Réponse à Jean-Baptiste KOUAME

M. Jean-Baptiste Kouamé, bonjour!
J’ai lu votre texte intitulé “Quand un prêtre offense le chef de l’État et des évêques” et publié dans Le Nouveau Réveil du 5 novembre 2012. Je l’ai

M. Jean-Baptiste Kouamé, bonjour!
J’ai lu votre texte intitulé “Quand un prêtre offense le chef de l’État et des évêques” et publié dans Le Nouveau Réveil du 5 novembre 2012. Je l’ai

lu d’autant plus attentivement que je suis pour le débat contradictoire et que je fais partie de celles et ceux qui préfèrent la force des arguments à l’argument de la force: Si Guillaume Soro, Alassane Ouattara, IB et Cie avaient compris qu’un homme civilisé et démocrate se bat avec des mots et non avec des armes, Henri Konan Bedié n’aurait pas été renversé le 24 décembre 1999 et notre pays n’aurait pas été attaqué le 19 septembre 2002. Je rappelle ces deux dates funestes car tout ce que nous avons vécu après ̶ partition du pays, expulsion des fonctionnaires du Sud travaillant au Nord, exploitation des richesses du Nord, Centre et de l’Ouest par la rébellion, casses de la BCEAO à Man, Bouaké et Korhogo sans que Charles Konan Banny, la Cedeao et la France ne prennent des mesures de rétorsion, le coton et l’or du pays volés et acheminés au Burkina et au Mali, crise post-électorale, etc . ̶ n’est que la conséquence de ce double “péché original”.
En décidant de me porter la contradiction, vous n’avez donc pas péché; votre réaction à ma modeste réflexion sur les chefs religieux et la réconciliation en Côte d’Ivoire est une chose normale car c’est de la confrontation des idées que naît la lumière et c’est cela, cette confrontation, qui fait avancer une société, étant admis que ladite confrontation doit être caractérisée par l’argumentation, l’objectivité, l’humilité, l’honnêteté intellectuelle et l’exactitude dans l’usage des mots, des faits ou des chiffres. Est-ce le cas dans votre tribune? J’en doute fort et je m’emploierai à le démontrer ci-dessous.
Des inexactitudes
La première, c’est que vous me présentez comme un curé; les mots ayant un sens précis en français, je voudrais vous apprendre qu’un curé est un prêtre nommé par l’évêque à la tête d’une paroisse. Or aucun évêque ne m’a confié cette charge jusqu’à maintenant. Deuxième inexactitude: vous me reprochez de n’avoir pas respecté le voeu d’obéissance qui serait un des piliers de la vie jésuite. Ici deux choses méritent d’être corrigées. D’une part, je n’appartiens plus à la Compagnie de Jésus depuis 2001; d’autre part, l’obéissance dans l’Eglise catholique, si je me réfère à mon cours de théologie morale, n’est pas aveugle. Je veux dire par là qu’il n’est pas interdit à un prêtre ou à un religieux de dire ce qu’il pense avant d’accepter telle ou telle décision de l’évêque ou du provincial. En 1983, lorsque Jean-Paul II, contournant la manière de procéder des jésuites, nomma les PP. Paolo Dezza et Giuseppe Pitau à la tête de la Compagnie de Jésus après la maladie du P. Pedro Arrupe, des jésuites allemands prirent position en disant: “Nous ne voyons pas le doigt de Dieu dans cette décision”. Certes, Karl Rahner et les autres finirent par rentrer dans les rangs mais le voeu d’obéissance au pape ne les empêcha pas de dire haut et fort qu’ils étaient en désaccord avec le souverain pontife. Et ils ne furent jamais chassés de la congrégation pour avoir critiqué le geste du pape. Ils avaient agi de la sorte parce qu’ils savent que ni la Parole de Dieu ni la doctrine catholique ne demandent