Côte d’Ivoire : Des partisans de Gbagbo torturés et tués à Abidjan. Les FRCI et Chérif Ousmane nommement cités comme auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité

Le 07 juin 2011 | Human Rights Watch - Les représailles déchaînées commises par les forces pro-Ouattara ont déjà entaché la nouvelle présidence.

Le chef de guerre FRCI Chérif Ousmane, com'zone de Bouaké, nommement cité dans le rapport de Human right watch.

Le 07 juin 2011 | Human Rights Watch - Les représailles déchaînées commises par les forces pro-Ouattara ont déjà entaché la nouvelle présidence.

Les forces armées fidèles au Président Alassane Ouattara ont tué au moins 149 partisans réels ou supposés de l’ancien Président Laurent Gbagbo depuis leur prise de contrôle de la capitale commerciale, à la mi-avril 2011, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les miliciens pro-Gbagbo ont tué au moins 220 hommes dans les jours ayant immédiatement précédé et suivi l’arrestation de Gbagbo, le 11 avril, alors que le conflit de près de quatre mois touchait à sa fin.

Entre les 13 et 25 mai, Human Rights Watch a interrogé 132 victimes et témoins des violences perpétrées par les deux parties lors de la bataille d’Abidjan et dans les semaines suivant l’arrestation de Gbagbo. Les meurtres, les actes de torture et les traitements inhumains commis par les forces armées d’Ouattara ont continué alors qu’un chercheur de Human Rights Watch se trouvait à Abidjan, prenant clairement pour cible les groupes ethniques au cours d’actes de représailles et d’intimidation généralisés.

« L’espoir d’une ère nouvelle après l’investiture du président Ouattara va s’estomper rapidement à moins que ces horribles exactions contre les groupes pro-Gbagbo ne cessent immédiatement », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le président a promis à maintes reprises des enquêtes et des poursuites crédibles et impartiales ; il est maintenant temps de tenir ces promesses. »

Les Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (FRCI) de Ouattara ont tué au moins 95 personnes non armées à Abidjan au cours des opérations menées à la fin avril et en mai, quand elles ont bouclé et fouillé des zones auparavant contrôlées par les milices pro-Gbagbo, selon le constat de Human Rights Watch. La majorité des violations documentées ont eu lieu dans le bastion pro-Gbagbo de longue date de Yopougon, l’épicentre de la bataille finale à Abidjan. La plupart des meurtres ont été des exécutions à bout portant de jeunes issus de groupes ethniques généralement alignés avec Gbagbo, dans ce qui semblait être une punition collective pour la participation de ces groupes aux milices de Gbagbo.

Un homme a décrit comment des soldats des Forces républicaines ont tué son frère de 21 ans : « Deux d’entre eux ont attrapé ses jambes, deux autres lui tenaient les bras dans le dos, et un cinquième lui tenait la tête », a-t-il dit. « Puis un type a sorti un couteau et a tranché la gorge de mon frère. Il hurlait. J’ai vu ses jambes trembler une fois qu’ils lui ont tranché la gorge, le sang ruisselait. Pendant qu’ils le faisaient, ils ont dit qu’ils devaient éliminer tous les Patriotes qui avaient causé tous les problèmes dans le pays. »

Une autre femme qui a assisté le 8 mai au meurtre de 18 jeunes cachés à Yopougon a été brutalement violée par un soldat des Forces républicaines après avoir été contrainte de charger leurs véhicules avec des biens pillés. Le 23 mai, un homme âgé dans le même quartier a vu des éléments des Forces républicaines exécuter son fils, qu’ils accusaient d’être un membre des milices pro-Gbagbo.

Human Rights Watch a également documenté 54 exécutions extrajudiciaires dans des lieux de détention officiels et officieux, notamment les 16ème et 37ème postes de police de Yopougon et le bâtiment GESCO de pétrole et de gaz qui sert maintenant de base aux Forces républicaines. Le 15 mai, Human Rights Watch a observé un corps qui brûlait à moins de 30 mètres du poste de police du 16ème arrondissement. Plusieurs témoins ont raconté à Human Rights Watch le lendemain que c’était le corps d’un milicien capturé qui avait été exécuté dans l’enceinte du poste de police.

Un soldat des Forces républicaines a décrit l’exécution de 29 détenus au début de mai à l’extérieur de l’immeuble GESCO. Le soldat a déclaré que Chérif Ousmane, proche allié du Premier ministre Guillaume Soro et commandant de zone de longue date des Forces Nouvelles – le groupe rebelle de Soro qui constitue actuellement la majorité des Forces républicaines – à Bouaké, la capitale du nord, a donné l’ordre d’exécution. Deux autres témoins interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir vu Chérif Ousmane dans un véhicule qui s’est débarrassé du corps torturé et exécuté d’un chef de milice notoire à Koweit, un sous-quartier de Yopougon, vers le 5 mai. Chérif Ousmane supervise les opérations des Forces républicaines à Yopougon.

Human Rights Watch a non seulement recueilli des informations sur des meurtres, mais aussi interrogé des jeunes hommes qui avaient été arrêtés par les Forces républicaines et ensuite libérés, et documenté la détention arbitraire et le traitement inhumain de bon nombre d’autres jeunes hommes – souvent arrêtés pour aucune autre raison apparente que leur âge et leur groupe ethnique. Presque tous les ex-détenus ont indiqué avoir été frappés à plusieurs reprises avec des crosses de fusils, des ceintures, des cordes et à coups de poing pour leur arracher des informations sur l’endroit où des armes étaient cachées ou pour les punir pour leur appartenance présumée aux Jeunes Patriotes, un groupe de miliciens pro-Gbagbo. Plusieurs ex-détenus ont fait état d’actes de torture, notamment l’arrachage de dents d’une victime et le placement d’un couteau brûlant sur une autre victime, la coupant ensuite.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement Ouattara à assurer immédiatement le traitement humain de toute personne détenue et à fournir un libre accès aux sites de détention pour les observateurs internationaux et la Division des droits humains de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).

Les témoins ont souvent identifié les assassins ou les agresseurs en détention comme étant les Forces républicaines qui sont descendues sur Abidjan en provenance de leurs bases du nord, vêtus d’uniformes et de bottes militaires et arrivant souvent dans des véhicules marqués FRCI. Ces forces sont supervisées par Soro et le président Ouattara. De nombreux témoins et deux soldats qui avaient participé aux massacres ont déclaré que des commandants de rang moyen et supérieur avaient été présents à l’endroit même où certains meurtres ont eu lieu, ou à proximité.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement de Ouattara à mettre en congé administratif immédiat, dans l’attente d’une enquête, les commandants contre lesquels il existe des preuves crédibles d’implication, soit directement, soit par la responsabilité de commandement, de meurtres, de tortures ou d’autres exactions graves. Au minimum, cela devrait inclure Chérif Ousmane et Ousmane Coulibaly pour d’éventuelles exactions commises à Yopougon et le capitaine Eddy Médy pour son rôle dans la supervision de l’offensive de l’ouest qui a fait des centaines de morts parmi les civils.

Le retrait des milices pro-Gbagbo a également laissé une traînée sanglante au cours de la bataille finale pour Abidjan, a déclaré Human Rights Watch. Human Rights Watch a documenté plus de 220 meurtres perpétrés par des groupes de miliciens pro-Gbagbo dans les jours et heures avant d’être contraints d’abandonner Abidjan. Le jour après que les Forces républicaines ont capturé Gbagbo, ses milices se sont déchaînées dans plusieurs zones de Yopougon, tuant plus de 80 personnes originaires du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins d’Afrique occidentale en raison de leur soutien présumé à Ouattara.

