Cacao: La Côte d’Ivoire hausse le ton pour défendre ses intérêts face aux multinationales

Par Sika Finance - Cacao. La Côte d’Ivoire hausse le ton pour défendre ses intérêts face aux multinationales.

Yves KONE, le directeur du conseil café cacao (CCC), le régulateur de la filière cacao en Côte d'Ivoire.

Alors que la prochaine campagne cacaoyère s'ouvre dans deux semaines, la Côte d'Ivoire hausse le ton face aux manoeuvres des multinationales qui rechignent à verser le DRD, la prime promise aux planteurs, et usent souvent de ''chantages'' pour se dérober de leurs engagements.

Yves KONE, le directeur du conseil café cacao (CCC), a pris son bâton de pèlerins pour porter à nouveau le plaidoyer sur la question du DRD, le différentiel de revenu décent auquel s'est engagé l'industrie du cacao en vue d'améliorer la rémunération des paysans et soutenir la durabilité de la filière.

La figure de proue du cacao ivoirien participe depuis ce mercredi à la réunion annuelle de l'Association Européenne du Cacao (ECA), un rendez-vous qui accueille cette année à Rome plus de 350 participants de haut niveau dont des traders, des patrons de multinationales du chocolat et des broyeurs, alors que s'ouvre dans deux semaines environ la prochaine campagne 2022/2023.

C'est connu de tous, les planteurs sont de loin le maillon faible de la chaîne de valeur du cacao dont ils ne perçoivent que 6% des 120 milliards de dollars de revenus générés alors qu'ils supportent la part de travail la plus pénible d'une filière très lucrative qui profite surtout aux intermédiaires, traders et industriels.

Le DRD, acté en 2019 après moult négociations, était une décision consensuelle, alors présenté comme meilleure alternative pour limiter l'impact de la forte volatilité des cours du cacao sur les revenus des paysans, soutenir leur pouvoir d'achat et donc améliorer leurs conditions de vie. Toutefois, sa mise en œuvre reste problématique et est loin d'être un acquis, les intermédiaires rechignant encore à jouer le jeu.

" Cette réunion est l'occasion pour nous, de nous adresser aux négociants, aux broyeurs, aux chocolatiers pour les inviter au respect des engagements qu'ils ont librement pris en soutenant depuis 2019 notre initiative avec le Ghana, de fixer un prix plancher de $ 2600 et un différentiel de revenu décent de $400 la tonne. Et ceci, pour sortir nos planteurs de la pauvreté parce qu'ils ne bénéficient pas des revenus importants que génèrent cette industrie " a déclaré depuis la capitale italienne, Yves Brahima KONÉ.

Le chantage sur la ‘‘différentiel d'origine''

L'autre volet de cette bataille est la défense du " différentiel d'origine ", une prime qualité ajoutée au prix de la fève de cacao cotée sur la bourse de Londres.

" (…) depuis l'instauration du prix plancher et du DRD avec l'assentiment de toute l'industrie du cacao (…), les traders, les chocolatiers et les broyeurs ont négocié à la baisse le différentiel d'origine, une prime payée par le marché pour la bonne qualité des fèves ivoiriennes et ghanéennes " explique le CCC dans une note. La prime est en effet devenue négative, autrement dit, elle est devenue une charge dont doit s'acquitter le pays producteur de fèves ; un chantage des négociants qui l'exigent en contrepartie du paiement du DRD. Une situation qui tend à annuler l'effet escompter de ce DRD sur la rémunération des planteurs.

" Cette baisse du différentiel d'origine qui est passée en 2020 du positif au négatif jusqu'à récemment, n'a pas permis d'offrir aux planteurs de cacao un revenu décent et rémunérateur tel que voulu par les gouvernements des deux pays ", souligne le CCC.

Afin de pallier cette situation, le CCC et le COCOBOD du Ghana, dans le cadre de l'organisation commune Initiative Côte d'Ivoire - Ghana pour le cacao (ICGC) ont convenu de " fixer le différentiel d'origine à 0 FCFA pour la Côte d'Ivoire et à + 30 pound la tonne pour le Ghana et surtout de ne plus vendre de contrats d'exportation de cacao avec un différentiel d'origine négatif ". Une décision qui fait l'objet de ''boycott''.

Cargill montre l'exemple

Le rendez-vous de Rome est donc, pour Yves KONE, une occasion solennelle de partager le message clair de la Côte d'Ivoire et du Ghana qui représentent, faut-il le rappeler, entre 65% et 70% de la production mondiale de fèves.

" Notre message est claire. Nous sommes là pour défendre nos planteurs de cacao (…). Le secteur cacao est vital pour notre économie et l'industrie du cacao doit respecter ses engagements. Il faut payer le DRD et un différentiel d'origine positif " a-t-il insisté.

De fait, il y a des raisons de penser qu'avec une dose de bonne volonté, les acteurs de la filière peuvent s'inscrire dans une dynamique qui du reste sera profitable à tous dans la mesure où elle garantira l'avenir de la filière. Et les lignes sont en train de bouger …

En effet, selon le CCC, le géant américain Cargill, premier exportateur des fèves ivoiriennes, a acheté ce 9 septembre 25 000 tonnes pour la saison 2023/24 avec un différentiel d'origine positif, en plus du DRD. " C'est une excellente nouvelle pour le Ghana et la Côte d'Ivoire mais aussi pour l'initiative que nous représentons. Le fait qu'un géant du secteur s'engage sur cette voie après 2 saisons de discussions veut dire que nos récents engagements ont eu un écho favorable ", s'est félicité le patron du régulateur da la filière cacaoyère ivoirienne.

Un premier pas que salue par ailleurs Alex ASSANVO, secrétaire exécutif de l'ICGC: "Nous sommes des partenaires et c'est ensemble que nous devons construire un secteur cacao durable aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs", a-t-il indiqué.

Jean Mermoz Konandi