de se soumettre sottement à ceux qui se prennent pour “des dieux infaillibles et tout-puissants » appelant à ramper ou à se prosterner devant eux, à verser son sang avec enthousiasme pour eux » (Paul Valadier, Du spirituel en politique, Paris, Bayard, coll. « Christus », 2008, p. 50). Jésus ne s’est pas soumis à n’importe quel pouvoir. Hérode qui voulait régner tout seul et ne voulait pas entendre parler du roi des Juifs fut traité par lui de renard (Lc 13, 31-32). Quant aux chefs religieux (légistes, pharisiens, prêtres et grands prêtres), il ne passa pas par quatre chemins pour fustiger leur hypocrisie et leur cupidité (Lc 11, 37-52). Un autre acte de désobéissance fut son refus de répondre aux questions d’Hérode Antipas parce qu’il les trouvait sans intérêt (Lc 23, 9). Il ne suffit pas de rappeler que saint Paul a déclaré que l’autorité vient de Dieu et qu’il a recommandé de se soumettre aux gouvernants (Rm 13, 1-7). Il est aussi important de savoir que, quand Paul s’adressait aux chrétiens de Rome – nous sommes vers l'an 56 de notre ère –, l'autorité romaine était loin d’être totalitaire. Bien au contraire, l'administration impériale entretenait de bons rapports avec la population. Celle-ci n’etait ni brimée ni opprimée. Justice était rendue à quiconque se sentait lésé. Thémis – déesse de l’équité et de la loi dans la mythologie grecque – ne tranchait pas forcément en faveur du riche ou du puissant. Tel est le pouvoir que Paul a connu et – certainement – apprécié. Si ce pouvoir lui avait semblé partial, s’il ne lui inspirait que crainte et méfiance, il n’aurait pas eu recours à lui lorsque des accusations furent portées contre lui par les grands prêtres et notables juifs de Césarée (Ac 25, 1-12). Jésus comme Paul nous montrent que le chrétien n’est pas obligé d’obéir à n’importe quell pouvoir et que tout pouvoir (religieux, politique, intellectuel, économique, etc.) est au service du bien commun. Et Servir le bien commun, c’est veiller à ce que tous les citoyens soient égaux devant la loi, que les richesses nationales, fruit du labeur de chacun, bénéficient à tous, que la sécurité des biens et des personnes soit assurée, etc. Aussi longtemps que cela est fait par ceux qui sont momentanément au pouvoir, aussi longtemps que l’autorité « respecte les droits natifs de l’homme et agit par persuasion autant qu’il est possible sans abuser inutilement de la contrainte, écrit Jean-Yves Calvez,le citoyen répond à l’autorité par l’obéissance civile » et il répond « sans attendre l’intervention de quelque contrainte que ce soit » (Jean-Yves Calvez, La politique et Dieu, Cerf, Paris, 1985, p. 60). Il s’ensuit que c’est « le bien commun lui-même qui donne autorité à l’autorité » (Ibid.). Obéir, dans ces conditions, ce n’est pas seulement obéir aux hommes mais obéir à Dieu, source de toute autorité. Jean XXIII appelle cela « rendre hommage à Dieu » (Pacem in terris, 1963, n° 50). Une telle obéissance élève l’homme. Si l’homme devait, au contraire, obéir à un pouvoir tyrannique, corrompu, sanguinaire ou tribaliste, une telle obéissance le ravalerait au rang de l’animal. Un homme digne de ce nom doit dire « non » à un tel pouvoir, conseille saint Thomas d’Aquin. La désobéissance civile, dans ces circonstances, devient un devoir, voire un « hommage adressé à Dieu ». C’est ce que firent Rosa Parks et Martin Luther King aux États-Unis en 1955 en boycottant les bus où les Noirs n’étaient pas autorisés à occuper les places réservées aux Blancs.