Un homme de 65 ans qui se trouvait là a raconté comment des miliciens avaient tué cinq de ses fils après avoir fait irruption dans sa résidence le 12 avril, le lendemain de l’arrestation de Gbagbo. Les corps ont été enterrés dans une petite fosse commune, faisant partie de 14 sites identifiés par Human Rights Watch rien qu’à Yopougon. Human Rights Watch a documenté sept cas de violences sexuelles perpétrées par des miliciens, en particulier à Yopougon, accompagnés souvent par l’exécution de l’époux de la victime.

Au moins 3 000 civils ont été tués lors de la crise postélectorale du fait de graves violations du droit international de la part des forces armées des deux bords, a indiqué Human Rights Watch.

Le 19 mai, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a fait connaître son intention d’ouvrir une enquête sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Une enquête de la CPI pourrait apporter une contribution importante à la lutte contre l’impunité, mais Human Rights Watch a aussi exhorté l’administration Ouattara à tenir des procès nationaux équitables afin de garantir la justice pour les victimes et d’encourager le respect pour l’État de droit dans le pays dévasté par le conflit.

Human Rights Watch a présenté ses conclusions au ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, qui a promis de convoquer une réunion d’urgence avec le Premier Ministre Guillaume Soro et les principaux commandants des Forces républicaines. Il a également assuré que le gouvernement Ouattara ne protègerait pas les forces militaires et de sécurité contre des poursuites pour les crimes qu’elles avaient commis. Les engagements du ministre ont été un signe positif et devraient être tenus rapidement, a ajouté Human Rights Watch.

« Si le Président Ouattara veut sérieusement mettre un terme à cette décennie d’exactions, il devrait immédiatement suspendre les commandants responsables de ces terribles exactions et ouvrir des enquêtes sur eux », a conclu Corinne Dufka. « Les personnes des deux camps impliquées dans des crimes graves devraient être traduites en justice. »

Meurtres et autres exactions commises par les Forces républicaines lors de patrouilles et d’opérations de recherche

Human Rights Watch a documenté 95 meurtres commis par des soldats des Forces républicaines contre des habitants non armés lors des opérations de bouclage et de recherche qui ont suivi la fin de la lutte active contre les forces pro-Gbagbo. Deux meurtres ont été commis les 23 et 24 mai, à la suite de l’investiture de Ouattara le 21 mai. Human Rights Watch estime que le nombre total de non-combattants tués est beaucoup plus élevé, car de nombreux témoins, en grande partie issus de groupes ethniques liés à l’ancien président Gbagbo, étaient trop effrayés pour parler ou avaient fui Abidjan pendant ou après les violences.

La grande majorité des meurtres qui ont été documentés ont été commis dans la commune de Yopougon, un quartier habité par un grand nombre de partisans de Gbagbo et de nombreuses anciennes bases informelles des groupes de miliciens qui l’ont activement soutenu. Yopougon semble avoir été ciblée de manière disproportionnée pour les meurtres commis en représailles par les Forces républicaines, qui ont infligé une punition collective meurtrière à des jeunes hommes des groupes ethniques Bété, Attié, Guéré et Goro, qui ont largement soutenu Gbagbo lors de l’élection présidentielle de 2010.

Les témoins ont décrit comment de nombreux jeunes ont été traînés hors de leurs maisons et exécutés, ou abattus alors qu’ils fuyaient ; d’autres ont été placés dans des centres de détention, formels et informels, où ils ont été torturés et parfois tués. Les Forces républicaines ont également tué des hommes plus âgés accusés d’avoir hébergé ou aidé les miliciens. De nombreux résidents du quartier ont déclaré à Human Rights Watch que les milices et les mercenaires, qui avaient pendant des mois pris pour cible et tué des groupes pro-Ouattara, ont pris la fuite en grands nombres avant la prise de contrôle des Forces républicaines, de sorte que ceux qui sont restés étaient des civils, présumés comme étant des partisans de Gbagbo.

Yopougon, avec une population d’environ 1 million de personnes, est divisée en dizaines de quartiers. Bien que les Forces républicaines aient commis des violences dans tout Yopougon – et dans une moindre mesure à Koumassi et Port-Bouët – plus de 70 des meurtres documentés par Human Rights Watch se sont produits dans les quartiers de Koweit et Yaosseh.

Koweit

Koweit a été l’une des dernières zones d’Abidjan à tomber, avec des combats se terminant aux alentours du 3 mai. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les Forces républicaines ont procédé à des fouilles maison par maison dans lesquelles les hommes de groupes pro-Gbagbo semblent avoir été la cible d’exactions. Human Rights Watch a également documenté un cas de viol. Une femme de 34 ans originaire de Yopougon Koweit a décrit comment elle a été brutalement violée par un soldat des Forces républicaines le 8 mai, et a ensuite vu les Forces républicaines tuer 18 jeunes :

Des gars en uniforme militaire sont arrivés ce matin-là à 9 heures et ont dit qu’ils cherchaient des armes. Huit d’entre eux sont entrés dans ma maison. Ils ont crié : « Donnez-nous votre argent ou nous vous tuerons. C’est vous qui avez pris soin des milices ici. » Ils ont pris 50 000 francs CFA (115 USD), mon matelas, une bouteille de gaz – tout ce qui avait de la valeur, ils l’ont pris.

Les gars étaient grands, c’était des militaires des FRCI avec des uniformes propres. Ils avaient un chef de file incontesté parmi eux. Il a dit : « Vous les Bétés, les Guérés, les Attiés, c’est vous qui avez fait cette guerre. Où sont les jeunes [hommes], nous allons tous les tuer. »

Ils sont allés de maison en maison et ont pillé tout ce qui avait de la valeur. Ils sont restés pendant des heures. Lorsque les marchandises ont commencé à s’accumuler, ils m’ont forcée à charger leurs voitures – à charger des téléviseurs, des réfrigérateurs ... Je portais un gros container de gaz de cuisine sur la tête et un autre à la main. Ça n’en finissait pas. J’ai chargé une camionnette pick-up, une berline, puis une autre berline, tous bourrés des objets de valeur de chacun. Ils n’ont rien laissé.

Alors que je faisais mon septième voyage, leur chef, un homme grand, m’a attrapée et m’a tirée là où l’un de mes voisins dormait. Le voisin avait quitté Abidjan, mais les FRCI avaient enfoncé sa porte. Il m’a jetée sur un matelas et m’a dit d’ouvrir les jambes. Je lui ai dit : « Monsieur, s’il vous plaît, pas comme ça. » Je l’ai supplié de me laisser partir, mais il m’a frappée et m’a dit de me taire. Il m’a prise de force, et il m’a violée. Il m’a tenue là, en me violant, pendant plus d’une heure. Il a été violent pendant tout ce temps, quand il a eu fini je saignais entre mes jambes. Tout ce temps-la, les autres membres des FRCI étaient toujours en train de piller. Ils savaient ce qu’il faisait, ils sont passés à côté. Il était bien leur chef. Je les ai entendus l’appeler commandant Téo.

Après avoir fini de me maltraiter, il avait sa kalache [fusil] sur lui et il a essayé de la faire pénétrer violemment en moi. J’ai fermé mes jambes et l’arme a percuté ma cuisse, une marque est toujours là. Il a ri et a dit « Bravo » et il est sorti de la pièce.

Tandis que je finissais de charger leurs véhicules après avoir été violée, ils étaient toujours en train de fouiller maison après maison. À quelques maisons plus bas, ils ont trouvé un tas de jeunes hommes cachés. Alors que je faisais le va et viens à leurs voitures, j’ai vu que les hommes avaient été dépouillés et contraints de s’allonger sur ma rue. Je les ai comptés, ils étaient 18. Quelques-uns des membres des FRCI sont restés avec eux, en leur criant qu’ils étaient des membres des milices – ils ne faisaient pas partie des milices, ils étaient simplement des jeunes du quartier. Toutes les milices avaient déjà fui à ce moment-là.

