Alassane Ouattara sur TV5 hier: "Les organisations parlent de femmes violées, de civils tués, de sympathisants du FPI exécutés. Ce sont des accusations graves ?" Ouattara: "C'est très grave"

Publié le lundi 30 mai 2011 | Le Patriote - En marge de la rencontre du G8 à laquelle il a pris part, le Président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, a fait plusieurs plateaux télé et radio. Il s’est prêté, entre autres, aux questions

des journalistes du Monde, de RFI et de TV5 dans le cadre de l’émission “Internationales” diffusée hier en début de soirée. Nous vous proposons les échanges en intégralité.

Alassane Ouattara, Président de Côte d'Ivoire.

Publié le lundi 30 mai 2011 | Le Patriote - En marge de la rencontre du G8 à laquelle il a pris part, le Président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, a fait plusieurs plateaux télé et radio. Il s’est prêté, entre autres, aux questions

des journalistes du Monde, de RFI et de TV5 dans le cadre de l’émission “Internationales” diffusée hier en début de soirée. Nous vous proposons les échanges en intégralité.

Q : Votre pays a traversé quatre mois difficiles, qui ont fait 3000 morts, selon les organisations non gouvernementales. Quelle est la situation sécuritaire dans votre pays et en particulier dans la région du sud ouest, qui est une région très sensible et très fragile?

Alassane Dramane Ouattara : Oui, effectivement, la situation est toujours fragile. Mais avant cela je voulais dire tout de même que le pays a souffert. Les Ivoiriens ont beaucoup souffert ces dix dernières années. Et notamment ces cinq derniers mois. Un pays divisé, un pays appauvri. Abidjan a été le théâtre d’affrontements en raison des miliciens et mercenaires que Laurent Gbagbo avaient recrutés et installés à Abidjan, avec des armes lourdes. L’armée était totalement absente. Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont réussi à repousser ces miliciens et ces mercenaires vers l’ouest et le sud ouest du pays.

Q : Monsieur le président, y a-t-il encore des combats?

ADO : De temps en temps. Vous savez, ce sont des miliciens et des mercenaires qui font les va-et-vient entre le Libéria et la Côte d’Ivoire et qui rencontrent quelquefois les FRCI. Ce qui occasionne des combats. Sur leurs parcours, ces miliciens et ces mercenaires détruisent tout. Ils tuent des populations. Il y a deux semaines, plus de deux cent personnes ont été tuées, des villages entiers ont été incendiés. C’est une situation difficile. Mais nous prenons des mesures pour essayer de contenir la situation.

Q : Toux ceux qui nous suivent ont en tête le nom de la ville de Duékoué, qui est rentrée dans l’histoire ?

ADO : Tout à fait

Q : Duékoué, une ville martyre ?

ADO : C’est l’une des villes martyres. Il y a Blolequin, il y a Guiglo. En fait, c’est toute cette région du sud ouest, qui fait frontière avec le Libéria. C’est un cas difficile. Mais nous continuons de le traiter et je pense que nous y arriverons d’ici quelques semaines.

Q : Avant de reparler un peu plus longuement de Duékoué, je voudrais qu’on parle aussi d’Abidjan tout d’abord, puisque, tout récemment, plusieurs associations des droits de l’homme disent que des exactions continuent d’être commises par des hommes en armes qui se réclament des FRCI. Les organisations parlent également de quelques femmes violées, de civils tués, de sympathisants du FPI exécutés. Ce sont des accusations graves ?

ADO : ça, c’est très grave.

Q : Que répondez-vous à ces accusations ?

ADO : Il ne faut pas aller trop vite en besogne. Vous savez, quand les FRCI ont traversé tout le pays pour arriver à Abidjan, beaucoup de jeunes gens se sont joints aux FRCI. Des jeunes qui ne sont pas en réalité des militaires. Des jeunes gens qui, dans la passion de cette traversée, sont arrivés. Les militaires avaient déserté les camps. Les jeunes gens ont pris des vêtements, ils ont pris des fusils. Les prisons ont été cassées. Il y a 6000 prisonniers qui se sont échappés de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Nous avons des voyous, des prisonniers dans la rue. Dans une telle situation, un vide sécuritaire s’est installé. Vous savez, il y a quatre mois, il était impossible de sortir d’Abidjan, de sortir de chez soi à Abidjan, que ce soit à Abobo ou à Yopougon. Laurent Gbagbo est parti, il y a six semaines. La situation s’est nettement améliorée. L’activité a repris. Les banques ont ouvert, les hôpitaux, les écoles également. Je pense qu’il faut de toutes les façons faire des investigations. Il faut mener des enquêtes. Les responsables seront présentés aux juges. C’est important de le dire.

