Verdict du procès Gbagbo: les Juges de la Cpi face à leurs responsabilités devant l’histoire

Par Le Temps - Verdict du procès Gbagbo. Les Juges de la Cpi face à leurs responsabilités devant l’histoire.

Les juges de la chambre de première instance de la cour pénale internationale. Image d'archives.

L’Accusation et la Défense ont fini leur plaidoirie. Et le juge-président Cuno Tarfusser soutient : «Nous avons des éléments suffisants pour prendre une décision. Et ce sera fait le plus rapidement possible». Tout le monde attend le verdict. Et pense que le droit va triompher. Les juges jouent gros dans ce procès. Ils sont face à leurs responsabilités devant l’histoire. Ils doivent dire un mot pour que la Côte d’Ivoire guérisse. Et ils ont suffisamment d’éléments pour prendre la bonne décision. Et voici ces éléments.

Un procès qui n’aurait pas du s’ouvrir

On se rappelle qu’avant la confirmation des charges, le lundi 3 juin 2013, les juges de la Cpi avaient estimé que le Procureur n’avait pas rapporté de preuves suffisantes leur permettant de confirmer les accusations de crimes contre l’humanité portées contre le Président Laurent Gbagbo. Ajournant ainsi la décision de confirmer ou non, les charges de crimes contre l’humanité qui pèsent sur le Président Laurent Gbagbo.

Et de demander au Procureur de fournir des preuves supplémentaires ou de mener des enquêtes supplémentaires. A cet effet, Fatou Bensouda a séjourné du jeudi 18 juillet au samedi 20 juillet 2013 en Côte d’Ivoire. Pour rechercher des preuves complémentaires dans l’affaire qui l’oppose au Président Gbagbo. Avant son départ, elle a animé une conférence de presse au cours de laquelle, elle soutenait avec beaucoup d’amertume: «Je n’ai pas les preuves avec moi pour aller avec à La Haye.

Mais j’ai reçu l’assurance de mes enquêteurs sur le terrain de les avoir le moment venu pour les présenter aux juges. Il faut savoir que quand je viens ici, c’est pour faciliter le travail de mes enquêteurs dans la collecte des informations». Le Président Laurent Gbagbo aurait dû être libéré: deux des trois juges de la Chambre préliminaire de la Cpi, Christine Van den Wyngaert et Hans Peter Klaus, avaient estimé que les éléments de preuve présentés par Fatou Bensouda ne pouvaient «en aucune façon être présentés comme le résultat d’une enquête complète et en bonne et due forme», et ne pouvaient justifier une inculpation.

Mais, curieusement, la voix de la troisième juge, Silvia Fernandez de Gurmendi, ancienne collaboratrice de Moreno Ocampo, qui avait un avis opposé, avait primé. Au lieu de prononcer un non-lieu, la Chambre avait alors décidé, à la surprise générale, de donner une année supplémentaire à Fatou Bensouda pour qu’elle reprenne son enquête. Il faut dire que les juges de la Chambre préliminaire, chargés d’examiner les charges étaient divisées.

L’ex-juge Allemand, feu Hans-Peter Kaul s’était opposé à l’ouverture du procès. En effirmant qu’il n’y avait pas de preuves. Après sa mort, il est remplacé par la juge belge Christina Van Den Wyngart. Elle également soutient que le dossier n’est suffisamment pas solide pour aller au procès. Une nouvelle anomalie avait marqué la suite de cette phase préliminaire : en 2014, alors que Christine Van den Wyngaert considérait les preuves apportées par la procureure toujours « insuffisantes». Malgré cet état, la Cpi décide d’ouvrir le procès.

Défilé de 82 témoins, toujours pas de preuve

Les témoins de Bensouda blanchissent le Président Gbagbo et Blé Goudé. En effet, la Procureure présente 82 témoins à charge. Ils devaient venir démontrer le plan commun mis en place par le Président Laurent Gbagbo pour éliminer les partisans de Ouattara. Tour à tour, ils n’ont pu le démontrer. Même les experts commis par la procureure Fatou Bensouda. Mateos Luis Mario est expert en authentification des vidéos. Il soutient, lors de son passage à la barre que la vidéo du massacre des 7 femmes d’Abobo est un montage. Le Professeur Atte Kloosterman, second expert de Bensouda, spécialiste en Adn au National Forensic Institute (Nfi), l’institut médicolégal des Pays Bas ne dit pas le contraire sur la même question des femmes d’Abobo.

