Interview - Situation socio-politique Danièle Boni-Claverie: « On ne peut pas parler de réconciliation et envoyer Simone Gbagbo à La Haye » - ''Que le chef de l'Etat nous rencontre sans intermédiaire''

Le 29 novembre 2012 par Soir Info - La présidente de l’Union républicaine pour la démocratie (Urd) et porte-parole d’une coalition de partis d’opposition, nommée « Agir pour la paix et

la nation » (Apn), appelle à un dialogue «sans intermédiaire» entre le chef de l’Etat et les opposants politiques.

Au centre: Danielle Boni Claverie, présidente de l’Union républicaine pour la démocratie (Urd).

Le 29 novembre 2012 par Soir Info - La présidente de l’Union républicaine pour la démocratie (Urd) et porte-parole d’une coalition de partis d’opposition, nommée « Agir pour la paix et

la nation » (Apn), appelle à un dialogue «sans intermédiaire» entre le chef de l’Etat et les opposants politiques.

La présidente de l’Urd n’est pas pour un transfèrement de Simone Gbagbo à La Haye.
Mme la Ministre, après la dissolution du gouvernement Kouadio-Ahoussou, nombre d’observateurs avaient espéré un gouvernement d’ouverture qui verrait l’entrée d’opposants proches de l’ex-président Laurent Gbagbo. Etes-vous déçus, au niveau d’Apn, d’avoir été laissés sur la touche ?

Danièle Boni-Claverie : Non, à notre niveau, la question ne se pose pas en ces termes. Nous avons toujours eu, à Apn, une position très claire quant à la possibilité pour l’opposition de rentrer dans un gouvernement d’ouverture. Cette participation, pour qu’elle ait un sens, doit s’articuler autour d’un consensus minimal entre le pouvoir et l’opposition afin que la solidarité gouvernementale puisse s’exercer et que l’on ne retombe pas dans ce que nous avons connu par le passé où chacun tirait à hue et à dia selon les intérêts de sa formation politique. Apn s’est beaucoup investi dans le Cpd afin d’obtenir ce consensus dont nous parlons souvent et nous ne désespérons pas de voir l’ensemble de l’opposition à la table de discussions si ce cadre tenu à bout de bras par l’ancien premier ministre est maintenu. Ne sachant pas ce qui est prévu, notre vœu le plus cher est de pouvoir rencontrer le président de la République. Il y a un an, cela s’est fait. Depuis, beaucoup d’évènements sont intervenus mais la réconciliation piétine. Le Chef de l’Etat porte sur ses épaules la responsabilité de rassembler et il serait bon qu’il rencontre directement l’opposition, sans intermédiaire. Un face -à-face entre frères donnerait un contenu au « vivre ensemble » qui ne doit pas être un simple slogan mais doit traduire notre volonté réciproque de nous réconcilier pour regarder dans la même direction, celle du progrès de notre pays, ce bien commun que nous partageons.

Quelle lecture faites-vous du nouveau gouvernement : Daniel Kablan Duncan qui remplace Kouadio-Ahoussou Jeannot avec une réduction du nombre de ministres (29 désormais contre 40 dans la précédente équipe) ?

D.B-C. : Dans ces temps difficiles où la population doit faire face à de lourdes pesanteurs, on ne peut que se réjouir de la diminution du nombre de ministères. C’est un symbole qui ne doit cependant pas masquer les vrais problèmes notamment la cherté de la vie et le panier de la ménagère de plus en plus léger au fur et à mesure que les prix grimpent. La macro-économie et la croissance à 2 chiffres, aussi souhaitables soient-elles, ne doivent pas nous cacher le quotidien difficile des Ivoiriens. Les questions sécuritaires sont également prioritaires. Nos compatriotes n’aspirent qu’à vivre tranquillement et en paix. Je regrette, cependant, que le mot réconciliation ne soit pas apparu dans les premiers propos tenus par le premier ministre Duncan. La réconciliation est le ciment dont la solidité conditionne le progrès et le développement et elle reste le chantier majeur pour un véritable redressement de la Côte d’Ivoire.

Une rencontre entre vous le pouvoir était prévue le 22 novembre dernier, au niveau du cadre permanent de dialogue. Elle n’a vraisemblablement pas pu se tenir du fait de la formation du nouveau gouvernement. Trouvez-vous que les discussions entre le pouvoir et l’opposition ont pris du plomb dans l’aile ?

