CPI - Confirmation des charges contre Gbagbo: Voici le texte intégral de l'Appel de Me Altit

Par ICC/CPI - intégralité de l'appel de la défense de Gbagbo contre la confirmation des charges.

Le Président Laurent Gbagbo au cours d'une audience à la CPI. Image d'archives.

IvoireBusiness vous livre en exclusivité, le texte intégral de l'appel interjeté le 31 juillet dernier par la défense de Gbagbo, laquelle a déposé une requête contre la dernière décision de la CPI de confirmer les charges contre Laurent Gbagbo.

Original : français N° : ICC-02/11-01/11
Date : 31 juillet 2014

LA CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I

Composée comme suit : Mme la juge Ekaterina Trendafilova
Mme la juge Christine Van den Wyngaert
Mme la juge Silvia Fernández de Gurmendi

SITUATION EN CÔTE D’IVOIRE
AFFAIRE
LE PROCUREUR c. LAURENT GBAGBO

Public

Version publique expurgée de la demande d’autorisation d’interjeter appel de la
« Décision relative à la confirmation des charges » du 12 juin 2014 (ICC-02/11-01/11-
656-Conf-tFRA)

Origine : Équipe de Défense du Président Gbagbo

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Document à notifier, conformément à la norme 31 du Règlement de la Cour, aux
destinataires suivants :

Le Bureau du Procureur
Mme Fatou Bensouda, Procureur
M. James Stewart

Le conseil de la Défense
Me Emmanuel Altit
Me Agathe Bahi Baroan

Me Natacha Fauveau Ivanovic

Les représentants légaux des victimes Les représentants légaux des
demandeurs

Les victimes non représentées Les demandeurs non représentés
(participation/réparation)

Le Bureau du conseil public pour les
victimes
Les représentants des États

GREFFE
Le Greffier
M. Herman Von Hebel

Le Greffier adjoint

L’Unité d’aide aux victimes et aux
témoins
La Section de la participation des
victimes et des réparations

Le Bureau du conseil public pour la
Défense

L’amicus curiae

La Section d’appui aux conseils

La Section de la détention

Autres

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I- A titre liminaire : pour des raisons de bonne administration de la justice,
la présente requête est déposée devant la Chambre préliminaire I siégeant
collégialement.

1. Le Juge unique agit comme Juge de la mise en état alors que la Chambre préliminaire
siégeant collégialement est appelée à trancher les questions importantes. C’est ce que disent et
la lettre et l’esprit du Statut.

2. Or, il s’agit ici d’examiner une demande d’autorisation d’interjeter appel portant sur une
décision de confirmation des charges. Une telle décision est « le point d'orgue » de la phase
préliminaire : « le dépôt de la Décision de confirmation ne constitue pas le point de départ de
la procédure préliminaire mais bien son aboutissement. (…) Il s'agit-là de l’une des raisons
essentielles de l’existence de la Chambre préliminaire »1. Il s’agit donc de la décision la plus
importante que peuvent délivrer les Juges de la Chambre préliminaire.

3. Par conséquent, il est nécessaire que la Chambre se prononce en formation collégiale sur
la demande d’autorisation d’interjeter appel en application de la règle 7 du RPP.

4. Ceci est d’autant plus indispensable que la décision de confirmation des charges a été
prise collégialement et qu’il est donc logique que la décision sur l’autorisation de faire appel
soit prise collégialement. De plus, la décision ayant été prise à la majorité et différentes
opinions ayant été exprimées par les Juges, il important que tous puissent s’exprimer sur la
demande d’autorisation de faire appel, d’autant que la décision fait suite à un ajournement.

II- Sur la confidentialité.

5. La présente requête est déposée à titre confidentiel en vertu de la Norme 23(2) bis
puisqu’elle fait référence à des documents confidentiels. La Défense en déposera une version
publique expurgée.

III- Le droit applicable.

1 ICC-01/04-01/07-1547, par. 22.

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6. En ce qui concerne le droit applicable, la Défense renvoie aux développements de ses
demandes précédentes d’autorisation de faire appel2.

7. Néanmoins la Défense note :
- Qu’une demande d’autorisation de faire appel n’a pas à exposer en détail tous les
arguments que le requérant souhaite présenter devant la Chambre d’Appel3 ;
- Que lorsqu’il s’agit de questions d’équité, il suffit pour la Chambre préliminaire de
vérifier dans la demande la logique de l’argument sans pour autant le discuter4 ;
- Que le Juge Président dans son opinion dissidente du 31 juillet 2013 a considéré que
lorsque « l’équité de la procédure est au cœur de la question que la Défense se propose
de soulever en appel, il me semble aller de soi que cette question affecte le déroulement
équitable de la procédure »5 ;
- Que la Chambre préliminaire, dans la présente affaire, a considéré le 31 juillet 2013
qu’une « issue » mal formulée par la partie demanderesse pouvait être reformulée,
surtout quand il était utile que la Chambre d’Appel se prononce sur le point discuté6 ;
- Que « la demande de la Défense ne devrait pas être rejetée au motif qu’elle
n’identifierait pas correctement une question susceptible d’appel, mais qu’elle devrait
être analysée plus avant compte tenu de la substance des arguments qui y figurent »7 ;
- Que la Chambre préliminaire ne jouit pas d’un pouvoir discrétionnaire illimité lorsqu’il
s’agit d’accorder ou non l’autorisation de faire appel. Le Juge unique relevait le 31
juillet 2013 qu’« en particulier, il semble que pour décider si une « question » au sens
de l’article 82-1-d du Statut a été soulevée, la Chambre ait à déterminer de façon plutôt
simple et directe si la question formulée par la partie découle de ce qui est effectivement
dit dans la décision attaquée»8.

8. Ainsi, l’appel doit-il être autorisé quand la question de l’équité de la procédure se pose
de manière explicite ou implicite à la suite d’une décision de la Chambre préliminaire ou du
Juge unique. C’est le devoir des Juges d’identifier de telles questions dans une demande
d’autorisation de faire appel, quitte à les reformuler, afin de les soumettre à la Chambre

2 Notamment: ICC-02/11-01/11-525, par. 15-26.
3 ICC-02/11-01/11-307, par. 70.
4 ICC-01/04-01/07-3327-tFRA, par. 12.
5 ICC-02/11-01/11-464-Anx-tFRA, par. 71.
6 Idem par. 36.
7 Idem par. 63.
8 Idem par. 5, 6.

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d’Appel. Il doit être autorisé aussi quand il s’agit d’une question d’importance « découlant »
de la décision.

IV- Discussion.

Introduction : l’importance cruciale de la décision portant sur la confirmation des
charges.

9. Dans l’affaire Katanga, la Chambre de première instance II, rappelait que la décision
de confirmation des charges est « le point d'orgue » de la phase préliminaire, précisant que
cette décision constitue « l'une des raisons essentielles de l'existence de la Chambre
préliminaire, laquelle doit permettre au procès de se dérouler, de la manière la plus diligente
possible, sur des bases factuelles certaines et claires, accessibles aux accusés »9.

10. Dans la présente affaire, la Chambre avait rappelé que « one of the core purposes of
confirmation of charges is to fix and delimit the factual scope of trial »10.

11. La décision sur la confirmation des charges, si elle n’est pas une décision définitive
sur la responsabilité pénale d’un individu, clôt la phase préliminaire d’une affaire pendant
laquelle est déterminée la question de savoir si un accusé doit être renvoyé au procès. C’est
donc une décision cruciale qui conditionne toute la suite de la procédure devant la Cour.

12. C’est pourquoi même si la lettre du Statut n’accorde pas à la Défense un droit
automatique de faire appel d’une décision de confirmation des charges, les conséquences
cruciales d’une telle décision expliquent que les Juges doivent examiner ici plus qu’ailleurs,
de manière large et souple les demandes d’autorisation de faire appel relatives à de telles
décisions. L’objet de la procédure de confirmation des charges étant de vérifier le sérieux des
allégations et la solidité du dossier du Procureur, il est important qu’aucun élément ne soit
laissé dans l’ombre, ce qui vicierait et au minimum saperait les fondements de toute la
procédure ultérieure. C’est la logique et l’esprit du Statut que tout point important soulevé
lors de la procédure de confirmation des charges soit discuté et tranché par les Juges. Dans ces
conditions, toute question en suspens lors de la phase préliminaire doit être tranchée par les

9 ICC-01/04-01/07-1547, par. 22.
10 ICC-02/11-01/11-325, par. 27.

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Juges d’appel. Un procès qui se tiendrait sur la base d’une décision de confirmation des
charges déficiente ou floue ou qui ferait suite à une succession d’irrégularités commises
pendant la phase de confirmation des charges risquerait d’être déséquilibré et inéquitable.

13. Dans cette optique, il est crucial de pouvoir prendre en compte toute la phase
préliminaire – et pas seulement l’audience de confirmation des charges stricto sensu – afin de
saisir les tenants et les aboutissants de la décision de confirmation des charges, de la
contextualiser et d’en relever les incohérences. La Juge unique a d’ailleurs accordé à la
Défense des pages supplémentaires de manière à « taking into account the complexity and the
length of the pre-trial proceedings in the present case which ultimately led to the
Confirmation Decision »11.

14. La Défense a identifié un certain nombre de questions, énumérées ci-après, dont le
règlement par la Chambre d’Appel paraît nécessaire. Ces questions ne relèvent pas de simples
désaccords ou de divergences de vue avec la majorité des Juges, mais constituent des
questions qui répondent aux critères de l’article 82(1)(d) et méritent d’être soumises à la
Chambre d’Appel afin d’être tranchées à ce stade de la procédure de manière à ce que
l’éventuel procès se déroule de la meilleure façon, sur des bases juridiques et factuelles
claires.

Les questions d’appels :

1. La question relative aux fondements de la décision: la décision est-elle entachée
d’illégalité en raison des atteintes à l’intégrité de la procédure commises pendant
la phase préliminaire ?

15. La phase préliminaire a donné lieu à un certain nombre de décisions de la part de la
Chambre qui ont eu pour conséquence notamment des atteintes aux droits du suspect.

16. La Défense tient à souligner dès à présent qu’il ne s’agit pas de revenir sur des
demandes d’autorisation d’interjeter appel formulées au long de la procédure. De telles
demandes portant sur des décisions de la Chambre que la Défense estimait comporter des
erreurs de droit ou de fait ont été formulées en temps utile. Le point de vue retenu ici est

11 ICC-02/11-01/11-673, par. 6.

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différent : il s’agit de considérer de façon globale le comportement des parties et participants à
la procédure et les réponses apportées par la Chambre aux demandes de la Défense pour
vérifier si la position des uns et des autres n’a pas conduit à ce que l’intégrité de la procédure
soit atteinte et si, par conséquent, la légalité de la décision de confirmation des charges est
discutable.

1- Première sous-question : le refus de la Chambre de considérer le comportement du
Représentant Légal des victimes (le Représentant) tout au long de la procédure
affecte-t-il l’intégrité de la phase préliminaire et entache-t-il la légalité de la décision
de confirmation ?

17. A aucun moment, malgré douze demandes de la Défense12, les Juges ne se sont
prononcés sur le comportement du Représentant et n’ont examiné s’il agissait plutôt comme
un second Procureur que comme un participant13.

1-1 Démonstration a été faite à plusieurs reprises que le Représentant s’était
systématiquement comporté en second Procureur.

18. Tout au long de la procédure de confirmation des charges, le Représentant aura agi
comme un auxiliaire du Procureur, allant toujours dans le sens des arguments de ce dernier, le
paraphrasant, dépassant systématiquement la question de l’éventuel intérêt personnel des
victimes14. Pourtant, « victims are participants rather than parties to the trial and shall
not be considered as a support to the prosecution »15.

19. L’attitude systématique du Représentant aura conduit à chaque fois à une rupture de
l’égalité des armes au détriment de la Défense, obligée dès lors de se battre sur deux fronts.
L’équité de la procédure en aura été affectée de façon continue.

