Assassinat de Désiré Tagro: Les tristes révélations d'un de ses proches
Par Aujourd'hui - Assassinat de Désiré Tagro. Les tristes révélations d'un de ses proches.
Contrairement aux collaborateurs de Guillaume Soro qui traitent de grossier montage les fuites relatives aux
écoutes téléphoniques entre le président de l’assemblée nationale ivoirienne et l’ancien ministre burkinabé Djibril Bassolé, un proche de Désiré Tagro, lui, assure qu’il n’est pas surpris par lesdits aveux. Car « Soro avait des raisons d’en vouloir à Désiré », affirme-t-il.
Pour des raisons évidentes de sécurité,nous avons promis de préserver l’anonymat de notre informateur. Disons
donc qu’il s’appelle D.G. Nous n’insisterons pas non plus sur ses liens avec le défunt ministre. D.G était donc un proche du ministre Désiré Tagro. Suite aux écoutes téléphoniques révélées la semaine dernière,le journal Aujourd’hui l’a rencontré.
Au cours de l’entretien, D.G nous a expliqué qu’il n’avait pas été surpris par le contenu des écoutes téléphoniques qui accablent le président de l’assemblée nationale. « Je n’ai pas été surpris que Soro ait commandité la mort de mon frère », ditil,le ton apaisé mais ferme. Puis il nous a expliqué comment au fil de leur collaboration, les deux hommes avaient vu leur relation se détériorer d’année en année. Désiré Tagro, magistrat hors hiérarchie, ancien protégé d’Emile Boga Doudou dont il fut le directeur de cabinet était devenu un homme incontournable dans
l’entourage du président Gbagbo.D’abord conseiller spécial de la Présidence ivoirienne chargé des affaires juridiques,il est devenu en 2007 le principal négociateur des accords de Ouagadougou qui voit l’entrée des rebelles dans un gouvernement de large union.
A ce titre, il est nommé ministre de l’intérieur. Ce poste lui permet d’affermir son autorité, parfois au grand dam du premier ministre qui n’est autre que Guillaume Soro. Selon le témoignage de D.G, Soro en avait parfois marre de le voir dans ses pattes puisque Gbagbo lui confiait tout. « Aucune affaire liée à la sortie de crise ne se traitait sans Désiré. Dans les faits, il était le vrai premier ministre » d’un Laurent Gbagbo obligé de collaborer avec les maîtres de la rébellion. Or Soro est un monarque
dans le sang et il est vexé par l’importance accordée à son ministre de l’intérieur par le président de la république
dont il est, a priori, le principal des collaborateurs.
Les deux hommes vont même parfois s’étriper sur bien d’autres sujets dont les arrière-pensées de marges financières à réaliser, il est vrai, sont évidentes. Par exemple dans le cadre de la préparation des élections, Guillaume Soro souhaite que l’état concède la confection des cartes nationales d’identité à l’homme d’affaires Sidi Kagnassi,proche d’Alassane Dramane Ouattara et bien connu du régime. Sa société Sagem avait déjà obtenu la confection des dites pièces au début du mandat du président ivoirien. Mais ce n’est pas l’avis du ministre Tagro qui, préfère, de loin, Salif Bictogo avec qui il entretient de solides relations d’amitié depuis la négociation des accords de Ouagadougou en 2007.
Bictogo est dans la place
Dès qu’il s’en ouvre au président Gbagbo, ce dernier se rallie, comme d’habitude, à sa position. En fait, cette affaire tombe dans une période où Adama Bictogo établit les papiers administratifs de sa nouvelle entreprise dénommée Snedai. Le ministre de l’intérieur rêve secrètement de lui attribuer la confection des passeports biométriques et espérait faire d’une pierre eux coups avec l’attribution de la confection des cartes nationales d’identité.
Mais le premier ministre est en colère et le signifie à Laurent Gbagbo obligé de retro-pédaler. C’est ainsi que
la concession revient à Sagem la société de Sidi Kagnassi.
« Désiré est allé trop loin ! »
Mais l’opposition entre les deux hommes s’intensifie. Malgré une épouse qui est une Tagro de Daloa, le premier
ministre voue aux gémonies son ministre de l’intérieur. D’autant plus qu’entre lui et son pire ennemi, Ibrahim Coulibaly,le courant semble bien passer. «Parfois j’ai entendu Désiré parler avec IB au téléphone sur tel ou telle chose qui devait lui parvenir », souligne D.G. Vu les conditions dans lesquelles est intervenue la mort de celui-ci, il est évident que Soro ne devait pas être content de ce rapprochement. Mais Désiré Tagro avait aussi de bonnes relations avec Alassane Dramane Ouattara. Selon les confidentes d’Alphonse Djédjé Mady, le chef de l’état aurait regretté la mort de l’ancien ministre de Gbagbo, assurant que le RDR aurait pu, avec lui, avoir un
cadre de valeur dans le pays bété. Et cela ne devait pas plaire également à Soro qui n’était véritablement revenu
dans le giron de Ouattara qu’après les élections présidentielles de 2010. En fait, Soro a toujours maintenu une gestion autonome de son mouvement. Et sa position de premier ministre avait, du reste, fait de lui un acteur à part entière de la vie politique nationale grâce aux
moyens financiers qu’il avait pu engranger.La perspective de voir Tagro s’allier à Ouattara aurait pu, là aussi, mettre
à nouveau Guillaume Soro sous l’éteignoir.Mais à l’évidence, c’est un argument difficile à prouver.
