Jean-Baptiste Akrou, Ex-Dg de Frat Mat sous Gbagbo parle : « Hier, dans l’opposition, certains dénonçaient la caporalisation des médias d’État. Peut-on affirmer aujourd’hui que la RTI et Fraternité Matin sont plus ouverts et plus équilibrés ? "

Par Fraternité matin - Jean-Baptiste Akrou, Ex-Dg de Frat Mat sous Gbagbo dénonce la caporalisation des médias d'Etat sous Ouattara, pire que sous Gbagbo.

PHOTO: Le Président Laurent Gbagbo et Jean Baptiste Akrou.

Il a fini par rompre le silence après un harcèlement qui a duré de longs mois. Jean-Baptiste Akrou, ancien directeur général de Fraternité Matin, sous Laurent Gbagbo, a décidé de s’ouvrir à nous et de nous conter un épisode crucial de sa longue carrière de journaliste. Deux ans après son départ de Frat Mat, l’homme n’a rien perdu de son francparler ; Jean-Baptiste Akrou parle, sans détour.
Ancien Dg de Frat mat, vous étiez un des personnages les plus en vue. Après la chute du régime Gbagbo, que devient Jean Baptiste Akrou ?

Je suis aujourd’hui un journaliste à la retraite. Lorsque j’ai été révoqué de mes fonctions de directeur général, j’ai été reversé dans le corps des journalistes. Et comme à l’époque, les journalistes allaient à la retraire à 55 ans, depuis décembre 2011, je suis à la retraite. Je passe cette retraite en me reposant. Je suis entré à Fraternité Matin en mars 1980. J’ai passé plus de 31 ans à travailler sans relâche. Aujourd’hui, je me repose beaucoup et j’essaie de me rendre utile. C’est ainsi qu’avec un certain nombre de personnes de bonne volonté, nous avons créé une ONG de réconciliation dénommée “Tominou ” qui veut dire en baoulé : viens dans mes bras, embrasse-moi. Nous essayons à notre humble niveau d’œuvrer pour la réconciliation.

Pourquoi avez-vous choisi la réconciliation ?

Comme le dirait le psalmiste, la moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. La réconciliation a besoin d’ouvriers car la tâche est immense. C’est pourquoi, nous avons créé l’Ong Tominou. Tominou signifie en baoulé : serres moi dans tes bras. C’est un appel à la réconciliation, à la tolérance, à la paix conformément à l’objet de l’Ong qui se résume ainsi :
Œuvrer à la réconciliation de manière générale ;
Favoriser la cohésion sociale ;
Créer un climat de fraternité, d’entraide et de solidarité,
Apporter réconfort aux personnes déplacées internes et affectées par les conflits…
Yamoussoukro aussi a été affectée par la crise post-électorale. Même si elle n’a pas atteint la cruauté constatée à l’Ouest ou à Abidjan, la crise a mis à mal la cohésion sociale. Des frères, des sœurs, des amis ont été divisés. Tominou entend restaurer la fraternité. Je suis d’ailleurs heureux de constater que la réconciliation nationale est devenue une préoccupation partagée par tous. Tout au long de sa visite d’Etat dans le district des savanes, le président Alassane Ouattara a insisté sur l’impérieuse nécessité pour tous les Ivoiriens de s’impliquer sincère ment dans le processus de réconciliation. C’est un impératif catégorique pour nous tous, qu’on soit pro Gbagbo, pro Bédié, pro Ouattara, pro Wodié, pro Mabri…
A Yamoussoukro, je me suis senti interpellé car j’ai la chance d’aller d’un bord politique à un autre facilement parce que je n’étais d’aucun.

Vous n’étiez d’aucun bord politique ? Mais l’on vous sentait très proche de Laurent Gbagbo ?

