Depuis son exil L`ex-Procureur Tchimou rompt le silence : Comment il est sorti du pays - Ce qu`il dit sur les armes trouvées à son domicile -``Mes relations avec la présidence``
Le 11 mai 2011 par l'Inter - Depuis le 11 avril dernier, le régime du président Laurent Gbagbo est tombé sous les coups de boutoir des FRCI, de la force Licorne et des troupes de l`Opération des nations unies en Côte d`Ivoire (ONUCI).
Le 11 mai 2011 par l'Inter - Depuis le 11 avril dernier, le régime du président Laurent Gbagbo est tombé sous les coups de boutoir des FRCI, de la force Licorne et des troupes de l`Opération des nations unies en Côte d`Ivoire (ONUCI).
Comme nombre de dignitaires de l`ancien régime, on n`entend plus parler, depuis cette date, de l`ex-procureur de la République près le Tribunal d`Abidjan-Plateau, Raymond Tchimou Fehou. Que devient l`homme des dossiers chauds du régime Gbagbo? Où se cache-t-il? Que prépare-t-il? Dans cette interview exclusive qu`il nous accorde depuis son exil, l`ex-patron du parquet d`Abidjan se dévoile.
Où se cache le Procureur Raymond Tchimou en ce moment, et comment vivez-vous les événements en Côte d`Ivoire?
C’est une histoire un peu drôle. En fait, avec la fermeture des bureaux de Western Union liée à la fermeture des banques en février dernier, nous qui avons des enfants qui fréquentent à l’étranger, notre souci est devenu sérieux quant à savoir comment leur faire parvenir de l’argent en vue de faire face à leurs besoins quotidiens, notamment le loyer, la nourriture et les déplacements. C’est donc pour résoudre ce problème de transfert de fonds que j’avais fait ma réservation dans le mois de mars en vue de me rendre à l’extérieur du pays. Après plusieurs reports, c’est finalement le 31 mars que je suis parti d’Abidjan. Mon retour était prévu pour le 05 avril. Malheureusement à cette date, la compagnie aérienne qui était chargée d’organiser notre vol retour m’a fait savoir que tous les vols étaient annulés du fait de la fermeture de l’aéroport d’Abidjan. Il fallait donc attendre la réouverture de l`aéroport pour revenir au pays. C’est dans cette attente que j’ai appris que des armes auraient été retrouvées à mon domicile, sis à Angré 7ème tranche, qu’ensuite j’aurais été remplacé par un autre magistrat, et qu’enfin mon domicile aurait été pillé. S’agissant des armes qui auraient été retrouvées chez moi, il faut retenir que depuis ma nomination au poste de procureur de la République, pour des raisons de sécurité et compte tenu des dossiers sensibles traités, j’avais une garde rapprochée qui m’accompagnait dans tous mes déplacements et même au bureau depuis plus de 6 ans. Celle-ci était bien armée. Lors de mon dernier voyage, 3 éléments étaient restés à la maison. Sûrement que ce sont leurs armes, munitions et vêtements qu’ils ont abandonnés avant de quitter le domicile, puisqu’il n’est fait état de l’arrestation de personne à mon domicile. A l’aéroport, il m’a été signalé que ceux qui m’avaient accompagné avaient eux aussi laissé leurs armes à la consigne sous la supervision du commissaire Touré. Dans ces conditions, il serait hasardeux d’en tirer vite des conclusions alors qu’il n’en est rien. Ensuite, sur mon remplacement par un autre collègue, j’ai eu la confirmation par mes collaborateurs. Mais, comme je l’ai tantôt souligné, mon absence était liée à la fermeture de l’aéroport d’Abidjan ayant entrainé l’annulation de tous les vols sur le pays, un fait donc indépendant de ma volonté. Si ce fait est à la base de mon remplacement, je n’en ferai point pour autant un problème. Le Parquet fonctionne, c’est l’essentiel. Dans le cas de la continuité du service de l`État, c’est une bonne mesure. J’ai eu aussi la confirmation du pillage de mon domicile à Abidjan et aussi de celui d’Agboville, m’imposant ainsi une nouvelle contrainte, celle de la recherche d’un nouveau domicile à Abidjan et de tout le nécessaire pour qu’il soit habitable. Pour l’heure, je ne l’ai pas encore trouvé. Ce sont les raisons essentielles de mon absence. Cette absence ne peut s’analyser soit en une vie clandestine, soit en une disparition, encore moins en un silence qui serait pour certains l’aveu d’une infraction que je qualifierais d’imaginaire. Je suis pour le moment auprès de mes enfants que j’avais dû laisser, eux pour raison d’étude et moi pour raison professionnelle.