Q : Vous avez demandé au procureur de Daloa de faire l’enquête de Duékoué ?

ADO : j’ai demandé à la commission des droits de l’homme de l’ONU à Abidjan, d’aller à Duékoué. Ils ont passé quatre semaines. Ils ont fait quatre semaines dans le pays. Ils font un rapport. Et à l’issue de tout cela, nous prendrons toutes les mesures qui s’imposent. C’est une situation qui était catastrophique. Laurent Gbagbo a laissé ce pays dans un désordre indescriptible. Les miliciens et les mercenaires avaient les armes. Les policiers, les gendarmes, les policiers n’avaient pas d’armes. Il a crée le désordre volontairement.

Q : la justice sera-t-elle appliquée à tous ?

ADO : la justice sera la même pour tous. Pas d’exception, pas de discrimination. La justice est la même pour tous, partisans d’Alassane Ouattara ou force militaire, force milicienne de Laurent Gbagbo.

Q : Est-ce que l’enquête du procureur de Daloa a une limite dans le temps ?

ADO : Nous avons demandé une enquête sur Duékoué, une enquête qui couvre le début des évènements et qui se situe à fin mars. Mais si le procureur estime qu’il faut aller plus loin, il le fera. Moi, je ne peux pas limiter son territoire d’enquête.

Q : A l’heure où nous parlons, tous les témoignages concordent pour dire qu’il y a des dizaines de milliers d’Ivoiriens qui par peur, n’ont pas pu regagner leur domicile, à cause des pillages, du racket, des exactions qui sont le fait des FRCI. Quel calendrier vous donnez-vous pour rétablir l’ordre ? De combien de temps avez-vous besoin ?

ADO : le plus tôt possible.

Q : A quand le retour de la police, de la gendarmerie ?

ADO : je peux dire que les effectifs ont repris à la police et à la gendarmerie à plus de 90%, à l’heure ou je vous parle, il y a quelques éléments zélés qui ont été recrutés sur la base ethnique, qui ne veulent pas rejoindre les effectifs, qui ont malheureusement des armes et qui se promènent à Abidjan. Il est donc trop facile de dire que les exactions sont commises par les FRCI. Je veux préciser que les FRCI comprennent non seulement les ex-Forces nouvelles, mais également des éléments des ex-FDS. C’est une force mixte et des militaires qui ont décidé de rejoindre la république et de se comporter en républicains et de soutenir les institutions de la république. Ceci étant, nous nous sommes donné un programme de deux mois. Je pense que d’ici la fin du mois de juin, nous aurons réglé ce problème.

C’est un problème sérieux. Nous voulons la liberté de circulation à Abidjan. Ceci est nécessaire non seulement pour respecter le droit des citoyens mais également pour faire en sorte que l’activité économique puisse aller plus vite.

Q : Des documents accablent les FRCI de commettre des exactions.

AO : Où est-ce que ça c’est passé ?

Q : A Duékoué ?

ADO : Pour ce qui est de Duékoué et de tous les cas, nous devons faire des investigations. Voulez-vous ou pas un Etat de droit ? Pourquoi voulez-vous qu’on aille poursuivre des gens avant que le procureur ne sorte son rapport ? Pourquoi voulez-vous que les investigations ne soient pas terminées ? Moi, je veux un Etat de droit en Côte d’Ivoire. Les personnes sont supposées innocentes jusqu’à ce que les procès aient lieu. Nous ferons ces procès. Si nous découvrons que ces personnes sont des FRCI, elles seront sanctionnées.

Q : Il y aurait eu des arrestations dans un camp mais pas dans l’autre. Est-ce que c’est vrai ?

ADO : Moi, je n’ai pas ces détails, monsieur. Ce qui m’intéresse c’est de protéger les Ivoiriens, tous les Ivoiriens sans distinction de région, de race ou de religion.

Q : Sur les massacres de Duékoué, Amnesty international a dénoncé l’attitude de l’ONU. Qu’avez-vous à dire sur la passivité de l’ONU ?

ADO : Ce n’est pas à moi de juger l’ONU. Ce que je peux vous dire, c’est que l’ONU fait un travail très difficile. Vous savez que l’ONU est une force d’interposition. Comment voulez-vous que l’ONU intervienne quand il y a des batailles entre deux camps ? Faisons la lumière sur cette affaire de Duékoué. Faisons les investigations, allons-y devant les tribunaux et prenons les sanctions qui s’imposent.

