Bernard Doza (journaliste-ecrivain): «Les Ivoiriens doivent se préparer à la libération de leur pays du joug impérial»
Publié le samedi 12 mars 2011 | Le Temps - Journaliste-écrivain, Bernard Doza vit en Hexagone depuis des décennies. Intellectuel panafricaniste et farouche opposant de l’ancien régime du parti unique en Côte d’Ivoire, sous feu Félix
Houphouët-Boigny. Dans cette interview, le charismatique critique et analyste des questions afro-africaines des médias à Paris, lève le voile sur les nombreuses interrogations dont il est l’objet concernant d’éventuelles accointances avec le Rdr d’Alassane Ouattara et la rébellion de Guillaume Soro.
Publié le samedi 12 mars 2011 | Le Temps - Journaliste-écrivain, Bernard Doza vit en Hexagone depuis des décennies. Intellectuel panafricaniste et farouche opposant de l’ancien régime du parti unique en Côte d’Ivoire, sous feu Félix
Houphouët-Boigny. Dans cette interview, le charismatique critique et analyste des questions afro-africaines des médias à Paris, lève le voile sur les nombreuses interrogations dont il est l’objet concernant d’éventuelles accointances avec le Rdr d’Alassane Ouattara et la rébellion de Guillaume Soro.
M. Bernard Doza, bonjour. Qu’est-ce qui justifie votre présence à Abidjan ?
Mon dernier séjours à Abidjan date du 31 décembre 1988, lorsque l’opposant Laurent Gbagbo était mis en résidence surveillée par le président Houphouët-Boigny, au lendemain de son retour d’exil de France, pour avoir organisé le congrès clandestin du Front ivoirien . Cette mise en résidence s’expliquait selon le Pdci, parce que Houphouët avait déjà affirmé dans les médias à Paris que Gbagbo était rentré pour lui demandé pardon. Il me fallait donc venir clandestinement à Abidjan, chercher la version de Gbagbo, ce qui a provoqué la colère de Félix Houphouët, qui n’a pas hésité à me faire convoquer à l’Elysée pour explication…
Cette fois, je viens parce qu’au lendemain de l’élection organisée sous la pression des puissances impérialistes (malgré les rebelles en armes dans les zones Cno), j’ai entendu dans les médias étrangers, le président français Nicolas Sarkozy intimer l’ordre au président Gbagbo, de quitter le pouvoir sous soixante douze heures.
J’ai considéré, en tant que militant nationaliste, qu’il n’appartient plus aujourd’hui, (avec le combat que mène le peuple de Côte d’Ivoire) au président français de demander au président de la Côte d’Ivoire, de quitter le pouvoir, parce qu’il gène des intérêts. Voilà pourquoi, j’ai décidé de venir, apporter ma contribution à mon pays et surtout au chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, élu par le peuple de Côte d’Ivoire.
Votre soutien n’arrive-t-il pas un peu tard, car cela fait plus de dix ans que le régime de Gbagbo est confronté aux pressions internationales.
Vous savez, déjà en 2000 au moment où le président Gbagbo prenait le pouvoir, la conscience que nous avions éveillée depuis les années 1990 était arrivée à son paroxysme. Une nouvelle jeunesse avait pris le relais de la mobilisation. Dès 2002, la jeunesse de la Fesci avec Blé Goudé qui a grandi, a mobilisé les patriotes et ont fait front aux forces étrangères. Nous avons encore en mémoire les évènements de 2004 devant l’Hôtel Ivoire. Il fallait laisser le peuple lui-même mûrir dans la répression au quotidien. En 1991, lorsque j’ai écrit Liberté confisquée, beaucoup de gens m’ont traité de gauchiste et d’affabulateur. L’on disait que les rapports entre la France et l’Afrique francophone n’étaient pas aussi exécrables comme je l’ai écrit. Je suis heureux aujourd’hui, d’entendre que le principal responsable de ce qui arrive en Côte d’Ivoire est la France. Je dirai, c’est une victoire.
