Union européenne: A Ankara, Ursula von der Leyen fait les frais d’une faute sexiste de protocole
Par Lemonde.fr - A Ankara, Ursula von der Leyen fait les frais d’une faute sexiste de protocole.
Aucune chaise n’avait été prévue pour la présidente de la Commission aux côtés du président du Conseil européen, Charles Michel, et du président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, mardi.
Par Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen)
La scène, filmée à l’occasion de la visite à Ankara, mardi 6 avril, d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, et de Charles Michel, son homologue au Conseil européen, largement diffusée sur les réseaux sociaux, laisse songeur.
On y voit le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et l’ancien premier ministre belge s’installer, tout sourire, sur deux fauteuils préparés pour la réunion, flanqués des drapeaux européen et turc. Au même moment, l’ex-ministre allemande de la défense est toujours debout, manifestement interloquée, en découvrant que les deux hommes n’ont pas prévu qu’elle rejoigne leur cercle.
On l’entend dire « hum », sans que cela suscite la moindre réaction de ses interlocuteurs masculins. Finalement, Ursula von der Leyen s’est assise sur un canapé beige, en retrait des deux hommes et en face du ministre turc des affaires étrangères.
« La présidente von der Leyen a été surprise. Elle a décidé de passer outre et de donner la priorité à la substance sur le protocole. Mais cela n’implique pas qu’elle n’accorde pas d’importance à l’incident », a commenté, mercredi, son porte-parole, Eric Mamer.
Le président turc ne s’est jamais illustré par son féminisme
Quel que soit leur genre, « les présidents de la Commission et du Conseil ont le même rang protocolaire. Ils auraient dû être assis au même endroit », poursuit Eric Mamer.
Faux, rétorque-t-on dans l’entourage de Charles Michel : « Le traité de Lisbonne prévoit qu’à l’étranger le président du Conseil a la préséance sur le ou la présidente de la Commission. » Certes, mais le président turc, qui ne s’est jamais illustré par son féminisme – au point de décréter, le 20 mars, la sortie de la Turquie de la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes –, aurait-il fait subir le même traitement à Ursula von der Leyen si elle avait été un homme ?
Personne bien entendu ne peut répondre à cette question. Mais l’eurodéputée néerlandaise Sophie in’ t Veld s’est empressée de poster sur Twitter des photos prises en novembre 2015, en marge d’un sommet du G20 à Antalya, sur lesquelles on voit le même Recep Tayyip Erdogan assis aux côtés de Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, respectivement présidents de la Commission et du Conseil. Avec ce commentaire : « Pourquoi le président du Conseil est-il resté silencieux ? »
Sans doute parce que Charles Michel, qui entretient des relations très difficiles avec Ursula von der Leyen dès lors qu’il s’agit de politique étrangère, ne voyait pas où était le problème.
Pas de concertation entre les deux dirigeants européens
Ses services avaient en effet envoyé quelqu’un à Ankara – contrairement à ceux de la Commission, « compte tenu de la pandémie », a expliqué Eric Mamer – pour analyser les choix du protocole turc pour la réunion qui s’annonçait, et n’avaient donc rien trouvé à dire à ce qui se préparait. « Ankara a tout fait au mieux. Erdogan était venu sur le perron attendre Ursula von der Leyen et Charles Michel. Il y avait une haie d’honneur pour leur arrivée », commente un proche du Conseil.
Mercredi dans la soirée, Charles Michel a fini par s’exprimer sur Facebook. « En dépit d’une volonté manifeste de bien faire, l’interprétation stricte par les services turcs des règles protocolaires a produit une situation désolante : le traitement différencié, voire diminué, de la présidente de la Commission européenne », a commenté le président du Conseil.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi En visite à Ankara, les dirigeants européens proposent un « agenda positif » au président Erdogan
Avant d’ajouter, sans présenter d’excuses : « Sur le moment, tout en percevant le caractère regrettable de la situation, nous avons choisi de ne pas l’aggraver par un incident public », s’exprimant ainsi, au nom d’« Ursula et moi ». Sauf que, à voir la vidéo, il est évident que la concertation entre les deux dirigeants européens n’a jamais existé. Et qu’Ursula von der Leyen a été mise devant le fait accompli.
Virginie Malingre(Bruxelles, bureau européen)