernier pouvant être engagée. Aucune autre Institution en dehors de l’Assemblée Nationale ne peut assumer de telles fonctions.
L’Assemblée Nationale est chargée de la protection des Députés, en s’assurant du respect des immunités parlementaires tant pendant les sessions qu’en dehors des sessions. Comment une telle obligation pourra-t-elle etre assurée en son absence ?
Le Président de l’Assemblée Nationale assure l’intérim de la Présidence de la République en cas de vacance du pouvoir (article 40 de la Constitution). En l’absence du Parlement comment réglerait-on la question du vide juridique qu’entrainerait une éventuelle vacance du pouvoir ?
L’Assemblée Nationale est enfin chargée, tout comme le Président de la République, de protéger la Constitution par le déferrement au Conseil constitutionnel, des engagements internationaux visés à l’article 84 avant leur ratification, ainsi que des lois avant leur promulgation. Comment désormais assurer efficacement cette fonction protectrice de la loi fondamentale en l’absence de l’Assemblée nationale ?
ATTRIBUTIONS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE IMPLIQUANT OBLIGATOIREMENT L’ASSEMBLEE NATIONALE.
Il en va ainsi en matière de référendum ou le Président de la République est tenu de consulter le Bureau de l’Assemblée nationale (article 43 alinéa 1). Toute déclaration de guerre, doit être autorisée par l’Assemblée nationale (article 73) de même que la prorogation de l’état de siège au-delà de 15 jours requiert également son autorisation (article 74 alinéa 2). Il y a enfin la procédure budgétaire telle qu’organisée par l’article 80 de la Constitution. Si l’éventualité d’un référendum, d’une déclaration de guerre ou d’un état de siège n’est qu’hypothétique, en revanche s’agissant du budget nous sommes dans l’actualité récente. Le budget actuel a été adopté par voie d’ordonnance sans aucune habilitation parlementaire préalable ainsi que l’exige l’article 75 alinéas 1,2 et 3. Nous sommes ici dans un cas de violation flagrante de la Constitution.

Ce qui précède montre bien la complexité de la fonction parlementaire qui ne saurait être réduite à la seule fonction de voter la loi. Suspendre l’Assemblée Nationale reviendrait par conséquent à paralyser le Gouvernement et l’Etat dans la gestion du pays, sauf bien sûr si le Président décide de gouverner par voie d’ordonnances. Mais, alors nous serions dans l’hypothèse d’un coup d’Etat qui ne dirait pas son nom.
A l’évidence, le régime instauré par Alassane Ouattara est un régime d’exception dans lequel les violations quotidiennes délibérées de la Constitution loin d’être le fruit de l’ignorance participent d’une politique délibérée pour atteindre des objectifs politiques majeurs. S’agissant du cas particulier de l’Assemblée nationale, les motivations et les objectifs n’échappent à personne.

POURQUOI Alassane Ouattara A-T-IL BLOQUE LE FONCTIONNEMENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE ?

Les blocages contre le fonctionnement de l’Assemblée ne sont pas fortuits mais bien pensés et pour cause. En empêchant le parlement de fonctionner, Alassane Ouattara escompte les gains suivants :
-Tout d’abord Alassane Ouattara manœuvre dans le but d’être la seule institution politique active dans le jeu politique. Gouvernant alors par ordonnances du fait de l’absence du Parlement du champ politique, il peut agir en « dictateur constitutionnel » tant dans le domaine du règlement que dans celui de la loi. Actuellement, le train de mesures prises par voie d’ordonnances, c’est-à-dire dans le domaine de la loi qui relève normalement de l’Assemblée Nationale, en sont la preuve : l’ordonnance portant découpage des circonscriptions électorales ; l’ordonnance sur les collectivités territoriales…
- En l’absence du Parlement, il est débarrassé du contrepoids politique qu’il constitue et se trouve dégagé de tout contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale tel qu’institué par l’article 82 précité. Ainsi son Gouvernement n’aura-t-il pas à se justifier pour les hauts faits d’armes des FRCI qui émaillent hélas le triste quotidien des ivoiriens. Tout comme il n’aura pas à s’expliquer sur son engagement précipité dans des accords de défense avec la France.
- En l’absence du parlement il peut continuer de garder en détention le Président Laurent Gbagbo, les membres de son Gouvernement ainsi que des députés, notamment Simone Gbagbo, Présidente du Groupe parlementaire FPI, malgré les immunités fonctionnelles qui les couvrent, sans être interpelé par l’Assemblée nationale ou son Bureau, sur cette grave et manifeste violation de la Constitution.