12 ICC-02/11-01/11-151 ; ICC-02/11-01/11-160 ; ICC-02/11-01/11-209 ; ICC-02/11-01/11-222 ; ICC-02/11-
01/11-395 ; ICC-02/11-01/11-T-21-FRA, p. 30, l. 15-16 ; ICC-02/11-01/11-429-Conf ; ICC-02/11-01/11-438,;
ICC-02/11-01/11-T-22-CONF-FRA, p. 39, l.10-16 ; ICC-02/11-01/11-574 ; ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-
Corr2 ; ICC-02/11-01/11-647-Conf-Anx1-Corr.
13 Notamment ICC-02/11-01/11-464-tFRA; ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA.
14 Notamment ICC-02/11-01/11-429-Conf, par. 2-7, etc.
15 ICC-01/05-01/08-1023, par.17.

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1-2 Démonstration a été faite à plusieurs reprises du comportement inapproprié du
Représentant.

20. Dans leur décision du 12 juin 2014, les Juges ne répondent pas à la demande de la
Défense visant à rappeler au Représentant ses obligations16 alors que la Défense avait
démontré dans ses soumissions finales que le Représentant avait structuré son argumentation
autour d’une mésinterprétation voulue d’au moins quatorze citations jurisprudentielles17.

21. Dans ses soumissions finales du 4 avril 2014, le Représentant prétendait aussi disposer
d’un droit de participation automatique à la procédure18.

22. Au cours de la procédure le Représentant a tout fait pour s’opposer à l’exercice de ses
droits par le suspect, tentant par exemple de convaincre les Juges que la discussion sur l’état
de santé du Président Gbagbo ne constituait qu’un moyen dilatoire utilisé par ce dernier pour
mettre en échec la procédure19. A chaque fois que la Défense a demandé l’autorisation
d’interjeter appel d'une décision, le Représentant s’y est opposé, estimant que cela était fait
dans un but dilatoire20.

23. En ne se prononçant pas sur le comportement du Représentant, autrement dit en
refusant d’encadrer ses interventions conformément au Statut, les Juges n’ont-ils pas accentué
le déséquilibre de la procédure au détriment de la Défense, d’autant qu’ils ont
systématiquement pris en compte les arguments de fond du Représentant ?

2- Deuxième sous-question : le flou juridique permanent maintenu par les Juges,
conduisant à l’application de critères contradictoires, toujours au détriment de la
Défense, quand il s’agissait d’accorder une autorisation d’interjeter appel, a-t-il
compromis l’intégrité de la procédure ?

24. La Défense a déposé treize demandes d’autorisation d’interjeter appel21 portant
notamment sur des questions fondamentales qui n’avaient jamais été tranchées auparavant par
la Cour, telle que la question de la transmission de documents couverts par le secret médical22,
la question de l’aptitude d’un suspect à être jugé23, la question d’un ajournement de l’audience
de confirmation des charges en application de l’article 61(7)(c)(i)24 ou la question de la
transmission à un tiers par le Procureur de pièces émanant de la Défense25. Aucune de ces
demandes d’autorisation d’interjeter appel n’a été accueillie par la Chambre26.

25. Il apparaît clairement que la Chambre a maintenu à chaque occasion la Défense dans
le flou concernant les critères exacts à remplir pour être autorisé à faire appel.

26. Une décision de confirmation des charges est « le point d'orgue » de la phase
préliminaire et par conséquent la décision la plus importante de toute cette phase. L’appel
d’une telle décision – comme d’une décision de jugement – doit donc être possible en
application de critères clairement définis afin d’assurer au suspect un droit effectif d’accès à
la Chambre d’Appel, condition d’une procédure équitable. Il s’agit ici du respect d’un droit de
la défense essentiel.

27. Or, il convient de constater qu’à chaque fois, les Juges se sont appuyés sur une
définition de ce que peut être une « issue » susceptible d’appel variant en fonction des
demandes de la Défense et du contexte. Le 25 avril 2012, le Juge unique [EXPURGÉ]27. Le
29 novembre 2012, la Chambre considérait qu’il ne pouvait y avoir d’« issue » que si était
visée une erreur de droit ou une erreur de fait spécifique28. Le 10 décembre 2012, la Défense
formulait la question suivante : « quelle est la définition d’une « question » (« appealable
issue ») au sens de l’Article 82(1)(d) »29. La Chambre refusait de se prononcer sur la question

21

ICC-02/11-01/11-91; ICC-02/11-01/11-207-Conf; ICC-02/11-01/11-222; ICC-02/11-01/11-292-Conf; ICC-

02/11-01/11-318-Conf ; ICC-02/11-01/11-331-Conf ; ICC-02/11-01/11-342; ICC-02/11-01/11-439; ICC-
02/11-01/11-473-Conf; ICC-02/11-01/11-525; ICC-02/11-01/11-560-Conf; ICC-02/11-01/11-586 ; ICC-02/11-
01/11-620-Conf.
22 Notamment ICC-02/11-01/11-660-Conf.
23 ICC-02/11-01/11-292-Conf-Corr.
24 ICC-02/11-01/11-439.
25 ICC-02/11-01/11-660-Conf.
26 ICC-02/11-01/11-99-Conf ; ICC-02/11-01/11-265 ; ICC-02/11-01/11-493 ; ICC-02/11-01/11-568 ; ICC-02/11-
01/11-667 ; ICC-02/11-01/11-307; ICC-02/11-01/11-350 ; ICC-02/11-01/11-389 ; ICC-02/11-01/11-464-tFRA ;
ICC-02/11-01/11-530 ; ICC-02/11-01/11-649.
27 ICC-02/11-01/11-99-Conf, par. 14.
28 ICC-02/11-01/11-307, par. 71.
29 ICC-02/11-01/11-318-Conf, par. 33 et suivants.

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dans sa décision du 7 février 201330. Le 25 juin 2013, la Défense déposait une demande
d’autorisation d’interjeter appel31 de la « décision d’ajournement de l’audience de
confirmation des charges » du 3 juin 201332 que la majorité des Juges rejetait le 31 juillet
2013, estimant qu’ils n’avaient pas à reformuler des questions qu’il appartenait aux parties
d’identifier clairement33. Pourtant, dans la même décision, la majorité acceptait de reformuler
totalement l’une des questions posées par le Procureur afin que cette question puisse remplir
les critères nécessaires pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel34. Il est intéressant de
noter que la Juge dissidente exprimait parallèlement son opposition au procédé retenu par la
majorité qui revenait à transformer la question posée par le Procureur35 ; la Juge dissidente
estimait aussi, quant à la demande de la Défense, qu’elle « aurai[t] pour [sa] part conclu que la
question proposée par la Défense découle de la Décision portant ajournement »36.

28. Par conséquent les critères retenus par les Juges varient. Le 25 avril 2012, la Juge
unique [EXPURGÉ]37; dans la décision suivante, la Chambre reprochait à la Défense d’avoir
adopté une conception des questions trop large ; il aurait mieux valu d’après elle pointer de
façon plus spécifique chaque erreur de droit ou de fait38. Dans la décision du 7 février 2013, la
Juge unique revenait sur ce point et considérait au contraire que pointer pour l’une des parties
une erreur de droit ou de fait n’engageait pas la Chambre39. En contradiction avec ses
précédentes décisions en tant que Juge unique, la Juge dissidente considérait le 31 juillet 2013
qu’une question posée par l’une des parties afin d’obtenir une autorisation d’interjeter appel
devait être évaluée de la manière suivante : «compte tenu du fait que la chambre concernée
doit traiter une contestation de ses propres produits intellectuels, il est essentiel qu’elle
procède, et que cela soit considéré comme tel, à un examen impartial et objectif visant à
déterminer si les questions sur la base desquelles les parties se proposent d’interjeter appel
remplissent les critères exposés dans le Statut. En particulier, il semble que pour décider si
une « question » au sens de l’article 82-1-d du Statut a été soulevée, la Chambre ait à
déterminer de façon plutôt simple et directe si la question formulée par la partie découle de ce
qui est effectivement dit dans la décision attaquée et non de ce que les Juges expliquent après

30 ICC-02/11-01/11-389, par. 28.
31 ICC-02/11-01/11-439.
32 ICC-02/11-01/11-432-tFRA.
33 ICC-02/11-01/11-464-tFRA, par. 70.
34 ICC-02/11-01/11-464-tFRA, par. 33.
35 ICC-02/11-01/11-464-Anx-tFRA, par. 35.
36 ICC-02/11-01/11-464-Anx-tFRA, par. 70.
37 ICC-02/11-01/11-99-Conf, par. 14.
38 ICC-02/11-01/11-307, par. 70.
39 ICC-02/11-01/11-389, par. 28.

coup avoir voulu dire. En effet, la certification d’un appel est un processus purement
procédural et la Chambre ne devrait pas en profiter pour exposer de nouveau sa position,
clarifier la décision attaquée ou compléter le raisonnement juridique qui y est présenté »40. Il
est intéressant et révélateur de noter que le 7 février 2013, les Juges avaient considéré que ces
mêmes critères devaient être évalués d’une manière tout à fait différente41.

29. L’accumulation de décisions contradictoires auxquelles s’ajoutent des opinions
dissidentes a entrainé une insécurité juridique constante puisqu’à aucun moment les Juges de
la Chambre ne se sont tenus à des critères d’appel clairement définis. Cela s’est fait au
détriment des parties et en particulier de la Défense.

30. Conclusion : la Chambre a maintenu la Défense dans l’insécurité juridique en
modifiant les critères d’autorisation de faire appel d’une décision à l’autre. Certains juges ont
même avancé une interprétation de ces critères dans des opinions dissidentes qui, si elle avait
été appliquée par ces mêmes Juges lorsqu’ils étaient dans la majorité, aurait conduit à
accorder l’autorisation de faire appel. Selon la jurisprudence de la CEDH, le principe de
sécurité juridique est « l'un des éléments fondamentaux de l'Etat de droit »42. La conséquence
de l’atteinte au principe de sécurité est la violation du droit à un procès équitable43.

31. Par conséquent, la présente décision est fondée sur une procédure inéquitable.

3- Troisième sous-question : l’arrêt abrupt de l’audience orale de confirmation des
charges au milieu des débats a-t-elle compromis l’intégrité de la procédure ?

32. L’article 61(6) prévoit que la Défense peut « contester les charges » ; l’article 61(1)
prévoit que la Chambre « tient une audience pour confirmer les charges sur lesquelles le
Procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement ». Par conséquent, c’est bien
lors d’une audience orale que les charges doivent être discutées. En effet, seuls des débats
oraux contradictoires permettent d’examiner de façon exhaustive les charges ; seuls, ils
permettent aux Juges d’être suffisamment éclairés. Le principe d’une audience orale

40 ICC-02/11-01/11-464-Anx-tFRA, par. 5, 6.
41 ICC-02/11-01/11-389, par. 27-29.
42 CEDH, Beian c. Roumanie, 6 décembre 2007, N. 30658/05, par. 39,
http://hud…=001-83819.
43 CEDH, Hodos et autres c. Roumanie, 21 mai 2002, N. 29968/96, par. 56,
http://hud…=001-65026.

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ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 12/44 NM PT

contradictoire et publique est un principe de base de toute procédure moderne.

33. Le 3 juin 2013, les Juges ajournaient l’audience de confirmation des charges et
donnaient au Procureur plusieurs mois supplémentaires afin qu’il leur soumette des éléments
de preuve plus convaincants. Par conséquent, puisque l’objet de l’ajournement était de
permettre au Procureur de présenter des charges différemment étayées donc d’engager un
débat sur de nouvelles bases, il était logique que l’audience continue pour qu’une discussion
contradictoire puisse avoir lieu portant sur les nouveaux éléments présentés par le Procureur.

34. En janvier 2014, le Procureur déposait un nouveau DCC. Il abandonnait 23 des 45
incidents sur lesquels il s’était fondé en janvier et février 2013, qu’il avait pourtant présentés
comme essentiels à sa démonstration, et les remplaçait par 16 nouveaux incidents44 censés
démontrer l’existence d’une attaque systématique et généralisée contre la population civile.
En outre, il changeait profondément tant les bases juridiques que factuelles de son DCC,
ajoutant trois modes de responsabilité et modifiant profondément la présentation d’une grande
partie des 22 incidents qu’il avait conservés de sa précédente argumentation45. Ceci revenait
de facto à reformuler les charges. Dans ces conditions, une audience orale était encore plus
indispensable.

