Côte d’Ivoire : Faire une rupture pour un changement de paradigme. Un plaidoyer pour une réelle prise conscience, Par Claude KOUDOU

Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions- Côte d’Ivoire. Faire une rupture pour un changement de paradigme. Un plaidoyer pour une réelle prise conscience, Par Claude KOUDOU.

Claude Koudou.

Position du problème
Depuis plus d’une quarantaine d’années mais plus particulièrement ces deux dernières décennies, la Côte d’Ivoire est dans un tourbillon indescriptible qui conduit visiblement dans une impasse. Pour l’expliquer, on a, au-delà des causes exogènes illustrées par le néocolonialisme rampant, une incurie au niveau des protagonistes du paysage politique local à se reformer, à se remettre en question et à intégrer entièrement l’intérêt collectif. En effet, les égos et la culture de la cour avec des courtisans qui se complaisent dans un statut pour lequel le « maître » peut leur porter un œil bienveillant, sans oublier un sectarisme insidieux, polluent une atmosphère qui a plutôt besoin d’inventivité, d’imagination, de respiration et d’innovation. En réalité, le manque de vision prospective, d’identification des priorités et de réelle prise de recul qui tiennent compte des observations avisées, plombent durablement le paysage politique ivoirien.

En fait, Monsieur Alassane Dramane Ouattara a brigué un troisième mandat contre les dispositions de la Constitution. En face, il y a une opposition qui s’accommode de la situation parce qu’elle n’a pas une véritable stratégie pour contenir la gouvernance autoritaire du chef de l’Etat. Et pour participer à meubler un tel climat, nous assistons à des campagnes de séduction ici et là, d’une opposition divisée qui envoie des signaux qui frisent plutôt du dilatoire maladif si ce n’est pas de la diversion.

La Côte d’Ivoire doit changer de paradigme. Il faut pour cela une rupture de fond et de forme, dans la façon de faire de la politique. De toute évidence, l’égoïsme, le clientélisme, la corruption de divers ordres, la culture de la cour et le manque d’une véritable offre politique pour entraîner le peuple, sont la manifestation d’une carence que les femmes et les hommes politiques maquillent depuis maintenant de longues années avec des activités cosmétiques. Si l’on veut réellement la démocratie, on doit être ouverts au débat : on doit être transparents et ne pas être trop portés sur des intrigues, des considérations émotionnelles et des règlements de compte quand on sait que la vie n’est vécue qu’une seule fois. Face aux nombreux décès, certains naturels mais d’autres inexpliqués, y compris de ceux de figures de proue de la gauche ivoirienne, ne s’agit-il pas de l’expression d’une certaine désespérance ? Une analyse fine et réaliste s’impose pour inscrire des recommandations nécessaires dans un agenda voué à l’intérêt du peuple.
Quand des vies et le sort de nombreux Ivoiriens sont observés à la marge, pourquoi devrait-on se taire ?

Les adorateurs ne veulent pas la critique paradoxalement là où nous voulons le progrès et le développement. Comment est-ce possible ? Il est vrai, Laurent Gbagbo a payé plusieurs années de sa vie pour que la liberté d’expression et le pluralisme politique voient le jour dans le pays. C’est un homme qui a beaucoup fait pour le peuple de Côte d’Ivoire. L’ex-président aura marqué la Côte d’Ivoire de son empreinte. C’est un grand homme et il faut lui rendre hommage en reconnaissance de sa trajectoire politique. Cependant, il convient de regarder les choses en face et de les apprécier avec lucidité à leur juste mesure. Au regard des activités et du fonctionnement interne du PPA-CI d’une part et de l’état du PDCI de Henri Konan Bédié de l’autre, il y a un immobilisme et un attentisme qui sautent aux yeux. On est alors en droit de se
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demander comment l’opposition compte vraiment accéder au pouvoir. Concernant Laurent Gbagbo, de deux choses l’une : soit l’ex-président a donné des gages en échange de son retour en Côte d’Ivoire soit il considère qu’il a fait sa part et que la lutte doit être poursuivie de là où il l’a laissée. Que ce soit une ou l’autre des deux hypothèses qui en est la raison, il me semble que dans un monde en mouvance permanente, on ne peut pas s’autocensurer, en estimant qu’il y a des sujets tabous dont l’examen serait une offense ou une marque de trahison à l’égard d’un(e) tel(le) ou un(e) tel(le). Ainsi, tout en prenant en compte les torts faits à Laurent Gbagbo et à Henri Konan Bédié, il faut se rendre à l’évidence et comprendre que le logiciel dans lequel nous persistons à fonctionner n’est plus viable. D’autant plus qu’on constate que Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié – sur qui les Ivoiriens voudraient compter –, se sont entourés de personnes qui ne pensent qu’à elles en même temps qu’elles n’apportent rien de salutaire, alors que des jeunes et moins jeunes souffrent et sont fauchés chaque jour par une paupérisation sans précédent. Par ailleurs, on peut s’accorder pour dire que le responsable d’un exécutif doit avoir toute la latitude pour désigner ses collaborateurs. Mais quand il manque des enquêtes de moralité ou lorsque des critères de compétence sont relégués à des plans inférieurs pour ne privilégier que des éléments de connivence dans la gestion des ressources humaines, cela pose un vrai problème. Bien souvent, on s’acharne peu ou prou à juste titre sur des personnes nommées à des postes et qui trahissent ensuite. Mais lorsque Laurent Gbagbo dit dans le livre qu’il a co-signé avec François Mattéi – quand il était à La Haye – qu’il a commis des erreurs, on le comprend et on estime qu’il ferait autrement à son retour en Côte d’Ivoire.