Q : Vous êtes donc satisfait de la manière dont l’ONU a géré cette crise ?

ADO : l’ONU a eu un travail très compliqué. Nous avons fait recours au Conseil de sécurité à plusieurs occasions. Nous avons demandé que le mandat de l’ONU soit transformé. Cela n’a pas été possible. Le mandat est resté un mandat d’interposition qui était insuffisant pour que l’ONU fasse plus.

Q : Est-ce que si des militaires …

ADO : Je vois votre question venir, je vais vous répondre tout de suite. Toute personne qui aurait commis des crimes sera sanctionnée.

Q : Même si elles sont militaires ?

ADO : Même si elles sont militaires, des FRCI comme des ex-FDS. Aucune exception.

Q : En attendant que la justice se fasse dans un Etat de droit et alors que les exactions se poursuivent, est-ce qu’il ya des responsables ou des sympathisants des FRCI qui échappent à votre contrôle ?

ADO : Ce n’est pas vrai. Nous avons dix commandants de Groupement tactique. Le ministre de la Défense les rencontre quasiment trois fois par semaine. Il me rend compte. Je suis le chef suprême des armées. Nous suivons ces questions. S’il y a des dérapages, c’est corrigé automatiquement. Nous avons la transparence dans ce que nous faisons, parce que le porte-parole du ministre de la Défense fait un point chaque soir à la télévision. Soyons un peu plus précis dans ce que nous disons. Nous voulons aller étape par étape. Nous avons un pays qui est dans le désordre, qui était dans la division. Un pays meurtri. Nous essayons de soigner les plaies. Et cela passe par la sécurisation. Cela m’intéresse plus qu’aucune autre personne.

Q : contrairement à ce que vous dites sur l’armée, selon certains experts, il n’y aurait que 20 % de FDS, qui étaient jadis à Laurent Gbagbo, qui auraient réintégré l’armée. Vous confirmez ces chiffres?

ADO : Non. Ecoutez, moi j’ai demandé au ministre de la Défense de me faire l’inventaire des effectifs. Laurent Gbagbo avait l’armée, mais je vous ai dit tout à l’heure qu’il avait des miliciens et des mercenaires. C’est en faisant l’état des effectifs, c’est en payant les militaires que nous pourront déterminer qui était militaire ou qui ne l’était pas. Ce travail n’est pas terminé. Je fais la même chose pour les ex-FN. Parce que je veux savoir exactement combien de militaires j’ai, combien de gendarmes, combien de policiers, avant de prendre les mesures de restructurations.

Q : Eventuellement, M. le Président, vous allez créer une nouvelle armée ivoirienne ?

ADO : Elle est déjà créée avec l’ordonnance qui met en place les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Les gens ont le sentiment que les FRCI s’est tout simplement les ex-FN. Non. Les FRCI, c’est non seulement les ex-FN, c’est également les ex-FDS. Mais nous faisons un tri. Dans les ex-FDS il y a des gens qui devraient être à la retraite, il y a des gens qui ont été recrutés sur des bases purement ethniques, qui n’ont aucune formation militaire. Il y a aussi comme je vous l’ai dit, des jeunes gens qui ont suivi le mouvement des FRCI pour pouvoir être à Abidjan. Nous allons faire le point de tout cela.

Q : M. le Président, qui est-ce qui institutionnellement mène les enquêtes sur les exactions de l’armée ? Est-ce que c’est la justice ?

ADO : Non, c’est le tribunal militaire. Cela a déjà commencé. Le procureur militaire va enquêter sur toutes les exactions sans aucune exception.

Q : Un mot sur l’ancien président. Il est en résidence surveillée depuis le 11 avril. Jeudi, pour la première fois, il a pu rencontrer ses avocats, la réconciliation que vous souhaitez, on va en parler après avec la commission que vous avez mise en place, ira-t-elle jusqu’à lui. C’est-à-dire qu’il y aura procès ? Et Laurent Gbagbo fera probablement de la prison s’il est jugé coupable ?

ADO : Ceci est vrai pour tous les citoyens. Tous ceux qui ont commis des crimes économiques et autres passeront devant la justice. Faisons la part entre la Justice et la commission dialogue, vérité et réconciliation.

Q : Elle ne concerne pas Laurent Gbagbo ?

