SCANDALE /BOLLORE : VENTE DES PORTS ET CHEMINS DE FER DE L’AFRIQUE SANS L’AFRIQUE, Par Dr DON MELLO

Par Ivoirebusiness/Débats et Opinions - SCANDALE /BOLLORE. VENTE DES PORTS ET CHEMINS DE FER DE L’AFRIQUE SANS L’AFRIQUE, Par Dr DON MELLO.

L’industriel français Vincent Bolloré. Image d’archives.

6.5 milliards EU, tel est le montant de l’offre d’achat de MSC à Bolloré le 20 Décembre 2021 pour l’acquisition de Bolloré Africa Logistics (BAL), le roi des ports et chemin de fer d’Afrique.

Pour le moment l’on ignore le contenu et les contours d’acquisition de BAL sauf que MSC a l’exclusivité jusqu’au 31 Mars 2022 et que cette valeur est « net des intérêts minoritaires ».

De quels intérêts minoritaires s’agit-il ? probablement de ceux des Etats Africains? Pourquoi l’exclusivité sans l’avis de ces « intérêts minoritaires » sur des secteurs aussi stratégiques que le port et le chemin de fer qui peuvent aussi bien transporter le médicament que des déchets toxiques ou des canons ?

Autant de questions en cette date d’annonce de l’offre en ce 20 Décembre 2021, veille des fêtes de fin d’année ou la vigilance n’est pas au rendez-vous. Hasard du calendrier ou tactique de passage en douceur ?

Après ces tristes fêtes pour de nombreuses familles Africaines, examinons de prêt le contour de l’offre à défaut d’avoir le contenu.

Les concessions font partis des accords de type PPP (Partenariat Public-Privé). C’est un partenariat pour lequel l’Etat fait appel à un opérateur privé pour faire un investissement en vue de réaliser un ouvrage ou d’exploiter un service public et l’Etat rembourse l’investissement sur le long terme en cédant au privé une partie des recettes publiques issues de l’exploitation du bien ou du service.

Plusieurs types de contrat PPP existent mais les plus courants pour les ports et chemins de fer sont:

1. Le BOT (Built, Operate, Transfer). Dans ce type de contrat, l’opérateur construit (Built) par ses propres moyens, exploite (Operate) pour récupérer son investissement et transfert (Transfer) selon un délai contractuel à l’Etat le bien public dans un état de service définit par le contrat. Ce type de contrat ne confère aucune propriété à l’investisseur et donc ne peut faire l’objet d’une vente quelconque des actifs.

2. Le BOOT (Built, Own, Operate, Transfer). Dans ce type de contrat, l’opérateur construit (Built) par ses propres moyens, détient un titre de propriété à durer limité, généralement un bail (Own), exploite l’ouvrage pour récupérer son investissement (Operate) et transfert (Transfer) selon le délai contractuel à l’Etat. Pendant la période contractuelle l’opérateur ne peut garantir, céder en parti ou en totalité son droit de propriété à un autre investisseur qu’avec l’accord préalable de l’Etat (confère art 9.2 ci-dessous de la concession du chemin de fer Abidjan-Ouaga).

3. Le BOO ( Built, Own, Operate). Dans ce type de contrat l’investisseur accède à la pleine propriété de l’ouvrage ou du service pour toujours. C’est le cas des privatisations de bien et service de l’Etat.

Dans le cas des ports et chemin de fer, la majorité des Etats ont choisi la première formule, rarement la deuxième et Presque jamais la troisième qui comporte des risques sur un secteur stratégique comme le port, porte d’entrée de tous les dangers.

Le terme “transfert” à l’Etat qui détient dans ce genre de contrat un interêt minoritaire au départ, devient majoritaire en fin de contrat et accède à la pleine propriété. C’est la finalité de l’opération PPP.

A titre d’exemple, le contrat PPP du chemin de fer Abidjan Niger a été signé en 1994 par la Côte d’Ivoire avec Bolloré pour une durée de 15 ans et prolongée à 30 ans, le PPP du terminal à conteneur du Port d’Abidjan (TC1) a été signé avec Bolloré en 2004 pour une durée de 30 ans, celui de Douala en 2015 pour une durée de 15 ans (ce dernier vient de retourner à l’Etat) et celui de la Guinée en 2011 pour 25 ans.

Le succès des premiers PPP engendre une inflation de PPP ces dernières années. les projets PPP portuaires sont annoncés dans tous les pays chacun voulant être le plus grand.

Le Nigeria annonce la création du plus grand port de l’Afrique de l’ouest, le port de Lekki avec un investissement de 1.5 milliards USD pour 45 ans. Ce projet abritera dans sa zone industrielle, la plus grande raffinerie de pétrole d’Afrique de l’ouest de 15 milliards USD entièrement financée par DANGOTE.