Une victoire pour qui ? Vous ou le peuple de Côte d’Ivoire ?
C’est une victoire des forces du progrès. Nous nous réclamons de la gauche. Dans cette gauche, il y a des nationalistes, des radicaux et des modérés. Et c’est l’ensemble de cette gauche qui dit aujourd’hui, qu’il n’appartient plus à la France de dicter ses ordres à la Côte d’Ivoire.
Finalement, qu’est-ce que monsieur Doza apporte de nouveau dans ce combat ?
J’ai parlé de victoire, parce qu’enfin toute la gauche confondue a compris le sens du combat des nationalistes de gauche que nous sommes. Le combat n’étant pas terminé, je viens apporter une nouvelle touche, surtout dans la technicité.
Bernard Doza est connu pour ses prises de positions surtout contre l’actuel régime d’Abidjan, alors que vous vous réclamez de militant de Gauche comme le président Laurent Gbagbo et ses camarades au pouvoir. Celui-ci a été aussi suivi par plusieurs camarades de lutte, lorsqu’il est rentré. Et vous, vous avez décidé de rester à Paris.
Nous avons mené un débat idéologique, qui part de la transition pacifique à la révolution nationale. Je suis un partisan de la révolution nationale. Mais cette transition pacifique, qui a été la première amorcée, a dévoilé et conduit l’impérialisme dans ses propres contradictions. Aujourd’hui, le peuple ivoirien a compris que le combat contre la France et ses affidés locaux du Rhdp, passe par la lutte de libération nationale, sinon il n’y aura pas de paix en Côte d’Ivoire. Quand je vois le ministre Ahoua Don mello parler de l’occupation de la Côte d’Ivoire par la force Licorne et l’Onuci, je suis content. Car nous savions que l’impérialisme ne lâchera pas la Côte d’Ivoire, tant que Laurent Gbagbo, représentant du programme de la gauche démocratique, restera au pouvoir. Je suis donc venu rejoindre mes frères de lutte…
Vous insistez, être venu mener un combat aux côtés du président Gbagbo. Pourquoi venir jusqu’à Abidjan, alors que ce combat est aussi médiatique, et que vos contributions dans les médias français pourraient être utiles.
Certes, on peut mener ce combat depuis Paris, surtout dans les médias. C’est ce que j’ai fait depuis 1983. En septembre 1983, quand je dis, en direct, dans mon émission «Exil», sur Radio Média Soleil, que Félix Houphouët est un génocidaire, pour avoir organisé les massacres du Sanwi et du Guébié, la police française m’arrête le lendemain pour délit d’opinion, sur pression du président ivoirien. En 1990, j’organisai des émissions politiques, sur la radia, que j’expédiais à Abidjan dans les cités universitaires, pour que les jeunes comprennent le sens du combat. En novembre 1991, quand je publie mon livre : Liberté confisquée, sur pression du Rpr chiraquien, je suis suspendu d’antenne, au lendemain de la conférence de dédicace le 8 mars 1992, pendant 10 mois. En décembre 2003, j’ai décidé de quitter la radio Média Tropical pour devenir chroniqueur en télévision. En 2008, alors que j’avais annoncé mon retour à Abidjan, la police française m’arrête pour m’empêcher de venir en Côte d’Ivoire.
Malheureusement,, beaucoup de mes compatriotes ne m’ont pas compris. Ils m’ont reproché dans la presse ivoirienne, de ne pas être venu, comme le jeune Charles Blé Goudé l’a fait en 2002, en quittant l’étranger pour secourir son pays qui était attaqué. Je suis donc venu en février 2011, pour poursuivre avec le peuple de Côte d’Ivoire, le combat de la libération totale.
Avant vous, nombreux sont les intellectuels africains qui sont déjà passés ici pour éclairer la lanterne des Ivoiriens.