J’ai fini de charger les voitures autour de 14 heures ; il n’y avait plus du tout de place dans aucune d’elles. Les soldats parlaient de ce qu’ils devaient faire des prisonniers, alors que je finissais avec les dernières marchandises volées. L’un d’eux a dit : « On n’est pas venus pour perdre du temps, nous sommes venus pour tuer » et un autre a acquiescé : « Nous ne pouvons pas perdre de temps, nous n’avons pas d’espace pour les prendre, finissons le travail et partons. » Puis ils ont ouvert le feu – les jeunes étaient couchés sur le sol, nus sauf leurs sous-vêtements. Ils les ont arrosés de tirs, les tuant tous là. Puis ils sont repartis.

Je ne pouvais plus rester là. Alors que je sortais de Koweit, il y avait des corps partout. J’en ai vu des dizaines. Il était 3 heures de l’après-midi quand je suis sortie de là. Je suis tombée sur un vieil homme et lui ai demandé si je pouvais me nettoyer dans sa maison. Peu de temps après, un autre groupe des FRCI est arrivé chez lui. L’un d’eux a dit : « Donnez-nous votre argent ou vous êtes morts. » J’ai répondu : « Ils viennent de prendre tout ce que j’ai. Tout mon argent, tous mes objets de valeur. Je n’ai plus rien à te donner. » Il m’a giflée, mais il m’a laissée partir. Le vieil homme a remis son argent, et puis le groupe des FRCI a également pillé sa maison.

Human Rights Watch a documenté six autres meurtres à Koweit commis par les Forces républicaines, le même jour. Un témoin a décrit cinq hommes se faisant dépouiller, aligner et mitrailler par un soldat. Quatre victimes sont mortes instantanément ; la cinquième, touchée à la cuisse, a feint d’être morte et a rampé plus tard jusqu’à une maison voisine. Le témoin, un ami qui habitait à proximité, est allé vers lui, et l’homme a demandé de l’eau. Alors que le témoin était allé chercher de l’eau, il a entendu plusieurs coups de feu. Il a trouvé son ami mort – avec un impact de balle dans le bras qui avait laissé des fragments d’os sur le sol et un autre à la poitrine qui était ressorti par le dos de la victime.

Les meurtres à Koweit ont commencé immédiatement après que les Forces républicaines ont pris le contrôle du quartier. Le 3 mai, un témoin a vu des soldats exécuter un homme de 63 ans à bout portant après l’avoir accusé de louer une chambre à un milicien pro-Gbagbo. Un homme a décrit le meurtre de son frère :

Ils ont fouillé maison par maison le jour où les FRCI tentaient de prendre la Base Maritime [les 4 et 5 mai]. Ils sont arrivés en 4x4, en camionnettes, en Kia, beaucoup avaient « FRCI » écrit sur le côté. Il y avait des dizaines de soldats. Ils pensaient que nous tous, les jeunes Bétés, Guérés ou Goros, étions des miliciens. Ils ont pris trois d’entre nous de la maison dans laquelle je me cachais, moi et deux de mes frères. Ils ont pris mon plus jeune frère, qui a 21 ans, et ont demandé quel était son groupe ethnique. Il a dit qu’il était Bété. Deux d’entre eux ont attrapé ses jambes, deux autres lui tenaient les bras dans le dos, et un cinquième lui tenait la tête. Puis un type a sorti un couteau, a dit sa prière mystique, et a tranché la gorge de mon frère. Il hurlait. J’ai vu ses jambes trembler une fois qu’ils lui ont tranché la gorge, le sang ruisselait sur son corps. C’était pire que tuer un animal. Je ne pouvais pas détourner le regard. C’était mon frère. Pendant qu’ils le faisaient, ils ont dit qu’ils devaient éliminer tous les Patriotes qui avaient causé tous les problèmes dans le pays.

Puis ils se sont tournés vers moi et m’ont demandé mon groupe ethnique. J’ai dit Dioula, parce que je peux parler dioula. Ils savaient que je ne l’étais pas, mais c’était assez pour ne pas me tuer. Mon autre frère a eu peur ; il savait qu’il était le suivant, alors il a commencé à courir. L’un d’eux a tiré avec sa kalache ; il est tombé mort immédiatement. Ils sont alors venus vers moi et m’ont dit que j’étais milicien. Ils m’ont frappé avec leurs fusils, avec leurs poings. Ils ont continué d’exiger que je dise que j’étais milicien, qu’ils ne s’arrêteraient que si je le disais. Finalement, j’ai cédé et j’ai dit que j’étais milicien. Ils m’ont chargé dans un camion de marchandises et m’ont emmené au 16ème arrondissement (poste de police). Ils ont tués d’autres jeunes dans le quartier au même moment. Il semblait ne pas y avoir de raison pour choisir qui ils tuaient et qui ils amenaient au poste.

Un autre témoin a dit avoir vu les Forces républicaines égorger un jeune sous les yeux de son père après avoir découvert une kalachnikov et une grenade dans sa chambre pendant une fouille de maison en maison à 4 heures du matin. Le témoin a été déshabillé et forcé de remettre son ordinateur portable, ses téléphones cellulaires et son l’argent. Human Rights Watch a documenté les pillages similaires de dizaines de maisons à Koweit. Le témoin, comme beaucoup d’autres interrogés par Human Rights Watch, voulait fuir Abidjan pour aller dans son village familial, mais n’avait pas d’argent pour le transport puisque que les Forces républicaines avaient tout pris.

Un membre des Forces républicaines de Yopougon a déclaré à Human Rights Watch que les hommes sous le contrôle d’Ousmane Coulibaly – un commandant des Forces Nouvelles dans la zone d’Odienné plus communément connu sous le nom de guerre « Ben Laden » – avaient été responsables de l’offensive et de l’opération de « nettoyage » dans le quartier de Koweit à Yopougon.

Yaosseh

Un commandant des Forces républicaines a déclaré à Human Rights Watch qu’après de violents combats du 12 au 19 avril, ses forces ont pris le contrôle de Yaosseh autour du 20 avril. Après s’être emparés de cette zone, de nombreux soldats se sont installés dans le poste de police local – le 16ème arrondissement – qui avait autrefois abrité des miliciens fidèles à Gbagbo.

Quelques jours plus tard, les Forces républicaines ont commencé les opérations de recherche dans Yaosseh, où de nombreux miliciens de la région avaient vécu auparavant. Onze témoins interrogés par Human Rights Watch ont décrit comment, entre les 25 et 26 avril, les soldats ont tué au moins 30 hommes non armés, principalement des jeunes de groupes ethniques pro-Gbagbo. La plupart des témoins ont indiqué que la majorité des victimes n’avaient pas été des membres actifs de la milice, qui avait fui vers le 19 avril.

Un garçon de 16 ans a vu son cousin de 25 ans se faire tuer par balle par des soldats alors que tous deux étaient assis à l’extérieur d’un centre de santé à 14 heures le 25 avril. Le témoin a été épargné en raison d’un grave problème de santé dont les soldats ont dit qu’il démontrait qu’il n’avait jamais été un milicien. Une femme de 42 ans a vu les Forces républicaines tuer son jeune frère ainsi que plusieurs autres le même soir :

Ils sont arrivés à Yaosseh à environ 1 ou 2 heures de l’après-midi ; ça tirait de partout. Cela a duré quelques heures, et puis il y a eu le calme. Quand ça a recommencé une seconde fois, j’ai décidé de partir. Tout le quartier était en fuite. Quand je suis passée par le Parlement [un point de rassemblement des Jeunes Patriotes], il y avait beaucoup de corps à l’extérieur. Je ne sais pas s’ils ont été tués au combat ou exécutés.