M. Kouamé, si, pour vous, rappeler aux évêques de Côte d’Ivoire qu’ils ne doivent pas avoir une compassion sélective, qu’ils sont appelés à être missionnaires de la vérité et de la justice (et non démissionnaires )et que le bon berger va à la recherche de la brebis perdue, soigne celle qui est malade et est prêt à donner sa vie pour ses brebis, c’est violer le voeu d’obéissance, cela signifie que vous n’avez rien compris à l’enseignement et à la vie de Jésus et que vous parlez de choses que vous ne maîtrisez pas. Comment peut-on étaler une ignorance aussi crasse et se dire pompeusement “professeur” (un professeur dont je n’ai pas encore aperçu un seul livre dans les bibliothèques universitaires d’Europe et d’Amérique du Nord)?
Vous vous gardez de répondre aux questions que j’ai posées
À propos de livres, vous citez un de Maurice Merleau-Ponty et un autre de Jean-Claude Guillebaud. Ces livres, je les ai lus, moi aussi mais en quoi le fait de les convoquer dans votre texte répond à mes questions? Nulle part, en effet, vous ne dites, preuves à l’appui, que Ouattara est étranger à la fermeture des banques et à l’embargo sur les médicaments, que les anciens rebelles ne travaillaient pas pour lui, qu’il traite bien l’opposition, qu’il laisse la presse favorable à Gbagbo s’exprimer librement. À vous lire, Ouattara est un saint et l’inviter à battre sa coulpe comme les autres politiciens, c’est commettre un crime de lèse-majesté. Or des Ivoiriens qu’on ne peut soupçonner d’être des pro-Gbagbo disent tous la même chose, à savoir que le pays est bloqué parce que votre champion tient à se venger, parce qu’il a juré de punir les Ivoiriens qui ne le reconnaissent pas comme un des leurs, parce qu’il est en train d’opposer le Nord au reste de la Côte d’Ivoire. Voulez-vous des noms? Meiway qui disait ceci dans Notre Voie du 7 novembre 2012: “Ce sont deux personnes en face qu’on réconcilie, deux interlocuteurs. Il y a aujourd’hui un interlocuteur au pouvoir : le groupement politique Rhdp. Je me rends compte que les vrais interlocuteurs, dans le cas d’espèce, sont en exil ou en prison. Je fais allusion aux membres Lmp. On prêche donc un peu dans le désert aujourd’hui concernant le processus de réconciliation nationale.” Alpha Blondy, un autre musicien, abonde dans le meme sens quand il affirme: “Il faut que les politiques se réconcilient d’abord. Ce sont eux qui ont «déversé» leurs problèmes sur les populations. J’ai demandé au président Ouattara de poser un acte fort, symbolique, en libérant les pro-Gbagbo non coupables de crimes de sang. Si cela pouvait être fait, je pense que cela pourra apaiser un peu la tension” (SlateAfrique du 17 novembre 2012). Quelques semaines plus tôt, sur RTI1, le dimanche 28 octobre 2012, Billy Billy confiait: “Il y a une partie de la Côte d’Ivoire qui croit en cette réconciliation, mais je reste un peu sur ma faim, car des stades que Billy Billy seul peut remplir, ne peuvent l’être avec tous ces artistes réunis. Je pense qu’il y a une partie de la population qui ne se sent pas impliquée. Et c’est cela mon inquiétude (…) Moi je pense que si la Côte d’Ivoire est une famille de 16 millions d’habitants, et que 10000 membres de cette famille ne sont pas là, la famille n’est pas au complet. Quand nous jouons dans des stades à moitié vide, cela nous met mal à l’aise. C’est comme si une bonne partie de la population refuse le message de la réconciliation que nous sommes venus lui soumettre… »
