Déclarations à charge dans la presse : Ce que les militants attendent de Mamadou Koulibaly

Publié le mardi 14 juin 2011 | Le Temps - Alors que sa qualité de président par intérim du Front populaire ivoirien (Fpi) le place en défenseur des militants emprisonnés,

brimés, en exil ou en résidence surveillée, le Pr. Mamadou Koulibaly les charge et inquiète par ses déclarations dans les médias. Il doit se ressaisir et plutôt les sauver.

Koulibaly Mamadou, président par intérim du FPI.

Publié le mardi 14 juin 2011 | Le Temps - Alors que sa qualité de président par intérim du Front populaire ivoirien (Fpi) le place en défenseur des militants emprisonnés,

brimés, en exil ou en résidence surveillée, le Pr. Mamadou Koulibaly les charge et inquiète par ses déclarations dans les médias. Il doit se ressaisir et plutôt les sauver.

Le Pr. Mamadou Koulibaly affirme dans l’hebdomadaire Jeune Afrique du lundi 6 juin 2011 que Laurent Gbagbo a perdu la présidentielle : «Il a fini par reconnaître sa défaite» parce que selon lui, «le 11 avril, il a demandé à Désiré Tagro de sortir avec un mouchoir blanc» et que la défaite militaire était «la continuation du résultat électoral. Nous avons dénoncé la fraude, dans le nord du pays. Nous sommes les premiers responsables, car le Fpi n’avait pas de représentant dans de nombreux bureaux de vote. Nous avons réalisé une très mauvaise campagne électorale, mal organisée. Il n’y avait pas de stratégie, pas de discours cohérent, et trop de personnes étaient en première ligne, avec des moyens colossaux mais mal utilisés. Certains cadres n’ont pas travaillé ; ils ont détourné de l’argent pour acheter notamment des véhicules». Et comme explication, il soutient: «Le problème, c’est l’usure du pouvoir. Lorsque nous étions dans l’opposition, on faisait mieux avec moins de moyens. On rêvait d’une nouvelle Côte d’Ivoire et on déplaçait des montagnes. Dix ans plus tard, nous étions pleins de fric. On disait qu’on voulait ouvrir le marché ivoirien au monde entier mais, dans les faits, on a fait des «deals» avec les plus grosses entreprises françaises. Alassane Ouattara a proposé une vision plus cohérente.» Et sur la responsabilité du Président Gbagbo dans la gestion des événements postélectoraux, Mamadou Koulibaly est sans concession : «Je ne pense pas que quelqu’un puisse influencer Laurent Gbagbo. Il est toujours resté maître de ses actes. Mais tous les militants, les cadres, se demandent pourquoi il s’est à ce point entêté, à la limite de l’irrationnel.» Ces propos nous amènent à examiner l’acte du Président de l’Assemblée national, celui de l’homme de chair qu’il demeure et de porter un regard sur l’ensemble de son apport à la vie de la Côte d’Ivoire ces dernières années.

Le Président de l’Assemblée nationale

Les propos de la deuxième personnalité dans la hiérarchie politique intriguent le citoyen et le militant lambda. Le moins qu’on puisse reconnaître, c’est «la gravité de ses propos» contre un régime dont il est un des acteurs. Pour l’Ivoirien, Mamadou Koulibaly a acquis sa popularité après avoir claqué la porte lors des accords de Linas-Marcoussis, se présentant ainsi comme souverainiste et anti impérialiste. Il a en plus organisé un séminaire à Abidjan contre le «pacte colonial» dont les conclusions (pétition à l’appui) ont fait la promotion de la fin de ce pacte et/ou celle de la définition de nouveaux rapports avec l’ancienne métropole afin d’explorer d’autres opportunités dans lesquelles notre pays aurait la plénitude des prérogatives.

En sa qualité de ministre des Finances sous le Général Robert Guéi en 2000 et pendant la campagne électorale de Laurent Gbagbo, il avait au cours de plusieurs conférences, dénoncé l’influence négative de la fixité de la parité du Franc Cfa et du Franc français sur notre économie (au moment du passage à l’Euro) pendant que d’un autre côté, son camarade Moïse Lida Kouassi (membre influent du cabinet du général Guéi) remettait en cause la présence du 43è Bima. Soulevant des réactions mitigées approuvées ou non, à travers le monde et l’Afrique (le Gouverneur de la Bceao, Charles Konan Banny, avait protesté). Et dans la France chiraquienne, ces discours furent perçus comme le désir des futurs dirigeants ivoiriens à renoncer à l’influence ou au joug français. Et les Ivoiriens étaient heureux de sentir le rejet du pré carré de l’ancienne métropole accrochée à ses intérêts.