En revanche, le fait de ne pas clairement dire, contrairement à IB, à quel niveau le ministre de Tagro pouvait déstabiliser le nouveau régime est assez révélateur de ce que tout peut être envisageable. D’autant plus qu’entre Ouattara et Tagro, les relations ne sont guère tendues. Loin de là. D’ailleurs, pendant la pré-campagne électorale de 2010, c’est au domicile de
Désiré Tagro, à Issia, que Ouattara et sa suite sont reçus. Les deux personnalités se connaissent bien et se tapotent mutuellement sur les épaules en riant. Ce jour-là d’ailleurs, Ouattara demande au ministre de Gbagbo : « mais pourquoi Laurent ne te nomme-t-il pas ministre
d’état ? Moi je te nommerais ministre d’état parce que tu es un homme brillant.Il faut donc que tu viennes avec
moi parce que je serai président de la République dès cette année ». A son entourage qui s’inquiète de cette proximité,le ministre assure que « tout ça c’est de la politique et qu’ils n’avaient pas à s’en faire ». Mais pour D.G., son frère est allé trop loin !
« S’ils me prennent, ils vont me tuer ! »
Désiré Tagro était donc un homme central.Un lien incontournable entre Laurent Gbagbo et tous ses interlocuteurs politiques avec ce que ce genre de responsabilités renvoie d’ivresse et d’arrogance.
Il parlait à la fois aussi bien avec Bédié, Ouattara qu’avec le président français Nicolas Sarkozy et les ambassadeurs
occidentaux. Au fil des années,il avait profité de cette proximité pour s’établir des liens relativement rassurants avec certains des acteurs politiques qui avaient toutes les raisons de l’attendre
au tournant. Il était donc au courant de tout et, de ce point de vue, cela aurait pu être un danger potentiel pour les uns
comme les autres, souligne D.G. « En tout cas, je ne sais pas si on aurait pu le tuer dans le cadre de cette relation politique
un peu opaque et difficile à déchiffrer.Mais je sais néanmoins qu’une semaine avant l’éclatement de la guerre à Abidjan, il m’avait dit après avoir tenté d’entrer en contact avec Djibril Bassolé alors ministre des affaires étrangères de
Blaise Compaoré et Adama Bictogo avec qui il était ami,: « je sais que s’ils me prennent, ils vont me tuer ».
Pourquoi,et qui ? A priori parce que certains gestes parlent mieux que les mots. Depuis les accords de Ouagadougou, Tagro
s’était créé des liens forts avec ces deux personnalités. « Il ne se passait pas un jour sans que lui et Bictogo, en particulier,ne s’appelle. C’était son ami », souligne D.G. Le ministre Tagro l’appelait Big qui était à la fois le diminutif du nom Bictogo que la traduction du mot anglais signifiant « grand ». Parce que Bictogo était devenu trop riche depuis qu’il avait réussi son OPA sur la fabrication des passeports ivoiriens. Et sans doute pour cela, la couleur de leurs relations mêlaient toutes sortes d’intérêts
à la fois.
A Zigniaré, chez Blaise Compaoré, les
Tagro sont chez eux
Par exemple, après les accords de Ouagadougou,
le ministre Tagro et le président du Faso se sont fortement
rapprochés. A ce titre, c’est Tagro qui s’occupait de certaines acquisitions de Blaise Compaoré à Abidjan. A l’inverse,les enfants de Tagro passaient leurs vacances à Zigniaré, dans le village du président du Faso. « Il est donc a priori difficile de dire avec exactitude les intérêts qu’il gênait. Mais il est également évident que les relations qu’il avait avec le sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, qui chercha pendant longtemps à déstabiliser
le régime de Gbagbo, ne devait pas être de nature à pacifier ses relations avec Soro déjà très tendues en raison de l’ombre qu’il lui faisait».
Alors l’un dans l’autre, D.G. ne s’y trompe pas. Pour lui, c’était dans l’ordre normal des choses qu’on attente à la vie de son frère. D’ailleurs deux ans après la disparition du ministre de l’intérieur,Guillaume Soro ne s’est même pas risqué à un hommage madré de circonstance,à titre posthume par exemple ; ce qui est généralement le fort des hommes
politiques. Aux journalistes sénégalais
qui lui demande ce qui est arrivé au ministre
de l’intérieur de Gbagbo, voilà ce qu’il répond : « Après toute cette violence,oui, les partisans, M. Gbagbo, luimême et tous ceux qui étaient dans sa résidence bunkerisée ont été arrêtés. Sur les 160 qui y étaient, nous avons sorti sains et sauf, je dis bien sains et sauf,157 personnes que nous avons, par un couloir humanitaire, envoyé au Golf (Ndlr: Golfe Hôtel), logé dans nos propres chambres, nous qui étions encerclés au Golfe. Personne n’est mort sauf l’ancien ministre de l’Intérieur qui est décédé suite à une balle perdue.
Mais celui-là, il n’est pas mort au Golfe, on l’a envoyé à la PISAM, une des cliniques les plus huppées de qualité à
Abidjan, il y est mort.» Pour qui a vu,sur les images encore visibles le net, Désiré Tagro adossé à un mur de la présidence la bouche dévasté et baignant dans le sang, il est évident que Guillaume Soro passe volontairement de nombreux détails sous le silence.Comme cet autre détail fixant le transport de Tagro dans un véhicule 4X4 au Golfe, le QG d’Alassane Dramane Ouattara.
Le président de l’assemblée nationale semble l’avoir oublié. D’ailleurs pour quelqu’un qu’une balle perdue a touché, avouer cette « tournée » à la presse aurait été plutôt curieuse. Pour le reste, on sait au moins de quel amour Guillaume Soro aimait celui que son épouse appelait son grand-frère.
Aujourd'hui