Nous sommes restés à l’écart pendant plusieurs heures, mais je n’avais nulle part où dormir, alors j’ai décidé de rentrer chez moi. J’étais avec mon jeune frère, qui avait 22 ans. J’étais devant lui, quand j’ai entendu un coup de feu. Je me suis retournée et il avait été touché à la jambe, il était tombé par terre. Ensuite, quatre des membres des FRCI sont sortis et l’ont attrapé. Ils étaient tous en uniforme militaire. L’un d’eux a dit : « Égorgez-le. » Et ils l’ont fait, juste sous mes yeux. J’ai pleuré, et l’un d’eux a dit : « Madame, nous n’avons rien contre vous. C’est la milice que nous cherchons. » Je n’arrêtais pas de pleurer, en disant que mon frère n’était pas milicien. Puis l’un des autres a dit : « Vous êtes les femmes qui protègent la milice. Montrez-nous où sont les autres, ou nous allons vous tuer », et il m’a giflée et m’a ensuite montré un couteau qui était encore dégoulinant du sang de mon frère. J’ai dit que je ne connaissais pas de milice, je veux juste rentrer à la maison, et l’autre soldat lui a dit de me laisser.

Je me suis cachée dans la maison d’un voisin. Le 16ème arrondissement où ils étaient basés se trouve tout près de l’endroit où nous sommes. Je les ai vus arriver dans le quartier ce soir-là, en tirant. Je les ai vus tuer deux autres jeunes hommes qu’ils avaient pris cette nuit-là. Ils leur ont tiré dessus à bout portant. J’ai quitté le quartier le lendemain matin.

Deux jours plus tard, je suis allée voir ma maison. Elle avait été complètement pillée, il ne restait rien. Ce jour-là, notre quartier a inhumé quatre autres jeunes sous mes yeux. Cinq autres corps étaient éparpillés dans la rue.

Je ne sais toujours pas où est mon mari. Mon frère a été tué sous mes yeux, et mon mari est porté disparu depuis le jour où ils ont attaqué Yaosseh. Son téléphone est éteint. Je suppose que lui aussi est mort. Je n’ai plus rien.

Un autre témoin a décrit comment les soldats des FRCI sont entrés et ont ouvert le feu dans un restaurant du quartier, tuant huit hommes à l’intérieur.

Une femme de 34 ans a été témoin de trois autres exécutions, le 26 avril, dont celle du mari de sa sœur, à la suite d’un affrontement entre les Forces républicaines et des mercenaires libériens :

Quand ils sont entrés, ils ont dit : « Nous ne sommes ici que pour les garçons. » Ils étaient tous en tenue militaire. Ils étaient nombreux, des dizaines d’entre eux. Je pouvais voir FRCI écrit sur certaines des voitures, camionnettes et 4x4 dans lesquels ils étaient arrivés. Ils sont venus du 16ème arrondissement qui se trouve à proximité. Je connais beaucoup de gens qui ont vu des meurtres, mais sous mes yeux, ils ont tué trois personnes – deux par balle à bout portant et une troisième, le mari de ma sœur, en lui tranchant la gorge ....

Tandis qu’ils tuaient, ils disaient : « Vous qui avez tué nos proches, nous allons vous tuer aussi. » Mais ce n’était pas nos garçons qui sont encore là qui ont tué. Tous ces gens-là sont partis, ils se sont enfuis .... Après ce jour-là, nous savions que le quartier n’était pas sûr pour les hommes, alors nous avons fui. Nous ne pouvons pas rentrer à la maison.

Comme à Koweit, les maisons à Yaosseh ont été systématiquement pillées, ont indiqué les résidents interrogés par Human Rights Watch, qui avaient été à la fois témoins du pillage et qui étaient revenus pour trouver leurs maisons vidées de presque tous les objets de valeur.

Les témoins ont décrit quelques cas dans lesquels des officiers supérieurs sont intervenus pour empêcher les exécutions extrajudiciaires, notamment un cas dans le quartier Gesco de Yopougon à la fin avril. Après qu’un soldat qui semblait être sur le point d’exécuter un jeune qu’il avait détenu sur la base de son appartenance à un groupe ethnique qui aurait soutenu Gbagbo – « Parce que tous les Guérés, Bétés et Goros doivent être éliminés » – un militaire de rang supérieur est intervenu et leur a dit de laisser les jeunes s’ils n’avaient aucune preuve qu’ils étaient des miliciens.

Le plus souvent, cependant, les soldats qui se sont opposés à l’exécution de civils ont été incapables de convaincre leurs camarades qui avaient l’intention d’infliger une punition collective aux hommes de groupes pro-Gbagbo. Une femme de 38 ans a décrit ce qui s’est passé le 26 avril :

Mon voisin qui était un vendeur de remèdes a été tué sous mes yeux. Ils l’ont pris au piège dans sa maison et l’ont traîné dans la rue. Ils se sont un peu disputés pour savoir s’ils devaient le tuer et l’un des membres des FRCI n’était pas d’accord pour le tuer. Il a dit que le gars n’avait rien à voir avec les combats ; il n’y avait aucune raison de le tuer. Mais son camarade lui a tiré dessus d’abord dans les deux bras, puis dans la tête.

Exécutions extrajudiciaires de détenus

L’exécution extrajudiciaire de 54 détenus par les Forces républicaines documentée par Human Rights Watch a eu lieu dans trois bases des Forces républicaines également utilisées comme lieux de détention à Yopougon – les 16ème et 37ème arrondissements et le bâtiment de la compagnie de gaz et de pétrole GESCO – ainsi que dans les quartiers de Koumassi et Port-Bouët. Certains de ces prisonniers avaient été identifiés par des résidents locaux comme des miliciens pro-Gbagbo qui avaient commis des crimes contre des membres de leurs propres communautés, mais les soldats semblaient n’avoir eu aucune information dans la plupart des cas impliquant les personnes exécutées dans quelque crime que ce soit.

Un membre des Forces républicaines sous le commandement de Chérif Ousmane a décrit l’exécution au début du mois de mai de 29 détenus à l’extérieur du bâtiment GESCO :

Ce qui m’a choqué c’est que nous avons exécuté 29 personnes que nous avions arrêtées lors de notre ratissage dans le quartier Millionnaire [Yopougon]. Ce jour-là, je me souviens, le Commandant Chérif [Ousmane] était très en colère parce qu’il avait perdu six hommes le même jour dans les combats contre les miliciens à Abobo Doumé [le quartier près de Yopougon où se trouve la Base Maritime]. Au moment de nous replier, le chef d’unité lui a demandé par téléphone ce que nous devions faire des prisonniers, et nous avons reçu l’ordre de notre chef qui a cité le nom de Chérif, que : « Vous n’avez arrêté personne, je ne veux voir aucun prisonnier. » Ben Laden [nom de guerre d’Ousmane Coulibaly] était présent au bâtiment GESCO, mais il n’a pas assisté à l’exécution, il a quitté les lieux juste avant.

Nous les avons conduits au bâtiment GESCO et les avons exécutés à quelques mètres de là au bord de la route. Ils ont été tués par vague de cinq par cinq et quatre par quatre. Nous les avons fusillés sans même leur bander les yeux, ils ont tout vu. Ils pleuraient et nous suppliaient de les laisser en vie, qu’ils n’avaient rien à voir avec les miliciens. Certains ont été tués par rafale mais d’autres ont été tués par des tirs de P.A. [pistolet automatique] à bout portant. Ils étaient tous des jeunes gens âgés de 30 à 40 ans et tous des civils. Je vous promets que personne ne peut décrire les crimes que ces hommes ont commis. Ils ont été arrêtés parce qu’ils nous sont apparus comme des suspects soit des miliciens ou des gens qui renseignaient les miliciens à notre sujet. Je ne suis pas heureux de l’avoir fait, mais je n’ai fait qu’exécuter des ordres.