35. Le 14 février 2014, les Juges rejetaient la demande de la Défense pour que soit tenue
une audience orale et considéraient que l’équité de la procédure pouvait être préservée à
l’occasion d’échanges écrits46. La Défense demandait l’autorisation d’interjeter appel de cette
décision47, ce qui lui était refusé par la Chambre le 9 mai 201448. Ainsi, ni la lettre ni l’esprit
du Statut n’ont été respectés et la Défense s’est trouvée placée dans l’impossibilité de faire
valoir tous ses arguments.

36. Les Juges ont donc erré en droit en refusant à la Défense la possibilité, prévue par
l’article 61(1), de s’exprimer oralement, ce qui a entrainé un déséquilibre au détriment de la
Défense qui n’a pu « contester » de façon adéquate les charges comme elle aurait pu le faire
au cours d’une audience orale. La décision attaquée est fondée sur cette atteinte à l’équité de

44 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 920 et suivants.
45 ICC-02/11-01/11-592-Anx2-Conf-Anx2-Corr2, par.68, 99-118, 122-125, 126-128.
46 ICC-02/11-01/11-619, par. 31.
47 ICC-02/11-01/11-620.
48 ICC-02/11-01/11-649.

la procédure.

4- Quatrième sous-question : les Juges ont-il erré en droit en refusant d’examiner les
conséquences du fait que le Procureur n’avait pas enquêté à décharge ?

37. A plusieurs reprises, la Défense faisait état de ce que le Procureur n’avait pas enquêté
à décharge49 ou n’avait pas pris en considération les éléments à décharge à sa disposition50.
Or, selon l’article 54(1)(a), le Procureur a l’obligation d’enquêter tant à charge qu’à décharge.
A aucun moment dans la décision portant confirmation des charges, la majorité ne tire les
conséquences du refus du Procureur d’enquêter à décharge ni même de son refus de prendre
en compte les éléments à décharge dont il disposait.

38. La Chambre semble donc en retrait par rapport à la décision d’ajournement à
l’occasion de laquelle elle avait porté un jugement sévère sur l’enquête du Procureur estimant
que « de telles preuves ne peuvent en aucune façon être présentées comme le résultat d’une
enquête complète et en bonne et due forme menée par le Procureur conformément à l’article
54-1-a »51.

39. Les Juges auraient dû constater que le Procureur, malgré six mois d’enquêtes
supplémentaires, s’était gardé d’enquêter à décharge, n’avait pas présenté tous les éléments
dont il disposait notamment ceux à décharge, et que, par conséquent, il ne leur avait présenté
qu’une version biaisée de l’affaire52. Dans ces conditions, ils auraient dû sanctionner cette
absence d’enquête qui est une violation de l’article 54(1)(a) et ne pas s’engager dans la
discussion sur les charges puisqu’à l’évidence ils ne disposaient pas de tous les éléments
nécessaires pour être suffisamment éclairés et se prononcer.

5- Cinquième sous-question : l’ajout de modes de responsabilité par le Procureur attente-
t-il à l’intégrité de la procédure ?

49 Notamment : ICC-02/11-01/11-T-14-FRA, pp. 15-16, l. 3-4 ; pp. 18-19, l. 28-5 ; ICC-02/11-01/11-637-Conf-
Anx2-Corr2, par. 26-34, etc.
50 Notamment : ICC-02/11-01/11-T-17-CONF-FRA, p. 47, l. 13-15, etc. ; ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-
Corr2, par. 36, 121, etc.
51 ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 35.
52 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 2.

ICC-02/11-01/11 13/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 14/44 NM PT

40. Dans son nouveau DCC amendé du 13 janvier 2014, le Procureur modifiait les charges
notamment en ajoutant de nouveaux modes de responsabilité par rapport au DCC précédent :
il visait en sus l’article 25(3)(b) et l’article 28. Or, ce procédé n’a aucune base légale.

41. En effet, la décision d’ajournement prononcée le 3 juin 2013 se fondait sur l’article
61(7)(c)(i) qui permet à la Chambre d’ajourner l’audience et de demander au Procureur
« d’apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes
relativement à une charge particulière ». Cette disposition du Statut doit être distinguée de
l’Article 61(7)(c)(ii) qui permet à la Chambre d’ajourner dans le but de demander au
Procureur « de modifier une charge si les éléments de preuve produits semblent établir qu'un
crime différent, relevant de la compétence de la Cour, a été commis », ce qui a été interprété
comme s’appliquant également aux modes de responsabilité53.

42. Les Juges n’ayant pas visé l’article 61(7)(c)(i), il n’existait donc aucune base légale à
l’ajout de nouveaux modes de responsabilité dans le cadre d’un ajournement prononcé sur la
base de l’Article 61(7)(c)(i). C’est d’ailleurs le sens de ce que disait le Juge Van den
Wyngaert dans son opinion séparée à l’occasion de la discussion concernant les nouveaux
modes de responsabilité, lorsqu’elle affirmait : « As regards the inclusion of charges under
articles 25(3)(b) and 28(a) and (b), I believe that it is only possible to introduce these new
charges on the basis of article 61(7)(c)(ii) of the Statute, because this would be a fundamental
change to the facts and circumstances »54.

43. Dans ces circonstances, la décision attaquée est entachée d’irrégularité en ce qu’elle
confirme les charges sous un mode de responsabilité 25(3)(b) dont l’ajout au DCC n’avait pas
de base légale.

2. Les questions tenant au contenu de la décision attaquée.

44. La Défense souhaiterait développer en appel les questions suivantes qui ressortent
directement de la décision attaquée.

1- Les questions relatives aux soumissions du Représentant.

53 ICC-01/05-01/08-388.
54 ICC-02/11-01/11-619-Anx, par. 3.

ICC-02/11-01/11 14/44 31 juillet 2014
1-1 Le refus de la majorité de la Chambre de se prononcer sur les demandes de la Défense
relatives aux soumissions du Représentant constitue-t-il un déni de justice ?

45. Dans ses soumissions finales, la Défense55 constatait que le Représentant avait dépassé
de 9 pages – soit 2 483 mots56 ou 20% du total des mots – la limite qui lui avait été fixée par
la Chambre57 pour répondre à la Défense. Elle demandait donc que les soumissions du
Représentant soient déclarées irrecevables, d’autant que la Chambre d’Appel avait lors d’un
débat précédent rappelé que le non respect du format «may result in their filings being
dismissed in limine »58 . La Chambre n’a pas répondu à cette demande.

1-2 Les Juges ont-ils appliqué un double standard ?

46. Avoir tenu compte des soumissions du Représentant revient pour les Juges à lui avoir
accordé de facto un nombre de pages supérieur à ce qui était prévu, 49 pages au lieu de 40
pages. Or, les Juges avaient refusé le 2 avril 2014 à la Défense la possibilité d’obtenir des
pages supplémentaires pour répondre et au Procureur et au Représentant59. Par conséquent, la
question est de savoir si en accordant au Représentant ce qu’ils avaient refusé à la Défense les
Juges ont appliqué un double standard.

1-3 Les Juges en favorisant le Représentant ont-il attenté à l’équité de la procédure ?

47. Il convient de constater que la Défense ne disposait que de 60 pages pour répondre au
Procureur qui avait été autorisé à déposer des soumissions de 60 pages et au Représentant qui
avait été autorisé à déposer des soumissions de 40 pages. Permettre au Représentant de
déposer des soumissions de 49 pages revenait pour les Juges à accentuer la situation de
désavantage dans laquelle se trouvait la Défense : 60 pages pour répondre à 109 pages.
Comment dans ces conditions considérer que la Défense aura disposé « du temps et des
facilités nécessaires à la préparation de sa défense » et que « sa cause soit entendue […]
équitablement » ? La question est donc de savoir si l’attitude des Juges et leur refus de

55 ICC-02/11-01/11-647-Conf-Anx1, par. 2-6.
56 ICC-02/11-01/11-646-Conf.
57 ICC-02/11-01/11-619.
58 ICC-02/11-01/11-572, par.13.
59 ICC-02/11-01/11-645.

ICC-02/11-01/11 15/44 31 juillet 2014

ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 16/44 NM PT

permettre à la Défense de disposer d’un nombre de pages strictement équivalent à celui
accordé au Procureur et au Représentant, constitue une atteinte à l’équité.

48. Le fait de ne pas avoir répondu à la demande de la Défense visant à écarter les
soumissions finales du Représentant, le fait de ne pas avoir donné à la Défense la place
nécessaire pour y répondre, ont non seulement conduit à un déséquilibre de la procédure au
détriment de la Défense mais aussi à un déni de justice.

49. Cela est d’autant plus grave que la majorité des Juges s’est fondée explicitement sur
un certain nombre de développements du Représentant pour prendre sa décision60.

50. Ainsi, en ne répondant pas à la demande de la Défense et en fondant sa décision sur
des soumissions qui auraient dû être écartées, la majorité a commis une erreur de droit.

2- Les erreurs de droit portant sur le standard de preuve.

Introduction : sur la nature de la décision de confirmation des charges et ses
conséquences sur la manière d’évaluer la preuve.

51. L’article 61(7) n’exige pas des Juges qu’ils se prononcent sur la teneur des éléments
de preuve présentés par le Procureur mais seulement sur leur caractère apparent, c’est-à-dire
sur la plausibilité de ce qui est avancé par le Procureur eu égard aux éléments présentés et à la
crédibilité apparente des témoins.

52. Il s’agit d’évaluer le poids de la preuve du Procureur, non de porter un jugement sur
chacune des affirmations de ses témoins ou sur la véracité de ce qui est rapporté. D’une
certaine manière, il s’agit d’un examen prima facie.

53. La mission des Juges est de décider s’il existe des motifs substantiels de croire.
Pourquoi ? Parce que les Juges de la Chambre préliminaire remplissent ici un rôle de filtre
pour éviter que la Chambre de première instance ait à connaître de procès non fondés, en
d’autres termes de procès politiques. Transformer la phase de confirmation des charges en
phase de pré-jugement est contraire à la lettre et à l’esprit du Statut.

60 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 20.

ICC-02/11-01/11 16/44 31 juillet 2014
54. Surtout, un pré-jugement est impossible parce que les Juges ne disposent pas des
moyens de se prononcer sur le fond, l’examen et le contre-examen des témoins étant réservé à
la phase de procès.

55. Dans ces conditions, considérer comme le font les Juges qu’ils seraient « convaincus »
que l’intéressé aurait fait ceci ou cela relève d’une mauvaise compréhension de leur rôle.
Seuls les Juges du procès pourront être « convaincus ». A cet égard, il est révélateur que les
Juges aient employé 10 fois la formule être « convaincu »61, 39 fois la formule « la Chambre
conclut »62, ou encore 32 fois la formule « les éléments de preuve démontrent »63 (« the
evidence demonstrates »).

2-1 Sur la présomption de véracité appliquée à la Preuve du Procureur et ses conséquences.

2-1-1 Les Juges pouvaient-ils tenir pour vrais des témoignages sans les examiner d’un point
de vue critique ?

56. La Chambre pouvait-elle tirer du fait qu’elle donne un certain poids à un témoignage
la conséquence que ce témoignage serait vrai ? N’a-t-elle pas confondu le fait d’évaluer le
poids de la preuve du Procureur et le fait de tenir pour vrais des témoignages, ce qui
n’appartient qu’à la Chambre de procès ?

57. La majorité a, à de multiples reprises, tenu pour vraie la teneur de témoignages
présentés par le Procureur. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur des postulats – par exemple le
caractère pacifique de la marche du 16 décembre 2010 ou la réalité de la manifestation du 3
mars 2011 ou du bombardement du 17 mars 2011. Elle n’a jamais procédé logiquement :
analyser les témoignages de façon critique puis en tirer des conséquences quant au poids de la
preuve du Procureur rapporté à ses allégations. Au contraire, elle a tenté de faire « coller » les
témoignages aux allégations. Ce faisant, elle a écarté les éléments permettant de contester la
plausibilité des dires des témoins du Procureur. Plus même, pour leur donner plus de poids,

61 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 28, 39, 47, 63, 65, note 207, 198, 219, 252, 263.
62 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 37, 75, 96, 104, 193, 194, 195, 196, 197, 199, 202, 205, 206, 211, 225,
231, 232, 233, 234, 236, 240, 241, 245, 246, 247, 248, 249, 251, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259 et 266.
63 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 40, 53, 71, 75, 77 note 208, 81, 84, 87, 92, 95, 105, 121, 124, 132, 159,
165, 171, 175, 179, 210, 218, 232, 233, 234, 245, 246, 254 et 264.