C’est une très belle question. En Côte d’Ivoire, on aime faire les amalgames. Rappelez-vous bien les années 90, au tout début du multipartisme. Je faisais partie des journalistes qui ont le plus critiqué Laurent Gbagbo et le FPI en Côte d’Ivoire. Rappelez-vous encore le dossier « Les affaires sales du FPI » et mes prises de position dans ma rubrique « Simple Avis ». Je pense que si monsieur Laurent GBAGBO était rancunier comme certains hommes politiques, il m’aurait enterré quant il est arrivé au pouvoir.
Rappelez vous enfin que j’ai été président des journalistes PDCI, réunis au sein de l’APDI. Certaines personnes ne le savent peut être pas : après le coup d’état de 1999, j’ai été arrêté et conduit à la poudrière d’Akouedo. A Fraternité Matin, nous étions trois personnes arrêtées : Gaoussou Kamissoko, le PCA Konan Jacques et moi-même. J’ai trouvé sur place des grands dignitaires du PDCI comme Bombet, Essy Amara, Laurent Dona Fologo…
Après des démarches entreprises par nos amis de la presse, nous avons été relâchés. Il n’empêche que j’ai été arrêté parce que considéré comme un grand militant du PDCI. Par ailleurs, j’ai été conseiller municipal PDCI à Yamoussoukro. Lors d’un congrès de l’UNJCI à Grand Bassam, j’ai été disqualifié à entrer au conseil d’administration. J’ai été recalé parce qu’on m’a dit que j’étais partisan. Dès lors, j’ai commencé à prendre du recul. Quand Honorat De Yedagne a été normé DG de Frat Mat, il a instamment demandé aux journalistes de ne pas afficher leur appartenance à un quelconque parti. C’est comme si un journaliste sportif avait une carte d’un club. Tout ce qu’il va écrire ou dire sera frappé de suspicion. Nous nous sommes alors mis en réserve de la politique.

Nous allons revenir sur ces questions d’ordre politique. Mais je voudrais d’abord qu’on parle de votre fin de carrière à Fraternité Matin. Lorsque la crise est survenue, on s’attendait à vous voir à la tête d’un média, même privé. Pourquoi cette rupture totale avec les médias ?

Il n’y a pas de rupture totale avec le monde médiatique. Aux états généraux de la presse à Yamoussoukro, j’y étais parce que j’avais été invité par le ministère de la Communication. J’étais également à la dernière fête de la liberté de presse. Je suis toujours proche du milieu de la presse. Il me fallait faire une pause après cette grave crise dont Dieu m’a sauvé. Je ne suis pas mort, je ne suis pas en exil, je ne suis pas en prison. Je pense que c’est une grâce de Dieu.

Est-ce à dire que la rupture est consommée ?

Non, ce n’est pas qu’elle soit consommée mais…

Pourquoi n’envisagez-vous pas un come-back à la tête d’un journal privé?

Les sollicitations n’ont pas manqué mais j’ai préféré m’offrir un repos sabbatique. Je venais de passer 31 ans de vie professionnelle pleine. Les dix dernières années ont été particulièrement éprouvantes avec la longue crise et ses rebondissements. Lomé, Marcoussis, Kléber, Accra, Pretoria, Addis Abeba, Ouaga, Yamoussoukro… Les pourparlers de paix, la recherche des gouvernements d’union, les clashes, les tensions, l’organisation des élections, la proclamation calamiteuse des résultats, la crise post électorale : toute cette succession d’évènements m’a lessivé. Comme je n’avais pas eu le temps de prendre de réelles vacances, j’ai décidé de souffler.
Après, que pouvais je espérer de mieux ? Retourner au journalisme partisan ? Pourquoi ? S’il s’agissait de me faire un nom, je crois que ma réputation est déjà établie. On peut m’aimer ou me détester mais je ne laisse personne indifférent car je ne sais pas louvoyer je suis direct, un tantinet provocateur. Mes rubriques Mots et Maux mais surtout Simple Avis que j’envisage d’éditer en sont des exemples.

Lorsque la crise post électorale a pris fin, vous avez disparu. Et vous êtes réapparu au Golf. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cet épisode. Est-ce que c’était pour revenir prendre la tête de Fraternité Matin ?

