Grand reportage: Sébastien Haller, le Coq devenu Éléphant

Par RFI - Grand reportage. Sébastien Haller, le Coq devenu Éléphant.

Sébastien Haller. © Martin Guez / RFI.

Il est le meilleur buteur de la Ligue des champions, et du championnat des Pays-Bas. Il aurait pu être l'avant-centre de l'équipe de France, qu'il a côtoyé de 16 à 21 ans, dans toutes les équipes de jeunes. Mais en 2020, Sébastien Haller choisit finalement de jouer pour la Côte d'Ivoire, le pays de sa maman.

À 26 ans, il troque donc la tunique bleue des Coqs français, pour celle orange des Éléphants ivoiriens, et s'apprête à jouer pour la première fois une grande compétition de sélection, lors de la Coupe d'Afrique des nations au Cameroun. Un reportage de Martin Guez et de Youenn Gourlay.

Pendant que l’alloco commence à frémir dans un fond de casserole, Simone Kuyo s’active dans sa belle maison d'une chic banlieue de l’Est parisien. Il faut dire que c’est une grand-mère très occupée : tout en fredonnant Meiway, célèbre chanteur ivoirien des années 1980, elle fouille dans un vieux stock de maillots d’une main, en portant le petit Pharrell, 2 mois, de l’autre.

« J’ai le maillot d’Auxerre, Haller numéro 31. Ça c’est le maillot de l’équipe de France des moins de 17 ans, le numéro 11. Puis Francfort le numéro 9, et enfin celui de la Côte d’Ivoire », détaille-t-elle. Soit un CV express de la carrière de Sébastien, son footballeur de fils, qu’elle a suivi partout en Europe. « J’ai connu les Pays-Bas, Utrecht, Francfort, Londres, Amsterdam, il nous fait beaucoup voyager, c’est bien ! », s’amuse cette grand-mère habituée des baby-sittings.

La native de Gagnoa dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire a fait le tour de l’Europe pour suivre son fils. Et pourtant, il n’était pas prédestiné à devenir footballeur : « Sébastien n’était pas parti pour faire du foot, il devait pour faire du judo, parce que je ne voulais pas qu’il fasse du foot (rires).

Je ne voulais pas courir les stades, donc on l’a mis au judo, et quand j’étais au travail, il sortait en douce pour aller au foot. Sans me le dire. Et un jour, c’est l'entraîneur qui lui a dit de prévenir ses parents. J’ai eu honte… Mais tout le monde me disait qu’il était bon, alors je l’ai accompagné, je ne l’ai jamais lâché jusqu’à ce qu’il prenne son envol. »
Des équipes de France espoirs aux Eléphants

C’est peu dire que l’attaquant s’est envolé : après des passages à Vigneux et à Brétigny dans l’Essonne (au Sud de Paris), le longiligne avant-centre démarre sa carrière professionnelle à Auxerre.

Il est rapidement surclassé dans ses jeunes années et joue pour toutes les équipes de France, des moins de 16 ans à la sélection espoir. Sans jamais franchir le cap de l’équipe sénior, ce qui n’a pas forcément été bien compris quand l’attaquant empilait les buts, à Francfort ou à West Ham. Notamment par sa mère : « Les gens disaient que ce n’était pas normal qu’il ne joue pas avec l’équipe de France A.

Personnellement je lui ai dit « ce n’est pas normal », mais bon ça c’est une maman qui parle. Lui, il m’a dit "maman ce n’est pas un problème !", il n’avait pas envie de mettre la pression aux gens. »

Plus que ses mots, ce sont ses prouesses qui parlent pour lui, car cette saison, Sébastien Haller explose avec l’Ajax Amsterdam : 10 buts en ligue des champions lors de la phase de groupe (meilleur buteur jusqu’ici) ! Une performance rare qui lui permet déjà de doubler un certain Didier Drogba au palmarès des buteurs sur une saison européenne.
Meilleur buteur de la ligue des champions

Rajoutez à cela 12 buts dans le championnat des Pays-Bas (dont il domine également le classement) et vous obtenez un joueur qui aurait pu prétendre disputer la prochaine Coupe du monde au Qatar avec l’équipe de France, tenante du titre. Sauf qu’en octobre 2020, l’attaquant a choisi la Côte d’Ivoire.

Un choix qu’il ne regrette absolument pas, d’autant que pour son premier match face à Madagascar [le 12 octobre 2020, en qualification pour la CAN, NDLR], il inscrit le but vainqueur : « Ça a été quelque chose d’extraordinaire de pouvoir marquer son premier but en sélection ! », raconte-t-il, des étoiles plein les yeux. « La joie des coéquipiers, du stade, de la famille…

C’est quelque chose de fantastique. Franchement, ça a été un magnifique souvenir… Il y a eu beaucoup d’émotions, toute ma famille m’a envoyé des messages, m’a appelé… On le sent autour de nous, c’est un pays qui vibre à chaque but, c’est quelque chose d’incroyable ! ».
Lié à la Côte d’Ivoire depuis l’enfance

Une intégration expresse, facilitée par les racines ivoiriennes du joueur. Si Sébastien Haller est Français par son père, originaire d’Alsace, il est Ivoirien par sa mère, qui lui a transmis « tous les petits trucs » comme elle aime le dire :

« Depuis tout petit, il appréciait la culture ivoirienne : la cuisine, la musique, les chants. Surtout Meiway, toujours lui ! Et quand il avait quelques mois je l’avais emmené en Côte d’Ivoire, avant de retourner avec lui au village en 2002 (ndlr : il avait alors 8 ans). On avait fait le grand tour : Yamoussoukro, Bouaké, Abidjan… Il a toujours eu envie de partir en Côte d’Ivoire ! Surtout qu’on a encore de la famille là-bas, comme mon frère jumeau. Un ancien footballeur d’ailleurs ! »

Une affaire de famille, partagée également avec Narcisse Téa Kuyo, président de l’Africa Sport d’Abidjan, et oncle du joueur. Tout le clan de l’attaquant, d’Abidjan à la banlieue parisienne, n’attend plus qu’une chose : que Sébastien Haller porte les Éléphants, dont il sera le fer de lance à la CAN. Tout commence ce mercredi, face à la Guinée équatoriale.

RFI