ICC-02/11-01/11 17/44 31 juillet 2014

ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 18/44 NM PT

elle les a tenus pour vrais. Ce n’était pas le rôle des Juges de la Chambre de se prononcer sur
le fond des témoignages. En l’absence de contre-interrogatoires systématiques, se prononcer
malgré tout sur la véracité de ces témoignages relève du préjugé.

58. De plus, à aucun moment la majorité n’a expliqué en quoi les témoignages qu’elle
utilisait comme fondement de son argumentation semblaient crédibles ou plausibles. Pour
éviter de répondre à cette question, les Juges se sont réfugiés derrière l’idée qu’ils prenaient la
preuve du Procureur et notamment les témoignages comme un tout64 (« as a whole »). D’une
part, il paraît illogique d’accepter un ensemble sans examiner les éléments qui le compose ;
d’autre part, à partir du moment où les Juges refusent d’examiner l’apparente plausibilité et
crédibilité des témoignages présentés par le Procureur65 – puisqu’ils ont refusé de discuter les
arguments de la Défense contestant ces témoignages – ils se fondent nécessairement sur un a
priori selon lequel tous les témoignages présentés par le Procureur sont plausibles et
crédibles.

59. Cela est d’autant plus dommageable lorsque les Juges fondent une grande partie de
leur argumentation sur quelques témoignages particulièrement douteux. Par exemple, ceux de
P-226, P-238, P-239 et P-33066 ou celui de [EXPURGÉ] qui a été victime de tortures par ses
geôliers67. Selon la majorité, les propos de ce témoin torturé [EXPURGÉ]68.

60. Les exemples sont très nombreux et la Défense les développera en appel.

61. Les Juges donnent aussi une grande valeur aux dires d’un représentant d’une ONG
pour établir la réalité d’allégations de viols et de meurtres69. Or, ce témoin non seulement
n’était pas sur place au moment des faits mais encore n’a fait que de courts séjours dans le
pays pendant toute la crise postélectorale70.

64 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 21, 22.
65 Idem.
66 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 175.
67 [EXPURGÉ].
68 [EXPURGÉ].
69 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 74.
70 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 66, 68 et 81.

ICC-02/11-01/11 18/44 31 juillet 2014
62. Il est frappant de noter aussi que tout au long de la décision, la majorité des Juges s’est
largement appuyée sur des déclarations de témoins du Procureur qui n’étaient pas des témoins
directs des faits. Ainsi en est-il par exemple de P-4471, P-36972, P-33073.

63. Dans le même sens, la Chambre s’est appuyée exclusivement sur des témoignages
anonymes pour établir un certain nombre de faits74.

64. Le refus de la majorité d’examiner la crédibilité et la plausibilité des dires des témoins
du Procureur a donc des conséquences graves puisqu’il la conduit à accepter et à tenir pour
vraies des déclarations discutables.

65. Tout se passe comme si les Juges étaient partis du présupposé que les témoins du
Procureur étaient par nature crédibles. Or, la Défense a démontré que les attestations de
nombre d’entre eux étaient emplies de contradictions75, révélaient une méconnaissance des
faits rapportés76, mentionnaient souvent des faits imaginaires77 ou étaient contradictoires avec
les attestations d’autres témoins78. Le fait que les Juges n’aient pas jugé utile d’examiner ces
contradictions et, par voie de conséquence, la plausibilité des faits rapportés et la crédibilité
des témoins, même prima facie, le fait qu’ils n’aient pas pris en compte les éléments présentés
par la Défense remettant en question le sérieux des témoignages, les a conduit à fonder leur
argumentation sur une base fragile.

2-1-2 La Chambre pouvait-elle présumer que certains documents présentés par l’Accusation
étaient authentiques ?

66. Le Procureur s’est fondé sur de nombreux documents dont la Défense a démontré que
l’authenticité n’était pas prouvée, notamment les documents qui auraient été trouvés à la
Résidence présidentielle79 près d’un an après l’arrestation du Président Gbagbo et l’assaut

71 Notamment: ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 80, etc.
72 Notamment: ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 49, etc.
73 Notamment: ICC-02/11-01/11-656-Conf, [EXPURGÉ], etc.
74 Notamment : ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 385, etc.
75 Notamment, ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par.78-79, 532-550.
76 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2-Corr2, par.67, 68.
77 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par.80, 256.
78 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 70, 235, etc.
79 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 1060.

ICC-02/11-01/11 19/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 20/44 NM PT

mené par les forces spéciales françaises, après que cette résidence eut été pillée80. C’est
pourtant quinze de ces documents qu’utilise la majorité pour établir la réalité de certains
éléments de fait essentiels à sa démonstration81. La majorité ne pouvait se fonder sur ces
documents car ces documents n’ont aucune valeur probante.

2-1-3 Le fait pour la majorité d’attribuer systématiquement aux éléments présentés par le
Procureur une présomption de crédibilité ne revient-il pas à inverser la charge de la
preuve ?

67. La Défense soumet qu’en attribuant une crédibilité présomptive aux éléments de
preuve présentés par le Procureur, alors même que la Défense a produit des éléments
permettant de contester la véracité, la plausibilité et la crédibilité de la preuve du Procureur, la
Chambre a inversé la charge de la preuve, laquelle repose pourtant sur le Procureur.

68. Une procédure pénale équitable est fondée sur la présomption d’innocence. C’est
pourquoi le doute doit nécessairement bénéficier à l’accusé, même au stade de la confirmation
des charges. Renverser la charge de la preuve revient à nier la présomption d’innocence en
faisant bénéficier le doute au Procureur.

69. Ainsi, la majorité affirme-t-elle qu’elle « n’a pas donné son avis sur toutes les
contestations, en particulier de la crédibilité des témoins, considérant que ce n’est qu’au
procès qu’elles pourraient être examinées comme il se doit »82. Or, il était du devoir des Juges
d’examiner pleinement de façon critique tous les éléments de preuve présentés par le
Procureur à la lumière des éléments apportés par la Défense. Renvoyer les parties en procès
parce que les Juges n’auraient pas examiné tel ou tel élément ou qu’ils auraient un doute sur la
plausibilité et le poids d’un élément de preuve à charge revient à admettre leur échec et à
reconnaître qu’ils n’ont pas rempli leurs obligations.

70. En attribuant une présomption de crédibilité aux éléments de preuve du Procureur, la
majorité a erré en droit en renversant de facto la charge de la preuve, contrairement aux

80 Idem.
81 [EXPURGÉ], [EXPURGÉ], [EXPURGÉ], [EXPURGÉ], CIV-OTP-0018-0810, [EXPURGÉ], [EXPURGÉ],
[EXPURGÉ], [EXPURGÉ], CIV-OTP-0018-0339, [EXPURGÉ], CIV-OTP-0018-0426, [EXPURGÉ],
[EXPURGÉ], [EXPURGÉ].
82 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 21.

ICC-02/11-01/11 20/44 31 juillet 2014
exigences explicites du Statut qui prévoit que l’accusé a droit à « [n]e pas se voir imposer le
renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation »83, et par là même violé la
présomption d’innocence du Président Gbagbo.

2-2 La majorité pouvait-elle se prononcer sans prendre en compte les éléments à décharge?

71. S’agissant du bombardement allégué du marché d’Abobo, la majorité « considère qu’il
a été établi que, le 17 mars 2011, des groupes de résistance organisés étaient présents à
Abobo. Toutefois, ce fait ne permet ni de nier que le bombardement a eu lieu ni de nier qu’il
avait la population civile pour cible, comme l’allègue le Procureur »84. Ce faisant, elle donne
l’impression d’avoir pris en compte l’argumentation de la Défense mais à l’évidence n’en a
pas tiré la conséquence puisque la présence de groupes armés et organisés, équipés d’armes
lourdes, pose la question de l’origine du bombardement (sans compter que la majorité n’a pas
pris en compte les contradictions des déclarations des témoins du Procureur qui conduisent à
douter de la réalité du bombardement). La majorité se contente donc d’une apparence de débat
contradictoire mais ne tire jamais les conséquences de l’existence d’éléments à décharge.
Constater qu’au jour du bombardement allégué les groupes rebelles de la zone étaient mieux
armés, mieux organisés, plus nombreux que les soldats retranchés au camp Commando aurait
dû conduire la majorité à mettre en question un narratif que nombre de pièces présentées par
la Défense85 et par le Procureur lui-même86 réduisaient à néant87.

72. Les Juges se sont fondés, s’agissant de la marche vers la RTI, sur la déclaration de P-
230 pour considérer que « les manifestants (…) ont été la cible d’attaques d’une violence
toute particulière, notamment au lance-roquettes »88. La Chambre a ainsi totalement écarté la
pièce CIV-D15-0001-6618 transmise par la Défense. Il s’agissait d’un PV d’huissier qui
montrait que le récit du témoin P-230 était faux parce que la configuration des lieux ne
correspond pas aux dires du témoin.

73. Plus généralement la majorité n’a tenu aucun compte des éléments de preuve présentés
soit par le Procureur soit par la Défense, lorsqu’ils remettaient en question le narratif retenu

83 Article 67(1)(i).
84 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 62.
85 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 432-521.
86 ICC-02/11-01/11-592-Anx6-Corr-Conf, Anx7-Conf.
87 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 432-521.
88 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 58.

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par le Procureur dans son DCC ; en particulier, la majorité a systématiquement écarté les
rapports dressés à l’époque par les membres des forces de maintien de l’ordre lorsqu’ils
n’allaient pas dans le sens de la thèse du Procureur89.

74. La Chambre va encore plus loin lorsqu’elle analyse certains discours du Président. La
majorité note les explications présentées par la Défense portant notamment sur l’absence de
lien entre le discours prononcé à Divo le 27 août 2010 et les élections présidentielles mais
« juge cette interprétation intenable »90. Les Juges n’apportent aucun élément qui expliquerait
pourquoi cette interprétation serait intenable. Ils se contentent de considérer que, puisque le
Président Gbagbo y aurait mentionné plusieurs fois la défense de la République, le discours
entier serait une métaphore destinée à ses supporters pour leur demander d’employer la force
dans certaines circonstances. Ce faisant, les Juges, plutôt que d’analyser le discours lui-même,
notamment au plan linguistique, plutôt que d’examiner les arguments de la Défense, se sont
fondés sur un postulat : le fait que le Président Gbagbo aurait été prêt à employer la force.
Mais ce postulat n’est étayé par aucun élément de preuve. Le refus des Juges d’examiner la
réalité, les pousse à imaginer le sens linguistiquement faux d’un discours.

2-3 La majorité pouvait-elle réinterpréter d’une manière qui lui est propre les éléments de
preuve, notamment en utilisant le concept flou d’« autres éléments de preuve » ?

75. La majorité ne peut affirmer que « compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve,
la Chambre est d’avis que les promotions visaient, au moins en partie, à s’assurer l’allégeance
des FDS »91. La Chambre ne s’appuie sur aucun élément précis, se contentant de mettre en
avant l’« ensemble des éléments de preuve ». Ce faisant, elle procède encore par affirmations.
Comme la Défense avait démontré que les allégations du Procureur sur ce point n’étaient pas
fondées, le refus de la Chambre de prendre en considération les éléments présentés par la
Défense, la conduit à privilégier une position préconçue, à préjuger.

76. Autre exemple, la majorité de la Chambre préjuge sur le fond quand elle considère que
« des unités déployées sur le terrain ont reçu des ordres qui, à la lumière d’autres éléments de
preuve, ne peuvent être interprétés que comme constituant des ordres d’emploi de la force »92.

89 Notamment ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 202 concernant CIV-OTP-0043-0380.
90 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 112.
91 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 125.
92 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 40.

ICC-02/11-01/11 22/44 31 juillet 2014
Cette « interprétation » n’est fondée sur aucun élément de preuve concret, la majorité de la
Chambre ne cite même pas ce que seraient ces « autres éléments de preuve » (« other
evidence »).

2-4 La Chambre n’aurait-elle pas dû déclarer inadmissibles des éléments de preuve dont la
filière de transmission et de conservation n’avait pas été établie ?