Tous ceux qui veulent contribuer aujourd’hui, au combat ivoirien, sont les bienvenus. Car nous considérons cela comme le fruit d’un combat que nous avons commencé depuis 1983, au moment où personne n’y croyait.
Et pour autant beaucoup d’Ivoiriens doutent encore de la sincérité de votre soutien au président Laurent Gbagbo.
Laurent Gbagbo, qui est le leader de la gauche ivoirienne, pour avoir quêté les compromis avec toutes les tendances, ne doute de mon soutien.
Certains vous soupçonnent d’avoir des accointances avec la rébellion de Guillaume Soro ?
Ça, c’est le langage des néo démocrates qui préfèrent me voir du côté des rebelles que du côté du camp Gbagbo. Selon mes convictions idéologiques de gauche, je ne peux pas m’affilier à un mouvement de droite qui préfère les armes à la place du débat. Qui n’a aucun respect de la constitution d’un pays, et qui prône la violence gratuite, où la mort d’hommes et de femmes innocents ne relève d’aucune démarche idéologique
Et pourtant, la presse ainsi que des membres influents de la rébellion avaient annoncé votre présence parmi eux au début de la guerre du 19 septembre 2002.
Ecoutez, pour la droite et la rébellion, je représente celui qui a porté le discours de la gauche dans les médias français. Je fais donc partie des gros poissons qu’il fallait pêcher. Même tout récemment, avant de quitter Cotonou, après le 2e tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, Soro et un des conseillers de Ouattara m’ont appelé. Ils m’ont fait des propositions pour venir au Golf. J’ai refusé. C’est la même situation qui s’est passée en 2002. Soro m’avait encore appelé sans me convaincre sur l’idéologie qu’il défendait.
Moi qui viens d’une formation de gauche, qui a été persécuté en Côte d’Ivoire, je suis simplement parti en exil pour faire passer le message du peuple sans prendre les armes contre les Institutions du pays. Il faut savoir que la base d’un pays, c’est sa Constitution. Quand cette dernière n’est pas bonne, il faut se battre sur le terrain de la démocratie pour la changer. Et pour autant la Constitution ivoirienne sous le parti unique était liberticide, nous n’avons jamais pris les armes contre elle encore moins contre le peuple de Côte d’Ivoire. Bédié le fils naturel d’Houphouët-Boigny a pris le pouvoir en 1993, en 1995, l’opposition n’a fait que boycotter ces élections, sans prendre les armes.
Les leaders politiques de la rébellion de septembre 2002, dénonçaient le code de nationalité, la xénophobie. N’étaient-t-ils pas suffisants, comme arguments?
Ont-ils tué Bédié et tous les intellectuels qui ont écrit la thèse de l’Ivoirité en Côte d’Ivoire ? Au contraire, ce sont encore des innocentes populations qui ont payé le prix. En politique, il faut toujours éloigner le choix de la guerre au profit du combat démocratique. C’est ce que fait la gauche en Côte d’Ivoire.
Vous avez aussi écrit beaucoup sur la crise ivoirienne en incriminant le président Laurent Gbagbo.
Mes propos ont été travestis. J’ai dit que mon pays était occupé par des puissances étrangères. En tant que tel, je faisais le tour du monde pour voir, avec d’autres leaders, comment, nous allons libérer la Côte d’Ivoire démocratiquement. Vous savez comme je l’ai dit plus haut, militant de la gauche radical, j’ai toujours critiqué les éléments modérés du Fpi, mais cela ne veut pas dire que lorsque la gauche toute entière est menacée, je dois rester en dehors du combat.
Alors revenons aux raisons de votre présence en Côte d’Ivoire au moment où celle-ci est entrée dans une véritable guerre contre des individus puissamment armés.
