RFI « Invité Afrique » - Michel Gbagbo: "J’ai été arrêté parce que j’étais le fils de Laurent Gbagbo"."Je n’ai toujours pas eu de chef d’inculpation"

Par RFI - Michel Gbagbo " Je suis en résidence surveillée".

«Aujourd'hui, il faut non pas ressasser le passé, mais regarder l'avenir avec confiance, en aidant à rechercher l'unité nationale dans le pays.»

Michel Gbagbo, mis en liberté provisoire en août dernier après plus de deux années d'emprisonnement en Côte d'Ivoire, parle peu. Ce Franco-Ivoirien de 44 ans est le fils de l'ancien président Laurent Gbagbo. Il se fait discret. La dernière fois qu'on a entendu son nom c'est en février dernier, lorsque les autorités ivoiriennes l'ont empêché de se rendre à Paris pour répondre à une convocation d'une juge française dans le cadre d'une plainte qu'il a déposée contre Guillaume Soro. Son épouse et ses trois enfants vivent en exil au Ghana -alors que lui s'est installé à Abidjan dans la maison familiale.

RFI : Michel Gbagbo bonjour. Vous avez été mis en liberté provisoire en août dernier, après plus de deux années d’emprisonnement.
Vos avocats invoquaient non seulement la présomption d’innocence mais aussi votre mauvais état de santé pour demander cette mesure Comment s’est passé cette détention et comment vous sentez-vous aujourd’hui ?

Mi c h e l Gbagbo : Je me sens b e a u c o u p mieux, mon état de santé s’est stabilisé. Il a eu des vidéos qui ont circulé sur Internet concernant les conditions de mon arrestation et celles de ma détention. Il s’agissait de moi et de certains codétenus, dont le président Affi Nguessan.Ces éléments sont parlants, mais je ne voudrais pas revenir là-dessus.
Parce que, aujourd’hui il faut, non pas ressasser le passé, mais regarder l’avenir avec
confiance en aidant à chercher l’unité nationale dans le pays.
On vous voyait peu quand votre père était président et puis vous êtes devenu célèbre, quand vous avez été arrêté avec lui, dans son bunker à Abidjan le 11 avril
2011.

Est-ce que vous êtes proche de Laurent Gbagbo ?

C’est une petite célébrité ! Je n’ai pas fait montre d’un courage extraordinaire! Je n’ai été que près de mon père ainsi que de ma famille et mes enfants. Mais je voudrais revenir sur le mot « bunker ». Ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas d’un bunker au sens où on l’entend dans l’imaginaire français. Il s’agissait simplement d’un sous-sol. Voilà.Je suis proche de mon père. Dans ses affaires, il a toujours fait la distinction entre sa famille et ses collaborateurs politiques. Donc je n’ai pas participé à la gestion des affaires publiques. J’ai été arrêté
parce que j’étais son fils.

Vous êtes quand même en liberté provisoire. La justice ivoirienne vous reproche des choses. Est-ce que vous savez de quoi vous êtes inculpé précisément ?

Je suis inculpé de l’ensemble du Code pénal, nonobstant le crime de génocide. C’est pour vous montrer à quel point ces accusations sont farfelues, dénuées de fondement. Je m’étonne parce que je n’ai toujours pas eu de chef d’inculpation à proprement parler.
On ne m’a toujours pas dit ce que j’aurais commis exactement comme acte. Ça démontre bien que ces dossiers sont purement politiques et totalement vides.Mais il ne s’agit pas simplement de moi. Il s’agit de toutes ces personnes proches du président
Gbagbo et qui sont injustement incarcérées. Il n’y a simplement pas de justice en Côte d’Ivoire. Aucune date de début d’un commencement d’un éventuel procès
n’a jamais été communiquée à un de nos conseils. Et cela est valable pour tout le monde. Ça démontre bien que quelque part la machine judiciaire en Côte d’Ivoire est totalement grippée.
Et ça fait partie des chantiers que nous devons reconstruire dans un esprit d’apaisement, dans une perspective de consensus.

Comment se passent vos journée?