77. La discussion sur l’admissibilité des preuves du Procureur est la conséquence logique
du fait que le Statut prévoit que soit tenu un débat contradictoire. Lors de ce débat, la Défense
a montré qu’un certain nombre de pièces utilisées par le Procureur étaient douteuses93. La
Défense rappelait que, pour être admise judiciairement, une preuve vidéographique devait
présenter un caractère d’authenticité incontesté, c’est-à-dire que sa filière de conservation et
de transmission devait être clairement établie et préservée94. Elle rappelait que le Procureur
avait déjà failli en présentant en 2012 une vidéo censée montrer une tuerie se passant en Côte
d’Ivoire, en réalité filmée au Kenya. Or ici, les Juges n’ont à aucun moment distingué entre
les éléments de preuve admissibles et inadmissibles, semblant mettre sur le même plan tous
les éléments présentés par le Procureur y compris ceux à l’authenticité particulièrement
douteuse. Dans ces conditions, ils ont vidé de son sens la disposition du Statut qui permet à la
Défense de contester les éléments de preuve du Procureur. Or, si ce droit n’est pas suivi
d’effet et si les Juges ne sanctionnent pas le défaut d’enquête du Procureur, toute la phase de
confirmation des charges devient inutile.

78. De plus, la majorité s’est fondée à plusieurs reprises sur ces éléments de preuve
douteux95, « couvrant » en quelque sorte le manque de diligence du Procureur et refusant de
tirer les conséquences du fait que le Procureur n’avait pas obéi aux instructions des Juges du 3
juin 2013 qui indiquaient que l’authenticité « des preuves matérielles (…) devrait être établie
en bonne et due forme et leur filière de conservation et de transmission devrait être claire et
préservée »96.

93 Notamment ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 78, 80, etc.
94 ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 102-107.
95 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 47.
96 ICC 02/11-01/11-432-tFRA par.27

ICC-02/11-01/11 23/44 31 juillet 2014

ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 24/44 NM PT

3. La majorité n’a-t-elle pas adopté une approche déséquilibrée dans sa manière
d’aborder la preuve du Procureur d’une part et la preuve de la Défense d’autre
part ?

1- Les Juges pouvaient-ils systématiquement privilégier les affirmations du Procureur
même lorsque ces dernières s’avéraient contradictoires ou démenties par les faits ?

1-1 Les Juges se sont reposés sur des affirmations contradictoires.

79. La majorité « a pris bonne note des témoignages selon lesquels les unités des FDS
avaient pour instruction de ne pas employer la force ou de ne le faire qu’en cas de légitime
défense. Elle est cependant d’avis que la répression de la manifestation était planifiée et
coordonnée […] »97. Elle ne s’explique pas sur cette contradiction. Les exemples sont
nombreux et seront développés en appel.

1-2 Les Juges ont validé des affirmations démenties par les faits.

80. Les Juges ont validé le narratif du Procureur selon lequel les FDS auraient, le 16
décembre 2010, attaqué des « civils non armés »98.. Pour ce faire les Juges écartent les
témoignages présentés99 par la Défense et les très nombreux rapports des forces de l’ordre qui
montraient que des groupes armés pro-Ouattara avaient utilisé la manifestation pour couvrir
des attaques des lieux de pouvoir100.

81. Très souvent, les Juges ont recours à l’utilisation de notions floues, par exemple « the
totality of the evidence»101 ou « other evidence »102 lorsqu’il s’agit de contourner l’existence
d’éléments de preuve démentant le narratif du Procureur. Ainsi, considèrent-ils des attaques
contre des civils vérifiées sur la base « d’autres éléments de preuve » pour écarter les
éléments montrant que les forces de l’ordre n’étaient intervenues sur le terrain que pour
mettre fin à des attaques de rebelles pro-Ouattara contre des populations civiles103.

97 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 40.
98 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 29.
99 Exemple CIV-D15-0001-5442, p. 5446, etc.
100 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 39.
101 ICC-02/11-01/11-656-Conf, note 397.
102 ICC-02/11-01/11-656-Conf, par. 158
103 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 192, 198.

ICC-02/11-01/11 24/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 25/44 NM PT

2- Les Juges pouvaient-ils accepter de considérer plausibles des accusations caractérisées
par le flou, le vague, le défaut de précision temporelle et spatiale ?

82. La majorité accepte la formulation du Procureur selon laquelle « [l]e ou vers le 12
avril 2011, des forces pro-Gbagbo, (…) ont attaqué les quartiers de Yopougon perçus comme
pro-Ouattara»104. Il n’y a dans cette accusation aucun élément précis et l’examen des éléments
de preuve présentés par le Procureur montre qu’il est incapable de détailler une véritable
accusation (Yopougon est un quartier d’Abidjan qui compte plus d’un million 300 000 mille
habitants). Il existe d’autres exemples.

3- Cette volonté d’écarter les éléments à décharge et de donner plus de poids aux
éléments à charge conduit les Juges à revenir sur leurs considérants du 3 juin 2013. A
l’époque, ils relevaient « avec beaucoup de préoccupation que, dans la présente
affaire, le Procureur s’est largement fondé sur des rapports d’ONG et des articles de
presse pour étayer des éléments clés de sa cause […] La majorité de ces 45
événements n’est étayée que par des ouï-dire anonymes tirés de rapports d’ONG, de
rapports de l’Organisation des Nations Unies et d’articles de presse. Comme elle l’a
expliqué plus haut, la Chambre ne peut attribuer beaucoup de valeur probante à ces
pièces »105.

83. Or, il convient de constater que la décision du 12 juin 2014 n’est fondée, pour la
plupart des incidents, que sur des rapports d’ONG et des ouï-dire. Sur les 39 incidents sur
lesquels s’appuie le Procureur, les Juges en retiennent 37. Sur ces 37 incidents, l’existence de
25106 n’est soutenue que par des ouï-dire (pour 4 de ces incidents, les Juges ne se fondent que
sur des articles de presse et des rapports d’ONG107). Quatre autres ne sont soutenus que par le
témoignage d’un étranger arrivé en Côte d’Ivoire sur le tard108. Seuls 8 incidents reposent sur
des témoignages directs109 dont la Défense a montré combien ils étaient fragiles.

104 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2-Corr2, par. 127.
105 ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 35-36.
106 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 75 ii), iii), iv), v), par. 76 i), ii), iii), par. 77 i), ii), iii), iv), v), vi), viii),
ix), xi), xii), xiii), xiv), xv), xvi), xvii), xx), xxi), xxii).
107 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 74 ; par. 77 x), xviii), xix).
108 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 74 ; par. 77 x), xviii), xix).
109 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 24-41, 42-51, 52-63, 64-72, par. 31, par. 75 i), vi) ; par. 77 vii).

ICC-02/11-01/11 25/44 31 juillet 2014
84. Ainsi les Juges ont contredit les termes de leur décision du 3 juin 2013 et n’ont pas
respecté les standards qu’ils avaient eux-mêmes instaurés.

85. La Juge Van den Wyngaert relève d’ailleurs que « bien que la Chambre ait demandé la
présentation d’informations quantitativement et qualitativement supérieures sur le nombre de
victimes qu’auraient fait les événements allégués, il n’a pas été remédié au problème qui avait
été mis en lumière, à savoir le recours à des ouï-dire anonymes »110.

4- Le parti pris sémantique des Juges.

86. Alors qu’il n’est pas nié par le Procureur que des centaines de rebelles armés étaient
présents à l’hôtel du Golf ; que, d’après les témoins du Procureur, leurs chefs donnaient des
ordres à d’autres groupes de rebelles sur le terrain, notamment à Abobo ; les forces de
maintien de l’ordre notamment à Abobo, étaient jour et nuit attaquées par des groupes
puissamment armés ; que ces groupes étaient composés notamment de mercenaires infiltrés à
Abidjan avant le second tour des élections présidentielles ; les Juges décrivent ces groupes
comme des « groupes de résistance organisés »111 comme s’il s’était agi de groupes de civils
spontanément constitués pour résister à des attaques lancées de manière indiscriminée contre
la population civile. Ce faisant, les Juges font bon marché des éléments de preuve à leur
disposition112, des centaines de rapports transmis par le Procureur décrivant jour après jour les
attaques des groupes rebelles contre les forces de maintien de l’ordre et les populations
civiles113, des images prises par les télévisions montrant la fuite de dizaines de milliers
d’habitants d’Abobo, toutes origines confondues, devant les exactions des rebelles114. Le
choix sémantique révèle un parti pris. La Juge Van den Wyngaert précise d’ailleurs que les
forces de maintien de l’ordre avaient pour tâche de répondre aux attaques commises par les
groupes rebelles : « A cet égard, il importe de garder à l’esprit que l’armée était déployée pour
combattre un groupe d’insurgés lourdement armés et que les forces régulières de maintien de
l’ordre (la police, la gendarmerie) n’étaient plus capables de gérer la situation »115.

110 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 2.
111 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 62.
112 Notamment CIV-D15-0001-5357, p.5365, etc.
113 Notamment ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, notes 153, etc.
114 Notamment ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 437, etc.
115 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 6

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ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 27/44 NM PT

87. Les Juges, en choisissant une formulation particulièrement connotée, donnent raison a
priori au Procureur et décident de la réalité des faits sur le terrain, qui n’est que du ressort des
Juges du procès.

4. Absence de motivation de la décision.

88. Une décision de justice ne vaut que par la solidité de son raisonnement. Juger postule
donc de développer un raisonnement dont la décision est la conséquence : « reasoning is at the
heart of a judicial decision and an important aspect of the right to a fair trial »116. La
motivation doit être publique sous peine de donner prise au soupçon d’arbitraire. Comment un
accusé pourrait-il comprendre une décision ou ses Avocats en contester le dispositif sans en
connaître les motifs, c’est-à-dire le cheminement intellectuel qui a conduit à son adoption ?
Or, il apparaît que sur un certain nombre de points fondamentaux, la majorité n’a pas, dans la
décision attaquée, suffisamment motivé ses conclusions, les privant ainsi de base légale.

1- Les Juges pouvaient-ils interpréter des faits sur la base d’« autres éléments de preuve »
qu’ils ne définissent jamais ?

89. Les Juges ont utilisé cette notion floue de « other evidence » à chaque fois qu’ils ne
trouvaient pas d’élément au soutien de leur argumentation ou que les éléments à leur
disposition allaient dans un sens contraire à ce qu’ils voulaient démontrer. Ainsi, avancent-il
que l’absence de tout ordre de s’en prendre à des civils ne signifie pas que les forces de
l’ordre n’auraient pas reçu des ordres dans ce sens « à la lumière d’autres éléments de
preuve »117 (« other evidence »).

90. Afin de tenter d’étayer la thèse de l’existence d’un « entourage immédiat » aux buts
criminels et d’étayer le fait que cet « entourage immédiat » aurait tenu des réunions lors
desquelles le plan commun allégué aurait été planifié et mis en œuvre, les Juges se réfèrent à
des « other evidence »118. A l’examen il apparaît que ces « other evidence » ne recouvrent que
le témoignage de [EXPURGÉ]119 dont il a été démontré qu’il avait tenu deux discours

116 ICC-02/11-01/11-278-Conf, opinion dissidente du Juge Usacka, par. 8.
117 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 40.
118 ICC-02/11-01/11-656-Conf, par. 158
119 [EXPURGÉ].

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ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 28/44 NM PT

exactement contraires et semblait avoir subi des pressions lorsqu’il fut emprisonné par les
Autorités ivoiriennes après ses secondes déclarations.

91. Il est intéressant de relever que nombre d’affirmations cruciales ne tiennent que sur
des « other evidence » ou sur des témoignages indirects.

2- Les Juges de la majorité pouvaient-ils adopter une position toujours favorable à la
thèse du Procureur sans donner aucun élément pour l’étayer ?

92. Concernant la marche vers la RTI du 16 décembre 2010, les Juges considèrent que des
groupes armés pro-Ouattara n’y auraient pas participé120. Or, non seulement la présence de
groupes armés pro-Ouattara est attestée mais encore les éléments qui la prouvent n’ont jamais
été contestés par le Procureur121. Dans ces conditions, il appartenait aux Juges d’expliquer
pourquoi ils ont écarté des éléments de preuve non contestés. Ils ne l’ont pas fait.

