Document Exclusif/ Assassinat de Milosevic à la CPI: Comment Slobodan Milosevic a été empoisonné à l’intérieur de la prison de la CPI

Le 09 mars 2012 par IVOIREBUSINESS - Slobodan Milosevic était-il un homme normal de 64 ans avec des problèmes médicaux tout-à-fait possibles à gérer (de la tension artérielle à la diminution de

Slobodan Milosevic.

Le 09 mars 2012 par IVOIREBUSINESS - Slobodan Milosevic était-il un homme normal de 64 ans avec des problèmes médicaux tout-à-fait possibles à gérer (de la tension artérielle à la diminution de

l'audition) qu'il manipulait et exagérait dans l'espoir de recouvrer sa liberté ? Était-il au contraire, ainsi que l'affirment ses partisans, un malade gravement atteint qui requérait d'être libéré d'urgence de sa détention, mal traité par les médecins de la prison, et même peut-être empoisonné ?
Pendant les mois qui ont précédé sa mort, Milosevic et le TPI de La Haye n'ont cessé de s'affronter au sujet de sa santé. La mort de l'ancien leader serbe a prématurément mis fin au procès pour crimes de guerre qui traînait depuis quatre ans et n'a fait qu'épaissir le mystère médical déjà en gestation lors de son vivant.
Les résultats préliminaires de l'autopsie ont établi que Milosevic était mort d'une crise cardiaque, bien que les médecins l'ayant examiné à peine quelques mois auparavant n'aient diagnostiqué aucun problème cardiaque significatif. De plus, des analyses de sang effectuées avant son décès ont détecté la présence de médicaments qu'on ne lui avait pas prescrits, dont un qui aurait pu le mettre gravement en danger en diminuant l'efficacité des pilules pour sa tension artérielle.
Les fonctionnaires du Tribunal et quelques scientifiques n'ont pas tardé à insinuer que Milosevic ingérait en secret d'autres médicaments susceptibles d'amplifier ses problèmes médicaux afin d'être transféré dans une clinique à Moscou où sa famille réside dorénavant.
Mais quelques confidents, dont les médecins qui se sont entretenus avec lui durant ses dernières semaines, disent que Milosevic s'inquiétait de sa santé défaillante et craignait que les médecins de la prison, comme les spécialistes consultants hollandais, ne le traitaient pas de façon appropriée.
De toutes façons, plusieurs médecins qui l'ont récemment examiné ont conclu que le Tribunal, ne croyant pas à sa litanie de maux, a souvent omis de les faire correctement évaluer.
"Son état de santé était mauvais, aussi avons-nous réclamé des examens supplémentaires", dit le Dr Florence Leclercq, une éminente cardiologue française qui a examiné Milosevic pendant près de trois heures en novembre dernier. "Mais ces examens n'ont jamais été effectués et maintenant c'est un réel problème".
Le Dr Patrick Barriot, un autre médecin français qui a rendu fréquemment visite à Milosevic (la dernière fois en décembre) dit que l'ancien leader serbe souffrait d'une hypertension de plus en plus grave depuis six mois, comprenant divers symptômes dont des maux de tête, des troubles de la vue, et un bourdonnement continuel dans les oreilles.
Sa tension artérielle était généralement de 180/110 précise le médecin, bien au-delà des limites normales.
"Chaque fois que je le voyais, il déclinait davantage : il était de plus en plus fatigué" dit Barriot qui avait fait la connaissance de Milosevic quand il était en poste dans l'ex Yougoslavie et qui a témoigné en tant que témoin de la défense.
Bien qu'une hypertension de longue durée fatigue le cœur et augmente le risque de crise cardiaque, Milosevic ne présentait aucun des symptômes classiques d'une maladie du cœur, tels que la douleur dans la poitrine, précise le Dr Leclercq. Elle a été surprise en apprenant le verdict de crise cardiaque prononcé au terme de l'autopsie.
Les tentatives de comprendre la mort de Milosevic sont handicapées par le fait que les rapports des examens médicaux, la liste des médicaments qu'il prenait et les détails de l'autopsie, sont considérés comme confidentiels par le Tribunal.