Je reçois beaucoup, je lis beaucoup et je participe à quelques réunions ici et là. Ce sont des
journées très remplies. Pour rire, je dis souvent à mes amis que je ne me suis jamais senti aussi occupé que depuis que je suis au chômage forcé. J’étais jusqu’en 2011, enseignant à l’université Félix Houphouët-Boigny en psychologie.Et je continue maintenant de me battre, pour pouvoir reprendre mon enseignement, puisque je suis fonctionnaire ivoirien.
En droit, je suis libre de travailler comme de faire de la course à pied. Et je suis libre de sortir du territoire. Je suis libre d’avoir un compte en banque, je suis libre de prendre la parole en public. Dans les faits effectivement il y a des limitations, il y a des crispations. Je suis en résidence surveillée de fait et il y a cet empêchement malheureux de sortir du territoire,
qui ne sert pas l’image de la Côte d’Ivoire et qui ne sert pas la réconciliation.

Quels sont vos liens avec le FPI,le parti fondé par votre père, Laurent Gbagbo ?

Structurellement, je suis un militant de base. Maintenant je suis conscient que je porte un nom
particulier et que mes interventions,mes apparitions… créent toujours un certain émoi. Donc
j’essaie de faire très, très attention à ce que je dis, à mes déclarations…Et en tout cas, la prison a créé ou renforcé des liens personnels avec beaucoup de dirigeants du Front populaire ivoirien et c’est normal. Ça c’est l’histoire qui le veut. Et j’ai de très, très bonnes
relations avec l’ensemble de la direction et l’ensemble des militants et des membres du Front
populaire ivoirien.

Lors d’un récent meeting, vous avez parlé d’une déportation coloniale de Charles Blé Goudé.Vous avez appelé les militants à rester mobilisés, un discours très politisé.

Soyons clairs ! On n’est pas au temps de la colonie ! Mais on est quand même dans un contexte particulier, où le fait de prendre un individu noir, africain, et d’aller
le juger dans une prison occidentale, rappelle des souvenirs. Il y a une perception particulière
que des citoyens ivoiriens peuvent avoir de ce genre d’opérations médiatico-juridiques.

RFI, « Invité Afrique »