ADO : Bien sûr qu’il est concerné. Il viendra devant cette commission, j’imagine. Mais également, nous avons la procédure judicaire. Il y a un certain nombre de personnes qui ont été arrêtées, parce que menant des activités subversives contre l’Etat, ayant commis des coups d’état, ayant fait de la corruption, ayant dilapidé les biens de l’Etat, ayant également commis des crimes de sang, des crimes contre l’humanité.

Q : Ses avocats disent que l’ancien président Laurent Gbagbo n’est pas un justiciable, comme les autres ?

ADO : Les avocats peuvent dire ce qu’ils veulent. Nous, nous avons des lois en Côte d’Ivoire, nous appliquons la loi à Laurent Gbagbo comme à tous les autres citoyens. Laurent Gbagbo a commis des crimes. Il sera jugé pour ces crimes.

Q : Savez vous quand son procès aura lieu?

ADO : Non. C’est le procureur qui déterminera la date.

Q : le président Laurent Gbagbo n’est pas un citoyen tout à fait comme les autres, puisqu’il était l’ancien président… ?

ADO : Depuis le 4 décembre, Laurent Gbagbo n’était plus président. Il a usurpé cette fonction. Il a confisqué le pouvoir. Il a commis des crimes pendant cette période. La loi dit que tout manquement à la loi par rapport à la période électorale est la même pour tous les citoyens. Pendant cette période, Laurent Gbagbo a commis des crimes. C’est un citoyen ordinaire au regard de la loi et il sera jugé en fonction de la loi.

Q : Avez-vous pour accélérer la réconciliation pensé un moment à pardonner à Laurent Gbagbo ?

ADO : On ne va tout de même pas prendre des décisions à la place de la commission dialogue, vérité et réconciliation. Attendons que cette commission qui n’a pas encore été totalement constituée et qui n’a pas encore commencé son travail, le fasse et l’on verra.

Q : On dit souvent qu’il n’y a pas de paix sans justice. Et vous êtes aujourd’hui devant ce dilemme. Or la justice, ce sont aussi des sanctions. Est-ce que l’homme Alassane Ouattara est philosophiquement divisé entre le pardon et la justice ?

ADO : Non, pas du tout ! Pour moi, c’est simple. J’ai pardonné personnellement pour tout ce qui m’est arrivé. Mais aujourd’hui, il s’agit de réconcilier tous les Ivoiriens. Il s’agit d’aller de l’avant. Il s’agit également de lutter contre l’impunité. L’impunité a été beaucoup critiquée en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, nous devons sortir de cette situation.

Q : Ne craignez-vous pas par exemple qu’un procès public de votre prédécesseur donne lieu à une division ou une nouvelle rupture, donc à des violences dans le pays ?

ADO : Je pense plutôt qu’il faut s’assurer que les parents de victimes ne s’en prennent à lui, par rapport aux crimes qu’il a commis. C’est un peu pour cela d’ailleurs que je préfère la Cour pénale internationale. Pour que tous ces crimes graves, notamment les crimes contre l’humanité, soient jugés.

Q :A propos de cette Cour pénale internationale, les enquêteurs disent enquêter pour l’instant sur les événements qui ont suivi le deuxième tour de la Présidentielle en novembre 2010. Ne pensez-vous pas que cette enquête devrait être élargie à d’autres moments de l’histoire de la Côte d’Ivoire, en particulier le coup d’Etat de 99 ou la guerre de 2002 ?

ADO : Ecoutez, nous, nous sommes ouverts. La Cour pénale internationale a ses règles. Il y a eu des lois d’amnistie depuis cette période de 99 jusqu’en 2004. Pour tous les crimes contre l’humanité, il s’agit de la CPI qui devra s’en charger.

Q : Vous parlez de la CPI pour les crimes les plus graves. Est-ce à dire qu’il y aura deux procès, une, en Côte d’Ivoire et l’autre à la CPI ?

ADO : Oui, pourquoi pas.

Q : Cela n’est-il pas risqué, politiquement ?

ADO : Non, pas du tout. Les Ivoiriens doivent savoir ce qui s’est passé, surtout en matière de corruption. C’est tout de même pratiquement un milliard d’euros que mon prédécesseur a utilisé pour acheter des armes qui ont tué des citoyens.

Q : Avez-vous les preuves ?

ADO : Oui, nous avons les preuves. Nous allons faire un audit…

C’est tout de même un gâchis considérable. Nous prenons un pays en ruine, où il n’y a eu aucun investissement durant ces dix dernières années. Nous nous demandons à quoi à servi l’argent public durant tout ce temps.