Les médecins qui ont eu l'autorisation de voir Milosevic, ou de consulter son dossier médical, disent qu'ils ont dû s'engager par écrit à ne divulguer aucun détail. On attend un rapport toxicologique pour la fin de la semaine.
Ce qui est clair est que récemment l'hypertension de Milosevic, problème qui remonte au début de son procès, est devenue de plus en plus difficile à contrôler et les médecins de la prison l'ont longtemps soupçonné de ne pas prendre ses médicaments, dit Donald Uges, un des deux toxicologues hollandais consultés dans cette affaire.
Après plusieurs semaines d'enquête, les toxicologues ont conclu qu'il aurait pris de la Rifampicine, un antibiotique qui contredirait les effets des remèdes à son hypertension. Uges, comme les fonctionnaires du Tribunal s'exprimant sous couvert de l'anonymat, a suggéré que cet antibiotique, clandestinement introduit par des visiteurs, aurait été pris délibérément.
Mais le Dr Barriot réfute cette accusation en disant que Milosevic l'avait récemment appelé à plusieurs reprises, "très inquiet de son hypertension" et soucieux de savoir si les gardiens de la prison lui donnaient les médicaments appropriés - un souci qu'il a exprimé devant le Tribunal.
"Il n'avait aucune confiance dans les médicaments et les traitements qu'on lui prodiguait dans sa cellule", dit Barriot. Le Dr Leclerc dit que le 4 novembre lorsque, avec deux autres médecins, elle a examiné Milosevic , "son état cardiaque était extrêmement difficile à évaluer".
Les fonctionnaires de la prison lui ont affirmé que certains tests cardiaques, comme un examen par ultrason, avaient été effectués et qu'ils étaient "normaux", mais qu'ils ne pouvaient pas lui en montrer les résultats, ce qui l'a incitée à conclure qu'il en fallait d'autres, a-t-elle déclaré depuis sa clinique de l'Hôpital Arnaud de Villeneuve, à Montpellier.
"Il est choquant de constater qu'au cours de ces quatre années, beaucoup d'examens et de tests pour son cœur n'ont jamais été effectués", dit le Dr Vukasin Andric, un médecin serbe qui a aussi examiné le patient ce jour-là, en notant cependant que Milosevic avait été soumis à de sérieux examens d'organes.
D'après Alexandra Milenov, une porte-parole du Tribunal, Milosevic aurait été examiné à de nombreuses reprises par les médecins de la prison et des spécialistes indépendants - y compris des cardiologues - et que les médicaments étaient pris sous contrôle, bien que dans des documents de la cour ces experts ont déploré qu'ils n'avaient pas pu surveiller correctement la façon dont Milosevic suivait son traitement à cause de l'accès trop facile de ses visiteurs.
Carla Del Ponte, la procureure en chef, a dit qu'elle savait que Milosevic était malade et que son dossier comportait à peu près 150 rapports de médecins sur son cas.
"S'il y a une personne qui n'était pas négligée, c'était Milosevic " a-t-elle déclaré.
Depuis que Milosevic est arrivé à La Haye en 2001, aucun des deux camps n'a fait confiance aux opinions médicales de l'autre et les débats autour de sa santé ont souvent éclipsé les témoignages.
Le 15 novembre, lorsque Milosevic a interrompu à plusieurs reprises le déroulement du procès en voulant discuter d'un rapport médical, les juges lui ont coupé la parole :
Juge Patrick Robinson : Je ne souhaite pas discuter de cela maintenant. Êtes-vous sourd ? Appelez votre témoin suivant.
Milosevic : Je suis probablement sourd.
Juge Robinson : Bien, si vous êtes sourd, nous verrons cela. Appelez le témoin suivant.
L'automne dernier, préoccupé par sa santé déclinante, particulièrement par ce bruit fantôme incessant dans ses oreilles, Milosevic a demandé une consultation de médecins étrangers au Tribunal, requête que Barriot a réussi à faire aboutir. Les experts comprenaient le Dr Lecercq, le Dr Margarita Shumilina (spécialiste russe des problèmes vasculaires) et le Dr Vukasin Andric (spécialiste de l'oreille).
Selon un rapport confidentiel dont une partie a été lue à un journaliste, Shumilina et Andric ont conclu que les problèmes d'audition de Milosevic étaient des "symptômes de troubles de circulation du cerveau dus à l'hypertension".