Je crois que les corps ont été jetés dans la forêt de Banco. J’ai un camarade qui a fait partie de ceux qui sont allés jeter les corps. Les Chefs nous ont dit par la suite de ne jamais raconter cette histoire et que tous les morts civils seraient mis sur le compte des miliciens.

J’ai tué des hommes ici à Yopougon mais c’était des hommes qui étaient armés et qui nous tiraient aussi dessus. Mais quand on tire sur des hommes désarmés qui vous supplient de les laisser en vie, ça s’oublie difficilement. À Yopougon, on parle de beaucoup de « disparus », ce sont pour la plupart des exécutions comme celles que je vous raconte. Les FRCI ont procédé à l’arrestation de beaucoup de miliciens qu’ils ont ensuite exécutés. Les Forces républicaines ont également creusé des fosses communes pour enterrer certains cadavres à Yopougon pendant la nuit. Il y a eu trop de morts de civils et de militaires ici à Yopougon.

Deux anciens détenus au 16ème arrondissement ont également décrit l’exécution d’au moins quatre jeunes hommes au cours de la première nuit de leur détention, autour du 5 mai. Un homme de 25 ans, qui avait été arrêté après avoir fui les combats à Koweit a déclaré à Human Rights Watch :

Alors que nous sortions de la brousse sur la route principale, il y avait cinq membres des FRCI qui attendaient. L’un d’eux avait un RPG [grenade propulsée par lance-roquettes] qu’il a pointé sur nous, et il nous a dit de ne pas bouger, de nous coucher par terre immédiatement. Nous nous sommes tous couchés. Cela c’est produit vers 14 ou 15 heures. Ils nous ont forcés à marcher jusqu’au 16ème arrondissement. Quelques-uns portaient des T-shirts FRCI avec un pantalon militaire ; d’autres étaient en uniforme militaire de la tête aux pieds.

Au poste de police, Koné, un soldat des FRCI, était la personne que vous rencontriez à l’arrivée. Il a demandé à chaque personne si elle faisait partie de la milice. Nous étions entourés de gens avec des fusils. Tandis que nous répondions, ils inspectaient nos mains et nos coudes, affirmant qu’ils pouvaient dire si vous aviez déjà brandi une arme. J’ai dit non, et je crois que ma réponse les a satisfaits. Quatre autres, cependant, ont été exécutés sous nos yeux ce soir-là. Ils ont déclaré que leurs doigts étaient cornés, donc ils étaient des miliciens. Il y a un type qui se chargeait des exécutions. Il a mis une cagoule et leur a tiré dessus à bout portant, cela a été fait un par un devant tout le monde. Les gens imploraient le pardon, en disant qu’ils n’étaient pas des miliciens, mais le gars leur a quand même tiré dessus ... une balle dans la poitrine de chaque personne.

Ils nous ont dit de déplacer les corps à l’extérieur près du pont, puis Koné a versé de l’essence sur les corps et y a mis le feu. J’étais là pendant une semaine. Ils n’ont tué personne après le premier jour.

Le 15 mai, un chercheur de Human Rights Watch a vu un corps qui brûlait à moins de 30 mètres du 16ème arrondissement, toujours contrôlé par les FRCI, et de nombreux témoins sur les lieux lui ont dit que c’était un milicien pro-Gbagbo qui avait été capturé et tué. Le lendemain, deux personnes qui avaient participé à la capture et avaient été témoins de l’exécution ont décrit les événements. Le récit fait état d’une relation entre les FRCI et les jeunesses pro-Ouattara locales que Human Rights Watch a observée et qui a été décrite à plusieurs reprises par des témoins. Un témoin a dit :

Le gars que vous avez vu brûler l’autre jour était l’un des miliciens qui ont brûlé vives deux personnes le 25 février. Hier, nous l’avons repéré alors qu’il marchait dans Yaosseh. Quand il nous a vus, il a commencé à courir. Nous l’avons pris en chasse et attrapé vers 9 heures, puis confié à un groupe des FRCI du 16ème arrondissement qui était en patrouille.

Nous sommes allés avec eux au poste, et les membres des FRCI ont fait leur travail. Ils l’ont exécuté. Quand nous sommes arrivés avec lui, j’ai dit que je savais qu’il était milicien, qu’il était au nombre de ceux qui avaient brûlé vifs deux de nos camarades le 25 février. Les membres des FRCI lui ont demandé si cela était vrai, et il l’a nié. Alors ils l’ont torturé et battu, en demandant encore et encore s’il avait brandi une arme à feu lors de la crise, s’il avait tué. Finalement, il a dit que c’était vrai. Ils ont continué à le battre et à lui demander de donner le numéro de téléphone de ses complices. Ce qu’il a fait. Les gars des FRCI ont appelé un autre milicien et ont essayé de tendre un piège. Mais le gars n’est jamais venu. Le milicien a imploré le pardon une fois qu’ils ont fini de le torturer, mais un gars des FRCI a dit : « Ceux qui tuent, ceux qui brûlent, ils ne peuvent pas vivre. » Puis les membres des FRCI ont fini leur travail, ils ont fait justice, en l’exécutant de deux balles. Nous étions là pour tout cela. Après qu’il ait été tué, son corps a été brûlé de l’autre côté de la rue.

Depuis la fin du mois d’avril, après que les FRCI ont libéré la zone, j’ai été impliqué dans la capture de cinq miliciens. Deux en une seule fois, puis un seul à trois reprises différentes. Les FRCI les ont tous exécutés. Deux ont été jetés par-dessus le pont, un corps a été laissé dans le quartier, et les deux autres ont été tués dans le 16ème arrondissement.

Certains des miliciens sont de retour, pour vérifier s’ils peuvent vivre parmi la population. Mais nous n’avons pas oublié ce qu’ils ont fait. Si vous êtes [un partisan de Gbagbo] qui n’a jamais pris un fusil, vous pouvez vivre ici. Mais ceux qui ont pris les armes, ils vont payer s’ils reviennent.

Un chercheur de Human Rights Watch a présenté des preuves relatives aux exécutions sommaires à l’intérieur et aux environs du 16ème arrondissement, une zone utilisée par les Forces républicaines comme base et centre de détention, au commissaire Lezou – un membre des Forces républicaines actuellement en charge de l’enceinte, malgré le retour progressif des policiers à leur poste. Le commissaire Lezou a nié catégoriquement que de telles exécutions ont eu lieu.

Il a dit que tous les corps retrouvés dans les rues provenaient de la lutte acharnée dans la zone entre le 14 et 18 avril et que les témoins peuvent s’être « trompés ». Il a également nié catégoriquement qu’un corps a été brûlé dans la rue en face du poste de police le 15 mai, même si le chercheur de Human Rights Watch a déclaré l’avoir vu de ses propres yeux.

Human Rights Watch a aussi documenté cinq exécutions extrajudiciaires de personnes détenues dans l’enceinte du 37ème arrondissement de Yopougon entre les 12 et 19 mai. Les victimes ont été sorties de la station pendant la nuit sur deux jours et exécutées sur des terrains voisins, ont déclaré plusieurs détenus et des résidents du quartier.