93. Les Juges considèrent que les promotions ayant eu lieu en juillet et en août 2010
avaient pour but de renforcer les liens entre le Président Gbagbo, ses proches et les chefs de
l’armée afin de pouvoir plus facilement mettre en œuvre le plan commun122. Or, il n’existe
aucun élément en ce sens. Les éléments de preuve à la disposition des Juges vont d’ailleurs
dans le sens exactement contraire puisqu’ils montrent que de telles promotions, incluant des
chefs rebelles, étaient une étape importante dans le processus de réconciliation. Ainsi, la
conclusion des Juges n’est-elle étayée par rien et ne procède pas d’une démonstration. Il s’agit
ici d’une simple affirmation, arbitraire.

5. Mauvaise interprétation des Juges du rôle qui leur est assigné par le Statut.

1- La majorité pouvait-elle ajouter aux accusations formulées par le Procureur ?

94. Les Juges pouvaient-ils considérer que les personnes enterrées dans les fosses
communes de Yopougon étaient des « pro-Ouattara » victimes de « pro-Gbagbo »123 alors
qu’à aucun moment le Procureur ne tente même de le démontrer ?

120 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par 39.
121 CIV-D15-0001-1020, 03:24 à 03:30 minutes.
122 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 125.
123 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 66.

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ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 29/44 NM PT

95. Les Juges pouvaient-ils tenir pour acquis des éléments factuels importants qui
n’étaient pas allégués dans le DCC ? Par exemple, concernant les incidents allégués des 4 et 8
mars 2011 à Yopougon, le Procureur fait état du pillage d’un marché par des Jeunes pro-
Gbagbo124 et les Juges ont ajouté que ces Jeunes pro-Gbagbo auraient tué plusieurs personnes
à cette occasion125.

96. De même, les Juges pouvaient-ils ajouter au DCC du Procureur en avançant que lors
de sessions organisées par les Parlements dans le cadre de la campagne électorale des
victimes étaient désignées126 ?

97. Ce faisant ils ont abusé de leur pouvoir discrétionnaire et mésinterprété leur rôle.

2- Les Juges pouvaient-ils utiliser des éléments de la preuve du Procureur non
mentionnés par ce dernier dans son DCC pour structurer un raisonnement que le
Procureur n’avait pas tenu dans son DCC ?

98. Les Juges utilisent des éléments de preuve non mentionnés par le Procureur127 pour
avancer qu’aurait existé « un lien direct entre Simone Gbagbo et des organisations de jeunes
ainsi que des milices »128, accusation que le Procureur n’a jamais formulées129. Ce faisant, les
Juges rompent l’équilibre entre les parties au détriment de la Défense et attentent à l’équité de
la Procédure.

99. Le Procureur ne rentre que rarement dans le détail de ce que seraient les forces pro-
Gbagbo alors même que les Juges lui avaient demandé des précisions à ce sujet dans leur
décision du 3 juin 2013130. Les Juges quant à eux prennent la peine de consacrer 23
paragraphes à ce que seraient, d’après eux, les forces pro-Gbagbo, donnant des explications
que le Procureur n’a jamais données, présentant une structure qu’il n’a jamais présentée131.

124 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2-Corr2, p. 48.
125 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 77 (xii).
126 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 118.
127 Par exemple CIV-OTP-0017-0144.
128 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 82.
129 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2-Corr2, par. 92, 182.
130 ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 44.
131 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 87-109, 134.

ICC-02/11-01/11 29/44 31 juillet 2014

ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 30/44 NM PT

Quant aux éléments utilisés par la majorité pour soutenir sa thèse, ils n’ont pas été discutés
contradictoirement puisqu’ils n’avaient pas été mentionnés par le Procureur.

100. Les Juges consacrent aussi beaucoup de place aux « milices », organisations de
jeunesse et mercenaires132, catégories dont le Procureur n’a jamais précisé les contours ni qui
en seraient les membres. Les Juges tentent ici de se substituer au Procureur en interprétant des
éléments de preuve non discutés contradictoirement et en ajoutant à son DCC. D’ailleurs, le
Juge dissident a souligné qu’« en ce qui concerne les charges portées en vertu de l’article 25-
3-d, je ne suis pas en mesure de me rallier à la décision de mes collègues de les confirmer car
je trouve qu’il n’y a pas suffisamment de preuves de l’existence d’un groupe de personnes
agissant de concert. Le Document amendé de notification des charges ne donne aucune
indication précise sur la composition d’un tel groupe. Du reste, étant donné que personne
n’oserait soutenir que tous les membres des FDS, tous les mercenaires, tous les miliciens et
tous les membres de groupes de jeunes formaient un unique grand « groupe de personnes
agissant de concert », il est nécessaire de savoir qui appartenait effectivement au prétendu
groupe »133. Le Juge dissident a tiré les conséquences des manques du Procureur sans tenter
de se substituer à lui, contrairement aux deux autres Juges.

101. A plusieurs autres reprises dans la décision, la majorité se substitue au Procureur et
précise un certain nombre de ses allégations, les reformulant et parfois en modifient la
substance. Les exemples sont nombreux et seront développés dans le cadre de l’appel.

3- Les Juges pouvaient-ils s’arroger le droit de re-caractériser les allégations du
Procureur en les transformant sans donner au suspect la possibilité d’être entendu sur
la base de cette nouvelle caractérisation ?

102. A plusieurs reprises, et en particulier concernant les développements sur la
responsabilité pénale du Président Gbagbo, les Juges ajoutent des étapes logiques qui
manquaient au raisonnement du Procureur. Ce faisant, ils construisent leur propre
raisonnement juridique, différent de celui tenu par le Procureur et influent sur la
caractérisation des faits.

132 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 100-109.
133 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 8.

ICC-02/11-01/11 30/44 31 juillet 2014
103. Afin semble-t-il de conforter l’allégation du Procureur selon laquelle des actes de
persécution auraient été commis à Yopougon et surtout afin de lier cette allégation au
Président Gbagbo, les Juges remplissent les vides du raisonnement du Procureur et ce faisant,
transforment l’allégation : ils font un lien entre les visites du Président Gbagbo et de Charles
Blé Goudé aux Parlements de Yopougon avant la crise et les évènements qui ont pu se passer
dans le quartier ensuite. Pour eux, ces visites auraient attisé les tensions inter-
communautaires134.

104. Autre exemple, le Procureur n’ayant mentionné la tenue que d’une seule réunion avec
le soi-disant « entourage immédiat », la majorité a tenté d’y remédier en mentionnant des
réunions non évoquées par le Procureur135.

105. En se fondant sur d’autres éléments de preuve que ceux utilisés par le Procureur, en
ajoutant au raisonnement du Procureur et en re-caractérisant des allégations sans donner à la
Défense la possibilité de contester la nouvelle substance des charges, les éléments de preuve
produits au soutien de ces charges et de présenter ses propres éléments de preuve en défense,
les Juges ont dépassé le pouvoir qui leur est attribué au stade préliminaire et ont violé le
principe du contradictoire.

6. La majorité pouvait-elle fonder un raisonnement concluant qu’il y avait des
motifs substantiels de croire que le Président Gbagbo aurait commis les crimes
qui lui sont imputés sur le fondement d’un présupposé : la culpabilité – non
démontrée – de Charles Blé Goudé ?

106. Alors même que les charges contre Monsieur Blé Goudé n’ont pas été confirmées,
alors même qu’aucun DCC à son encontre n’a été déposé par le Procureur, la majorité
considère comme acquis qu’il aurait eu un comportement criminel et que sa proximité
alléguée avec le Président Gbagbo permettrait de démontrer l’implication du Président
Gbagbo dans un certain nombre d’actes criminels.

107. La majorité pose d’abord que Charles Blé Goudé aurait été proche du Président
Gbagbo136. Ensuite qu’il aurait été « un autre membre important de l’entourage immédiat »137.

134 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 70.
135 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 152, 154, 156.

ICC-02/11-01/11 31/44 31 juillet 2014
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Faisant partie de l’entourage immédiat, il aurait partagé les objectifs de ce groupe, notamment
celui de maintenir le Président Gbagbo au pouvoir138.

108. Elle le décrit comme l’incontestable leader139 de la Galaxie Patriotique, des
mouvements de jeunesse pro-Gbagbo140.

109. La majorité postule que son rôle aurait été de contrôler la jeunesse Pro-Gbagbo, les
milices ou les mercenaires afin de les mettre au service du plan commun. Pour ce faire, la
majorité ne s’appuie sur aucun élément discuté contradictoirement. Selon la majorité, la
nomination de Charles Blé Goudé en décembre 2010 en tant que Ministre « permettait de
légitimer davantage ses activités » et « illustre également l’importance que Laurent Gbagbo et
l’entourage immédiat accordaient à Charles Blé Goudé, et la mesure dans laquelle il leur
semblait nécessaire, pour rester au pouvoir, de s’appuyer sur des organisations de jeunes qui
leur étaient loyales »141.

110. Elle postule encore que ce serait à travers lui que le Président Gbagbo aurait mobilisé,
contrôlé et utilisé des mouvements de jeunesse aux fins de commettre des crimes142.

111. La majorité pose que Charles Blé Goudé agissait directement sous les ordres de la
Présidence143.

112. Toutes ces affirmations ne sont par définition que des hypothèses parce que les Juges
ne disposent pas des éléments nécessaires pour prendre position sur le rôle de Charles Blé
Goudé pendant la crise et sur son implication éventuelle dans des crimes, aucun débat
contradictoire n’ayant encore eu lieu. C’est sur ces bases hypothétiques, non discutées, et sur
ces seules bases que la majorité considère établie l’existence d’un « entourage immédiat » et
le fait que les membres de cet « entourage immédiat » et/ou le Président Gbagbo auraient
disposé du pouvoir de faire agir des mouvements de jeunesse, des miliciens ou des
mercenaires.

136 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 83.
137 Idem.
138 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 79 et 83.
139 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 106.
140 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 84.
141 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 85.
142 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 105, 276.
143 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 83.

ICC-02/11-01/11 32/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 33/44 NM PT

113. La Chambre « constate que ces activités concernant les jeunes étaient principalement
menées par Charles Blé Goudé, mais les preuves sont suffisantes pour conclure qu’elles
étaient menées au nom de Laurent Gbagbo et de l’entourage immédiat et qu’elles répondaient
à l’intention partagée de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir Laurent
Gbagbo au pouvoir, y compris l’emploi de la force contre des civils »144.

114. La Juge Van den Wyngaert relève d’ailleurs que « il n’y a, selon moi, pas d’éléments
de preuve convaincants montrant qu’à un moment ou à un autre, Laurent Gbagbo a convenu
avec son « entourage immédiat » de commettre des crimes contre des civils innocents »145.

115. Ainsi, il apparaît clair que les Juges de la majorité ont utilisé la spéculation pour tenter
d’impliquer le Président Gbagbo et contourner le fait que le Procureur n’avait apporté sur ce
point aucun élément probant. Ce faisant, ils ont démontré un certain parti pris et n’ont pas
fondé leur décision sur un examen objectif des éléments à leur disposition.

7. Les Juges pouvaient-ils ne pas prendre en compte la teneur de la décision
d’ajournement du 3 juin 2013 ?

116. Lors de l’ajournement les Juges avaient considéré qu’en l’état du dossier du Procureur,
il n’était pas possible de confirmer les charges146 et que, pour être suffisamment éclairés, ils
avaient besoin d’éléments d’information supplémentaires. Il en découle logiquement que si
l’on considère que le Procureur n’a pas apporté les précisions qui avaient été exigées de lui
par les Juges, cela devrait conduire naturellement à l’infirmation des charges. Par conséquent,
les Juges auraient dû, avant même de se prononcer sur le fond des charges, vérifier que le
Procureur avait répondu aux questions qui lui avaient été posées le 3 juin 2013.

117. Or il apparaît clairement que dans la décision attaquée la majorité a ignoré le sens de
la décision d’ajournement et n’a pas tiré les conséquences juridiques des manquements du
Procureur à faire ce qui lui avait été demandé.

144 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 181.
145 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 5.
146 ICC-02/11-01/11-432-tFRA, par. 36.

1- Les Juges pouvaient-ils accepter la manœuvre du Procureur qui n’a pas répondu dans
son DCC aux questions posées le 3 juin 2013 et n’y a répondu que partiellement dans
des annexes, sans joindre les éléments à décharge qu’il y visait ?