Concrètement, l'équipe a réclamé une interruption du procès de six semaines pour "réduire ou au moins stabiliser" les symptômes : une idée accueillie avec scepticisme par le Tribunal dont les experts avaient conclu que les problèmes d'audition n'étaient pas des symptômes de sérieux problèmes vasculaires, et que le repos ne serait donc d'aucun effet. Après plus de quatre années de procédure, les juges étaient sous pression pour mener le procès à son terme.
Le juge Iain Bonomy, dans un refus cinglant, a considéré que toute la consultation était éminemment suspecte à cause des liens politiques existant entre Andric et Milosevic . Andric, qui avait exercé au Kosovo, était un témoin à décharge au procès de Milosevic pour crimes de guerre, soutenant que des enfants musulmans du Kosovo avaient prétendu avoir été empoisonnés par les troupes serbes.
A la fin décembre, lorsque le Tribunal devait s'ajourner pour les fêtes de Noël, Milosevic a demandé l'autorisation de prendre un avion pour se faire soigner à Moscou, ce qui lui a été refusé.
Les relevés de sa pression artérielle sont devenus très irréguliers courant janvier, atteignant les niveaux de 260/180, d'après les déclarations d'Andric à la presse serbe. Furieux d'être accusé de ne pas avoir pris ses médicaments, Milosevic a accepté d'être examiné dans l'infirmerie de la prison et de rester sous contrôle médical plusieurs heures après avoir pris ses pilules.
"L'examen a montré que lorsque je prends le traitement sous contrôle, le taux de présence de ce médicament dans mon sang est de loin bien inférieur au taux attendu", a-t-il dit au Tribunal. Selon Uges, c'est ironiquement en partie ce contrôle qui a amené les médecins de la prison à soupçonner une tricherie de la part de Milosevic.
Y avait-il une substance qui pouvait annuler l'efficacité des médicaments contre l'hypertension ? "Nous avons réalisé que la seule substance qui pouvait le faire était la Rifampicine a déclaré Uges. Un échantillon de son sang contenait effectivement ce produit. "
Utilisée habituellement pour le traitement de la tuberculose, la Rifampicine est connue pour réduire l'efficacité d'autres médicaments, des contraceptifs oraux aux pilules contre l'hypertension, en stimulant des enzymes du foie qui inhibent les principes actifs de nombreuses drogues.
Mais comment la rifampicine est-elle parvenue dans son sang : Milosevic en prenait-il délibérément ? Ou bien quelqu'un, ayant ses entrées à la prison, essayait-il de l'empoisonner, ainsi que le soutiennent sa famille et ses partisans ?
Le produit figure couramment dans les pharmacies carcérales en Russie et aux Etats-Unis, mais aux Pays-Bas cette maladie est rare. La porte parole Milenov n'a pas pu dire si l'antibiotique était stocké dans le centre de détention.
De toutes façons, d'après certains experts, la Rifampicine en elle-même ne saurait constituer une explication suffisante pour sa mort étant donné qu'il n'a pas succombé à une attaque, problème relativement commun en cas d'hypertension. D'autre part, ses effets sur la pression artérielle "auraient pu être tout simplement neutralisés en augmentant les doses du traitement du Président Milosevic" a déclaré Joris Delanghe, un médecin et toxicologue de l'Université de Ghent.
Les sceptiques soulignent que la Rifampicine est une substance difficile à utiliser clandestinement étant donné que ses effets secondaires sont variés et qu'elle colore les urines en rouge. Selon les médecins, cet homme de 64 ans, avec un passé de fumeur et d'hypertendu, pouvait souffrir d'une affection cardiaque non détectée.
"L'hypertension réfractaire existe, et certains patients sont difficiles à traiter" a précisé Delanghe. Il a ajouté que pour Milosevic, le stress de l'incarcération a du être en lui-même "un facteur majeur de risque cardiovasculaire".

Par Elisabeth Rosenthal (de l'International Herald Tribune)
et Marlise Simons (du New York Times)

(Article publié dans l'International Herald Tribune du 16 mars 2006)