«Nous avons fait des tests pour déterminer s’il y avait des traces de sang. Nous avons vu des tâches suspicieuses sur le t-shirt, et nous avons donc effectué des tests pour déterminer si c’était du sang, et tous les tests étaient négatifs», fait-il remarquer. Et de révéler: «Les échantillons de 12 des 15 victimes présumées ne correspondent pas à des parents biologiques de disparus».

Charles Finch, dernier expert de l’Accusation, est expert en balistique. Il soutient qu’il n’y avait aucune trace de cratère d’obus sur le site du marché Siaka Koné d’Abobo qui aurait été bombardé les Fds le 17 mars 2011. Il faut dire que le procureur de la Cour pénale internationale a abandonné deux charges contre Charles Blé Goudé, précisément le prétendu bombardement du marché Siaka Koné d’Abobo le 17 mars 2011 et la répression de la marche des femmes d’Abobo le 03 mars 2011.

Et le procureur va plus loin dans le cas du Président Laurent Gbagbo: «Aucune déclaration, ni aucun document n’expose explicitement la volonté de Laurent Gbagbo ou celle des membres de son entourage immédiat de rester au pouvoir, même s’il fallait pour cela user de violences envers des civils». Telle est la déclaration du procureur de la Cour pénale internationale, au paragraphe 642 de son MTB. Il le redit encore plus clairement dans sa réponse au paragraphe 1109

Les révélations du site français Mediapart

Le site français Mediapart, dans une enquête menée, révèle que le dossier contre le Président Laurent Gbagbo est le fruit d’un montage politique, ayant impliqué, dès 2010, le procureur de la CPI de l’époque, Luis Moreno Ocampo, les autorités françaises et Alassane Ouattara.

C’est ce qui, en avril 2011, avait conduit Luis Moreno Ocampo à demander au régime Ouattara de garder prisonnier le Président Laurent Gbagbo alors qu’il n’avait aucune base légale pour agir de la sorte. En clair, le journal français d’investigation, Médiapart, a fait récemment des révélations démontrant que l’arrestation et la déportation à la Cour pénale internationale (Cpi) du Président Laurent Gbagbo, en 2011, est le résultat d’un complot politico diplomatique sans aucun fondement juridique.

En effet, sur la base d’une enquête minutieuse très documentée, Médiapart révèle la collusion entre l’État français, Alassane Ouattara, l’actuel chef d’Etat ivoirien et le procureur d’alors de la Cpi, Luis Moreno Ocampo.

Entre autres informations, le journal révèle les tractations entre l’Etat français et la Cpi, en décembre 2010, au tout début de la crise dite postélectorale, tractations illustrées, par exemple, par les contacts entre la diplomate française Béatrice Le Frapper, qui disait à cette époque, au procureur Ocampo : « j’ai besoin de savoir ce qu’a donné ta conversation avec Alassane Ouattara ».

Médiapart révèle en outre que la Cpi, par son procureur Luis Moreno Ocampo, a demandé, en avril 2011, à Monsieur Alassane Ouattara, alors retranché à L’Hôtel du Golf,« de neutraliser Laurent Gbagbo », autrement dit d’enlever toute possibilité de mouvement au Président Laurent Gbagbo, alors qu’à cette époque, il ne pouvait pas exister de mandat d’arrêt de la Cpi, puisqu’il n’y avait eu aucune enquête, et que l’issue de la crise n’était pas connue. Une autre révélation est que le responsable du département Afrique d’alors du Quai d’Orsay, le ministère français des Affaires étrangères, souhaitait que « Ouattara ne lâche pas Gbagbo, le temps qu’un État de la région envoie l’affaire au Cpi au plus vite ».

La position du juge italien Cuno Tarfusser

Le président de la chambre I de la Cour pénale internationale, le juge italien Cuno Tarfusser a toujours une position dissidente toutes les fois que la liberté conditionnelle ou provisoire est refusée au Président Laurent Gbagbo. Il a toujours a émis une opinion dissidente expliquant que le Président Laurent Gbagbo devait au moins bénéficier de la liberté conditionnelle. Indiquant que le droit de la défense avait été bafoué dans cette affaire, que la présomption d’innocence du Président Laurent Gbagbo n’était pas respectée, que sa détention pendant toutes ces années faisait que la Cour pénale était en porte-à-faux avec les droits humains, que sa détention prolongée ne correspondait plus aux normes et principes de Droit international tel qu’il est perçu dans la démocratie occidentale. Maintenir le Président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé serait un déni de justice. C’est tordre le cou au droit. En d’autres termes, c’est faire marcher le droit sur la tête. En plus, ce sont les juges eux-mêmes qui ont, le 4 juin 2018, autorisé la défense à déposer une requête. Afin de solliciter un non lieu. C’est-à-dire l’acquittement

Yacouba Gbané