Finalement, doit-on dire que vous êtes en exil ou pas?
Je me considère plutôt comme un père en visite temporaire chez ses enfants, dans l’attente d’une nouvelle affectation ou nomination.
Pourquoi n`avez-vous pas répondu à l`appel du ministre d`État Ahoussou Jeannot à reprendre votre fauteuil?
J’ai déjà relevé l’incident survenu, dû à la fermeture de l’aéroport qui est à la base de mon absence. La réouverture de cet aéroport est récente, et les vols n’ont repris que depuis le 1er mai s’agissant de la compagnie aérienne que je devais prendre. Cependant, à la réunion du jeudi 21 avril 2011, j’avais demandé à l’une de mes substituts d’informer mon premier procureur de la République adjoint afin de me remplacer à cette séance prévue avec Monsieur le Ministre d`État, Ministre de la Justice. Dans tous les cas, ma présence n’était pas nécessaire pour commencer la mission qu’il voulait me confier, compte tenu de la présence de mes procureurs de la République adjoints avec lesquels j’ai toujours travaillé depuis plus de 6 ans.
Trois de vos adjoints sont, semble-t-il, portés disparus, puisqu`on n`a aucune trace d`eux aujourd`hui à Abidjan. Avez-vous une idée de leur position ?
Lesquels? N’étant pas sur Abidjan, je ne peux vous donner de réponse satisfaisante. Cependant, sachez que la reprise au Parquet a toujours été timide depuis le début des évènements post-électoraux. Certains s’étaient absentés pendant plus de deux mois, mais nous n’avons jamais fait mention de ces absences ni à l’audience, ni sur la place publique. Ils seront tous présents à leur poste dès que la sécurité reviendra.
Un remplaçant vous a été nommé. Le connaissez-vous? Votre point de vue sur lui et la procédure qui a été adoptée.
Je connais très bien celui qui me remplace actuellement, M Koffi Kouadio Simplice. Je l’ai toujours appelé mon frère, puisque nous avons cheminé et travaillé ensemble au nord du pays, quand j’étais juge de la Section du Tribunal de Boundiali. Son dernier poste à lui fut celui de directeur de la Législation et de la Documentation. En sa qualité de Magistrat hors hiérarchie et son expérience dans la profession, je pense qu’il saura faire et bien faire le travail qui l’attend. Je lui souhaite beaucoup de courage et une bonne chance. Relativement à sa nomination, la procédure, je pense, a été bien suivie puisqu’il a été, par la suite, installé selon les règles de l’art.
Déchets toxiques, filière café-cacao, cabinets de placements d`argent, vous étiez l`homme des dossiers chauds sous Gbagbo. Avec le recul, comment appréciez-vous cette posture?
