Débats et opinions: POUTINE SUR LES TRACES DE LA FRANCE

Par Correspondance particulière - POUTINE SUR LES TRACES DE LA FRANCE.

L'installation d'Alassane Ouattara à la tête de la Côte d'Ivoire fut le
couronnement d'une nouvelle vision politique de la France qui a choisi, dans
un contexte politico-économique global, de mettre progressivement ses
ex-colonies africaines sous le régime de tutelle, selon des clauses de la
Charte des Nations unies. Le partenariat gagnant-gagnant proposé par le
président Laurent Gbagbo n'était pas du goût des autorités françaises
qui tiennent, jusqu'à ce jour, à nous imposer aussi bien les prix de vente
de nos matières premières que les sociétés françaises, dans un marché
de dupes. Il suffit, pour nous en rendre compte, de parcourir l'actualité
relative à la privatisation des sociétés d'État en Côte d'Ivoire ou
même de lire l'interview accordé par le franco-ivoirien Tidjane Thiam
aux journalistes Patrick Bonazza et Clément Lacombe pour «Le Point»
publié par Ivoirbusiness.net.
La France, n'ayant plus les moyens économiques et militaires, d'administrer
seule ses ex-colonies africaines qui aspirent à la démocratie, à un
développement «sur mesure»; conforme à leurs réalités
socio-culturelles, a choisi de les exploiter avec l'aide militaire des
nations unies. Pour se débarrasser du président socialiste Laurent Gbagbo,
partisan d'une Afrique souveraine, l'Armée française a occupé le Nord de
la Côte d'Ivoire. Tous les rebelles africains qui s'y trouvaient n'étaient
que des
ouvriers au service de la France qui leur a procuré, sur de nombreuses
années du pain, des armes, de l'argent etc... Occuper cette partie de notre
pays revenait à exploiter, pour le compte de la France, le diamant, l'or,
toutes les ressources minières indispensables à la Métropole. Lorsque
l'Armée française constata, en effet, que l'Armée ivoirienne (les
Loyalistes) était sur le point de reconquérir la ville de Bouaké, «la
France demanda un délai de 48 heures de cessez-le-feu, afin d'évacuer leurs
ressortissants et le personnel des États-Unis. Ils en profitèrent pour
prêter main-forte aux rebelles (Lire texte traduit par Affoué Y. sur
Wikileaks Actu francophone)». Cette occupation militaire du Nord de la Côte
d'Ivoire fut une étape fondamentale pour créer les conditions politiques
favorables à l'installation d'Alassane Ouattara, un fonctionnaire
international africain acquis totalement à la cause de la France. L'invasion
militaire de la Crimée par la Russie de Poutine s'inscrit dans cette même
optique; son but étant d'avoir à Kiev un gouvernement pro-russe, et non
pro-européen. Après la partition de la Côte d'Ivoire, la seconde étape a
consisté, pour la France, à exploiter la fibre culturelle, le patrimoine
mystique des fils du Nord pour les rassembler autour de leur candidat
Alassane Ouattara. En présence d'une rébellion toujours armée, les
populations du Nord, dans leur majorité, ont voté, de gré ou de force, le
leader politique du RDR, lors des présidentielles contre le président
Laurent Gbagbo. Le résultat des votes des fils du Nord à ces
présidentielles n'est pas différent de celui exprimé par les russophones
de la Crimée qui ont choisi d'appartenir à la Russie de Poutine: 96,6%. Le
président russe a su, en fait, s'inspirer de cette nouvelle technologie
électorale sous la pression des
armes introduite par la France et l'ONU en Côte d'Ivoire. Ce n'est pas en
effet la première fois que les russes imitent la France. La Marseillaise,
cet hymne national révolutionnaire écrit par le capitaine du Génie Claude
Joseph Rouget de Lisle en 1792, a été un chant populaire durant la
révolution russe de 1905. Il a été réécrit par le Russe Piotr Lavrovitch
Lavrov et intitulé la Marseillaise des Travailleurs. Lorsque nous comparons
l'invasion militaire de la Crimée à celle de la Côte d'Ivoire, nous
constatons que les stratégies politico-militaires de la France inspirent
aujourd'hui la Russie qui refuse, elle-aussi, de concéder aux pays
satellites de la grande URSS leur souveraineté. La France veut restaurer sa
fédération de l'AOF (l'Afrique Occidentale française), en pacifiant la
Côte d'Ivoire, et celle de l'AEF (L'Afrique Équatoriale française), en
s'installant en Centrafrique auprès de son grand allié le Tchad. Poutine ne
voudrait pas être en reste, il rêve aussi de réveiller l'URSS, le Géant
qui dort. Après le succès électoral en
Crimée, jugé légal par la Russie, compte tenu de faits politiques
internationaux précédents, nous pouvons entrevoir les prochaines étapes de
la conquête de l'Ukraine par ce Géant de l'Europe de l'Est, en analysant