Le Sénégal annonce la construction du plus grand port d’Afrique de l’ouest, le port de Ndayane et annonce la création d’un autre port, celui de Sindou pour 1 milliard USD en PPP sur une durée de 25 ans avec une zone industrielle sur 500 ha entièrement financé par un privé Sénégalais.

Le leader actuel de l’Afrique de l’ouest, le port d’Abidjan qui ne veut pas se laisser distancer, annonce la création du deuxième terminal à conteneur (TC2) pour rester le plus grand port de l’Afrique de l’ouest.

De nouveaux challengers, le Ghana, le Togo et le Benin veulent aussi être les plus grands.
A terme tous les ports de l’Afrique de l’ouest seront premiers ex aequo en capacité et dernier ex aequo en efficacité à défaut d’une vision globale et intégrée des infrastructures de transport.
En effet, le client final des conteneurs qui débarquent ou embarquent ne se trouve par sur le port mais dans le quartier voisin, la ville voisine ou le pays voisin. En l’absence de chemins de fer, de routes viables et d’autoroutes, combinée aux tracasseries policières ou chaque policier se transforme en autorité portuaire sur la route à chaque entrée et sortie d’un quartier ou d’une ville, donnent un spectagle désolant. Chaque entrée et sortie d’un quartier, d’une ville ou d’un pays est un “port sec” dans lequel la route remplace le quai avec des embouteillages d’une monstruosité inégalée.

La conséquence immédiate est qu’il est plus rapide et moins coûteux pour un conteneur de quitter Shanghai pour un port Africain que du port à la ville ou au pays voisin. Or, il suffit, dans une vision panafricaniste, de sacrifier cette course vers la première place pour se donner les moyens d’un réseau de ports, de chemins de fer et d’autoroutes interconnectés pour rendre effice la système de transport de biens et de personnes.

L’offre d’achat de MSC à Bolloré ne peut donc écarter “des interêts minoritaires” qui ne sont si minoritaires que ça car selon la nature du contrat, les biens acquis sont assimilables à des biens communs à l’instar du regime de communauté de bien dans un marriage. Dans ces conditions, aucune vente ni cession de droit de propriété ne peuvent s’effectuer en dehors du consentement des Etats signataires et sans une juste repartition des revenus de la vente.

A titre d’exemple l’article 9.2 de la concession du chemin de fer Abidjan-Burkina Faso dispose :

« Le concessionnaire doit gérer et exploiter lui-même le service concédé conformément à la convention de concession. Le concessionnaire ne peut, à peine de déchéance, céder partiellement ou totalement la concession ou se substituer un tiers sans l’accord préalable de l’autorité concédante, pour l’exercice partiel ou total des attributions ou des compétences qui lui incombent au titre du service concédé »

Ce marriage a durée déterminée court donc vers sa fin pour certains contrats. C’est donc au moment ou les Etats Africains se préparent à recupérer leur bien pour établir un nouveau partenariat à l’instar du Cameroun qui a récupérer son port de Douala dont la concession est arrivée à terme en 2019, qu’un autre opérateur non selectionné par les Etats, viendra se présenter pour un “marriage forcé” à durée inconnue. Il exigera certainement de nouveaux contrats avec les Etats à la hauteur du prix de vente pour recupérer sa mise. Après 15 ou 30 ans de formation comme le recommande tous les contrats, ils auront le courage de justifier que les Africains ont encore besoin d’apprendre à gérer…

En tout état de cause, les Etats Africains ont l’occasion unique pour faire une offre alternative concertée qui introduit le secteur privé Africain dans l’acquisition après un audit sérieux. Cette acquisition peut s’accompagner d’un nouveau programme d’investissement dans les ports et infrastructures de transport en Afrique. Cette experience répondra au besoin d’optimisation des investissements et d’interconnexion des ports et transports en Afrique et de conquérir progressivement une souveraineté collective dans les secteurs stratégiques comme le port et les infrastructures de transport.

Ainsi, les hommes d’affaires réussiront là ou les politiciens peinent à réussir: la fédération du continent.

Le programme d’investissement qui accompagnera cette offre alternative doit s’appuyer sur le PIDA (Programme des Infrastructures pour le Développement de l’Afrique) de l’Union Africaine qui invite à l’interconnexion des infrastructures de transport.

Le pilotage pour le bouclage du nouveau partenariat peut être délégué à une des agences de développement de l’Union Africaine (CEA, NEPAD, AFRICA 50). Ainsi le désir d’interconnexion et de fédération des ports et des chemins de fer ne sera plus une utopie mais un rêve réalisable.

Les zones économiques qui accompagnent les nouvelles générations de ports ne produiront donc pas les mêmes choses mais coordonneront leurs investissements pour produire ce que l’Afrique a l’habitude d’importer et transformer ce qu’elle exporte en privilégiant le commerce intracontinental avec un marché africain booster par la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAF) et la maîtrise des infrastructures maritimes et terrestres.

Par Dr Ahoua Don Mello
Docteur Ingénieur des Ponts et Chaussées