Affaire « Fin de la crise postélectorale le 21 mai 2011»: Le Procureur Adou Richard fait de la politique, Par Germain Séhoué
Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Affaire « Fin de la crise postélectorale le 21 mai 2011». Le Procureur Adou Richard fait de la politique, Par Germain Séhoué.
21 mai 2011. « Date de prestation de serment du président de la République ». Pour donner un axe d’explication à l’interpellation de Michel Gbagbo, secrétaire national chargé des affaires administratives et pénitentiaires du Fpi et de Laurent Despa, responsable du site internet koaci.com, à propos de la polémique sur le nombre exact des détenus et leur qualité, le Procureur de la République, Adou Richard Christophe a publié une liste de personnes et fait des commentaires. « Le 1er mai 2016, à l’occasion de la célébration de la fête du travail, le président de la République a déclaré devant les centrales syndicales que la plupart des détenus de la crise postélectorale ont été libérés et qu’il ne restait que des cas résiduels de détenus en attente de jugement pour des crimes graves. (…) Il convient de préciser que parmi ses vingt deux (22) personnes, trois (03) ont été arrêtées avant le 21 mai 2011, date de la prestation de serment du président de la République considérée comme la fin de la crise postélectorale.» En clair, pour le Procureur de la République, Adou Richard Christophe, les dix neuf (19) autres sont arrêtées après de ce « barrage » et ont leur statut à part et ne peuvent pas être considérées comme des prisonniers politiques. On constate que dans ses « précisions » et son « communiqué », le Procureur de la République met avant : « le président de la République a déclaré devant les centrales syndicales que… » au lieu de « selon nos enquêtes… et selon les chiffres réels dans nos prisons…». Le Procureur de la République montre comme preuve, la déclaration de l’autorité (le président de la République a déclaré) plutôt que ce que lui impose le terrain. En utilisant ce qu’on appelle « l’argument d’autorité », Adou Richard fait de la politique. Il s’écarte de la vérité scientifique. Parce que l’autorité est le dernier des arguments en termes de démonstration. Chaque fois que des gens sont à bout de raisonnement, ils mettent en valeur un grand scientifique, un chef d’Etat, un Prix Nobel, un nom influant, etc. pour couper court. Or, cette autorité a un cœur qui bat, des intérêts à sauver et elle n’est pas incapable d’erreur. Ce qui vient d’arriver à Michel Gbagbo et Laurent Despa, ressemble fort bien à ce qui est arrivé à cet élève qui demande à son professeur : « Combien de dents a une vache ? » Au lieu de donner la réponse du terrain, le professeur ouvre simplement le livre d’Aristote sur les animaux et répond. Mais l’élève réplique: « Mais non, moi mes parents ont des vaches, elles n’ont pas ce nombre de dents ». Malheureusement l’élève est sanctionné. Le chef de l’Etat auquel s’adosse systématiquement l’homme de droit, Adou Richard, est un homme politique. Quelle que sommité qu’il puisse être, son discours est intéressé, avec des doses de diversion, de manipulation, etc. C’est pourquoi de la même façon que, pour être sûr de ne pas se tromper, l’élève de la Scolastique a ouvert la bouche de la vache pour compter ses dents, le Procureur devrait entrer dans toutes les prisons du pays. Y compris les lieux de séquestrations dissimulés, et faire le point aux Ivoiriens sur le nombre exact des détenus et leur statut réel. Le chef de l’Etat a dit que… D’accord ! Mais qu’en est-il réellement dans les prisons ivoiriennes ? Et en plus de l’exaltation de l’autorité au lieu du terrain, le Procureur Adou Richard veut embobiner l’opinion dans un raisonnement circulaire, qui part d’une conclusion (le président de la République a déclaré que…) pour aboutir à démontrer cette conclusion. Un genre de pétition de principe pour déstabiliser le raisonnement de l’adversaire. Et le Procureur de la République ne fait pas moins de la politique en imposant aux Ivoiriens une loi mémorielle, le 21 mai 2011, comme date consensuelle pour la fin de la crise postélectorale.