Q :Laurent Gbagbo sera jugé par la justice ivoirienne et par la Cour pénale internationale. En revanche, vous proposez à ses anciens partisans de participer à un gouvernement d’union nationale.

ADO : C’est l’engagement que j’ai pris pendant ma campagne. Je ne veux pas d’une Côte d’Ivoire divisée. J’ai toujours considéré que tous les Ivoiriens de compétence doivent participer à la gestion des affaires publiques. Je leur tends la main. Et je souhaite qu’ils viennent.

Q : Allez-vous confirmer la même Commission électorale ?

ADO : Ah oui. C’est la loi. Il faut donc continuer d’appliquer la loi.

Q :Ne pouvez-vous pas changer la donne ?

ADO : Non, pas du tout. Je n’ai pas la capacité de le faire. Les critères ont été définis. Cette commission électorale a effectivement joué son rôle de manière indépendante, pour la grande majorité des membres. Le président de la commission devra saisir les personnes qui doivent désigner leurs représentants. Cela se fera dans les tout prochains jours.

Q : Les élections législatives pourront-elles avoir lieu d’ici la fin de l’année ?

ADO : C’est ce que je souhaite personnellement. Mais la décision appartient à la Commission électorale indépendante.

Q :Est-ce que les listes électorales seront révisées ?

ADO : Oui, puisque la loi l’exige.

Q : Vous parlez de réconciliation. Et justement Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale et proche de Laurent Gbagbo, vous propose une réconciliation qui, selon lui, passe par la libération de certains leaders du Front populaire ivoirien. Que pensez-vous de cette proposition?

ADO : je dis tout de suite qu’il n’y a pas de marché avec moi. Le Front populaire ivoirien décidera de venir au gouvernement. Mais s’il ne vient pas, alors il ne sera pas au gouvernement.

Q :Etes-vous prêt à faire libérer certains de ces leaders ?

ADO : Je veux un Etat de droit. Il n’y a pas de marché à faire. La procédure judiciaire ira jusqu’au bout. Vous m’amenez à me répéter. Je pense que nous pourrions parler de choses plus sérieuses.

Q :C’est un sujet qui intéresse les téléspectateurs ivoiriens. Vous souhaitez un gouvernement d’union nationale. Mais avec les réticences du FPI, ne craignez-vous pas que ce ne soit pas véritablement un gouvernement d’union ?

ADO : Mais il n’y pas que le FPI en Côte d’Ivoire. Il y a bien d’autres forces politiques. Il y a la société civile qui est très importante aujourd’hui en Afrique. Cette société civile sera représentée dans mon gouvernement. Vous savez, je suis ouvert.

Q : Mais il s’agit d’un gouvernement d’union nationale.

ADO : C’est peut-être une question de sémantique. Pour moi, le gouvernement d’union veut dire que je demande aux différents partis politiques de me proposer des candidats parmi lesquels je choisis mes ministres. J’ai été élu démocratiquement. Les uns et les autres ont tendance à oublier que la Côte d’Ivoire a eu des élections démocratiques et transparentes. Et que j’ai gagné à plus de 54 %, avec un taux de participation autour de 80 %. Bénéficiant de cette légitimité, je mettrai en place le gouvernement qui me permettra d’appliquer le programme pour lequel j’ai été élu.

Q : Vous avez reconduit le Premier ministre Guillaume Soro. Est-ce le gouvernement sur lequel vous voulez compter ?

ADO : J’ai fait un gouvernement qui va jusqu’aux législatives. Pour me permettre de mieux apprécier les forces politiques et l’état d’esprit des Ivoiriens pendant ces quelques mois. Après les législatives effectivement, je ferai un gouvernement, je l’espère, pour le reste de mon mandat.

Q :Depuis une dizaine d’années, les ethnies en Côte d’Ivoire ont été montées les unes contre les autres. Pensez-vous toujours que la Côte d’Ivoire est une bombe à retardement ethnique ?

ADO : Je pense que certains qui étaient là auparavant, notamment l’équipe de M. Laurent Gbagbo, ont utilisé l’ethnie pour tenter de diviser les Ivoiriens. Mais les Ivoiriens, pendant toute cette période, ont fait preuve de patience. Cela est remarquable. Pendant dix ans, ils ont eu affaire à une télévision de la haine et de la division. Mais les Ivoiriens n’ont rien dit. Ils se sont dit qu’il fallait attendre le jour de l’élection pour s’exprimer. C’est pour cela qu’ils ont participé à plus de 80 %. C’est quand même un taux exceptionnel, plus élevé que celui de l’Afrique du Sud qui sortait à l’époque de l’apartheid.