Je n’ai pas encore eu le temps nécessaire de faire cette appréciation à cause de la situation actuelle du pays. Cependant, comme vous en parlez, je peux rapidement dire que j’ai fait ce que tout bon magistrat ferait s’il était à ma place. J’ai travaillé avec une équipe qui faisait ma fierté. Le Parquet, dans son ensemble, était solidaire dans le suivi de tous les dossiers. Ce qui m’a permis de tenir bon jusqu’à l’heure où j’ai été remplacé. J’avais beaucoup appris auprès de tous mes collaborateurs y compris avec ceux du siège qui m’ont accompagné dans certaines missions à l’étranger. C’était pour eux une nouvelle expérience et ils en ont tiré beaucoup de leçons. J’en profite pour rendre un hommage mérité à mes adjoints, substituts, greffiers et à toutes mes secrétaires. Certaines passaient des nuits blanches avec nous dans la saisie des rapports ou réquisitoires sur les dossiers que vous qualifiez de chauds. Je les remercie tous grâce à votre quotidien. Ma plus grande joie et satisfaction a été le fait d’être appelé une nuit par une haute personnalité de ce pays, qui après m’avoir félicité, m’a dit ceci: ``Je reconnais aujourd’hui que par vous il existe une vraie justice dans ce pays, tous mes encouragements``.
En matière de Droit, est-ce que le rôle du Parquet est d`être uniquement politique et au service du pouvoir politique?
Vous me posez à ce stade une question qui n’a pas encore trouvé de réponse, car faisant l’objet de grands débats dans les pays de droit francophone. Le problème de l’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir exécutif. Si les magistrats du siège sont indépendants dans la prise de leurs décisions, il n’en est par pour autant de ceux du Parquet. Ce sujet est vaste, ce qu’il faut retenir de manière succincte est qu’en matière de droit, 3 principes fondamentaux doivent guider le Parquet. Un, le principe des poursuites judiciaires. Deux, le principe de l’indivisibilité du Parquet. Trois, le principe du respect de la hiérarchie ou de la soumission aux instructions de la hiérarchie. Dans le principe des poursuites judiciaires, la loi a fait du procureur de la République un grand enquêteur. Il a pour rôle premier d’engager des poursuites contre tous les auteurs, co-auteurs et complices des crimes, délits et contraventions, donc des infractions prévues par le code pénal et tous les autres textes de lois et règlements reconnus dans le pays, y compris les traités internationaux ratifiés par les autorités compétentes. Il est donc un enquêteur au même titre que le policier et le gendarme, à la différence qu’il est leur directeur. Il ne rend pas de décision. C’est le travail des juges du siège. Il met simplement les délinquants arrêtés, soit à la disposition d’un autre magistrat, grand enquêteur, appelé juge d’instruction, s’il estime qu’il faut pousser les investigations, ou si la loi l’impose, soit il les fait traduire devant les juges du siège pour être jugés dans un délai maximum de 15 jours, comme dans la procédure de flagrants délits. Dans ce cas, les concernés peuvent rester en détention pendant ce délai. Soit, il les laisse comparaitre librement à l’audience, comme dans la voie de la citation directe, soit enfin, il décide de ne pas poursuivre les mis en cause par manque de preuves, ou pour charges insuffisantes ou parce qu’il estime la poursuite inopportune. Le principe de l’indivisibilité du Parquet se caractérise par le fait que dans la fonction, tout acte posé par un seul membre du Parquet engage tous les autres et tout est fait pour et au nom du Procureur. C’est la raison pour laquelle à l’audience, le substitut du procureur de la République est appelé M. le procureur de la République. C’est une solidarité qui s’impose à tous les membres du Parquet. Aucun membre ne peut s’en exonérer, sauf s’il n’est pas du Parquet. Cependant, la plus grande responsabilité incombe toujours au chef du Parquet. C’est ce qui explique le fait qu’il soit le premier à être interpellé dans tous les dossiers importants même quand ce sont ses substituts qui les ont traités. Pour finir sur le principe du respect de la hiérarchie, ou la soumission aux instructions des supérieurs hiérarchiques, il faut rappeler que seul le juge du siège est indépendant. Le principe du respect de la hiérarchie fait du procureur de la République, le Parquetier qui