Alassane Ouattara sur Canal + - “Gbagbo aura des surprises”
Publié le vendredi 14 janvier 2011 | Le Patriote - Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane Dramane Ouattara, était hier l’invité du Grand Journal de la chaîne
française Canal +. Interrogé en duplex depuis le studio de Paris par l’animateur vedette Michel Dénisot, le Chef de l’Etat a abordé différents sujets relatifs à l’actualité politique nationale.
Publié le vendredi 14 janvier 2011 | Le Patriote - Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Alassane Dramane Ouattara, était hier l’invité du Grand Journal de la chaîne
française Canal +. Interrogé en duplex depuis le studio de Paris par l’animateur vedette Michel Dénisot, le Chef de l’Etat a abordé différents sujets relatifs à l’actualité politique nationale.
Question : Alassane Ouattara, vous êtes l’un des présidents élus de Côte d’Ivoire. Vous êtes retranché depuis à l’hôtel du Golf, vous n’exercez pas vraiment le pouvoir…
Alassane Ouattara : Je dois vous corriger parce que je ne suis pas l’un des présidents, je suis le président de la République de Côte d’Ivoire. M. Laurent Gbagbo est l’ancien président, le président sortant. Il refuse de quitter le pouvoir. Alors je tenais à faire cette précision. Merci.
Q : C’est donc une crise, vous n’exercez pas le pouvoir. Vous n’êtes pas à la présidence de la République. Vous ne sortez pas de l’hôtel du Golf, j’imagine pour des raisons de sécurité. Comment comptez-vous sortir de cette crise ? Quelle est la solution ?
AO : J’exerce le pouvoir parce que c’est moi qui a la signature. Je nomme les ambassadeurs. Je suis à l’hôtel du Gold pour des raisons de sécurité. Je pense que vous-même, à Abidjan vous vous êtes rendu compte qu’il y a une très grande insécurité. Les populations sont traquées, surtout mes électeurs. Et je considère que c’est une situation intolérable et c’est par solidarité pour mes compatriotes que je suis à l’hôtel du Golf.
Q : Ce n’est pas une solution durable pour l’intérêt du pays d’avoir un président qui n’en est pas vraiment un ?
AO : Tout a fait. Ce n’est pas du tout acceptable. Il faut que cette situation cesse parce qu’en réalité, Laurent Gbagbo est un usurpateur. Il sait bien qu’il a été battu aux urnes. Le verdict des urnes est clair, j’ai gagné ces élections avec 54,10%. Et fondamentalement, il se disait un démocrate, mais nous venons de découvrir que c’est un usurpateur, un dictateur.
Q : Alors, il se fie aux résultats du Conseil constitutionnel qui lui donne 51% des voix. Quel est votre commentaire ?
AO : Ce Conseil constitutionnel est composé d’amis de Laurent Gbagbo, de militants du Front populaire ivoirien. Il n’a aucune crédibilité. Et c’est d’ailleurs à cause du manque d’impartialité de ce Conseil que nous avons tenu à Pretoria, à l’occasion des accords de sortie de crise, à mettre en place la certification par le Secrétaire général des Nations-Unies.
Q : On voit qu’il n’y a pas d’accord possible entre vous deux. Si j’ai bien compris ce que Laurent Gbagbo nous disait hier et ce que vous dites aujourd’hui. Quelle est la solution ? Est-ce qu’il y a autre solution que la solution militaire ?
AO : Vous savez, je trouve que la solution est vivante. Si M. Laurent Gbagbo aime la Côte d’Ivoire, s’il aime les Ivoiriens, il devrait tout simplement respecter le verdict des urnes. C’est ce à quoi nous nous sommes engagés, lui, moi-même et le président Henri Konan Bédié.
Q : Qu’allez-vous faire, M. Ouattara ?
AO : Ecoutez, il y a tout de même la Cedeao qui a décidé qu’il faudrait trouver d’autres moyens, y compris la force légitime. S’il continue, malheureusement, c’est à cela que nous allons arriver.
Q : C’est-à-dire ?
AO : C’est-à-dire qu’il y a d’autres moyens comme par exemple les questions de visa, les gels des avoirs de lui-même et de ses proches partisans au niveau de l’Afrique de l’ouest et de tout le continent, et de toutes les autres mesures qui pourraient être utilisées, y compris la force militaire. Mais la force militaire ne veut pas dire une guerre contre les Ivoiriens. C’est une question d’extirper Laurent Gabgbo de la Côte d’Ivoire. De son palais présidentiel qu’il occupe de façon illégitime.
Q : Et plus le temps passe, plus ça parait difficile ?
AO : Non, je ne le pense pas. Je considère que ces soutiens au sein de l’armée sont très faibles en ce moment. En réalité, nous avons une armée qui n’est pas armée. Laurent Gabgbo a pris toutes les armes et les munitions. Il les a stockées dans son palais présidentiel avec un clan de militaires recrutés essentiellement parmi les gens de son ethnie et de sa région. Ce sont eux qui font sa force. Nous avons beaucoup d’officiers généraux et d’officiers supérieurs qui nous contactent et qui nous disent qu’ils en ont assez de cette situation. Un jour viendra où il partira. Et il aura des surprises, M. Laurent Gbagbo.