118. Le Procureur n’a répondu que partiellement aux questions des Juges dans des annexes
(annexe 6, 7 et 8) à son DCC. Il est très intéressant de constater que les réponses – même
partielles – qu’il apporte remettent en question l’intégralité du narratif qu’il avait développé
en janvier et février 2013. Ainsi par exemple, il montre que l’armée rebelle était structurée,
organisée et équipée d’armes lourdes. Les informations données montrent que la fiction de
groupes de civils se défendant à main nue contre des attaques menées sur des bases ethniques
par les forces de sécurité dans le but de maintenir au pouvoir le Président Gbagbo ne repose
sur aucune réalité.

119. En laissant le Procureur agir ainsi147, en ne le sanctionnant pas et au contraire en
reprenant un narratif à l’évidence contredit par la teneur des annexes mêmes du Procureur148,
la majorité a fait preuve d’inconséquence et a refusé de respecter les prescriptions qu’elle
avait données au Procureur.

120. Pourquoi la Chambre a-t-elle par exemple demandé au Procureur d’enquêter sur « [l]a
ou les positions, les mouvements et les activités de tous les groupes armés opposés aux «
forces pro-Gbagbo » (…) en Côte d’Ivoire (…) entre novembre 2010 et mai 2011 » si c’est
pour ne pas tenir compte de ses réponses?

2- Les Juges pouvaient-ils accepter de prendre une décision de confirmation des charges
sur la base de considérations ne respectant les standards minimaux qu’ils avaient eux-
mêmes fixés le 3 juin 2013 ?

121. Comme il a été démontré plus haut, la majorité n’a pas respecté dans sa décision le
standard minimal qu’elle avait imposé au Procureur le 3 juin 2013, puisqu’elle considère
avérés des incidents sur de simple ouï-dire ou des rapports d’ONG.

147 ICC-02/11-01/11-595, par. 1, 19.
148 Notamment ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 432-52.

ICC-02/11-01/11 34/44 31 juillet 2014

ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 35/44 NM PT

122. Par ailleurs, la majorité ne respecte en aucune manière les instructions et le standard
que les Juges avaient demandé au Procureur de respecter le 3 juin 2013 en utilisant et en
fondant son raisonnement sur des preuves matérielles sans en avoir vérifié les conditions
d’admissibilité.

8. Questions relatives aux Crimes contre l’Humanité.

123. La nature et la longueur limitée de la présente demande d’autorisation d’interjeter
appel ne permettent pas à la Défense de mentionner toutes les erreurs de fait et de droit qui
entachent la décision attaquée. Trois exemples seront donnés ici à titre illustratif. La Défense
développera d’autres exemples dans le cadre de l’appel.

1- La majorité pouvait-elle se prononcer sur l’existence d’une organisation sans trancher
au préalable la question des éléments constituant cette organisation et par conséquent
sans se prononcer sur le droit applicable ?

124. Dans la décision attaquée, la majorité se réfère à deux définitions possibles de ce
qu’est une « organisation » au sens de l’article 7(2). Mais elle refuse de trancher entre ces
deux définitions et par conséquent d’examiner la question du droit applicable, expliquant
que : «la Chambre est d’avis que l’organisation (…) satisferait aux critères que l’on retienne
l’une ou l’autre des deux interprétations »149.

125. Ce refus de se prononcer sur le droit applicable prive la décision de base légale. En
effet, les Juges ne s’étant pas prononcés sur ce qu’ils entendaient par une organisation n’ont
pas motivé leur décision. De plus, ce faisant, ils interdisent aux parties toute discussion sur la
question de l’organisation. Or, la fonction d’un Juge est 1) d’examiner les faits à la lumière du
droit ; 2) de dire le droit. Il ne peut y avoir de décision juridique sans application du droit aux
faits et sans raisonnement.

126. Il aurait été d’autant plus important que les Juges se prononcent que la décision de
confirmation des charges pose les bases du procès tant du point de vue factuel que juridique.
Le flou maintenu par la majorité sur la question du droit applicable empêche la Défense de
préparer le procès et lui porte préjudice.

149 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 217.

ICC-02/11-01/11 35/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 36/44 NM PT

2- La majorité a-t-elle commis une erreur de fait en admettant l’existence d’une politique
d’un Etat ou d’une organisation au sens de l’Article 7(2)?

127. La majorité a estimé qu’il avait existé une politique visant à commettre les crimes
allégués150. Or, la majorité ne s’est appuyée sur aucun élément probant que ce soit concernant
l’adoption ou la mise en œuvre d’une telle politique. Il n’existe dans le dossier aucun élément
qui constituerait un indice de l’existence d’une politique ayant eu pour but d’attaquer la
population civile. En se prononçant en l’absence de tout élément de preuve, la majorité a
commis une erreur manifeste de fait qui entache la légalité de la décision attaquée.

128. Cette absence de preuve est relevée par la Juge van den Wyngaert dans son opinion
dissidente, quand elle note que « les éléments de preuve disponibles ne me convainquent pas
qu’il y a des motifs substantiels de croire que le plan commun qui aurait visé au maintien de
Laurent Gbagbo au pouvoir ait, explicitement ou implicitement, impliqué la commission de
crimes contre des civils pro-Ouattara. Il n’y a, selon moi, pas d’élément de preuve
convaincants montrant qu’à un moment ou à un autre, Laurent Gbagbo a convenu avec son
« entourage immédiat » de commettre des crimes contre des civils innocents »151. Si la Juge
van den Wyngaert s’exprime ici sur l’existence d’un « plan commun », ses constats
s’appliquent aussi à l’existence d’une « politique », dans la mesure où le Procureur n’a cessé
de confondre ces deux notions juridiques pourtant distinctes, en tentant de convaincre à
plusieurs reprises que l’une découlait de l’autre et inversement152.

129. Par conséquent, il convient d’autoriser la Défense à soulever en appel les erreurs de
fait de la majorité dans la détermination de l’existence d’une politique d’un Etat ou d’une
organisation.

3- La majorité a-t-elle commis une ou plusieurs erreurs de droit en confirmant les charges
sous l’Article 7(1)(k)?

150 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 218.
151 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 5.
152 ICC-02/11-01/11-429-Conf , par. 112; ICC-02/11-01/11-637-Conf-Anx2-Corr2, par. 49-50, 1020.

ICC-02/11-01/11 36/44 31 juillet 2014
130. Dans la décision attaquée, la majorité a confirmé les charges sous l’article 7(1)(k) sans
s’expliquer153. Ce faisait, la majorité a commis deux erreurs de droit.

131. Premièrement, l’Article 7(1)(k) exige qu’il soit établi que les actes incriminés aient un
« caractère analogue » à d’autres actes explicitement visés dans les paragraphes précédents de
l’article 7(1). Cette condition est essentielle pour que soit respecté le principe de légalité et
plus particulièrement que soit respectée la prescription du Statut selon laquelle toute
définition de crime est d’interprétation stricte et ne peut être étendue par analogie154. Cette
exigence était d’ailleurs rappelée par les Juges dans l’affaire Katanga : « le Statut de Rome a
donné aux « autres actes inhumains » une portée différente de celle que leur accordent ses
prédécesseurs tels que la Charte de Nuremberg et les Statuts du TPIR et du TPIY. Ces
derniers entendaient les « autres actes inhumains » comme une « [TRADUCTION]
disposition fourre-tout », laissant à la jurisprudence une grande latitude pour en déterminer les
limites. En revanche, le Statut de Rome pose certaines limites, relativement à l’acte
constituant un acte inhumain et aux conséquences qui doivent en résulter»155. A aucun
moment, la majorité n’a entrepris une quelconque analyse des faits pour vérifier que les
dispositions de l’article s’appliquaient. Elle a ainsi privé sa décision de base légale sur ce
point.

132. Deuxièmement, la majorité ne fait à aucun moment de distinction entre des
souffrances qui seraient la conséquence d’une intention et des souffrances qui seraient la
conséquence de tentatives de meurtre non réalisées. Les qualifications juridiques sont
différentes. La jurisprudence de la Cour précise « qu’on ne saurait simultanément reprocher le
meurtre constitutif d’un crime contre l’humanité en vertu de l’article 7-1-a du Statut, même
sous forme d’une tentative au sens de l’article 25-3-f du Statut, et un autre acte inhumain en
vertu de l’article 7-1-k du Statut »156 et « que l’intention claire de tuer des personnes ne peut
pas être transformée en intention de blesser gravement des personnes au moyen d’actes
inhumains pour la seule raison que le résultat du comportement était différent de celui qui
était voulu et recherché par les auteurs »157.

153 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 198.
154 Article 22.
155 ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 450.
156 ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 461.
157 ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 463.

ICC-02/11-01/11 37/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 38/44 NM PT

133. A aucun moment la majorité ne cherche à distinguer entre ces deux intentions. La
Chambre aurait dû indiquer quels incidents étaient confirmés sous l’article 7(1)(k) comme
« autres actes inhumains » et quels incidents étaient confirmés sous l’article 7(1)(a) comme
tentatives de « meurtre ». Or le raisonnement de la Chambre lui interdit de faire cette
distinction, car elle se contente d’évoquer le nombre de blessés allégués, de constater leurs
souffrances alléguées pour en conclure en une violation de l’article 7(1)(k). En refusant de
discuter de l’intention des auteurs des crimes, elle prive sa décision sur ce point de base
légale.

9. Questions relatives aux modes de responsabilité.

134. De même que pour les erreurs relatives à la définition des crimes contre l’humanité, la
Défense ne peut relever ici toutes les erreurs qu’elle souhaiterait soulever lors d’un éventuel
appel de la décision de confirmation des charges. La Défense souhaite évoquer ici la
confirmation cumulative de plusieurs modes de responsabilité et un certain nombre de points
spécifiques concernant chaque mode de responsabilité.

1- La majorité a-t-elle commis une erreur de droit en confirmant plusieurs modes de
responsabilité de manière cumulative ?

135. Dans la décision attaquée, la majorité estime que : « lorsque les preuves établissent de
manière satisfaisante les différentes qualifications juridiques proposées par le Procureur pour
un même ensemble de faits, il convient que les charges soient confirmées avec les différentes
qualifications possibles, pour que la Chambre de première instance décide si l’une ou l’autre
de ces qualifications est prouvée au regard de la norme d’administration de la preuve
applicable au procès »158.

136. La Défense estime que cette pratique est incompatible tant avec la jurisprudence
qu’avec les obligations incombant au Procureur.

137. Premièrement, la jurisprudence avait jusqu’à maintenant rejeté cette pratique. Ainsi,
dans l’affaire Katanga, la Chambre préliminaire estimait que : « si la Chambre conclut qu’il
existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que l’Accusé est

158 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 227.

ICC-02/11-01/11 38/44 31 juillet 2014
conjointement responsable en tant qu’auteur principal pour avoir commis, par l’intermédiaire
de ses subordonnés, les crimes énumérés dans le Document modifié de notification des
charges, toute autre question relative à sa responsabilité en tant que complice sera sans objet.
En d’autres termes, la Chambre n’examinera pas d’autres formes de responsabilité au titre de
la complicité prévue aux articles 25-3-b à 25-3-d, si elle conclut que les preuves présentées
donnent des motifs substantiels de croire que l’Accusé est responsable au titre de l’article 25-
3-a »159. Dans le même sens, dans l’affaire Ruto, Sang et Kosgey, une Chambre préliminaire,
dans sa décision de délivrance d’une citation à comparaitre, avait exprimé des doutes « sur la
validité de la démarche consistant à tirer des conclusions concomitantes sur des formes de
responsabilité présentées comme subsidiaires les unes des autres. Une personne ne saurait être
considérée à la fois comme auteur principal et comme complice d’un même crime »160.

138. Il s’agit donc d’une jurisprudence constante, le seul exemple contraire est à trouver
dans la décision du 9 juin 2014 dans l’affaire Ntaganda161.