Non ! Avant l’éclatement de la guerre post électorale, des amis du RHDP m’avaient prévenu de la gravité de la situation : «malgré le bon travail effectué à la tête de Fraternité Matin, il serait sage de te mettre en sécurité». C’est ce que j’ai fait, parce qu’à cette époque, les gens ne faisaient plus preuve de discernement. Je suis revenu lorsque le président Gbagbo a été arrêté et que le ministre Gnamien Konan a lancé un appel à la reprise du travail. Je ne venais pas pour diriger Frat Mat. Avant les élections, j’avais déjà envisagé les deux cas de figure : partir ou rester en fonction des résultats. Au Golf, certains journalistes piaffaient d’impatience pour prendre ma place.
Je vous fais une indiscrétion : quand on faisait le budget 2011, vous pouvez le demander à mes collaborateurs de l’époque, j’ai fait prévoir mes droits de départ à la retraite. Donc, je m’y attendais ! Dans la vie, il faut savoir rendre gloire à Dieu. Je n’ai jamais pensé être DG de Frat mat. Jamais.

A votre arrivée au Golf, que s’est il passé, avec qui vous êtes vous entretenu ?

(Rire) Ça me fait rire parce que j’ai découvert ce jour là que certains confrères travaillent avec une certaine légèreté. Mon retour a coïncidé avec l’arrivée de l’ancien président du Conseil constitutionnel, Yao N’dré. Il y avait beaucoup de journalistes au Golf. Ils m’ont vu arriver, puis disparaitre. Je suis ressorti environ deux heures après. Personne ne m’a posé de question. A mon grand étonnement, j’ai découvert des titres ronflants le lendemain : “Akrou arreté”, “Akrou en prison”. J’ai souri. Personne n’a cherché à savoir avec qui j’étais. Le lendemain, on m’annonce avec ma femme et notre dernier fils : c’était plutôt notre petit fils. J’en ai beaucoup rigolé.

Parlant de réconciliation, lorsque vous étiez à la tête de Frat Mat, on vous a accusé d’avoir mené un combat pour la division des Ivoiriens. D’avoir fait de Frat Mat un instrument au service d’un camp contre l’autre camp.

Je suis à l’aise pour répondre à cette question. Les journalistes doivent savoir qu’ils sont les historiens du présent. Il ne faut pas qu’ils suivent le raisonnement de ceux qui ont une mémoire sélective. Je suis rentré à Frat Mat comme je l’ai dit en 1981. J’ai traversé beaucoup de périodes. J’ai été militant, partisan. Mais depuis 2002, Frat Mat s’est engagé dans une ligne éditoriale ouverte à toutes les sensibilités. Quand j’ai été nommé DG, le président Gbagbo qui m’a reçu, m’a donné deux instructions. Il m’a dit ceci : « Frat Mat doit être le journal de tous les Ivoiriens ; ils doivent pouvoir tous s’exprimer dans ce journal ; il faudra ensuite faire en sorte que plus jamais, un Ivoirien se serve de Frat Mat pour insulter d’autres Ivoiriens. »

Cela nous rappelle la période triste vécue par Frat Mat résolument au service de certaines causes qui ont beaucoup divisé la Côte d’Ivoire.