Parmi les personnes exécutées se trouvaient plusieurs chefs de quartier des milices pro-Gbagbo, notamment les dirigeants bien connus des Jeunes Patriotes « Andy » et « Constant » à Koweit entre les 5 et 6 mai. Un témoin de la mort de Constant a indiqué comment les proches de personnes locales tuées par Constant et sa milice ont décrit aux Forces républicaines les crimes dans lesquels il a été impliqué, après quoi quatre soldats l’ont tué. Human Rights Watch a documenté six meurtres commis par Andy et Constant au début de mars qui prenaient pour cible les groupes pro-Ouattara, ainsi que le viol collectif horrible et le meurtre d’une jeune femme de 18 ans. Des témoins ont déclaré qu’avant que les soldats n’exécutent Constant, il leur a montré une cache d’armes dans sa maison.

Deux témoins ont dit avoir vu Chérif Ousmane dans un convoi de six véhicules 4x4 qui ont déposé le corps d’Andy sur le bord de la route le 6 mai. Un témoin qui a aidé à déplacer le corps a déclaré qu’il avait été mutilé, avec de nombreuses blessures au couteau et par balle, ce qui signifie qu’il avait probablement été torturé.

Bien que les meurtres n’aient pas été de la même ampleur que dans Yopougon, Human Rights Watch a également documenté des exécutions extrajudiciaires à Koumassi et Port-Bouët entre les 13 et 15 avril, juste après que les Forces républicaines ont pris le contrôle de ces zones. Plusieurs des personnes exécutées étaient des miliciens soupçonnés d’être impliqués dans des dizaines de meurtres et, aux dires des résidents de la zone, en possession d’importantes caches d’armes. Comme à Yopougon, les jeunes du quartier ont joué un rôle dans de nombreux cas documentés par le biais de l’identification, la dénonciation et le piégeage de miliciens présumés, avant de les apporter aux Forces républicaines, selon les mots de l’un de ces jeunes, « pour faire leur travail ».

De nombreux anciens habitants de Yopougon issus de groupes pro-Gbagbo réels ou supposés ont fui, en affirmant à Human Rights Watch qu’ils avaient peur de rentrer chez eux tant que les Forces républicaines contrôlaient encore étroitement le quartier et que les meurtres continuaient.

Tortures et traitements inhumains en détention

Human Rights Watch a documenté des dizaines de cas de tortures et de traitements inhumains de détenus de la part des Forces républicaines. Durant et après l’offensive militaire à Abidjan, des centaines de jeunes appartenant à des groupes ethniques pro-Gbagbo ont été arrêtés et détenus – souvent dans des arrondissement et des bases militaires abandonnés ainsi que dans des prisons de fortune telles que des stations essence et le complexe de GESCO.

Presque tous les anciens détenus interrogés par Human Rights Watch ont indiqué avoir été régulièrement battus, le plus souvent au moyen de fusils, de ceintures, de bâtons, à coups de poings et de bottes, tandis que les militaires des Forces républicaines leur ordonnaient de révéler l’emplacement d’armes ou de chefs des milices.

La plupart avaient été arrêtés et détenus simplement du fait de leur âge et de leur groupe ethnique – en particulier les Guérés, les Bétés, les Goros et les Attiés, tous fortement liés à l’ancien Président Gbagbo – ou en raison de leur quartier d’origine. Selon un étudiant universitaire de Port-Bouët, il a été arrêté, détenu et battu le 21 avril parce qu’il vivait dans l’une des résidences universitaires du quartier – sites qui étaient depuis longtemps des bastions de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, plus connue par son acronyme, la FESCI, un groupe estudiantin violent pro-Gbagbo :

Je vivais à la résidence universitaire parce que je suis un étudiant venu d’en dehors de la ville, sans famille à Abidjan. Je n’ai jamais fais partie de la FESCI. Les Forces républicaines m’ont arrêté et m’ont emmené dans un camion de transport depuis le 2ème quartier de Port-Bouët. Ils étaient dix, nous étions deux étudiants. Quatre d’entre eux m’ont frappé à coups répétés pendant plus de trois heures, puis l’un d’eux a sorti un couteau et m’a tailladé le long de l’épaule et dans le dos [blessure constatée par Human Rights Watch]. Pendant qu’ils me battaient, ils n’arrêtaient pas de demander où se trouvaient les fusils. Je leur ai dit que je n’avais jamais fait partie de la FESCI, mais ils ne m’ont pas cru. Ils ont menacé plusieurs fois de me tuer.

C’est seulement quand quelqu’un d’autre de la communauté est arrivé plus tard ce soir-là et a dit que je ne faisais pas partie de la FESCI qu’ils se sont calmés. Le commandant m’a dit d’oublier ce qui s’était passé, de laisser tomber, et m’a rendu mes deux téléphones portables. Nous sommes toujours menacés pourtant, juste parce que nous sommes étudiants. Nous ne pouvons pas retourner en cours, nous ne pouvons pas revenir habiter dans la résidence universitaire – ces logements ont en grande partie été détruits par la communauté à cause de leur lien avec la FESCI.

Dans plusieurs cas, le traitement infligé par les Forces républicaines atteignait manifestement le niveau de la torture, définie selon la Convention contre la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne » par un acteur étatique dans des buts incluant l’obtention d’informations ou la sanction d’une personne pour un acte commis ou supposé être commis. Un jeune homme de 20 ans qui a été détenu pendant une semaine au 37ème arrondissement à Abobo-Doumé [un sous-quartier où se trouve la Base maritime] a fait le récit des tortures subies :

Chaque jour les FRCI nous tiraient hors de la petite cellule pour nous frapper avec leurs kalachnikovs. En général ils étaient deux ; ils vous frappaient encore et encore soit avec leurs fusils soit à coups de bottes. Cela durait environ cinq, dix minutes, puis ils partaient et revenaient quelques heures plus tard pour recommencer. Pendant qu’ils me frappaient ils disaient : « Est-ce que tu vas répondre à nos questions sans mentir la prochaine fois ? Est-ce que tu vas nous donner des renseignements ? » Chaque fois je leur disais que je n’avais jamais tenu une arme, mais les coups continuaient.

Le deuxième jour, ils ont mis un couteau au feu jusqu’à ce qu’il soit brûlant. Puis ils l’ont placé sur mon épaule gauche, en faisant une entaille aussi. Ils demandaient : « Tu es de la milice ? Où sont les armes qui ont été cachées ? » C’était la brûlure qui était plus douloureuse que la coupure – c’était la pire douleur que j’ai jamais ressentie [blessures, notamment la peau brûlée et décolorée et une longue cicatrice sur l’épaule de la victime, constatées par Human Rights Watch].

Un autre détenu a témoigné de la façon dont les Forces républicaines lui avaient arraché plusieurs dents au cours d’un interrogatoire après s’être emparé de lui sur une petite route à Yopougon Wassakara à la mi-avril :

Alors que je me rendais à pied à mon travail [de gardien de sécurité] à Wassakara, les FRCI m’ont tendu une embuscade, m’encerclant de toutes parts. Ils étaient tous en uniforme et portaient des bottes militaires. Ils m’ont entrainé dans un passage près de la Pharmacie Keneya en disant que j’appartenais à la milice de Gbagbo. J’ai protesté : « Non, non, je vais juste à mon travail. Je suis gardien. » Ils ont répondu : « Non, tu es de la milice. »

Ils m’ont frappé avec leurs kalachnikovs jusqu’à ce que ma tête saigne. Ma tête ne va toujours pas bien, j’ai constamment des maux de tête. Puis ils m’ont maintenu par terre, deux d’entre eux m’ont pris par les épaules, deux par les jambes, et un autre maintenait ma bouche ouverte. L’un des types avait des tenailles, et il a arraché une de mes dents d’en haut. Puis il en a arraché une deuxième, mais elle s’est cassée et seule une partie est sortie. Ils n’arrêtaient pas de demander : « Où sont les armes que tu as cachées ? » La douleur était telle que je ne pouvais même pas répondre. Alors ils continuaient. Ils ont arraché en tout quatre dents d’en haut et une d’en bas. Après les deux premières, ils ont même arrêté de poser des questions. Ils hurlaient : « Nous allons vous tuer tous, les miliciens qui ont causé ces problèmes. Tu es un des Patriotes de Gbagbo, nous allons vous tuer tous. »

Je ne peux toujours pas vraiment manger tellement j’ai mal. La nuit [un mois plus tard], j’ai encore du sang qui coule dans la bouche à cause de ces blessures.