Mais que voit- on ? Il reprend les mêmes qui ont contribué à sa chute et il devient en plus complètement inaccessible. En observant cette façon de faire, le problème résiderait-il seulement chez les nommés qui trahissent ou ne doit-on pas également s’interroger sur les méthodes de ceux qui les nomment ?
Comme s’il n’y avait pas d’autres Ivoiriens, Thiam se prépare tranquillement dans l’ombre lorsque nos politiciens sont dans des incantations.
Le gros problème est que nos politiques n’affrontent pas les problèmes. Ils les déplacent. Mais cela finit forcément par les rattraper. Certains misent sur la disparition de leurs adversaires pour émerger. Malheureusement, les faux espoirs, les assurances artificielles et l’arrogance anesthésient nos compatriotes durablement. Il est temps de changer la façon de faire la politique. On ne peut pas continuer d’appliquer des recettes qui ne marchent pas.
Laurent Gbagbo a laissé son parti qui a été cassé en trois. Pendant la crise électorale de 2020, les démocrates ont suivi le leadership de Bédié, soutenu par Laurent Gbagbo depuis Bruxelles. Nous avons constaté que la détermination, la stratégie politique et l’intérêt collectif ont été sacrifiés sur l’autel des considérations émotionnelles et personnelles sen plus de ne pas créer de réseaux ou des passerelles pour consulter les bases. Au lieu de regarder les problèmes des Ivoiriens, certains ont trouvé plus urgent de convaincre Laurent Gbagbo encore à Bruxelles, qu’Affi N’guessan et Simone Ehivet Gbagbo prenaient de la lumière. De telles considérations pour des gens qui ont géré le pouvoir d’Etat ne peut que plonger des gens dans la désespérance quand la belle dynamique portée à l’époque par la mobilisation des Ivoiriens dont nombreux se sont sacrifiés n’a pas réussi à atteindre les objectifs. Devant des morts et des blessés marqués à vie, des responsables politiques de l’opposition de premier plan n’ont pas pris le recul nécessaire pour identifier des priorités en taisant leurs égos. Aujourd’hui, Affi N’guessan a son FPI, Laurent Gbagbo a créé son PPA-CI et Simone Gbagbo a son MGC. Et de l’autre côté, on a le président Henri Konan Bédié à 88 ans (91 en 2025) qui nourrit encore des ambitions présidentielles. Voulons-nous n’honorer que des chrysanthèmes ? Il faut dire qu’un homme ou
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une femme qui ne peut pas interpeller ou sanctionner des collaborateurs ou des membres de son entourage lorsque cela s’impose, n’est pas un leader politique accompli. Les choses doivent donc changer si nous voulons la modernisation de la vie publique en vue de répondre aux défis pendants.
A trois ans de 2025, nous apprêtons-nous à rééditer 2015 (CNC), 2016 (Front du Refus et Coalition du Non) et 2020 (CNT) ?
Alors qu’il y a une aspiration à sortir du joug colonial, nous ne voulons pas utiliser des méthodes pertinentes qui ont montré leur efficacité ailleurs. Comment voulons-nous devenir libres si nos responsables politiques n’écoutent pas leurs conseillers ?