Je ne veux pas en dire plus. J’ai essayé autant que possible de mettre Frat Mat au service de toutes les sensibilités. Si vous allez consulter les archives, vous verrez qu’au niveau des « Invités des rédactions », tous les leaders politiques ont défilé à Frat Mat. Tous, sauf un : le président Bédié qui a refusé notre invitation. Sinon nous avons reçu tous les leaders politiques. Ainsi que des présidents de jeunesse des partis, des ambassadeurs… Nous avons tout fait pour que Frat Mat soit le journal de toutes les sensibilités. Je pourrais donc dire, sauf à vouloir nous faire un faux procès, que Frat Mat s’est efforcé d’être le journal d’Etat, de tout le monde. Je me rappelle qu’à une rencontre au Golf entre les hommes politiques et les medias d’Etat, Frat Mat a été félicité publiquement pour la bonne couverture des activités des partis politiques. Les uns et les autres se focalisent sur les périodes électorales. Or en période électorale, nous sommes tenus par la loi de faire un traitement équitable pour tous.
Hier, dans l’opposition, certains dénonçaient la caporalisation des medias d’Etat.
Peut on affirmer aujourd’hui que la RTI et Fraternité Matin sont plus ouverts et plus équilibrés ? Pour ce qui est de Frat Mat, je peux assumer fièrement mon bilan. Le président du RDR, Alassane Ouattara, le Premier Ministre Soro Guillaume, Secrétaire Général des Forces Nouvelles, Mabri, Gnamien, Wodié… Tous les leaders sont passés par Frat Mat. Les preuves existent dans nos archives.
Pour soutenir l’accord politique de Ouaga, Frat mat a fait un Hors Serie mis gracieusement à la disposition de la Présidence de la République, de la Primature et du ministère de la Communication pour une large distribution. Vous pouvez retrouver dans ce document des photos inédites, comme celle montrant Madame Gbagbo danser avec Sidiki Konaté. Nous avons voulu véhiculer l’image d’un pays qui veut se réconcilier.
Je pourrais vous donner l’exemple de cet événementiel inédit qui a été organisé et financé par Frat Mat : « Dames de cœur, mères de paix ». Cette fête des mères qui a rassemblé autour de madame Félix Houphouët Boigny, madame Gbagbo, madame Ouattara, madame Bédié. Et chacune a lancé un message en faveur de la paix. Mieux, nous avons fait venir de Bouaké, dix femmes des femmes des Forces Nouvelles. Nous avons invité dix femmes Patriotes. Elles se sont retrouvées. Nous avons fait ce qu’on pouvait pour la paix. Nous avons fait ce qu’on pouvait pour donner la parole à tout le monde.

Alors, ce qui vous est reproché, ce n’est pas ce que vous avez fait avant les élections. C’est après les élections, au cours de la crise post électorale. Enfin, l’orientation prise par votre rédaction, sous votre autorité, c’est ce qui est en cause ?

Quand la crise est survenue, on a vécu des moments difficiles. Personne n’avait imaginé cela. Nous étions tous désorienté. Et pour parler comme un ami que je ne citerai pas, beaucoup de gens ordinaires se sont retrouvés dans des situations extraordinaires. Au niveau de Fraternité Matin, on a tenu une réunion. Et on a dit : qu’est ce qu’on fait ? On a dit que Fraternité Matin est le journal de tous les Ivoiriens, comme le président lui-même l’avait demandé. Et surtout que, quand demain, les gens voudront comprendre l’histoire de ce pays, ils vont naturellement se tourner vers Fraternité Matin.
Donc il fallait que nous témoignions de ce qui se passe. Là aussi, vous pouvez aller voir les archives de Fraternité Matin. Dans Frat Mat du mardi 07 décembre 2010, vous pouvez lire cet article qu’on a intitulé la lettre de l’Editeur. Et dans cette lettre de l’éditeur, nous expliquions que nous étions dans un cas exceptionnel. Et que nous étions dans l’obligation de parler de ce qui se passait au Golf et ce qui se passait au Palais. Pour que demain, les gens puissent retrouver la vérité historique. Ce jour là, si vous regardez le journal, vous avez un premier article consacré à ce qui se passait au Palais. On a écrit l’équipe d’Aké N’gbo connue aujourd’hui et si vous tournez la page qui était réservée aux activités du Golf, là, Soro a tenu son premier conseil de Gouvernement. Alassane Ouattara a prêté serment par écrit, samedi. Et un autre dans un article, il est écrit, les populations de Bouaké apportent leur soutien à Alassane Ouattara. Après cet article, c’est la première fois, depuis que j’ai été nommé DG, en 2006, que j’ai été au Palais.

Vous avez été convoqué au Palais, après la sortie de ce numéro, vous dites ?