Par Maureen Grisot

DERNIERES CONFIDENCES DE LAURENT GBAGBO A UN MILITANT DU FPI : « CEUX QUI PENSENT QUE JE NE VAIS PAS REVENIR SE TROMPENT…»
De retour de La Haye, il y a quelques semaines, un cadre du FPI, ancien député d’une commune d’Abidjan, a bien voulu faire fuiter quelques anecdotes de sa rencontre avec le président
Laurent Gbagbo dont il juge la forme excellente et le moral haut. Pour preuve, Laurent Gbagbo lui a affirmé qu’il reviendra dans son pays.
Quand il parle de sa rencontre avec Laurent Gbagbo,la joie illumine le visage de ce cadre du FPI, ancien député de l’une des communes d’Abidjan, qui revient d’une visite mémorable chez le concerné à La Haye, il y a juste quelques semaines. L’ancien
président, à l’en croire, pète la forme. « Il m’a demandé le premier comment je vais, et comment va le pays et les autres membres de la direction du parti. Je lui ai répondu que tout va bien.Puis il a souri, content », se souvient- il. « C’est bien ! », lui a alors rétorqué le président Gbagbo. Mais le plus étonnant est à venir. En effet, lorsque son visiteur lui a demandé comment il se portait à son tour, le confident du jour raconte la scène qui suit :
« Le président Gbagbo a montré ses deux poings, pour me montrer qu’il allait bien. Puis, il m’a dit : c’est bien, continuez le travail.Car ceux qui pensent que je ne vais pas revenir en Côte d’Ivoire se trompent. Je reviendrai ».
Trois ans après son arrestation, le discours de Laurent Gbagbo sur son retour en politique n’a d’ailleurs pas varié. Conforté par un sentiment d’injustice à son égard,celui qu’on appelle à Abidjan « le woody de Mama » ne se voit point en dehors de la politique.Déjà à Korhogo, au cours d’une interview qui fit polémique à cette époque, l’ancien président avait affirmé qu’il n’avait pas besoin d’une circonstance particulière pour quitter ce goulag du régime. « Je suis assez grand pour savoir comment je peux me sortir d’ici », avait alors fait remarquer
Laurent Gbagbo dont le moral n’a point été touché, racontent tous ceux qui ont pu lui rendre visite au pénitencier de La Haye où il a été déporté depuis novembre 2012.
Depuis, quelques faits lui ont donné raison. A commencer par la cour pénale internationale ellemême qui ne sait toujours pas comment confirmer les « preuves » de la procureure gambienne. Priée d’enquêter de nouveau dans le but de trouver un lien entre ses
accusations et l’ancien chef de l’Etat ivoirien, Fatou Bensouda a multiplié des charges, à nouveau sans fondement, et sans lien avec l’accusé. D’ailleurs, cette situation dans laquelle
se trouve le président Gbagbo et qui ressemble plus à une prise d’otage, entendu que le
doute ne lui profite même pas en tant qu’accusé, a provoqué une levée de bouclier de la communauté africaine. Celle-ci, à commencer par les chefs d’Etat africains eux-mêmes, accusent désormais ouvertement la cour pénale internationale de s’acharner sur les dirigeants africains.
Après le président congolais,Denis Sassou N’guesso, c’est au tour du mauritanien de pointer le racisme de la CPI « spécialisée dans le jugement des africains », dénonce-t-il.
Cela dit, en dehors du deux poids deux mesures flagrants qui prévaut sur la situation ivoirienne, la CPI refusant de juger les pro-Ouattara pourtant convaincus des
pires atteintes aux droits de l’homme, la mobilisation des pro-Gbagbo dans le monde gêne le
discours de la communauté internationale qui essaie, en vain, de le faire passer pour un dictateur. Alors qu’il y a deux semaines une marche européenne pour la libération
de l’ex-chef d’Etat ivoirien a été organisée à Paris, à l’occasion de la célébration du troisième
anniversaire de sa détention, des milliers de personnes étaient encore hier dans
les rues de la capitale française pour réclamer la fin de la prison pour Laurent Gbagbo mais aussi pour Charles Blé Goudé son ancien ministre de la jeunesse.
Prophète chez lui, l’ancien président ivoirien est toujours attendu avec ferveur par des millions
d’Ivoiriens sentimentalement liés à lui. Mais aussi sans doute parce que le gouvernement multiplie les atteintes aux droits de l’homme. Environ quelque 800 pro-Gbagbo sont toujours détenus, sans jugement pour la grande majorité, dans les prisons ivoiriennes quand ils ne sont pas frappés par la politique de rattrapage ethnique du gouvernement. Mais il y
a surtout que la vie est devenue plus chère. Ce n’est pourtant pas faute d’annonces. L’actuel chef de l’Etat a, en effet fait miroiter, pendant la campagne électorale,une vie meilleure aux Ivoiriens à qui il avait notamment annoncé une pluie de milliards. Mais trois ans plus tard, le compte n’y est toujours pas. Les emplois promis ne sont toujours pas visibles et le
gouvernement espère créer la couverture maladie universelle vers 2015, ce qui est carrément
une utopie au regard des réticences des grands groupes d’assureurs français en particulier à
qui Ouattara doit aussi sa présidence.Au demeurant, la CMU est une copie de l’AMU, assurance maladie universelle que l’ancien président n’a pu mettre en place en raison de la rébellion armée qui a plombé l’essentiel de son
action…
Tout cela a fait monter la côte de Laurent Gbagbo toujours aussi populaire que durant sa présidence.« Il nous manque », expliquait un opérateur économique proche du PDCI qui garde de bons souvenirs de la présidence Gbagbo. « Tous les contrats que j’ai obtenus, c’est sous sa présidence. Avec lui, il suffisait d’avoir la compétence. Mais aujourd’hui,
seule compte l’ethnie ». Laurent Gbagbo était aussi un président qui a consacré la liberté
d’expression. Il avait aussi ce côté joueur qui plaisait à ses compatriotes.
En fait entre Gbagbo et les Ivoiriens, « le courant » a toujours su passer comme on le dit
en Côte d’Ivoire. Alors si on en croit Gbagbo lui-même, les Ivoiriens auront à nouveau le sourire avec son retour au pays. Même si,le rang des sceptiques grandit
avec les années qui passent.

Sévérine Blé
IN Aujourd’hui du Lundi 28 Avril 2014