Moi, je dirai qu’il faut laisser ceux qui ont décidé d’amener la guerre en Côte d’Ivoire, aller jusqu’au bout de leur logique. Ce qui ne veut pas dire que la gauche ne peut jamais prendre les armes en Côte d’Ivoire. Ce qu’il faut en revanche se demander, c’est pourquoi la France emmène la guerre aujourd’hui, en Côte d’Ivoire ?
Vous qui connaissez bien la France. Qu’est-ce qui peut motiver toute cette cabale contre la Côte d’Ivoire et pourquoi la France veut imposer Ouattara aux Ivoiriens ?
Primo, au lendemain de la prise de pouvoir de Gbagbo en 2000, là où la France pensait qu’il venait pour gérer leur intérêt, Gbagbo a démontré le contraire. Voilà pourquoi, la France a décidé de choisir un autre candidat qui peut défendre ses intérêts et c’est Ouattara. Secundo, pour la France, c’est une question d’amour propre. Dans sa démarche il y a une volonté de s’affirmer aux yeux des autres Nations qu’elle est encore une grande puissance. … C’est pour vous dire qu’en poussant Gbagbo aux élections après lui avoir imposé une rébellion qui n’a toujours pas désarmé et enfin en décidant que c’est Ouattara le vainqueur de ces élections, c’est bien pour que Gbagbo quitte le pouvoir au moins d’une manière «honorable» selon leur terme. Et comme il est fort du soutien de son peuple, alors la France a choisi d’aller au génocide. C’est ce qui explique l’apparition des commandos invisibles du Rhdp soutenus par la force Licorne et l’Onuci. Et face à cela, il faut trouver une technicité.
C’est quoi alors cette technicité...
Je vous ai dit que je suis à Abidjan et les prochains jours nous situeront. Mais d’ores et déjà, sachez que la France n’a peur que des gens qui la connaissent de l’intérieur, qu’elle connaît et qu’elle considère comme une partie d’elle-même. Tertio, ce qu’il faut retenir, c’est que le jour où la gauche va décider d’entrer en guerre, la France risque d’être lourdement endeuillée.
Peut-on finalement dire que la Côte d’Ivoire a eu tort d’aller aux élections ?
Elles ont été organisées sous la pression de la communauté internationale, qui pouvait profiter du refus de Gbagbo d’aller aux élections pour organiser un coup d’Etat en Côte d’Ivoire. Voilà pourquoi, Gbagbo a été contraint de déclarer Ouattara candidat, alors que la Constitution ivoirienne dit le contraire. Voilà pourquoi, on est allé aux élections avec des chefs de guerre qui occupaient des zones entières au nord et qui ont menacé les militants du camp présidentiel.
Nous sommes à la fin de notre entretien. Le jeudi 10 mars 2011, l’Union africaine s’est réunie en Ethiopie pour statuer sur la sortie de crise en Côte d’Ivoire, après plusieurs missions de panels de chefs d’Etats africains à Abidjan. Que devrions-nous attendre de cette énième table ronde sur la crise ivoirienne.
Rien. Depuis les élections, tout ce qu’on propose au président Gbagbo, c’est une sortie honorable. En fait, en invitant Gbagbo en Ethiopie, c’était pour lui signifier, sa mise en arrestation, et sa déportation vers le Tpi. Heureusement que lui et ses partisans ont eu le nez creux. Souvenez-vous de ce que l’ex-ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner a dit au président Gbagbo à Abidjan : «La France n’oublie pas». Cela veut dire que Paris, veut faire payer à Laurent Gbagbo les événements de novembre 2004. Et quel que soit le président qui viendra au pouvoir en France, celui-ci adoptera la même posture que ses précédents, en ce qui concerne la Côte d’Ivoire sous le Président Gbagbo. Enfin, ce que je conseille aux patriotes ivoiriens, c’est la mobilisation, parce que nous allons libérer la Côte d’Ivoire du joug impérial.
Philippe Kouhon
Correspondance particulière