l'étape finale du «coup d'État constitutionnel ou militaire» de la France
en Côte d'Ivoire. Une fois enracinés au Nord de notre pays, les partisans
d'Alassane Ouattara, à travers tous ceux qui partageaient leur culture,
leurs croyances, se sont infiltrés, grâce au
soutien de la France, dans tous les secteurs d'activités de notre pays, et
ont commencé à éroder progressivement le pouvoir politique du président
Gbagbo, afin de faire de lui un fruit pourri qui serait tombé seul.
L'organisation des élections, la formation de la CEI et son rôle dans le
processus qui devait conduire à la proclamation des résultats
présidentiels furent guidés indirectement par la
France, qui refusa de prendre en compte la position finale de la Cour
Constitutionnelle de la Côtend'Ivoire. La France, sous le couvert d'une
certaine légalité internationale, donna l'ordre à l'Armée française
d'envahir notre pays, de bombarder la résidence d'un président africain
proclamé par la
Cour constitutionnelle de son pays, et d'enfermer ce dernier à la CPI, pour
crimes contre l'humanité. Il y est maintenu malgré l'incapacité pour la
Procureure de cette Cour internationale d'établir sa culpabilité. En
Ukraine, Poutine écrit le même scénario en langue russe. Il s'est déjà
opposé à tous ceux qui font de Ianoukovitch un président illégitime. De
la CPI, on en parle pratiquement plus dans la crise ukrainienne. Pour
l'instant, seules des sanctions des États-Unis à l'encontre de
l'ex-président ukrainien sont à relever. C'est plutôt le gouvernement
ukrainien pro-européen qui passe pour illégitime aux yeux des russes. «En
Crimée» écrit le journal «Le Monde», «l'arrivée des Russes ravive les
anciennes querelles». Ce titre jette la lumière sur toutes les querelles
suscitées en Côte d'Ivoire par les spécialistes français du désordre et
de la haine, dans le but d'opposer les fils du Nord à ceux du Sud de notre
pays. Poutine se servira certainement de la même arme, en mettant en place
la politique du «rattrapage des russophones». L'Est de l'Ukraine érodera
progressivement le pouvoir politique du gouvernement ukrainien pro-européen
installé à l'Ouest, en faisant siens les discours de la Presse russe qui le
font passer pour un gouvernement fasciste. Les fascistes étant les ennemis
naturels des communistes et des socialistes, toute opposition violente entre
les ukrainiens de l'Ouest et ceux de l'Est sera exploitée par Poutine pour
envahir militairement l'Ukraine, afin d'installer à la tête de son pays
satellite un gouvernement prorusse.
La guerre comme solution au contentieux électoral entre le président Gbagbo
et
Alassane Ouattara fut justement le prétexte de la France pour intervenir
militairement dans le but d'installer son candidat. Les Russes évoquent
déjà le droit à la légitime défense; cela signifie qu'ils ne tarderont
pas à protéger les populations russophones contre toute attaque des
fascistes. Quelle leçon tirer, en définitive, des faits politiques de la
Crimée. Qui soutenir? L'on ne peut objectivement soutenir ni la Russie ni
l'Europe. S'il est constaté que la Russie viole la
souveraineté de l'Ukraine une Nation démocratique, l'Europe n'est pas,
quant à elle, en reste, puisqu'elle a choisi, ces dernières années, de
soutenir les rébellions armées contre tous les gouvernements qui ne servent
pas totalement leurs intérêts. Pour avoir choisi de résoudre la crise
ivoirienne et celle de nombreux autres pays au moyen de la guerre, l'Union
européenne viole ellemême
les valeurs démocratiques qu'elle n'encourage pas et s'inscrit, évidemment,
dans un contexte politique international qui nous ramène à la période de
la guerre froide, du nazisme, où les États les plus forts choisirent de
redessiner les frontières des nations. Pour restaurer les valeurs
démocratiques, il faut que chaque nation souveraine ait le droit de décider
de sa propre destinée, en
se conformant librement à la Constitution dont elle s'est dotée. Aucune
communauté internationale ne doit s'arroger le droit d'installer un
président à la tête d'une Nation souveraine. C'est seulement en enlevant
la poutre de son oeil, en mettant fin à la Françafrique, que la France peut
paraître crédible aux yeux du monde, et se permettre d'enlever la paille
qui se trouve dans l'oeil de la Russie de Poutine. Dans le cas contraire,
qu'elle s'abstienne de condamner et d'adopter des sanctions contre l'invasion
de la Crimée voire de l'Ukraine par l'Armée russe puisqu'en Côte d'Ivoire,
en Afrique, aucune nation africaine francophone n'est encore réellement
indépendante, souveraine.

Une contribution d'Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)