En France, Emmanuel Macron nomme des gens compétents ; de même pour Joe Biden aux USA. Pourquoi espérons-nous relever nos pays alors que les leaders aiment s’entourer de gens qui les encensent à longueur de journées sans faire des propositions pertinentes ? L’autre dommage est qu’il y a des cadres qui ont des moyens financiers et qui préfèrent les mettre à la disposition d’un clan, d’une cour qu’ils ont en gestation. Pourtant, vu que ces personnages ont des ambitions, ils devraient aider des ateliers de réflexions pour l’éclosion d’idées nouvelles qui pourraient les appuyer. Aussi, alors que dans des pays comme le Mali, le Sénégal, le Ghana et le Nigéria, les locaux travaillent-il étroitement avec la Diaspora, en Côte d’Ivoire, cette partie des ressortissants est considérée comme des concurrents ou des acteurs à déstabiliser voire à renier. Après, il importe d’indiquer que les acteurs de l’opposition ivoirienne n’envoient pas de signaux clairs. En 2020, ils se sont opposés à l’élection présidentielle et l’ont manifesté vigoureusement ; ils sont allés aux élections législatives qui s’en sont suivies et dans des mêmes conditions qu’ils contestent. Les mêmes s’apprêtent à aller aux Municipales. La réalité est que ces responsables politiques veulent accéder à des postes pour vivre confortablement tout en laissant leurs militants dans le dénuement le plus total.

Pour un changement de paradigme, il faut construire autre chose à côté des politiques traditionnels.
Dans un pays aussi riche que la Côte d’Ivoire, voir des gens décéder parce qu’il leur manque de quoi se procurer un comprimé de doliprane est scandaleux. Ces politiques ne donnent aucune espérance et cultivent l’attentisme et l’immobilisme. Disons aussi que la Gauche, c’est le partage et la solidarité. Le comportement de nos politiques classés à gauche est à cet égard l’objet d’un réel questionnement. Il importe de dire qu’en Occident, lorsque les intérêts vitaux de la nation sont en jeu, les femmes et hommes politiques y compris la société dans son entièreté se soudent. En Afrique, les acteurs politiques et sociaux ont du mal à identifier les intérêts des populations pour les défendre dans l’ordre des priorités. Cette façon de faire la politique doit s’arrêter. Pour rappel, j’ai ardemment travaillé au rapprochement entre le PDCI et l’ex-FPI. Et les fruits ont été récupérés par des artisans auto-proclamés. Le dommage est que les acquis ont tout simplement été liquidés.

Pour les différentes raisons déclinées ci-dessus, j’invite tous les Ivoirien(ne)s, au-delà de leurs sensibilités religieuses, ethniques et politiques, - du Nord comme du Sud, de l’Ouest à l’Est en passant par le centre - qui ne supportent pas la gouvernance de Monsieur Ouattara à se rassembler dans un creuset de type think tank. Il s’agit de réfléchir ensemble sur un mode de travail alternatif, au-delà des égos afin de trouver une voie pour sortir le pays de là où il a été conduit par la myopie d’une certaine élite. Plutôt que de gloser quotidiennement sur la politique de Ouattara, il faut faire une offre qui donne de l’espérance au peuple. la question de l’école, de la santé, de l’alimentation et du bien-être dans son ensemble doit être au cœur de la politique.
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A la vérité, la façon dont les acteurs traditionnels fonctionnent – en s’appuyant sur une légitimité historique qu’ils ont acquise – n’est pas à la hauteur des enjeux et des défis qui en découlent. Il faut rompre avec des croyances qui ne se justifient plus. A l’expérience, de nos jours, la légitimité historique à elle seule ne suffit plus si elle n’est pas assortie d’autres qualités comme l’écoute, le respect des bases, la proximité avec les concitoyens, le partage et la prise en compte des préoccupations des populations ... En somme, nous devons être capables de nous surpasser pour faire face aux réalités aussi dures soient-elles. Gauche comme droite, au regard du cocktail qui est servi, la différence n’est pas très lisible.

Dr Claude Koudou,
Enseignant-Ecrivain en France,
Directeur de la Collection « Afrique Liberté » chez les Editions L’Harmattan,
Président du MODIAF (Mouvement de la Diaspora Africaine) et des ONG : « Convergences
pour la Paix et le Développement de l’Afrique » et « Effort Humanitaire ».
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