Q : C’est-à-dire ? Quelle surprise ?
AO : Il partira. Il partira et moi j’en suis convaincu. Je reçois beaucoup de soutiens des officiers de l’armée, des cadres de l’administration. Et tous ceux-ci en ont ras-le-bol. Je peux vous dire que les Ivoiriens ne supportent plus cette situation. Nous avons pensé que cette élection devait être une élection de sortie de crise. Et nous voilà en pleine crise, une crise pire que celle que nous avons vécue en 2002. Une crise qui n’honore pas du tout la Côte d’Ivoire.
Q : Une crise qui fait beaucoup de morts. Il y a plus de 230 morts depuis l’élection. Il y a des morts dans des rues d’Abidjan après des confrontations entre la police et des gens de votre camp la plus part du temps.
AO : Je pense que les miliciens et les mercenaires de Laurent Gbagbo vont boucler les quartiers chaque fois. Ils massacrent des citoyens, des femmes sont violentées et blessées. C’est tout de même inadmissible. Il (Ndlr : Gbagbo) s’expose à des sanctions sévères aussi bien au plan national qu’au plan international. C’est un monsieur qui a les mains couvertes de sang. Il faut qu’il arrête. La Côte d’Ivoire ne peut pas souffrir comme cela pour un seul homme. Ce n’est pas possible, Ce n’est pas acceptable.
Q : Vous avez entendu l’interview de Laurent Gbagbo hier soir dans cette émission. Vous avez bien compris qu’il n’avait pas l’intention de partir.
AO : Vous l’avez compris. Ça prouve qu’il a un comportement de dictateur. Le verdict des urnes est là. Il a été certifié par les Nations unies. Il a été confirmé par la Cedeao avec le Facilitateur de la Cedeao qui était présent à Abidjan. Le 1er ministre qui était l’arbitre de ce processus a dit que les chiffres étaient les vrais. Même le Conseil constitutionnel, tenez-vous bien monsieur Denisot, est d’accord avec ces chiffres. Qu’est-ce qui s’est passé ? Le fameux Conseil constitutionnel a tout simplement déduit 7 départements des votes. Ce qui est inacceptable.
Q : Est-ce que vous avez des relations avec Nicolas Sarkozy ? Si oui quelles sont-elles aujourd’hui ?
AO : Oui. Nicolas Sarkozy est un ami de longue date. Ça ne date pas d’aujourd’hui. J’ai des relations avec lui. On se téléphone. Comme avec d’autres chefs d’Etat en Afrique comme ailleurs. Vous savez que j’ai occupé des très hautes fonctions au Fonds monétaire international (Fmi) où j’étais le n°2. De par ces fonctions, j’ai rencontré tout de même beaucoup de personnalités. Dominique Strauss Khan est un ami. Laurent Fabius, enfin, j’ai beaucoup d’amis en France et aux Etats-Unis, de même que des personnalités du monde des finances.
Q : Pour vous, quelle est le calendrier dans les jours à venir?
AO : Moi, je suis pressé d’occuper mes fonctions de manière pleine et entière. Et je demande à Laurent Gbagbo de respecter le verdict des urnes. S’il ne le fait pas, la Cedeao a promis d’intervenir par tous moyens, y compris la force légitime. Je suis un homme de paix. Je préfère une solution pacifique. Mais si Laurent Gbagbo s’entête, il aura amené cette intervention à la Côte d’Ivoire. Ceci serait fâcheux car je ne tiens pas personnellement à occuper mes fonctions dans le sang et sur des cadavres. C’est ce qui fait que je montre autant de patience. Mais Laurent Gbagbo a trop fait souffrir les Ivoiriens. Et il est temps qu’il entende raison. Et qu’il quitte les fonctions usurpées.
Q : Est-ce que vous craignez pour votre vie ?
AO : Ah oui ! Tout à fait. Vous savez, Laurent Gbagbo n’est pas à sa 1ère tentative de m’assassiner. Il a tenté en 2002. Dieu merci, il n’a pas réussi. Et si je suis ici (au Golf hôtel) c’est bien sûr pour moi-même et également pour tous ceux qui me sont proches. Et qui peuvent être assassinés. D’ailleurs, le bilan le démontre. Puisque tous les soirs, nous avons les personnes qu’ils ont assassinées dans les quartiers, tout simplement par rapport à leur appartenance politique ou ethnique. Laurent Gbagbo doit donc arrêter d’assassiner les Ivoiriens. Nous avons besoin de paix et de tranquillité en Côte d’Ivoire. Et je considère qu’il en a trop fait. Il est temps qu’il s’en aille.