Consciemment ou inconsciemment, on était en droit de penser que connaissant les méthodes des impérialistes, ces hommes politiques devraient donc avoir pris des dispositions afin qu’il n’arrive pas à leur régime, ce qui était advenu des Patrice Lumumba, Sékou Touré, Kwame Nkrumah, Thomas Sakanra, Gamal Abdel Nasser Hussein, etc. De ce point de vue, comme le dit sa réputation d’homme «intransigeant sur la morale et les règles de droit», Mamadou Koulibaly s’était présenté en défenseur de la souveraineté de la Côte d’Ivoire.

L’homme charnel

Mais homme politique, Mamadou Koulibaly n’en demeure pas moins un homme charnel avec ses peurs, regrets, craintes, faiblesses, pleurs, rêves,… Dès son retour d’Accra au lendemain de la chute de son régime, «d’où il aurait été contacté» par le Président Alassane Ouattara, il persiste un doute sur les conditions et motivations de ce retour précipité à Abidjan. Certes, les statuts du Fpi font de lui le président intérimaire du parti, après l’incarcération du président Pascal Affi N’Guessan et ses deux 1er et 2è vices présidents.

Cependant, on peut aussi se demander pourquoi il n’est pas inquiété comme ses camarades en résidence surveillée. Tant mieux ! Les déclarations du président Mamadou Koulibaly semblent être celles de quelqu’un qui a peur pour sa propre vie, plus que pour celle de ceux qu’il prétend protéger. Il regrette que son régime n’ait pas pris de dispositions pour assurer sa survie politique, de n’avoir pas rempli ses promesses (usure du pouvoir, le fric, les privilèges…) et de n’avoir pas été suffisamment écouté par Laurent Gbagbo.«Si Gbagbo m’avait écouté…» Le Pr. Mamadou Koulibaly s’est installé dans un «combat singulier» contre «son propre son camp» en invoquant des conflits, plus de personnes que d’idéologie politique. Ses dénonciations des résultats aux concours d’entrée à l’Ecole de Police contre Désiré Asségnini Tagro (ex-ministre de l’Intérieur), pour népotisme et de ceux de la Fonction publique (notamment de l’Ena) contre Hubert Oulaye (ministre de la Fonction Publique), ont fragilisé la cohésion au Fpi. Les réunions internes du Fpi n’ont réglé les divergences que de façon superficielle. Il affirme avoir été «mis sur la touche par Laurent Gbagbo (et non par un Congrès ou une Convention) pour entre autres, avoir dénoncé les excès des durs du régime, puis écarté lors de la campagne pour la présidentielle». Etait-il en conflit personnel ou intellectuel avec Laurent Gbagbo lui-même ? Il reconnaît volontiers que sa relation politique avec lui, a toujours été difficile. Ces propos, «les gens ne savent pas comment on fonctionne (lui et Gbagbo)», n’étaient-ils que des propos de façade, de la fumée pour cacher des sanglots ?