III - SAUVER L’ASSEMBLEE NATIONALE, DE LA FIN PREMATUREE PROGRAMMEE PAR Alassane Ouattara : UN DEFI MAJEUR A RELEVER POUR LA SURVIE DE LA REPUBLIQUE, DE LA DEMOCRATIE ET DE LA LEGALITE CONSTITUTIONNELLE

Au regard de la Constitution, Alassane Ouattara ne peut pas suspendre l’Assemblée Nationale, cela ne souffre d’aucune discussion. Il n’a pas compétence pour le faire et l’on serait bien curieux d’être instruit de la disposition constitutionnelle qui lui confère un tel pouvoir exorbitant mais surtout de l’acte pris pour décider d’une telle suspension.
L’argument tiré des élections législatives projetées pour « décembre 2011 », pour justifier la suspension de la 9ème Législature ne peut nullement prospérer, il est même dangereux pour notre système politique qui s’en trouverait profondément modifié et affecté dans sa nature de régime présidentiel. Cela reviendrait à établir une prééminence du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif dans la mesure où le premier peut mettre fin à l’existence du second sans possibilité pour le second d’abréger le mandat du premier. Cela est contraire à la lettre et à l’esprit de notre Constitution qui institue une séparation équilibrée des deux pouvoirs. Ensuite accepter un tel argument c’est accepter l’instabilité parlementaire subséquente à de tels aménagements dictés par des considérations essentiellement circonstancielles. Enfin, on ne voit pas pourquoi la simple annonce d’une élection dont la date est susceptible de modification, devrait mettre fin au mandat de l’Assemblée Nationale, nonobstant les dispositions pertinentes de la Constitution et l’Avis du Conseil Constitutionnel du 15 décembre 2005. En Côte d’Ivoire, les élections présidentielles prévues pour 2005 ont finalement eu lieu en 2010 et le contexte reste le même, il n’a pas fondamentalement changé, bien au contraire.
Bien entendu les déclarations multiples d’Alassane Ouattara et de ses collaborateurs pour marteler que le mandat parlementaire a pris fin depuis 2005, de même que diverses mesures prises pour empêcher le fonctionnement de l’Assemblée nationale telles que la confiscation du budget du Parlement et le non- paiement des députés et des fonctionnaires de l’institution, ne sont pas en soi des actes formels de suspension. Ils sont tout simplement des obstacles destinés à décourager la reprise des activités parlementaires ou à donner prétexte à ceux qui ne souhaitent pas voir le Parlement revivre, d’en sonner le glas.
Mais ces déclarations et ces obstacles n’empêchent pas la convocation de la deuxième session ordinaire du Parlement dans les formes prévues par la Constitution en son article 62 alinéa 3. Il n’est pas inutile à ce stade de reprendre une disposition de la Constitution de la IIème République française (Constitution du 4 novembre 1848, article 68) dont la pertinence pour notre propos est notable : « …Toute mesure par laquelle le Président de la République dissout l’Assemblée Nationale, la proroge ou met obstacle à l’exercice de son mandat est un crime de haute trahison. ».
Oui, si AO s’oppose au fonctionnement de l’Assemblée nationale et s’il pose des actes matériels pour concrétiser un tel projet au lieu d’agir pour en faciliter le fonctionnement, devoir républicain auquel l’invitent les articles 34 et 48 de la Constitution, alors il aura trahi le serment qu’il a prêté conformément à l’article 39 : « …je jure solennellement et sur l’honneur de respecter et de défendre fidèlement la Constitution…. Que le Peuple me retire sa confiance et que je subisse la rigueur des lois, si je trahis mon serment ».
C’est le lieu de rappeler au professeur Mamadou Koulibaly , que ce n’est pas à Alassane Ouattara qu’il revient légalement de convoquer l’Assemblée nationale en sessions ordinaires ou de donner son accord , mais plutôt au Président de l’Assemblée Nationale qu’il continue de demeurer en vertu de l’article 59 alinéa 3 et de l’Avis du Conseil Constitutionnel du 15 décembre 2005 , car les sessions sont de plein droit (article 52), elles ont un caractère statutaire et ne requièrent en aucun cas l’autorisation de Alassane Ouattara.
Le Président de l’Assemblée Nationale, le Bureau, Les responsables des Groupes parlementaires et l’ensemble des députés doivent agir dans l’urgence afin que se tienne la deuxième session ordinaire qui normalement doit s’ouvrir le 5 octobre 2011.
La convocation de cette session qui rentre dans l’ordre normal des choses, aurait pour effet positif de repositionner l’Assemblée nationale dans la vie de l’Etat en cette étape cruciale de l’histoire de notre pays, de lui permettre de jouer le rôle qui est normalement le sien dans un Etat de démocratie soucieux des droits et libertés des citoyens et du respect des lois. Elle permettra aussi et surtout d’éviter à la Côte d’Ivoire le dangereux précédent de voir dans notre régime politique de type présidentiel, régime de séparation stricte et équilibré des pouvoirs, l’Assemblée Nationale suspendue par les simples déclarations du Chef de l’exécutif.

KOUDJA KOUASSI JEAN-NOEL,
Docteur en Droit, Politologue