doit se soumettre à son supérieur direct, le procureur général qui, à son tour, doit se soumettre aux instructions du ministre de la Justice. Celui-ci doit aussi de son côté respecter les instructions du Premier ministre qui a pour supérieur direct le président de la République. Dans toute cette chaine, il n’est nullement mention de la coloration politique ou du parti politique des deux derniers qui généralement sont des hommes politiques. Le respect de leurs instructions amène souvent le commun des mortels à croire que le procureur de la République est du même bord politique que le chef de l’Exécutif. La crise vécue ces derniers temps a accentué cette opinion, mettant à mal la fonction, surtout lorsque le chef de l`État donnait directement les instructions à celui qui est au bas de l’échelle de la hiérarchie, faisant fi de toute la chaine. Est-ce pour autant une raison suffisante pour que ce procureur de la République refuse d’obéir aux instructions de son plus grand chef hiérarchique? Il peut seulement en rendre compte à ses supérieurs directs, si encore cette possibilité lui est offerte avec la permission du donneur d’instruction. Si un supérieur préfère s’adresser directement à celui qui est au bas de l’échelle, cette attitude peut être justifiée par deux raisons. Soit, il veut éviter la lenteur et la longueur des procédures parce que guidé par la volonté d’aller vite, donc visant la rapidité dans l’exécution des instructions, soit, il est guidé par la confiance qu’il a en ce procureur de la République à cause de l’efficacité et la rapidité du traitement qui est fait par cette base, relativement aux instructions données. Sur le plan du droit, il peut seulement relever que telle instruction est contraire à la loi, mais ce ne sera qu’avis, puisqu’il peut le contraindre par ses écrits. Uniquement à l’audience, le procureur de la République pourra, après avoir déposé entre les mains du juge du siège les réquisitions écrites de son supérieur, prendre le contre-pied de celles-ci par ses réquisitions orales («la plume est serve, la parole est libre»). Mais combien dans l’histoire du Parquet ont-ils posé un tel acte? D’où la seule solution pour refuser de se soumettre en tant que Parquetier aux instructions des supérieurs, y compris de l’Exécutif, c’est de ne jamais accepter d’être affecté au Parquet. La réflexion reste toujours ouverte, car certains juristes préconisent de rendre le Parquet indépendant comme les magistrats du siège, or jusqu’à preuve du contraire, le Parquet est le bras de l’Exécutif au sein du système judiciaire.
Le président Ouattara est installé, les nouvelles autorités judiciaires aussi. A quand votre allégeance?
Si vous avez bien suivi la réponse à votre précédente question, vous comprendriez que cette allégeance est automatique. Elle n’a pas besoin d’une autre formalité. En fait, je n’existe que par mon ministre de la Justice et par mon procureur général. Si les deux sont d’accord, moi je ne fais que suivre. Donc en ce qui me concerne, je suis à la disposition du président de la République Alassane Ouattara en sa qualité de chef de l’Exécutif. Le Parquet étant sa représentation au sein du système judiciaire.
Avez-vous peur de revenir au pays? Qu`est-ce qu`il faut pour que vous reveniez?
Non, je n’ai pas peur de revenir au pays. Cependant pour l’heure, je n’ai pas encore de nouvelle affectation, ni nomination. Je suis donc dans l’attente de celle-ci pour savoir où et comment être utile au développement de mon pays. En outre, il me faut une nouvelle habitation et un nouvel équipement de cette habitation. Ce qui va nécessiter des frais importants et non prévus au moment où je tends doucement vers la retraite.
Que pouvez-vous dire aux Ivoiriens en cette période de réconciliation?
J’ai suivi et vécu comme tous les Ivoiriens, ces moments et évènements douloureux qui ont endeuillé malheureusement beaucoup de familles. Je présente mes sincères condoléances à toutes ces familles, et souhaite prompt rétablissement à tous les blessés. En m’inscrivant dans la voie de la réconciliation en vue d’une paix durable tracée par le président de la République Alassane Ouattara, j’invite tous les Ivoiriens à s’approprier cette voie pour que se relève notre pays de ses cendres. Que DIEU bénisse la Côte d’Ivoire.
Interview réalisée au téléphone par JMK AHOUSSOU