21 mai 2011, date arbitraire
Le Procureur de la République dit du « 21 mai 2011, date de la prestation de serment du président de la République » que ce jour est « considéré comme la fin de la crise postélectorale.» C’est donc sur la base de cette date qu’il écrit ceci après avoir séparé les détenus présentés par koaci.com: «Il résultat de ce qui précède que les informations publiées par « koaci.com » sur le nombre des détenus des dossiers judiciaires de la crise postélectorale sont mensongères et par conséquent constitutives du délit de divulgation de fausses nouvelles prévu et puni par l’article 173 du Code pénal.» Le Procureur de la République affirme que la date du 21 mai 2011 est considérée comme celle de la fin de la crise postélectorale. Mais cette date est ainsi « considérée » par qui ? Deux camps se sont affrontés pendant la guerre. A quel moment se sont-ils accordés sur cette date ? Ou alors la seule parole du vainqueur vaut une loi ou celle du vaincu ? Le Procureur doit se rappeler que les temps ont changé. Hier, un régime pouvait persécuter, ne serait-ce moralement, une minorité sous prétexter d’exalter une nation unie. Mais aujourd’hui, l’esprit de Mai 68 dans lequel sont inscrits nos gouvernants, exalte les minorités dont le soin devient même une norme de bonne gouvernance. A quel moment les belligérants de la guerre postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, se sont mis d’accord pour la fin de leur conflit le 21 mai 2011 ? Ceux qui adhèrent à cette thèse raisonnent comme si la guerre avec sa crise était une course organisée avec une ligne de départ et une ligne d’arrivée. Ou alors comme une rencontre de football, avec un arbitre qui siffle la fin du match, après quoi tous les joueurs se retirent du terrain. Depuis quand peut-on dire à deux personnes en palabre : « Dans 10 minutes, votre palabre doit s’arrêter » ? Depuis quand ? Si cela était envisageable, pourquoi alors depuis six (06) ans que Ouattara est au pouvoir, il court sans succès après la réconciliation des Ivoiriens ? Pourquoi la réconciliation des Ivoiriens n’a pas été une réalité dès ce 21 mai 2011, puisque la crise est supposée finie ? Le chef de l’Etat Alassane Ouattara peut souhaiter que le 21 mai 2011 soit la fin de la crise postélectorale afin qu’il gouverne en tranquille, contrairement aux remous qu’il a soumis lui-même aux régimes précédents, à travers la rébellion se réclamant de lui. Mais imposer cette date à l’opinion, c’est la soumettre à une Chape de plomb du politiquement correct, la pensée unique. C’est-à-dire une loi mémorielle qui oblige à penser une chose, sans possibilité de la réviser. C’est une dictature de la pensée. Mais personne n’est naïf pour se laisser souffrir de ce prêt-à-penser. Car Adou Richard peut-il jurer la main sur le cœur, qu’après le 21 mai 2011, des personnes du camp Gbagbo n’ont pas été agressées, violées, tuées, expropriées, etc. à cause du conflit commencé pourtant bien avant cette ligne d’arrivée ? Si le 21 mai 2011 est « l’Armistice », pourquoi alors des ex-rebelles occupent encore les résidences, domiciles et propriétés des cadres de l’ancien régime bien longtemps après cette date ? Pourquoi bien de personnalités proches de Laurent Gbagbo, longtemps après la magique date du 21 mai 2011, ont ou avaient encore leurs avoirs gelés ? Pourquoi ? Pourquoi le jour de l’intronisation d’Alassane Ouattara, un coup de gong n’a pas mis fin à tous les gels des avoirs de ces personnes ? Si jusqu’aujourd’hui, des milliers d’Ivoiriens sont exilés et que beaucoup d’entre eux meurent à l’étranger dans des conditions misérables, c’est à cause des événements postélectoraux de 2010-2011. Car si le 21 mai 2011 avait tout effacé sur leur cœur par enchantement, ils auraient regagné la terre de leurs ancêtres. Mais voilà le Gouvernement Ouattara qui les courtise encore en mai 2016. On voit donc que la loi mémorielle arbitraire du 21 mai 2011 n’est valable que dans l’esprit de ceux qui veulent en tirer profit. Cet exercice n’est que pure politique. Sans plus.
Une contribution de Germain Séhoué
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