D.B-C. : Vous posez le problème du contenu que l’on veut donner à la réconciliation. Nous ne cesserons de dire qu’il revient aux autorités de démontrer leur volonté de réconcilier les Ivoiriens et de panser les blessures provoquées par la crise. Nous devons sortir de ce cercle infernal d’arrestations qui ne concerne que les pro- Gbagbo et d’inculpations lourdes, je pense en particulier aux accusations de génocide qui pèsent sur certains d’entre nous. Il faut décrisper le climat délétère qui prévaut. Apn plaide pour que les décisions politiques prennent le pas sur les procédures judiciaires ; tant que la justice ne s’abattra que sur un seul camp, il sera difficile de la considérer comme impartiale. C’est pourquoi, j’exhorte le Président de la République à amnistier tous les détenus et à dégeler les avoirs bloqués. Imaginez le calvaire des familles, des enfants à scolariser et des parents à soigner. La solidarité a pu fonctionner jusqu’à maintenant mais au bout de deux ans, tout le monde est à bout de souffle. Nous approchons des fêtes de fin d’année ; il est d’usage de profiter de cette période pour faire des gestes de pardon. Je souhaite de tout mon cœur que nous abordions 2013 en paix et réconciliés.

Au sortir de la dernière rencontre avec les autorités, le jeudi 25 octobre 2012, vous indiquiez à la presse que les sujets avaient été évoqués « avec beaucoup de franchise ». Etait-ce une façon de dire que vous vous étiez entendus avec le pouvoir sur certains points et que des décisions seraient prises incessamment dans le sens de la réconciliation ?

D.B-C. : A la date que vous indiquez, de nombreux points avaient été abordés et nous avions échangé sur la situation socio-politique. L’important à retenir a été la constitution des commissions qui ont, toutes, à l’exception d’une, terminé leurs travaux. Cela veut dire que le pouvoir et l’opposition ont réussi à travailler ensemble et que des points d’accord ont été obtenus. La réunion du 22 novembre devait analyser les propositions de ces commissions, les discuter et les adopter. L’Etat étant une continuité, nous espérons que le travail abattu avec l’équipe précédente sera poursuivi.

La Cpi a lancé un mandat d’arrêt contre l’ex-première dame, Simone Gbagbo, et presse la Côte d’Ivoire, de « coopérer pleinement » en la remettant à la Cour. Vous pensez que les autorités ivoiriennes devraient accéder favorablement à cette requête ?

D.B-C. : On ne peut pas parler de réconciliation et en même temps envoyer Mme Simone Gbagbo à La Haye. Ce serait déchirer tous les efforts, tous les petits pas enregistrés depuis Bassam. A mon sens, cela mettrait à mal l’ensemble du processus et cela marquerait une nouvelle rupture qu’il nous faut à tout prix éviter. Nous devons chercher à régler nous-mêmes nos problèmes sans faire appel là la justice internationale. Il nous suffit de savoir mettre en place des mécanismes justes, il nous suffit de privilégier la démarche politique consensuelle, seule susceptible de nous rassembler et de rétablir la confiance des Ivoiriens en leur pays et en leurs Institutions.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle loi sur le mariage votée à l’Assemblée nationale et qui continue de faire débat ?

D.B-C. : Il est bon que le débat se poursuive bien qu’il aurait fallu commencer par là. Une loi n’est pas neutre et elle véhicule toute une philosophie que s’approprient les citoyens pour que le changement soit effectif. La loi ne doit pas être perçue comme quelque chose d’extérieur car à elle seule, elle ne peut pas faire bouger la société. Le poids de la tradition est lourd à déplacer, nous en savons quelque chose et les exemples qui le démontrent sont nombreux. Depuis 1960, la Côte d’Ivoire a choisi le système monogamique. Or aujourd’hui, le nombre de foyers polygames est très élevé et n’est pas l’apanage des seuls musulmans. L’excision a été abolie en 1998 et ce n’est que cette année que l’on commence à appliquer la loi. Le changement inclut des implications culturelles, religieuses, sociologiques qui demandent que de vastes débats soient suscités, organisés. S’il n’est pas écrit noir sur blanc dans l’article 58 nouveau que la femme devient le chef de famille, l’autorité conjointe exercée par les époux fait bien disparaître la notion de chef de famille exercé par l’homme. Que va-t-il se passer dans les ménages polygames ? Quelle sera la position des religieux ? On sent un certain embarras au sein des organisations féminines, chez la Hiérarchie catholique et je ne sais pas si le Cosim a pu faire sa déclaration. Vous constatez que j’évite de vous donner ma position personnelle trop influencée par des considérations religieuses. J’insiste pour que des débats s’instaurent afin que les femmes prennent bien conscience du poids de leurs nouvelles responsabilités. Cette réflexion n’intéresse pas seulement les femmes cadres, émancipées mais toutes nos sœurs et nos filles financièrement dépendantes de leurs maris et qui ne peuvent pas assumer ce rôle de chef de famille même conjointement.

Réalisé par Kisselminan COULIBALY