DIALOGUE NATIONAL : FACE AU BILAN DESASTREUX DES CONSEILS GENERAUX ET CONSEILS REGIONAUX, FAUT-IL REVENIR AUX FRAR ?

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - DIALOGUE NATIONAL. FACE AU BILAN DESASTREUX DES CONSEILS GENERAUX ET CONSEILS REGIONAUX, FAUT-IL REVENIR AUX FRAR ?

Kouakou Dapa Donacien.

I-Actualité du sujet :

La Côte d’Ivoire plurielle a estimé incontournable le débat sur la mise à plat ou non de la marche de la Nation. Seulement voilà. Il est fort à craindre que les sujets brulants se rapportant presqu’exclusivement à l’exercice des libertés politiques viennent éluder la question des dysfonctionnements intrinsèquesde l’Administration ivoirienne(neutre par essence), paralysant la dynamique des mécanismes sensés booster la gouvernance locale, à savoir les Conseils Régionaux.

S’il faut se féliciter du frémissement des partis politiques classiques et des ong locales classiques autour de l’idée de dialogue national, cet os à croquer autour duquel il y’a nécessairement à manger et à boire au profit des bien heureux plénipotentiaires occasionnels tous partisans, il y’a lieu cependant nécessité de verser au débat national le bilan désastreux de 20 ans de politique de décentralisation ( 2000-2020),consécutivement à la mise à l’écart des FRAR principal outil de nivellement pour un développement équilibré du territoire .

Si d’après des informations qui auraient fuité de ses rencontres avec les leaders régionaux, le Président de la République s’expliquerait inconcevable que malgré les capitaux considérables injectés en vue du décollage des projets dans les régions et départements, le développement rural ne serait toujours pas au rendez-vous des attentes, c’est la preuve que la question est une préoccupation d’intérêt national, qui mériterait d’être inscrite dans le catalogue des thématiques objets du Dialogue National.

Sans risque de me tromper, depuis le démantèlement des fonds régionaux d’aménagement rural (FRAR), disparition adoubée par les constitutions de 2000 et 2016, des villages entiers en Côte d’Ivoire et dont le nombre est majoritaire ont cessé de se développer, ignorés qu’ils sont par les décideurs qui sévissent à la tête des conseils régionaux.

C’est une redondance de le dire, puisque le constat est là implacable :
Indistinctement, les deux faces de la décentralisation soit en mode conseils généraux (sous le président Laurent Gbagbo) soit en mode conseils régionaux (sous le président Ouattara)sont des échecs patents qu’il convient d’assumer courageusement et en toute honnêteté par nous tous sans exception.

Par exemple, ce serait doublement erroné pour le PDCI de vouloir s’en laver les mains d’autant plus que les conseils généraux et conseils régionaux n’étaient pas gérés exclusivement par les cadres du FPI ou du RDR sans accompagnement actif du PDCI.

Le bilan catastrophique de la décentralisation est donc collectif et devrait nous interpeller.
C’est une thématique qui exclut le lancement de la Pierre ou à Paul à l’intérieur des frontières ivoiriennes.

Pour bien cerner l’ampleur du fiasco de la décentralisation sur le territoire national, nous sommes obligées d’adopter une démonstration factuelle.
Et pour être factuel, j’ai l’obligation de partir d’expériences vécues et non des ouï dire ni des « on dit ». Je suis donc un témoin authentique de ce que je vais dire, en partant des expériences vécues par mon village, comme un cas d’école. C’est alors que l’on s’apercevra que le bilan des Projets FRAR au plan de l’efficacité était meilleur à celui de 20 ans de décentralisation.

Exit l’argument fallacieux que l’on sert automatiquement selon lequel la puissance publique (l’Etat) n’aurait pas transféré assez d’autonomie aux collectivités décentralisées. La bonne question, c’est d’interroger les conseillers régionaux et municipaux sur l’usage des moyens à eux déjà transférés si minimes soient-ils !

De ce qui précède et dans une démarche absolument scientifique, ne soyez pas lassés que je ne cite que principalement le cas du Conseil régional duGontougo que je connais personnellement loin de toute rhétorique philosophique.

A Pétèye, village Koulango du département de Bondoukou, le dernier investissement sur fonds de l’Etat ou de ses démembrements date de 1998 et portait sur la construction d’un logement d’instituteur.

Depuis lors, jusqu’à la date du 26 décembre 2020, tous les investissements sont exclusivement l’œuvre de la mutuelle de développement du village sans le moindre appui de financement étatique ni régional: Dispensaires, école 2, logements de maitres, logement d’infirmier, lotissement, ouverture des voies, locaux du poste de la gendarmerie. Bien sûr que pour une seule intervention ponctuelle du conseil régional pour la pose de la toiture et seulement la toiture, le conseil général de Bondoukou a prétendu avoir réalisé un dispensaire intégral à Pétèye en 2006.