Q : Vous avez un discours de tolérance et d’ouverture. Et vous avez gagné l’élection avec les houphouëtistes. N’ya-t-il pas un risque de reconstitution d’un parti unique, puisque vous ne voulez pas libérer les gens du FPI ?

ADO : C’est vous qui me disiez que le FPI est un parti fort. Alors maintenant, votre raisonnement veut dire que le FPI est un parti faible. Ce que je peux vous dire, c’est d’attendre les élections législatives et vous verrez. Je suis un démocrate.

Q : N’avez-vous pas besoin d’une opposition forte ?

ADO : Ce n’est pas un besoin pour moi. Ce qui m’intéresse, c’est la position des Ivoiriens.

Q : Peut-il y avoir de démocratie sans une opposition forte ?

ADO : Je ne sais pas. Pour moi, la démocratie, c’est l’alternance. Nous sommes en train d’entrer dans une alternance démocratique. Et je souhaite que cela se poursuive.

Q : Revenons sur la question de l’ivoirité. N’était-ce pas un poison qui a été diffusé et répandu dans la société ivoirienne ?

ADO : Je pense que la presse, la télévision comme la presse écrite, a joué un rôle détestable. J’espère que nous allons tirer toutes les leçons. Cette division des Ivoiriens nous a amenés en définitive à la guerre. Et tout le monde veut en sortir. Je crois donc qu’il faut tourner la page. Allons de l’avant.

Q :Pensez-vous que la presse en Côte d’Ivoire devrait se redéfinir des règles d’éthique ?

ADO : Nous étudions la question. Je viens de mettre en place une haute autorité dans le secteur de l’audiovisuel. Nous allons lui demander de travailler et faire en sorte que nous ayons des journalistes assez responsables. Que les critères de sélection par eux-mêmes soient rigoureux. Moi, je suis un libéral, je le précise. Donc, je ne me mettrai pas à la place des journalistes. Il leur appartient de faire des propositions. Et le gouvernement va pouvoir les apprécier et mettre en œuvre les réglementations qui nous permettent d’avoir un pays rassemblée. Parce que le rassemblement est mon objectif.

Q :Avant d’évoquer les relations franco-ivoiriennes, quels est votre sentiment sur la disparition de quatre personnes, dont deux français ? Selon vous, y a-t-il un espoir de les retrouver vivantes ?

ADO : Effectivement, je suis en contact permanent avec la justice. Il y a certains miliciens arrêtés qui étaient en contact avec ces quatre personnes. Les interrogatoires se poursuivent. Et nous continuons les recherches.

Q : Certains affirment qu’ils ont été enlevés par la garde républicaine du Président Gbagbo, confirmez-vous cela ?

ADO : Apparemment, ils ont plutôt été emmenés à la présidence de la République. Et après, nous avons perdu leurs traces. Donc, nous continuons de les rechercher. Je ne suis pas de ceux qui veulent asphyxier les choses. Je souhaite que les interrogatoires puissent se terminer. Que nous puissions avoir accès à tout ce dossier et à tous ceux qui ont participé à ces enlèvements. Et qu’on nous dise ce qui s’est vraiment passé.

Q : S’agissant du journaliste franco canadien Guy-André Kieffer, qui a disparu à Abidjan depuis 2004, l’épouse du président Gbagbo est citée dans cette affaire. Avec la récente visite du juge français Ramaël en Côte d’Ivoire, quel est votre sentiment sur cette autre affaire ?

ADO : Je n’ai pas de sentiment particulier. J’attends que le juge fasse son travail. Je condamne cet enlèvement. Le juge doit pouvoir faire son travail, de façon indépendante. Ce qui n’a pas été possible par le passé.

Q : Autre sujet. Les troupes françaises, vous l’avez dit récemment, ont joué un rôle déterminant ces dernières semaines en Côte d’Ivoire…

ADO : Je précise que c’est sous mandat de l’ONU. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui font la confusion. La France est intervenue dans la destruction des armes lourdes auprès des forces de l’ONU, avec l’autorisation et sous mandat des Nations Unies.

Q : Mais sans l’intervention des forces françaises basées en Côte d’Ivoire, seriez-vous président aujourd’hui ?