Oui ! Et là, j’ai eu des instructions fermes pour me dire, Akrou, jusque là, on t’a laissé faire un journal d’équilibre, un journal ouvert à toutes les sensibilités. Mais là, nous sommes en période de guerre. Nous avons, d’un côté, la République et de l’autre côté, une rébellion. Vous ne pouvez pas nous mettre sur le même pied d’égalité. C’est ainsi que des instructions fermes nous ont été données, pour ne plus nous laisser parler de ce qui se passait au Golf. Je ne voulais pas en dire davantage. Voilà comment la ligne éditoriale, à partir de ce moment, n’a plus été la ligne ouverte à toutes les sensibilités que nous avions pratiquée jusque là.

Alors, est ce que vous étiez obligé de mener ce combat. Pourquoi vous n’avez pas démissionné ?

Quel combat ?

Les instructions qu’on venait de vous donner. Si elles n’entraient pas dans vos convictions, pourquoi vous n’avez pas pris la décision de démissionner ?

Les choses n’étaient pas aussi simples. Pourquoi est ce que je n’ai pas démissionné…je pense qu’avec le recul du temps, on peut dire pourquoi tu n’as pas fait ceci, pourquoi tu n’as pas fait cela. On était dans une période assez délicate. Est ce que démissionner avec fracas ne m’aurait attiré d’autres ennuis. Je ne sais pas. Toujours est il que… je me suis mis un…en réserve. Je me suis un peu mis en réserve et je suis sorti du pays très tôt. Je ne voudrais pas rentrer dans les détails. C’est des périodes difficiles à gérer, parce ce que vous avez une famille…

Alors, aujourd’hui, la réconciliation telle que vous la voyez, est ce qu’il y a quelque chose là dedans ? Comment évaluez vous ce processus après deux ans ?

Le processus a avancé en dents de scie, tout le monde le dit. Moi, j’ai participé, il y a un an, à une rencontre entre le président Banny et la presse. C’était au Golf. Au cours de cette rencontre que j’ai suivie attentivement, et lorsqu’on était vers la fin des échanges, j’ai pris la parole. Je dis au président Banny ceci, en reprenant un terme que vous aimez bien. C’est la concomitance. Je lui ai dit, monsieur le président, la réconciliation ne sera pas possible s’il n’y pas de concomitance entre vos actions et la volonté du Gouvernement d’aller à la réconciliation. Qu’est ce à dire ?
Je suis heureux de constater qu’au RDR, des personnes disent que les Pro Gbagbo et les Pro Ouattara doivent se tendre la main. C’est ensemble que nous allons reconstruire la Côte d’Ivoire. C’est ensemble que les Ivoiriens vont développer leur pays. Voyez vous, je disais tout à l’heure qu’on a vécu une situation exceptionnelle où des gens ordinaires se sont retrouvés dans des situations extraordinaires. Dans une situation comme celle là, il y a des donneurs d’ordre et il y a des exécuteurs d’ordre. Si on prend les chiffres qui ont été donnés par la CEI, monsieur Ouattara a obtenu 54% et monsieur Gbagbo, 46 %. Le président Ouattara, lorsqu’il a été élu, a dit : « je suis le président de tous les Ivoiriens. Je sais qu’à l’investiture à Yamoussoukro, le slogan était : la Côte d’Ivoire rassemblée.
Le slogan de la RTI, c’est la chaine qui rassemble. Donc la Côte d’Ivoire a besoin de se rassembler, aujourd’hui. Qu’on incrimine 20, 30 donneurs d’ordre, je suis d’accord. Mais on ne peut pas mettre en quarantaine et clouer au pilori, 46 % de la population ! Parce qu’elle se réclame du FPI ou a voté Laurent Gbabo. Vous savez si on regarde bien, que ce soit au RDR ou dans les autres partis, c’est au maximum 1000 personnes qui sont intéressées à la vie quotidienne du parti qui sont ce que j’appellerais les fonctionnaires du parti et des militants et sympathisants de tous les jours. Les purs et durs s’intéressent au parti soit pour leurs promotions personnelles. Les autres votent simplement, mais dans la vie de tous les jours, ils se con centrent sur leurs activités.