Faux dans les faits.Idem au tour du Conseil Régional du Gontougo, capitalisant la fausse prétention du défunt conseil général.
J’ai vu et entendu en direct un conseiller régional du Gontougofaire de la récupération de la sueur des populations et des cadres de Pétèye et Brogodon après la construction des locaux flambant neuf de la gendarmerie de ce village en 2020.

Bien entendu, je n’ai pas manqué de le regarder droit dans les yeux et lui dire qu’il ment. Le terme peut paraitre blessant, mais y’a-t-il vraiment un autre qualificatif lorsque pour charmer la direction nationale de la décentralisation, les conseils régionaux comptabilisent les réalisations initiées par les villages et financées à 100% par les mutuelles de développement des populations desdits villages ?

Cette pratique de triche est malheureusement légion. Pour le cas de Pétèye dont je suis un témoin, en moins de 5 ans, c’est la 2ème fois que sous l’impulsion des cadres de la mutuelle du village, les populations construisent elles-mêmes bénévolement des locaux pour la gendarmerie et les remettent gracieusement à l’Etat afin d’assurer efficacement la sécurité et la défense non seulement des deux villages jumelés, mais celle de toute la zone environnante.

En somme, sans contrainte, les populations se sont, volontairement et pro-activement, substituées à la carence et à l’inaction prolongé, voir inaction chronique du Conseil Régional du Gontougo, pour bâtir et transférer à l’Etat les infrastructures non seulement, d’éducation, de santé, mais aussi de sécurité et de défense, à l’effet de permettre à la puissance publique, (la seule habilitée à être armée) à assurer et s’acquitter le service public y affèrent.

Pour tout dire, depuis la suppression des FRAR, la majorité des villages du Gontougo sont laissés pour compte. C’est possible que les défaillances propres de l’équipe du Conseil général et celle du Conseil Régional en soient les causes apparentes, soit. Mais ne faut-il pas plutôt remonter à la décision mal inspirée ayant supprimé le dispositif des FRAR dont le bilan en milieu rural reste pourtant inégalable jusqu’à ce jour ?

Au moment où le Dialogue National est demandé à l’effet de permettre à la conscience nationale d’entrer en introspection, passer sous silence les faiblesses plombant la politique de décentralisation serait une omission que nous payerons cash, dans un avenir post-dialogue national.

Il faut se le dire tout net sans continuer de se vautrer dans l’illusion d’un environnement socio politique paisible post-dialogue national, non assorti de réformes en profondeur des mécanismes de redistribution équitable des financements publics destinés au développement rural et à la modernisation des agglomérations villageoises, gérés par les gouvernements locaux (les Conseils Régionaux).

Notre code des marchés publics figure parmi les facteurs bloquant de l’essor des fournisseurs, entrepreneurs et prestataires de services enregistrés ou implantés dans les périmètres territoriaux des conseils régionaux et des communes. C’est totalement aberrant et contreproductif que pour un appel d’offres relatif soit à la construction de salles de classes ou de dispensaires, à compétence égale, l’entrepreneur administré du Conseil Régional de l’indénié djuablin ait à subir la concurrence d’un entrepreneur administré de la région des montagnes (Man) et vice versa.

L’aberration est encore plus visible lorsque par exemple les fournisseurs de mobiliers de bureaux résidant à Bondoukou donc administrés du Conseil général du Gontougo doivent subir la concurrence de ceux, administrés par le Conseil Régional de l’Indénié Djuablin.

Par de telles pratiques légales l’Etat pense de bonne foi susciter l’émulation entre les entreprises nationales, sauf que c’est une fenêtre qui bénéficie également à n’importe quel homme d’affaires enregistré dans n’importe quel pays de l’UEMOA. Mais la fenêtre ne se limite pas à profiter seulement aux nationaux de ces pays de l’UEMOA. Les filiales des sociétés multinationales implantées dans n’importe quel pays de l’UEMOA ont la nationalité de ce pays.

De ce fait, la petite fenêtre anodine ouverte par le Code des Marchés confère légalement le droit à toutes les « sociétés rapaces »de rafler les marchés même ceux lancés par le Conseil Régional. Pire, l’Etat n’a pas le choix dans la mesure où les directives de l’UEMOA contraignent la Côte d’Ivoire à sauter tous les verrous autour de ses appels d’offres. Or s’il est vrai que l’uomoa est une organisation entre Etats de la sous-région, elle-même agit plutôt en sous-traitant de la Banque Mondiale qui lui dicte subtilement les désidérata des sociétés multinationales ayant le monopole dans divers secteurs d’activités économiques et commerciales dans chacun des pays de l’UEMOA.

Que le prochain chef de l’Etat soit le meilleur expert du Boston Consulting Group (BCG aux USA ) ou du cabinet McKinsey ou de l’école polytechnique de Paris (TidjanThiam) ou même du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (Don MelloAhoua), les reformes post-suppression des FRAR sont frappées de suspicion légitime d’autant plus qu’elles ont été inspirées par la Banque Mondiale (instance internationale en position de sous-traitance et d’exécution des désidérata des sociétés multinationales qui sont les bailleurs en réalité de la Banque Mondiale) en vue de l’ouverture systématique des marchés publics et projets de partenariat public privé (PPP) dans le seul intérêt supérieur des multinationales…

Voilà la réalité qui dépasse et Alassane Ouattara, et Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié…

En revanche, la seule réalité qui est à leur pouvoir, c’est la volonté de chacun de mettre de l’eau non seulement dans son vin mais également dans le vin de ses partisans.
Inscrire exclusivement des sujets partisans ( à l’ordre du jour au dialogue national, c’est légitime pour tout président de parti politique. Mais, une autre chose est de cibler également les problèmes de régulation économique.