ADO : Je l’étais déjà. J’ai été élu démocratiquement. Maintenant, il y a eu un coup d’Etat contre moi. Et nous avons tout fait pour éviter que la Côte d’Ivoire bascule dans la violence. Mais Laurent Gbagbo a utilisé ses mercenaires et miliciens et des armes lourdes. Grâce aux Nations Unies, il y a eu la destruction des armes lourdes. Aujourd’hui, si la France n’était pas intervenue, conformément au mandat de l’ONU, c’aurait été une faute. Deuxième chose, si cette intervention n’avait pas eu lieu, les choses auraient pris du temps. Souvenez-vous que les Forces républicaines sont arrivées, en seulement quatre jours, aux portes d’Abidjan. Quand elles sont arrivées, c’est moi qui leur ai demandé d’attendre. Et des négociations ont pu commencer pour que Laurent Gbagbo évite à Abidjan ce qui est arrivé. Il n’a pas voulu. C’est pour cela que les affrontements ont eu lieu. Il y aurait eu donc des dizaines de milliers de morts. Ça aurait pris beaucoup plus de temps. Mais ça n’aurait rien changé. Parce que le peuple ivoirien s’est clairement prononcé le 28 novembre et m’a élu comme président de la République.

Q : L’intervention des forces françaises a donc permis de gagner du temps.

ADO : L’intervention des forces françaises et de l’ONU, conformément à la révolution 1975, a permis de gagner du temps et de sauver des dizaines de milliers de vies humaines.

Q : Et comme vous l’avez réclamé, la base française du 43e Bima de Port-Bouët sera maintenue. Cette fois, pas sous le mandat de l’ONU. Comment expliquez-vous que des troupes étrangères stationnement sur votre sol ?

Est-ce une régression, par rapport à l’histoire de l’indépendance de votre pays ou est-ce qu’à travers cette présence, ce n’est pas une sorte « d’assurance vie » pour votre présidence ?

ADO : Qu’est-ce que les forces françaises ont à avoir avec la question d’un gouvernement démocratiquement élu en Côte d’Ivoire ? Vous savez, le président Bédié et moi, déjà en 2004, avions clairement indiqué aux autorités françaises que nous souhaitions le maintien du 43e BIMA. Laurent Gbagbo, pour des raisons qui lui sont propres, a décidé autrement. Nous voulons tout simplement rétablir ce que nous voulions à l’époque. Parce que le 43e Bima est ici pour la sous-région. La Côte d’Ivoire est un pays important de la sous-région. Et nous avons des indices sérieux concernant la drogue ou le terrorisme. Nous voulons donc nous assurer que nous avons une force internationale qui peut nous aider à surveiller l’ensemble de la sous-région. Et l’influence de notre zone va jusqu’aux frontières de l’Algérie. Vous devez donc comprendre que la Côte d’Ivoire est en étroite collaboration avec le Mali, le Burkina Faso, le Niger et tous les pays qui sont menacés par le terrorisme. La présence des forces française est donc pour nous une question de stratégie.

Q : Mais cet accord qui va être négocié sera-t-il comme par le passé, c'est-à-dire que l’armée française vole au secours de celui qui est au pouvoir ?

ADO : Non, non… Moi, je vais vous mettre à l’aise. Cet accord doit être publié. Nous voulons que ce soit un accord totalement transparent, où il n’y aura pas de clause secrète. Nous tenons à notre souveraineté. Et la nouvelle coopération militaire devra aboutir à un accord de défense. Nous voulons une relation décomplexée avec la France.

Q : Comment définissez-vous les nouvelles relations entre la France et la Côte d’Ivoire ? Après ce qui s’est passé, on a parlé à nouveau d’un retour de la « Françarique ».

ADO : Pour moi, il s’agira d’abord d’une relation de confiance. Les liens sont historiques. Houphouët-Boigny a tout de même été ministre d’Etat sous la quatrième République, avec François Mitterrand comme ministre délégué. Vous savez, nous n’avons pas de complexe. Ces relations ont beaucoup apporté à la Côte d’Ivoire. Il y a dix ans, la Côte d’Ivoire était la troisième puissance économique sur le continent africain, après l’Afrique du Sud et le Nigeria. Alors, ce qui m’intéresse c’est qu’est-ce que je dois faire pour améliorer le quotidien des Ivoiriens. Et c’est ce que je vais entreprendre. Je demande donc aux investisseurs français de venir investir en Côte d’Ivoire ; Aux libanais qui sont en Côte d’Ivoire, je demande de rester. Je demande à tous ceux qui veulent venir en Côte d’Ivoire de venir. C’est un pays ouvert, avec un régime libéral. Nous n’avons pas de complexe. Et nous estimons que très rapidement les choses vont changer.

