Fanny Pigeaud (Mediapart): Les «Putschtapes» contrecarrent les ambitions de Soro en Côte d'Ivoire

Par Mediapart - Les «Putschtapes» contrecarrent les ambitions de Soro en Côte d'Ivoire, Par Fanny Pigeaud.

Guillaume Soro (à g.) et Djibrill Bassolé, en 2007, à Ouagadougou. © AHMED OUOBA/AFP.

Les enregistrements où l'on entend le président de l'Assemblée nationale ivoirienne proposer son aide pour appuyer le putsch avorté au Burkina Faso, et éliminer des opposants, rappelle le passé violent d'un homme proche de la France. Soro, qui veut succéder à Ouattara à la présidence de Côte d'Ivoire, voit ainsi sa brutale ascension menacée.
"Putschtape » ou « Sorogate » : les médias ivoiriens hésitent encore sur le nom à donner au scandale d’écoutes téléphoniques qui implique Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire et ex-chef de la rébellion des Forces nouvelles. Depuis le 12 novembre 2015, l’enregistrement d’une conversation téléphonique qu’il a eue le 27 septembre avec l’ancien ministre burkinabè des affaires étrangères, Djibril Bassolé, circule via les médias et les réseaux sociaux. Trois enregistrements au total ont été diffusés (dont le dernier sur Mediapart). Le premier, le plus long est particulièrement incriminant.

Soro, 43 ans, nie l’existence de cet échange et dénonce un « grossier » montage. Mais selon de nombreux observateurs, il n’y a guère de doute. Pour eux, c’est bien le deuxième personnage de l’État ivoirien qui s’exprime pendant ces 16 minutes de discussion. S’ils ont raison, ce premier enregistrement, que les médias burkinabè évoquent depuis plusieurs semaines, met Soro dans de sales draps. Il donne des éléments sur sa responsabilité présumée dans le putsch de septembre 2015 au Burkina Faso, mais aussi dans des assassinats commis pendant la crise ivoirienne de 2010-2011.

À l’écoute de ce dialogue, on se rend compte que Soro et Bassolé se préparaient à « sauver » le coup d’État du général Gilbert Diendéré, en train de capoter. On entend Soro dérouler son plan : « On frappe dans une ville en haut, quelque part. On récupère un commissariat, une gendarmerie. Eux, ils vont fuir, ils ne peuvent pas résister. Et comme on me dit que l’armée est autour de Ouagadougou, si on frappe à un bout là-bas, l’armée va vouloir se réorganiser pour aller vers là-bas. (…) Au moment où ils décollent, on refrappe dans un autre coin. Ça va les paniquer. » Bassolé a été arrêté deux jours après cette conversation téléphonique par les autorités burkinabè. Il est depuis accusé d’atteinte à la sûreté de l’État, haute trahison et collusion avec des forces étrangères. La justice burkinabè s’intéresse aussi à Soro : une maison qu’il possède à Ouagadougou a été perquisitionnée le 6 octobre.

Un autre passage du « Sorogate » choque beaucoup en Côte d’Ivoire. Il s’agit du moment où Soro annonce à Bassolé son projet de supprimer physiquement deux hommes politiques burkinabè. « Quand on aura fini tout ça, il y a deux personnes que tu dois accepter que moi, je “règle”. Y a Salif Diallo [ancien proche collaborateur de Blaise Compaoré, puis opposant à partir de 2014 – ndlr] et un Sy, là [Chérif Sy, président de l’Assemblée nationale – ndlr]. Ça, je ne peux pas laisser, non, non, non ! Ces gens-là ne peuvent pas vivre et puis vous allez être tranquilles », explique Soro.

L’ancien chef rebelle ajoute : « Est-ce que tu imagines qu’on aurait pu faire ce que l’on est en train de faire si Tagro et IB étaient vivants ? » Désiré Tagro a été le dernier secrétaire général de la présidence de Laurent Gbagbo. Le 11 avril 2011, jour de l’arrestation de ce dernier à Abidjan, il a reçu une balle dans la mâchoire, tirée à bout portant par un soldat des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée créée en mars 2011 par Alassane Ouattara, comprenant alors essentiellement des éléments des Forces nouvelles de Soro. Tagro est décédé le lendemain, 12 avril. Étant donné qu’il avait été pendant plusieurs années au cœur de négociations menées entre Gbagbo et Compaoré, parrain des Forces nouvelles, ses proches ont estimé qu’il n’avait pas été visé par hasard. Ce que dit Soro à Bassolé dans cet enregistrement tend à confirmer qu’ils ne s’étaient pas trompés.

Quant à l’autre personnalité citée par le président de l’Assemblée nationale, il s’agit de l’ex-sergent-chef ivoirien Ibrahim Coulibaly, dit IB. Un temps proche de Compaoré et Ouattara, IB a été le créateur de la rébellion des Forces nouvelles. En 2010-2011, il a commandé un groupe de civils armés, le « Commando invisible », qui a combattu l’armée régulière à Abidjan, avec l’objectif de faire partir Gbagbo. Il est mort le 27 avril 2011. La version officielle, soutenue par Ouattara et Soro, affirme qu’il a été tué dans des affrontements armés. Des témoignages précis indiquent qu’IB a été en réalité torturé et liquidé par les ex-chefs de guerre des Forces nouvelles, devenues FRCI et commandées par Soro (pour plus de détails, voir France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée). Le « Sorogate » donnerait donc un élément de plus sur la réalité de ce crime de guerre.

Pour beaucoup en Côte d'Ivoire, la réputation de Guillaume Soro n’est plus à faire. Celle-ci a commencé à se forger dans les années 1990 à l’université d’Abidjan, au sein de la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (FESCI), un syndicat étudiant proche du Front populaire ivoirien, le parti socialiste fondé par Gbagbo. Soro, étudiant en anglais, est devenu secrétaire général de cette organisation en 1995. Selon des observateurs, c’est sous sa direction que la FESCI a commencé à utiliser des méthodes violentes pour imposer sa loi au sein de l’université.

Soro s’est ensuite rapproché du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de Ouattara. Puis il a rejoint IB, installé au Burkina Faso avec d’autres ex-militaires ivoiriens. IB, auteur du coup d’État de 1999 contre le président Henri Konan Bédié avant d’être écarté par le général Robert Gueï, se préparait alors avec ses camarades à attaquer de nouveau la Côte d’Ivoire, avec l’appui de Blaise Compaoré. Soro a suivi le mouvement : il a participé à leur tentative de coup d’État du 19 septembre 2002 contre Gbagbo. L’opération a échoué, mais ils ont réussi à s’emparer de 60 % du territoire ivoirien et à couper le pays en deux.

Fanny Pigeaud

Lire la suite sur...https://www.mediapart.fr/journal/international/051215/les-putschtapes-co...