Meurtres commis par les milices pro-Gbagbo en se retirant d’Abidjan
Human Rights Watch a documenté plus de 220 meurtres de partisans de Ouattara réels et supposés commis par des milices pro-Gbagbo et des mercenaires tandis que les Forces républicaines déferlaient sur Abidjan entre le 31 mars et la fin du mois d’avril, notamment dans les semaines suivant l’arrestation de Gbagbo alors que les combats se poursuivaient à Yopougon.

Les meurtres documentés par Human Rights Watch ont eu lieu à Yopougon, Koumassi et Port-Bouët. Des sources crédibles, notamment des groupes locaux de défense des droits humains et des chefs de quartier originaires de pays d’Afrique occidentale, ont recueilli des informations sur des meurtres similaires dans d’autres quartiers, tel que Treichville, Williamsville et Plateau, ce qui laisse supposer que le nombre total de personnes tuées par les milices pro-Gbagbo pendant cette période est probablement plus élevé. Les corps ont souvent été brûlés, parfois en masse, par des milices pro-Gbagbo ou par des résidents qui ne pouvaient plus tolérer l’odeur – ne laissant aucune trace à l’exception de petits fragments d’os encore visibles par un chercheur de Human Rights Watch.

La milice, comme documenté par Human Rights Watch tout au long des violences postélectorales, a érigé des dizaines de barrages routiers où ils ont souvent exigé les cartes d’identité des passants. Ceux qui étaient originaires du nord de la Côte d’Ivoire ou de pays voisins comme le Burkina Faso ou le Mali ont été systématiquement tués, souvent de manière atroce.

Yopougon

En tant que base de longue date de la milice de Gbagbo et zone du combat final dans la lutte pour Abidjan, le quartier de Yopougon a été le site de meurtres particulièrement violents de groupes présumés pro-Ouattara. De nombreux homicides ont été commis dans les jours qui ont suivi l’arrestation de Gbagbo tandis que les milices cherchaient ouvertement à se venger.

Dans le quartier de Mami-Faitai, une section en grande partie musulmane de Yopougon, Human Rights Watch a vu ce qui semblait être huit fosses communes récemment creusées. Selon des personnes qui ont participé aux sépultures, chaque fosse contenait entre 2 et 18 cadavres. Au moins 46 personnes ont été tuées dans cette zone entre les 11 et 13 avril.

Les habitants de Mami-Faitai avaient créé un poste de contrôle à l’entrée de leur quartier où, selon plusieurs intervenants qui ont été interrogés, des jeunes non armés signalaient si des attaquants arrivaient en frappant sur des casseroles. Les résidents ont décrit comment sept attaquants en uniformes de la BAE (une unité d’élite de la police) ont fait une descente sur le point de contrôle peu après minuit et en 10 minutes, ont tué 18 personnes. Un rescapé qui a feint d’être mort après avoir reçu une balle a déclaré à Human Rights Watch :

Quand ils nous sont tombés dessus, ils ont crié : « Couchez-vous tous par terre. » Comme ils avaient des kalaches, chacun d’entre eux, nous n’avions pas le choix. Nous étions 18 couchés par terre, 16 ont été tués. Ils ont pris nos téléphones portables ; l’un d’eux a dit : « Maintenant, vous ne pourrez plus appeler l’ONUCI [les casques bleus]. » Ils ont demandé nos noms ; les deux premiers étaient Ibrahima et Boubakar. Ils ont chargé leurs armes et l’un d’eux a dit : « C’est vous qui avez attrapé le Président Gbagbo, vous allez payer. Nous allons creuser une fosse commune dans votre quartier aujourd’hui. » J’étais le leader du groupe, alors j’ai dit : « Nous sommes des jeunes du quartier ; nous ne sommes pas armés. Nous ne sommes pas des rebelles, nous ne sommes pas des politiciens, nous ne faisons que protéger notre quartier, nos femmes. »

L’un d’eux a mis son pied sur moi et m’a tiré dans le dos [blessure constatée par HRW]. Mais il ne m’a pas tué. Je suis resté là en faisant le mort, en espérant qu’ils ne s’en aperçoivent pas et me tirent dessus de nouveau. Il m’a donné des coups de pied, et je n’ai pas réagi. J’ai essayé de rester couché comme si toute vie s’était retirée de moi. Après un deuxième coup de pied, il est passé à la personne suivante. Tous les sept tiraient à ce moment-la – nous tuant l’un après l’autre.

Quand les gens de notre quartier ont entendu les coups de feu, beaucoup d’entre eux sont venus nous défendre. Mais les gars de Gbagbo ont tiré pour repousser la foule. Deux autres corps ont été retrouvés près de la mosquée voisine, des gens qui avaient essayé de venir vers nous. Tout cela s’est produit en 10 à 15 minutes environ. Nous étions surtout des jeunes, mais il y avait également plusieurs hommes plus âgés.

Un homme de 65 ans qui vivait dans le même quartier a perdu cinq fils, quand la milice s’est introduite en grimpant dans sa résidence aux alentours de 9 heures du matin le 12 avril :

Ils allaient de maison en maison pour tuer. Ils étaient plus de 10 à avoir sauté la clôture pour pénétrer dans ma résidence. La plupart étaient en civil – tout en noir, quelques-uns d’entre eux dissimulant leur visage avec du charbon – mais d’autres portaient des pantalons militaires. Tous avaient des kalaches. Ils ont cassé la première porte, derrière laquelle trois de mes fils se cachaient. J’étais à l’intérieur de la porte principale, celle en métal, c’est ce qui m’a sauvé. Ils ne pouvaient pas la faire tomber comme les deux portes en bois à l’extérieur dans la cour. Ils ont tiré avec leurs armes après avoir sauté par-dessus la clôture ; nous avons tous entendu et avons couru pour écouter et regarder à travers un trou dans la porte.

Je les ai regardés sortir trois de mes garçons de la première pièce. Ils les ont forcés à s’allonger à plat-ventre dans la salle ici, et puis ils leur ont tiré dessus à bout portant. D’abord, ils ont pris tous leurs objets de valeur, puis l’un d’eux a ouvert le feu, « pop-pop », sur chacun de mes fils. Ils ont exigé de l’argent, et mes fils le leur ont donné ; ils ont demandé des vêtements, mes fils les leur ont donnés ; ils ont exigé la télévision, les téléphones portables. Tout leur a été donné et pourtant, les miliciens les ont tués. Ils criaient que nous, les Dioulas, étions les rebelles qui avions pris le contrôle du pays. Un autre a dit : « Ce sont vos frères qui ont capturé Gbagbo hier. » Ils ont pillé cette chambre, puis ils se sont rendus à la deuxième porte, où deux de mes garçons dormaient. Ils ont également défoncé cette porte. Ils ont immédiatement tiré sur l’un d’eux qui se tenait debout, directement dans la poitrine. L’un des assaillants a alors dit : « Nous nous sommes occupés de quatre d’entre eux, ça suffit, allons-y. » Mais un autre a dit non. Le cinquième fils se cachait sous son lit. Ils l’ont sorti et lui ont tiré dessus.