Pensez- vous que 46% de population sont brimées sous Ouattara ?

Non ! Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je veux dire simplement qu’aujourd’hui, la Côte d’Ivoire a besoin de tous ses fils. Ce n’est pas parce que quelqu’un a été responsable sous Gbagbo qu’il faut forcément le dégommer. Quand on l’a dégommé, est ce à dire que ce monsieur n’a plus de compétence ? Que les responsables de premiers plans soient dégommés, je comprends. Il ya même des postes sensibles, des postes de loyauté pour lesquels il faut avoir une confiance totale en des personnes qu’on nomme. Mais, en dessous, il ne faut pas qu’on dégage tous les autres qu’on soupçon nait d’être LMP. La Côte d’Ivoire a formé beaucoup de cadres. Si on les licencie tous, sous le prétexte qu’ils sont de telle sensibilité politique, on ne fait pas toujours cas de leur compétence au détriment du pays. A partir de ce moment, on peut mettre des personnes moins compétentes mais dont le seul mérite est d’être militant de tel ou tel parti.

Mais est ce que l’opposition même se met dans ces dispositions là ? Est ce qu’il n’y a pas nécessité de recadrage à tous les niveaux ?

Je pense qu’aujourd’hui, nous sommes dans deux positions qu’il faut réconcilier. C’est à dire qu’il faut, d’une part, que l’opposition cesse d’être intransigeante et que le pouvoir ne soit pas arrogant. Tout récemment, le secrétaire général du FPI, Kadjo Richard, qui disait que son parti a reconnu Ouattara comme président. En politique, il y a des concessions à faire de part et d’autre. Aujourd’hui, le débat de qui a gagné l’élection est dépassé. Il y a un président qui est élu, qui travaille depuis deux ans. Il faut faire avec. Je pense qu’aujourd’hui, il faudrait que les uns et les autres sachent faire preuve de dépassement. Ce qui est en jeu, c’est la Côte d’Ivoire. On a vu Ouattara et Bédié se réconcilier après les affres de l’ivoirité. Les Ivoiriens doivent comprendre qu’il n’y a jamais de fracture qu’on ne puisse pas surmonter.
C’est vrai, il faut le reconnaitre avec honnêteté, la crise post électorale a été profonde. Personne n’a imaginé qu’on irait aussi loin dans la bêtise. Les plaies sont beaucoup plus douloureuses à panser : c’est à ce moment là que la réconciliation devient plus importante. Je suis heureux de constater que, dans sa tournée dans le Nord, le Président Ouattara a lancé des appels dans ce sens. Il est tout à fait impératif pour les Ivoiriens de se réconcilier. Quand il n’y a pas d’entente dans une famille, certains prient pour le succès et d’autres prient l’échec. Il y a alors de forte chance qu’on n’avance pas aussi rapidement que souhaité. Lorsqu’on a perdu en finale de la Can au Gabon, quelqu’un m’a dit ceci : à partir du moment où certains prient pour qu’on gagne et d’autres pour qu’on perde, ce n’est pas évident.
On doit pouvoir avancer. Il faut qu’on puisse au moins aller à l’unité, à l’union et à la solidarité. Dès lors, nous serons encore plus forts. Ce n’est pas facile, car dans chaque camp, il y a des faucons. Il y a des gens qui ont intérêt à ce qu’il n’y ait pas de paix. Comme on le dit vulgairement, “ils mangent dans ça“. Les responsables politiques et les populations doivent transcender cet état d’esprit. C’est pourquoi, je me suis engagé modeste ment dans ce processus de réconciliation. S’il n’y a pas la paix, la tolérance, la solidarité, on peut avancer, mais pas aussi rapidement qu’on l’aurait souhaité.

Interview réalisée par AKWABA SAINT CLAIR
Coll : SERGES AMANI, FOUMSEKE COULIBALY et JB KOUADIO