139. La Défense note que ni la décision Ntaganda, ni la décision Gbagbo ne font référence
à la jurisprudence constante de la Cour ; elles expliquent encore moins en quoi et pourquoi
cette jurisprudence ne devrait pas être suivie. Pourtant des explications auraient été
nécessaires puisque même la jurisprudence mentionnée dans la décision attaquée ne va pas
dans le sens de la logique des Juges. La majorité dans la décision attaquée cite en effet au
soutien de son raisonnement, trois décisions162. La première est un passage de la décision de
confirmation des charges dans l’affaire Ruto, Sang et Kosgey, qui ne concerne pas la question
de la confirmation cumulative de plusieurs modes de responsabilité. Dans cette affaire, la
Chambre préliminaire s’interrogeait sur le fait de savoir si elle pouvait considérer plusieurs
modes de responsabilité alors que le Procureur avait été d’une grande imprécision dans son
DCC163. Il n’était pas question de confirmation cumulative. La Chambre préliminaire n’avait
confirmé qu’un seul mode de responsabilité contre les accusés. La seconde jurisprudence est
un passage de la décision de délivrance d’une citation à comparaitre, toujours dans l’affaire
Ruto, Sang et Kosgey. Ce passage dit exactement le contraire de ce qu’avance la majorité
comme nous l’avons indiqué plus haut. Comment la Chambre préliminaire dans la présente

159 ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 471.
160 ICC-01/09-01/11-1-tFRA, par. 36.
161 ICC-01/04-02/06-309, par. 98-100.
162 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, note 537.
163 ICC-01/09-01/11-373 , par. 285.

ICC-02/11-01/11 39/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 40/44 NM PT

affaire pourrait-elle prétendre s’appuyer sur une décision qui la contredit aussi ouvertement ?
Enfin, la troisième jurisprudence est la décision de confirmation dans l’affaire Ntaganda. Or,
dans cette décision, il n’y a à aucun moment de discussion portant sur la jurisprudence
antérieure et les seules références mentionnées164 sont les mêmes deux décisions relatives à
Ruto, Sang et Kosgey que nous venons de discuter et qui ne vont certainement pas dans le
sens d’une possible confirmation cumulative de plusieurs modes de responsabilité.

140. Il ressort de ce qui précède que la décision attaquée s’écarte d’une jurisprudence
établie sans motiver ce revirement.

141. Concernant les obligations du Procureur, la Défense rappelle que la Norme 52(c) du
RdC lui impose d’indiquer dans son DCC « la qualification juridique des faits qui doit
concorder tant avec les crimes prévus aux articles 6, 7 ou 8 qu’avec la forme précise de
participation auxdits crimes prévue aux articles 25 et 28 ». Comment en l’espèce l’inclusion
par le Procureur d’autant de modes de responsabilité dans le DCC pourrait-elle être
compatible avec l’exigence de précision qu’impose le Règlement de la Cour ?

142. A tout le moins, même si la Cour devait admettre une telle pratique de la part du
Procureur, elle devrait imposer un standard minimum de précision et d’argumentation. La
Défense rappelle que dans la décision de confirmation des charges dans l’affaire Ruto, Sang et
Kosgey précitée, la Chambre avait considéré plusieurs modes de responsabilité, malgré les
imprécisions du DCC, uniquement parce que le Procureur avait fait l’effort de présenter les
éléments juridiques qu’il voulait développer au soutien de chaque mode de responsabilité165.

143. Or, dans la présente affaire, le Procureur ne fait jamais cet effort, se contentant
d’évoquer les modes de responsabilité autres que 25(3)(a) de la façon suivante : « Bien que
l’accusation ait structuré la présentation des faits selon les éléments constitutifs de l’Article
25-3-a, ces faits s’appliquent, pour autant que pertinent, aux autres motifs de responsabilité
pénale retenus, tel que détaillé dans l’exposé des charges » 166. Ce paragraphe s’accompagne
d’une note de bas de page qui indique que : « L’ensemble des faits présentés dans la présente
partie s’appliquent à tous les motifs de responsabilité pénale retenus. Cependant, les

164 ICC-01/04-02/06-309, note 421.
165 ICC-01/09-01/11-373, par. 285.
166 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2, par.130.

ICC-02/11-01/11 40/44 31 juillet 2014
ICC-02/11-01/11-676-Red 31-07-2014 41/44 NM PT

paragraphes 131, 138, 139, 144, 190, 192, 193 et 208 sont plus pertinents à l’article 25 et les
paragraphes 159, 168, 198, 199, 200 et 201 à l’article 28 » 167.

144. Une telle absence d’argumentation de la part du Procureur ne saurait constituer la base
d’une confirmation cumulative des charges, sous peine de réduire à néant l’idée que 1) le
Procureur doit être suffisamment précis dans son DCC afin que 2) l’accusé puisse être
informé des charges qui pèsent contre lui. En validant ce procédé du Procureur, la majorité va
contre la lettre et l’esprit du Statut et remet en cause le principe fondamental selon lequel
l’accusé doit être informé des charges pesant contre lui.

145. Enfin, la Défense note une incohérence de la part de la majorité dans le choix
cumulatif des modes de responsabilité. Ainsi, refuse-t-elle de confirmer les charges contre le
Président Gbagbo sous l’article 28 du Statut (responsabilité du supérieur hiérarchique) pour la
raison suivante : « examiner la responsabilité de Laurent Gbagbo au sens de l’article 28 du
Statut exigerait de la Chambre qu’elle s’écarte considérablement de ce qu’elle a compris du
déroulement des événements en Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale et du rôle joué
par Laurent Gbagbo dans ces événements»168.

146. Or, ce raisonnement ne vaut-il pas tout autant pour la responsabilité sous l’article
25(3)(d) ? En effet, à partir du moment où la majorité estime que la responsabilité du
Président Gbagbo serait engagée en tant que co-auteur indirect des crimes en vertu de l’article
25(3)(a), ne peut-on considérer que viser 25(3)(d) revient à « s’écarte(r) considérablement de
ce que [la Chambre] a compris du déroulement des événements (…)et du rôle joué par
Laurent Gbagbo» ? Action et contribution ne sont en effet pas équivalents et sont même
contradictoires.

147. C’est parce qu’elle s’est écartée de la logique du Statut, rappelée par la jurisprudence
constante de la Cour, que la Chambre tombe dans ces incohérences. Pour elle désormais une
personne peut être à la fois auteur et complice d’un crime.

167 ICC-02/11-01/11-592-Conf-Anx2, note 423.
168 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 264-265.

ICC-02/11-01/11 41/44 31 juillet 2014
148. Il convient dès lors que la question de l’accumulation des modes de responsabilité soit
tranchée au plus vite par la Chambre d’Appel, car tous les fondements du procès seraient
bouleversés s’il s’avérait que des modes de responsabilité avaient été confirmés à tort.

2- Les erreurs relatives aux différents modes de responsabilité entachent-elles la
décision ?

149. Lors de l’appel de la décision de confirmation des charges, la Défense compte
soulever un certain nombre d’erreurs de droit et de fait relatives à la définition et à la mise en
œuvre des différents modes de responsabilité. Elle se borne ici à mentionner, à titre
d’exemples, un certain nombre de ces erreurs.

150. Concernant l’article 25(3)(a), la Défense estime que la majorité a commis une erreur
manifeste de fait en concluant à l’existence d’un plan commun sur la base d’éléments de
preuve insuffisants présentés par le Procureur169.

151. Concernant l’article 25(3)(b), la Défense estime que la majorité a commis une erreur
de droit en ne distinguant pas clairement entre le fait d’« ordonner », de « solliciter » et
d’« encourager », qui sont pourtant trois formes différentes d’application de ce mode de
responsabilité et entrainent des conséquences juridiques différentes. La majorité a affirmé
sans justification ni référence que : « [l]a Chambre est d’avis qu’« ordonner », « solliciter » et
« encourager » relèvent en substance d’une catégorie plus large, l’« instigation » ou l’«
incitation d’une autre personne à commettre un crime », en ce que ces termes renvoient à un
comportement par lequel une personne en influence une autre pour qu’elle commette un
crime »170. Cette absence de précision de la part de la majorité la conduit à confondre des
notions différentes et par voie de conséquence à faire entrer des faits allégués de nature
différente dans une catégorie nouvelle devenue un über-mode de responsabilité. Ceci est
d’ailleurs contraire au principe de légalité.

152. Par ailleurs, la Défense estime que la majorité a commis un certain nombre d’erreurs
manifestes de fait, en confirmant 25(3)(b) en l’absence de tout élément prouvant que le
Président Gbagbo aurait ordonné, incité ou sollicité directement ou indirectement, la

169 Supra.
170 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 243.

ICC-02/11-01/11 42/44 31 juillet 2014 commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour. C’est ce que relève d’ailleurs la
Juge Van den Wyngaert171. Plus particulièrement, la majorité ne s’explique jamais sur les
éléments de fait illustrant ce mode de responsabilité et par exemple n’indique pas pourquoi
l’ordre de déployer l’armée aurait eu pour signification véritable de s’attaquer à des
populations civiles172.

153. Concernant l’article 25(3)(d), la Défense estime que la majorité a commis une erreur
de droit en considérant que « le groupe agissant de concert » incluait le Président Gbagbo173,
réduisant ainsi à néant la distinction entre la commission par le biais d’un plan commun sous
l’article 25(3)(a) et la responsabilité résiduelle pour contribution sous l’article 25(3)(d). Par
ailleurs, la majorité a erré en droit en ne distinguant pas ce qui relevait de la fonction du
Président Gbagbo et une éventuelle contribution à une entreprise criminelle174.

154. Enfin, concernant l’article 25(3)(f), la Défense estime que la majorité a erré en droit et
n’aurait pas dû confirmer les charges pour tentative au regard de l’imprécision du DCC à ce
sujet. En effet, le Procureur présente la question de la tentative de la manière suivante dans
son DCC : « à titre subsidiaire, au vu des mêmes faits et circonstances, il est responsable, au
titre de l’article 7-1-a du Statut, ainsi que, alternativement, des alinéas a (coaction indirecte), b
(ordonner, solliciter et encourager) et d de l’article 25-3 et des alinéas a et b de l’article 28 du
Statut, du crime de tentative de meurtre d’au moins 119 personnes commis par les forces pro-
GBAGBO »175. Il ressort clairement de cette formulation que le Procureur confond la
tentative comme mode de responsabilité, mentionnée à l’article 25(3)(f), et la « tentative de
meurtre » comme crime qui n’existe pas dans le Statut. Il convient de constater que le
Procureur ne mentionne jamais l’article 25(3)(f) ni ne discute les éléments constitutifs de ce
mode de responsabilité, ce qui s’explique aisément puisque le Procureur considère qu’il s’agit
de la tentative d’un crime plutôt que d’un mode de responsabilité. La Défense note d’ailleurs
que la majorité tombe en partie dans la confusion créée par le Procureur. En effet, elle
confirme ce mode de responsabilité dans la partie de la décision relative aux crimes contre

171 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 7.
172 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 6.
173 ICC-02/11-01/11-656-Conf-tFRA, par. 254.
174 ICC-02/11-01/11-656-Anx-tFRA, par. 10.
175 ICC-02/11-01/11-592-Anx1, par. 234.

ICC-02/11-01/11 43/44 31 juillet 2014
l’humanité, plutôt que dans la partie relative aux modes de responsabilité à proprement
parler176.

155. Une telle erreur de la part du Procureur, en l’absence d’une quelconque clarification
dans le reste du DCC, n’aurait pas dû être tolérée par la majorité en ce qu’elle révèle un
manque de compréhension de la logique du Statut préjudiciable au suspect. Par conséquent,
les charges ne pouvaient être confirmées sous ce mode de responsabilité.

Conclusion :

156. Comme il a été démontré, toutes les questions qui viennent d’être soulevées sont
susceptibles d’affecter l’équité ou l’issue du procès et requièrent une résolution immédiate de
la part de la Chambre d’Appel (Cf. article 82(1)(d)). Elles demandent toutes des réponses
permettant de faire sensiblement progresser la procédure et « de purger le processus judiciaire
d’erreurs susceptibles d’entacher l’équité de la procédure ou de compromettre l’issue du
procès » 177.

PAR CES MOTIFS, PLAISE À LA CHAMBRE PRÉLIMINAIRE I, DE:
- Autoriser la Défense à interjeter appel de la « Décision relative à la confirmation des
charges portées contre Laurent Gbagbo » rendue le 12 juin 2014 par la Chambre
préliminaire I.

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Emmanuel Altit
Conseil Principal de Laurent Gbagbo
Fait le 31 juillet 2014 à La Haye, Pays-Bas.

Source ICC/CPI