Q : Vous êtes un très proche du Président du Nigeria. Goodluck Johnathan. C’est très nouveau dans l’histoire de votre pays. La Côte d’Ivoire et le Nigeria ont longtemps été très concurrents. Pourquoi un tel rapprochement aujourd’hui ?

ADO : Le Nigeria est un pays important, avec 150 millions d’habitants, un vaste marché. C’est donc de notre intérêt d’avoir d’excellentes relations avec le Nigeria. Surtout que le Président Johnathan et moi-même sommes amis. Ceci pourra aider au renforcement des liens entre nos deux pays.

Q :on parle d’économie, on parle également du G8, vous étiez à Deauville. Qu’est-ce que vous avez demandé au G8 comme aide ? Vous avez demandé récemment 15 à 20 milliards d’euros ?

ADO : 15 à 20 millions d’euros, c’est ce qui correspond à mon programme économique durant les 5 ans de mon mandat, soient 10000 milliards de FCFA.

Q : vous étiez avec les présidents…?

ADO : tout à fait. J’étais avec le président Sarkozy, avec David Cameron, avec Obama. J’ai pu parler aux uns et aux autres. Vous savez, je viens quand même de ce monde de la finance internationale. On indique les montants, on donne les perspectives ensuite on travaille sur quelque chose de plus concret avec le fonds monétaire, la banque mondiale, la banque africaine de développement.

Q : autant le G8 s’intéresse au printemps arabe, autant l’Afrique sub-saharienne est un peu oubliée, de belles paroles et peu d’engagement?

ADO : Nous avons été invités principalement parce que les élections dans ce trois pays – la Guinée, le Niger et la Côte d’Ivoire – ont été démocratiques. Je pense que le premier objectif, c’est de montrer au continent africain et au monde que la démocratie avance en Afrique. Maintenant, il nous appartient à nous qui représentons ces pays de faire part de nos doléances. C’est ce que nous avons fait. Ce sera examiné en temps opportun. Moi, j’ai confiance. C’est un programme que nous avons bâti déjà il y a deux ans. Le programme de 10000 milliards de FCFA, ça fait 15 milliards d’euro. Nous savons dans quel secteur ça doit être investi, dans quelle région. Nous avons la documentation. Nous travaillerons avec la banque mondiale, le fonds monétaire, les institutions internationales pour que le financement soit assuré. Et c’est possible de le faire. On a pris du retard. J’ai perdu 10% de mon mandat, six mois en raison de cette crise postélectorale. Mais nous allons rattraper tout cela.

Q :Parlant du FMI, nous allons évoquer le problème DSK ?

ADO : Merci d’insister sur la question, mais attendons que les choses se déroulent…

Q : On parle et on a parlé certainement à Deauville de la candidature de Christine Lagarde à la tête du FMI?

AO : je soutiens à fond Mme Christine Lagarde. Elle sera un excellent directeur général pour le FMI que je connais bien.

Q : Est-ce que le fait d’avoir été directeur général adjoint du FMI facilite vos contacts pour justement relancer l’économie ivoirienne ?

ADO : Tout à fait. C’est quand même un monde que je connais bien. J’ai eu le privilège d’y avoir fait de nombreuses années pas seulement en tant que directeur général adjoint, mais en tant que directeur Afrique. Je pense que cela va aider la Côte d’Ivoire.

Q : pour le maintien du FCFA, c’est un signe aussi de dépendance par rapport à ?

ADO : Non, monsieur. Je pense que vous avez des vieux clichés. Ce n’est pas un signe de dépendance. J’ai été gouverneur de la banque centrale. Je n’ai jamais eu un Français dans mes bureaux. Ce sont des faux clichés. Le FCFA est une monnaie indépendante, gérée par les Africains, avec une parité fixe que nous avons choisie, que nous pouvons abandonner si nous le souhaitons. Mais, c’est dans l’intérêt de ces pays. Sans la parité fixe, les populations seraient plus pauvres aujourd’hui. Il y aurait une inflation galopante surtout avec la crise ivoirienne. Il faut en sortir avec ces vieux clichés, ces réseaux. Ces choses qui n’ont rien à voir avec la réalité quotidienne des Africains. Nous, nous voulons faire en sorte que l’Afrique se porte mieux, que les Africains puissent profiter de la mondialisation et que l’Afrique se modernise de plus en plus et de mieux en mieux pour le bien de tous les Africains.

Propos recueillis par Thierry Latte et Diawara Samou

NB: Le titre est de la rédaction.