Le président de la République au Parisien :
“Que Gbagbo cesse d’utiliser des mercenaires”
Pour le président de la Côte d’Ivoire reconnu comme tel par les Etats africains et la communauté internationale, il est urgent que Laurent Gbagbo se décide à abandonner le pouvoir. Il dénonce des exactions qui auraient déjà fait plus de 250 victimes.
Q : La Côte d’Ivoire est-elle en train de glisser vers la guerre civile ?
ALASSANE OUATTARA. Non, je ne pense pas qu’il y ait un risque de guerre civile, mais plutôt des débordements de certains éléments des forces de défense et de sécurité, ainsi que des mercenaires et des miliciens de Laurent Gbagbo. Ils ont été recrutés pour aller dans certains quartiers d’Abidjan, qui me sont favorables et, sous prétextes de chercher des armes, ils agressent les populations. Il faut que Laurent Gbagbo cesse d’utiliser des mercenaires et des miliciens étrangers contre les Ivoiriens. Depuis son refus de respecter le verdict des urnes, il y a déjà plus de 250 victimes. Ce qui me chagrine le plus, c’est l’insécurité dans laquelle vit la population ivoirienne. A Abobo comme dans d’autres quartiers, des dizaines de gens ont été tués, beaucoup de femmes ont été violentées
Et brutalisées. Nous avons saisi les organisations des droits de l’homme et la Cour pénale internationale pour envoyer des missions, retrouver les auteurs de ces exactions et les punir, car cela ne peut pas continuer.
Q : Comme Gbagbo s’accroche au pouvoir, y a-t-il encore une chance de passation pacifique ?
AO : Moi, je le souhaite pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens, parce que tout cet environnement de massacres, de tueries et de brutalité envers les femmes n’est pas acceptable. Les élections qui ont eu lieu devaient mettre fin à cette crise. Ces élections ont été démocratiques, pacifiques et transparentes et tout ce qui arrive depuis est du fait de Gbagbo qui refuse de reconnaître le verdict des urnes. J’ai été élu à 54,10 % par les Ivoiriens et je demande tout simplement à occuper les fonctions qui m’ont été confiées par mon peuple. S’il aime son pays et s’il veut la Paix pour la Côte d’Ivoire, Gbagbo doit quitter des fonctions usurpées.
Q : En dépit des promesses de Gbagbo, le blocus du Golf Hôtel se poursuit depuis plus d’un mois…
AO : Gbagbo n’a jamais respecté un quelconque engagement. Ce n’est pas la première ni la dernière fois. C’est ce qu’il a fait tout au long de ces cinq années du mandat qu’il a volées à la Côte d’Ivoire, car il n’a pas été élu en 2005 et est allé de négociation en négociation pour rester au pouvoir.
C’est toujours sa stratégie. Je demande vraiment à Gbagbo de respecter le verdict des urnes et d’arrêter de raconter des choses qui ne sont pas vraies. Son Conseil constitutionnel a inversé les résultats et donné de faux messages sur le Nord. Or, le Nord est mon fief et je n’ai pas besoin de tricher dans le Nord pour gagner.
Q : Vous venez de faire un geste en appelant à un gouvernement d’union nationale…
AO : Non, c’est une proposition que j’ai faite bien avant mon élection, parce que je suis animé d’une volonté de réconciliation des Ivoiriens. Cette crise doit avoir une issue pacifique et, si ce n’est pas le cas, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (NDLR : Cedeao) l’a dit clairement : elle utilisera tous les autres moyens, y compris la force légitime. Alors Gbagbo s’en ira tôt ou tard ! Nous espérons bien évidemment le plus tôt, avant la fin du mois et, à ce moment-là, je formerai un gouvernement d’union nationale comme je l’ai promis.
Q : Etes-vous aujourd’hui partisan d’un recours à la force ?
AO : Ce serait la solution ultime. S’il y avait une intervention militaire, ce serait de la faute de Gbagbo, car la Cedeao cherche encore par tous les moyens une solution pacifique.
Q : Comment expliquez-vous que l’armée régulière n’ait pas basculé de votre côté ?
AO : Ce sont des choses qui prennent du temps : il y a des notes discordantes au sein de l’armée, où beaucoup de militaires n’apprécient pas cette manière de Gbagbo de s’accrocher au pouvoir. Dans leur grande majorité, ils n’apprécient pas que des mercenaires et des miliciens libériens tuent des Ivoiriens. Je précise que j’ai été élu au second tour à plus de 63 % des voix dans les casernes ! La seule force de Gbagbo, ce sont quelques éléments des forces de défense et de sécurité, mais il va en perdre la grande majorité dans les jours et semaines à venir. Mon gouvernement et moi-même avons reçu le soutien de certains officiers et membres de l’armée, mais qui—par peur des représailles dont pourraient être victimes leurs familles – préfèrent pour l’instant rester discrets.
PROPOS RECUEILLIS PAR
BRUNO FANUCCHI
(Source : Le Parisien)