Plusieurs sont restés pendant plus d’une heure, tandis que les autres ont poursuivi leur œuvre de mort ailleurs. L’un d’eux a ouvert le réfrigérateur et, avec les cinq corps sur le sol, a sorti du couscous, du bissap [jus], et a mangé juste là. Des miettes sont restées sur le sol juste à côté des corps.

Vers 14 heures, nous avons arrêté d’entendre les tirs et nous sommes sortis. Quand j’ai vu les corps, j’étais sous le choc, je ne pouvais même pas pleurer. Nous avons marché à travers le sang pour sortir de l’enceinte, les cinq corps simplement couchés là. Les impacts de balles avaient pénétré dans le sol en béton. Nous n’avons pas pu prendre le temps de les enterrer, car nous ne savions pas quand la milice reviendrait.

Quand nous sommes revenus, nous avons été informés par quelques personnes qui s’étaient cachées dans le quartier que les miliciens avaient emballé les corps ensemble, puis y avaient mis le feu. Des traces de brûlure ont été trouvées devant notre enceinte. Nous avons trouvé des restes d’os, mais rien de plus.

Dans le sous-quartier de Doukouré, à Yopougon, les corps de 29 personnes reposent dans une fosse commune unique provenant de la tuerie du 12 avril, selon plusieurs habitants qui ont aidé à enterrer les corps le 13 avril. Au moins sept autres fosses communes contenant 1 à 12 corps se trouvent à proximité dans le même parking poussiéreux de la mosquée de quartier, selon des personnes qui ont aidé à les enterrer. Alors qu’ils allaient de maison en maison en tuant, les miliciens ont également violé plusieurs femmes, dont une de 23 ans :

Vers 2h30 de l’après-midi, la milice a frappé à la porte de la cour. Avant même que l’on ne puisse venir l’ouvrir, ils l’avaient brisée. Mon mari a levé les mains. Ils ont demandé son ethnie, sa carte d’identité. Il a répondu : « Je suis Dioula » et ils ont dit : « Ah, c’est vous qui soutenez Alassane. » Il n’a pas répondu, mais quand ils ont saisi ses papiers d’identité, ils lui ont tiré dans le bras, puis dans les côtes.

Ensuite ils ont dit aux femmes d’ôter leurs vêtements et de se coucher sinon ils nous tireraient dessus. J’ai imploré le pardon, mais l’un d’eux a appelé les autres qui étaient restés dehors pour qu’ils entrent. Tout d’abord, cinq de plus sont entrés, puis l’un d’eux est sorti pour en appeler d’autres, et trois autres sont arrivés. Ils avaient tous des armes. Les premiers qui sont entrés portaient des treillis militaires et une kalache. Les autres étaient en civil et avaient des couteaux et des machettes.

Il y avait trois femmes dans les chambres qui donnent sur la cour, et ils nous ont violées toutes les trois. Un milicien a violé chacune des femmes. Ils nous ont forcées à nous tourner et nous ont violées. Après avoir fini, ils ont pris tout ce qui nous appartenait, et ne nous ont rien laissé.

Les meurtres dans les sous-quartiers contrôlés par les milices ont continué pendant les derniers jours de la bataille de Yopougon. Le 25 avril, les milices pro-Gbagbo ont profité d’un bref mouvement des Forces républicaines hors de Yopougon Andokoi pour mettre en place un barrage routier. Deux frères maliens sont entrés dans le quartier aux environs de midi, en pensant qu’il n’y avait pas de danger, et ont été arrêtés au poste de contrôle des milices. Le frère aîné, interrogé par Human Rights Watch, s’est échappé mais s’est retourné pour voir que son frère de 26 ans avait été arrêté. Une fois que les Forces républicaines ont repris le contrôle de la zone cette nuit-là, le frère aîné est revenu pour trouver le corps à demi carbonisé de son frère empilé à côté de cinq autres victimes, qui avait également été brûlées au point d’être presque méconnaissables.

Le 27 avril, le sous-quartier de Locodjoro, l’une des dernières zones à tomber aux mains des Forces républicaines, a été complètement brûlé par les miliciens en fuite. Des centaines de maisons ont été détruites, et selon des témoins, deux Maliens ont été arrêtés, ligotés et exécutés. L’un d’eux était en chemin vers la zone pour sauver sa mère qui avait été dans l’incapacité de fuir les violences antérieures.

Les résidents de Yopougon des deux partis politiques ont déclaré qu’ils avaient vu quelques chefs de milice bien connus à l’intérieur et aux environs des sous-quartiers de Yopougon où un grand nombre de meurtres ont été commis. Les témoins ont décrit à plusieurs reprises avoir vu le chef de milice Bah Dora dans la zone de Toit Rouge, un autre des derniers bastions de la milice. Des témoins ont également décrit la participation des membres de la milice sous le commandement de Bah dans les multiples meurtres de civils d’appartenance présumée à des groupes pro-Ouattara. Plusieurs résidents du quartier ont déclaré à Human Rights Watch que Bah Dora avait été capturé par les Forces républicaines et était détenu au 19ème arrondissement.

Deux témoins ont également indiqué avoir vu Maho Glofiei, chef de longue date d’une milice de la région de l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, à Yopougon juste avant l’arrestation de Gbagbo.

Recommandations

Au Président Alassane Ouattara :

Démontrer que les promesses de poursuites impartiales et crédibles pour les crimes graves sont sérieuses en veillant à ce que soient menées des enquêtes immédiates sur les meurtres, les exécutions extrajudiciaires et les actes de torture commis par les Forces républicaines à Abidjan. Obliger les responsables à rendre compte de leurs actes, notamment les commandants qui ont supervisé les crimes, quel que soit leur garde militaire.

Suspendre administrativement les commandants impliqués dans de graves exactions, dans l’attente d’une enquête.

Déclarer publiquement que toute personne détenue – y compris les anciens miliciens de Gbagbo impliqués dans des crimes graves – doit être traitée humainement en accord avec le droit ivoirien et international.

Lorsque des opérations de ratissage et de fouilles sont menées par les Forces républicaines, veiller à ce que des policiers, des gendarmes ou bien des forces de maintien de la paix de l’ONU ou françaises soient inclus.

Demander l’assistance de bailleurs de fonds internationaux clés pour évaluer la capacité du système de justice ivoirien à mener des poursuites pour les crimes graves et pour répondre aux faiblesses identifiées.

Fournir un accès complet à toutes les installations de détention aux observateurs internationaux et à la Division des Droits de l’Homme de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), notamment un accès qui permette aux détenus de décrire les conditions de leur traitement sans la présence ni l’ingérence des Forces républicaines.

Coopérer pleinement avec la CPI, notamment dans l’arrestation des suspects, si le procureur de la Cour ouvre une enquête sur les crimes commis en Côte d’Ivoire.

Au Conseil de sécurité de l’ONU :

Pour faire la lumière sur les atrocités commises au cours des dix dernières années en Côte d’Ivoire, publier le rapport de 2004 de la Commission d’enquête lorsque le rapport de 2011 de la Commission d’enquête sera présenté devant le Conseil des droits de l’homme en juin. S’en abstenir continue à adresser le message selon lequel certaines personnes profondément impliquées dans des crimes de guerre et autres graves exactions sont soustraites à la justice.

Aux Opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire :

Augmenter de façon importante les patrouilles, notamment les patrouilles conjointes avec les Forces républicaines, à Yopougon, particulièrement dabs les quartiers vulnérables pro-Gbagbo tels que Koweit, Yaosseh, Kouté et Abobo-Doumé.

Se rendre quotidiennement dans les centres de détention, particulièrement à Yopougon, et réclamer un accès aux prisonniers sans ingérence des Forces républicaines.
HRW