Ces questions mériteraient amplement de figurer dans le catalogue de problème à débattre et à juguler.
Or nous ne pouvons pas payer le luxe d’aller de dialogue national en dialogue national, là où tous les citoyens et les Gouvernants savent que la décentralisation ne décolle pas depuis plus de 20 ans.

Sans faux fuyant qu’est ce qui a milité à la suppression des FRAR ?

II- A l’initiative de la suppression des FRAR était la Banque Mondiale.

Répondant de la Banque Mondiale qui l’avait sélectionné en 1997 avec l’onction du ministère ivoirien du plan, le Cabinet français dénommé Institutions & Développement (ID) 27, rue Jean-Noël Pelnard - 92260 Fontenay-Aux-Roses - France(33) 1 46 600 500, a été rémunéré à 30 000 Euro pour la mission de « Réforme des Fonds Régionaux d'Aménagement Ruraux (FRAR) ».

En descriptif du projet, l’on s’aperçoit que les FRAR ont fait leur preuve, d’autant plus que l’ordonnateur de la mission à savoir la Banque Mondiale n’ignorait pas la réussite incontestable de l’aménagement rural par le mécanisme des FRAR.

Description du projet :

« Les autorités ivoiriennes disposaient d’un outil de financement des communautés rurales, les FRAR (Fonds Régionaux d’Aménagement Ruraux), outil qui avait fait ses preuves mais qui demandait une évolution des mécanismes. Une évaluation aboutissant aux propositions d’évolution a été confiée à I&D ».

Mais au lieu de reconduire ce modèle de succès, le cabinet français coopté par la Banque Mondiale, a plutôt offert aux bailleurs les arguments prétextes à l’abandon des projets FRAR;
Dans quel intérêt ? La question reste posée.

III- Proposition de retour à l’approche FRAR pour booster l’efficacité des « Gouvernements locaux » (Conseils Régionaux).

Sans renoncer au principe de dévolution des pouvoirs des conseillers régionaux par voie électorale, en revanche, il ne serait pas sans intérêt de faire appel aux principes cardinaux qui ont permis aux projets FRAR de parvenir à une certaine justice sociale entre villages d’un même département.

Le ministère du plan devrait pouvoir les ressortir pour revisiter :
1- l’analyse du mécanisme de financement des investissements ruraux :
2- l’évaluation du fonctionnement de l'outil et de son impact ;
3- une proposition d'évolution ;
4- une définition des nouvelles modalités de fonctionnement des fonds.

IV : Les conseils régionaux à la croisée des chemins.

A la manœuvre aux fins d’arracher plus d’autonomie vis-à-vis de la puissance publique (l’Etat central), conformément à leur vocation, les gestionnaires des conseils régionaux n’ont pas encore démontré la preuve de leur impartialité dans la conduite des affaires locales, en termes non seulement d’équité dans leur méthode de choix des localités d’implantation des différents investissements, mais aussi en terme d’équité, de transparence et d’accès de tous aux marchés publics locaux passés.

D’un point de vue empirique, et sous réserve de confirmation par un rapport d’expertise à cet effet, les projets FRAR n’étaient pas moins transparents que les projets conduits par les administrations décentralisées ou conseils régionaux.

Faut-il alors une politique de Sankofa qui puiserait dans les succès passés de l’Administration ivoirienne au niveau des fonds régionaux d’aménagement rural pour redresser la barre au niveau des conseils régionaux?

C’est une question essentielle et existentielle pour la survie et la viabilité des Conseils Régionaux.
Il est vrai que par le mécanisme des investissements directs étatiques, l’Etat est intervenu pour ce qui concerne des programmes nationaux qui n’ont rien à avoir avec les dotations budgétaires des conseils régionaux.

C’est dans ce cadre qu’il faut situer les projets d’électrification des villages, dont Pétèye, pour rester collé au fil conducteur de notre démonstration.

En conclusion, Pétèye est juste un échantillon du nombre inquantifiable de villages ostracisés par les dirigeants des Conseils généraux hier et Conseils Régionaux aujourd’hui dans le choix des localités devant jouir des budgets successifs du conseil régional.

En définitive, en quinze ans de consommation de budgétaire, s’élevant à plusieurs milliards,la contribution de ces nouveaux outils de développement ayant remplacé les FRAR, est quasi nulle.
Au total, ils sont légion les villages pour lesquels l’existence des conseils régionaux se révèle uniquement lors du scrutin.
Le dialogue national devrait incorporer de telles thématiques.

Par Kouakou DapaDonacien
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