Vu de Guinée: Un “cocktail explosif” menace la Côte d’Ivoire

Par Le Courrier International - Vu de Guinée. Un “cocktail explosif” menace la Côte d’Ivoire.

Le président ivoirien Alassane Ouattara, au lancement de son nouveau parti, le RHDP, le 26 janvier 2019, à Abidjan. PHOTO ISSOUF SANOGO / AFP.

Le Djely - Conakry

À un an de la présidentielle, le chef de l’État Alassane Ouattara, au pouvoir depuis 2011, entretient le flou sur une nouvelle candidature, alors qu’il avait promis de ne pas se représenter. “C’est à la fois décevant et déprimant”, juge cet éditorialiste guinéen, qui craint que la Côte d’Ivoire ne s’enfonce à nouveau dans la crise.

Le chef de l’État ivoirien [au pouvoir depuis 2011] continue d’entretenir le flou au sujet de sa candidature à l’élection présidentielle de 2020. Une attitude incompréhensible. D’autant qu’elle n’est pas sans risques pour le pays, dont on sait qu’il n’en a pas tout à fait fini avec les stigmates de son dramatique passé récent. [De décembre 2010 à avril 2011, un conflit postélectoral, né du refus du président sortant, Laurent Gbagbo, de céder le pouvoir à son rival, avait fait plus de 3 000 morts.]

Qu’y a-t-il de si diabolique dans le pouvoir pour que certains dirigeants du continent africain en soient si enivrés ? Parce qu’autrement, aucune logique rationnelle ne saurait rendre compte du retournement de situation auquel Alassane Ouattara prépare aussi bien les Ivoiriens que le monde entier.

La Constitution autorise-t-elle un troisième mandat ?

En effet, on se rappelle bien que ce président-là avait, avant sa réélection en 2015, fermement promis qu’il n’irait pas au-delà de 2020. Promesse qu’il avait du reste renouvelée au moment du référendum constitutionnel [la Constitution adoptée en 2016 n’autorise pas trois mandats présidentiels de suite, mais il existe une incertitude juridique quant au fait de savoir si les compteurs sont remis à zéro ou non à partir de 2016].

Bref, personne n’aurait imaginé qu’à un an de la fin de son ultime mandat constitutionnel, le débat sur un troisième bail se poserait en Côte d’Ivoire. Pourtant, nous y sommes aujourd’hui. Et le comble, c’est que c’est ce même président qui entretient le flou et la confusion. [Lors du congrès de lancement du nouveau parti présidentiel – le RHDP –, le 26 jnvier, Alassane Ouattara a dit devant près de 100 000 partisans qu’il donnerait sa réponse “l’an prochain” quant à une éventuelle nouvelle candidature.] C’est à la fois décevant et déprimant !

Ouattara a acquis “les réflexes des vieux dinosaures”
Une telle attitude de la part d’Alassane Ouattara est quelque peu surprenante. Avec son profil d’économiste chevronné et de banquier dont les compétences sont reconnues à travers le monde, on ne l’aurait cru en mesure de s’approprier cette duplicité. Les coups bas et autres retournements de situation, des politiciens avec le profil d’ADO [les initiales d’Alassane Dramane Ouattara] ne devraient pas en user. On les croirait avoir une plus grande estime d’eux-mêmes et, par conséquent, rechigner à descendre aussi bas dans la politique politicienne.
Malheureusement, ce serait se tromper. La dizaine d’années qu’Alassane Ouattara aura passées à la tête du pays lui auront permis de s’acclimater et d’acquérir les réflexes des vieux dinosaures.
Cependant, une chose est certaine. Le scénario du troisième mandat n’est pas sans risques pour la Côte d’Ivoire. Déjà le pays n’a pas fini de panser les plaies consécutives à la crise de 2010-2011. Or on sent déjà les tensions en perspective.

ADO, Bédié, Soro, Gbagbo…
Entre ADO et Henri Konan Bédié [ex-président du pays et ex-allié de Ouattara], la guerre est ouverte. Par ailleurs, Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale [et ex-chef de la rébellion, qui avait aidé Ouattara à prendre le pouvoir en 2010-2011] demeure un jeune loup aux dents longues et aux agissements imprévisibles. Enfin, avec l’éventualité de sa sortie de prison prochaine, Laurent Gbagbo [président de 2000 à 2010] pourrait jouer les trouble-fêtes.

Autant dire un cocktail suffisamment explosif, dans un pays où le feu couve toujours sous la cendre. Pourtant, il n’y a pas que ces risques à court terme qui devraient préoccuper. À 77 ans révolus, si Alassane Ouattara décidait de briguer un nouveau mandat en 2020, il y aurait un risque qu’il finisse ses jours au pouvoir sans avoir sereinement préparé une succession. Comme cela s’est passé dans de nombreux pays, ce serait alors la porte ouverte à toutes les incertitudes. Ce qui reviendrait à trahir son pays.

Boubacar Sanso Barry

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