Le rêve de Koulibaly

Il affirme avoir été écarté. Mais au fait, a-t-il été écarté effectivement ou s’est-il écarté de lui-même pour ne pas avoir à être comptable du bilan de la gestion sociale, morale et politique de son régime pour se présenter comme «l’intransigeant sur la morale et les règles de droit»? Ses camarades se souviennent également de certains de ses propos ambigus et anachroniques défavorables au parti pendant la tenue du séminaire ayant précédé la fête de la liberté 2010, à quelques mois des élections de sortie de crise. Mamadou Koulibaly montre sa franchise. Mais que vaut une franchise si elle est hors cadre et ne s’adapte ni aux circonstances, ni au temps ?D’autre part, pendant qu’il participait ostensiblement aux cérémonies de prestation de serment et à l’investiture de Alassane Dramane Ouattara, il se faisait remarquer par son absence aux cérémonies du même genre de Laurent Gbagbo, de même qu’aux dernières sessions de l’Assemblée nationale. Le dauphin constitutionnel refuse de l’être et fait part de son rêve naïf et généreux de «voir Laurent Gbagbo remettre le pouvoir et les insignes de la République à son adversaire» (comme s’il en était habilité). Et il soutient dans la presse : «Cette passation aurait ancré la démocratie dans notre pays. Cinq ans plus tard, il avait toutes ses chances pour redevenir président». Faux ou vrai, il aurait selon certaines indiscrétions, remis en cause l’application de cette partie de la constitution, le désignant comme son successeur potentiel au cas où... Il dit lui-même s’être exilé pour voir ce qui «va se passer» après la décision du panel reconnaissant Alassane Ouattara comme Président. Sans mot dire, ayant prédit la chute du régime, il n’a pas voulu prendre le risque de participer à l’organisation de la résistance, laissant le soin à d’autres de le faire à sa place (contraire au film ayant servi de support au séminaire sur le pacte colonial). Même au péril de sa vie, Mamadou Koulibaly aurait dû rester ferme sur ses positions comme on l’a vu pendant les crises de septembre 2002 au devant des soldats d’Akouédo contre les assaillants et présidant en novembre 2004, la réunion de dénouement du siège de l’Hôtel Ivoire avec les Généraux, malgré les fusillades de la Licorne contre les populations aux mains nues.

L’homme charnel a des circonstances atténuantes (la peur pour sa propre vie est naturelle), mais l’homme politique a raté l’occasion de rester constant dans la mémoire collective pour ses prises de position souverainiste et anti impérialiste connues. Sa vision des accords de défense va même évoluer. Totalement refusé hier, il accepte aujourd’hui le principe de leur révision.

Koulibaly et ses nouvelles responsabilités

Dans sa volonté de représenter la poche de moralité, sa peur et ses craintes humaines ont pris le pas sur sa raison et sa philosophie politique. Aujourd’hui, le militant ordinaire ne comprendra pas ou ne saisira pas ses démarches et celles-ci pourraient être assimilées à un règlement de compte personnel à Laurent Gbagbo et à une trahison. Au fait et si Mamadou Koulibaly prêchait plus pour sa proche chapelle et non pour la survie de son parti ?

S’il ne rend pas transparent et compréhensible ses démarches, le jugement populaire des militants pourrait lui être fatal à long terme. Le Pr. Mamadou Koulibaly devrait s’inspirer de l’expérience politique de Laurent Dona Fologo. Qui, en 2000, a assuré l’intérim du Pdci décapité après le coup d’Etat du 24 décembre 1999. A sa sortie de prison, discrètement et efficacement, avec Jean Konan Banny, Fologo a ressuscité le Pdci sans tambour ni trompette. Le Pr. Mamadou Koulibaly reproche au Fpi et à Laurent Gbagbo beaucoup de griefs contre l’accord de Marcoussis portant atteinte à notre souveraineté, contre le non respect des délais de l’Accord politique de Ouagadougou (Apo), contre la «mauvaise organisation» de la campagne: «pas de représentants du Fpi dans de nombreux bureaux de vote, absence de stratégies, incohérence des discours et méthodes, utilisation à des fins personnelles voire détournements des budgets de campagne, entêtement de Laurent Gbagbo, refus du verdict de l’Union africaine…» Pourtant, il n’est pas sans savoir les graves errements de la Cei, l’incohérence de la certification onusienne de Young Jin Choi, les prérogatives du Conseil constitutionnel, le code électoral et les fraudes électorales. Il laisse également transparaître une vision manichéenne mettant en parallèle les dérives de son propre camp d’avec ceux des adversaires politiques sur les crimes économiques et de sang perpétrés depuis 2002. Il craint même que quelque chose de spécial soit préparé contre Gbagbo et ses compagnons. Si lui Mamadou Koulibaly, devenu (à cause de sa qualité de président par intérim du Fpi) défenseur naturel de Laurent Gbagbo et ses camarades en prison, donne à leurs adversaires des arguments pour les condamner à de graves peines, comment dans le même temps, peut-il demander leur libération et espérer l’obtenir ? Mamadou Koulibaly doit prendre conscience qu’aujourd’hui, là où il se trouve, il doit jouer dans la défense de ses camarades en prison pour leur libération et non dans la production des charges contre eux.

Germain Séhoué
gs05895444@yahoo.fr