Peut-être m’objecterez-vous que ces chanteurs parlent ainsi parce qu’ils sont jeunes. Et Yéboué Lazare , membre du bureau politique du PDCI et ancient PCA de la SIR? Il n’est plus jeune, celui-là. Voici sa confession dans Soirinfo du 29 septembre 2012: “« Moi j’ai lu le livre de Nelson Mandela « La longue marche pour la liberté ». J’ai lu les 900 pages et j’ai bien compris ce qui s’est passé là-bas, en Afrique du sud. Malgré toutes les difficultés qu’il a vécues, Mandela, quand il est arrivé au pouvoir, il a dit : « les frères, c’est vrai qu’on a souffert, on nous a tués, mais les quelques uns d’entre nous qui restons encore en vie, acceptons de pardonner. Nous avons créé une commission dialogue, vérité et réconciliation, juste pour que ceux qui ont commis les exactions fassent leur acte de contrition. Et ça suffit. On n’a emprisonné personne. On n’a pourchassé personne. En tout cas, je parle de ce qui s’est passé en Afrique du Sud. En Côte d’Ivoire, ce n’est pas le cas. Si on veut vraiment la réconciliation, il y a des démarches et des sacrifices à faire ». M. Kouamé, direz-vous que Meiway, Alpha Blondy et Lazare Yéboué “ont offensé le chef de l’État” pour avoir dit ces véritiés toutes simples? Allez-vous les clouer au pilori et les livrer à la vindicte des dozos et FRCI?
Je vais vous dire, M. Kouamé, pourquoi vous refusez de voir l’évidence, pourquoi vous vous échinez à défendre l’indéfendable: vous voulez que Ouattara vous remarque, vous désirez entrer dans ses bonnes grâces, vous êtes en quête d’un strapontin qui vous permettrait de joindre les deux bouts, vous êtes dans un combat de positionnement. Que la Côte d’Ivoire périsse ou meure vous importe peu. Ce qui compte pour vous, c’est le “mangement”, ce qui signifie que vous ne voyez pas plus loin que votre ventre et que, pour manger et boire, vous êtes prêts à soutenir un pouvoir francmaçonnique, violent et sanguinaire. En d’autres termes, vous voulez être dans le système, jouir des avantages du système alors que, selon Fabien Eboussi, le vrai intellectuel est un “paria conscient” , c’est-à-dire “un dissident face à la ligne du parti imposée par l’idéologie dominante, qu’elle soit religieuse, philosophique ou politique” (Melchior Mbonimpa, “ Un intellectuel organique?” in Ambroise Kom, Fabien Eboussi Boulaga, la philosophie du Muntu, Paris, Karthala, 2009, p. 175). Socrate est un exemple de cette dissidence. Un intellectuel authentique ne se couche pas devant un pouvoir impopulaire et autoritaire, ne soutient pas l’insoutenable, n’encense pas des crapules; il ne pense pas d’abord à remplir son ventre mais doit entrer en dissidence quand les ventres autour de lui sont vides, quand le pouvoir, y compris celui dont il est proche, torture, terrorise ou assassine.
M. J.-B. Kouamé, je voudrais vous rassurer sur un point et c’est par là que je terminerai mon propos: en donnant mon point de vue sur la marche de notre pays, je ne cherche ni à blesser qui que ce soit ni a occuper tel ou tel poste juteux/et presitigieux. Certains esprits tordus et simplistes ont tôt fait de vous taxer d’assoiffé de pouvoir dès que vous parlez de justice et de respect des droits de l’homme. À ceux-là je voudrais répondre en disant avec Mgr Jean Zoa : “Chers politiques, nous ne venons pas disputer vos places. Nous sommes là pour vous montrer que ces places sont des services” (Jean-Paul Messina, Jean Zoa, prêtre, archevêque de Yaoundé, Paris, Karthala, 2000, p. 241)”. Le pouvoir n’est rien d’autre qu’un service. Entrer en politique ou en religion, c’est accepter de se mettre au service de tous dans la Cité. Et c’est ce service universel qui fait la beauté et la grandeur du pouvoir. Par conséquent, quand des politiciens et des “hommes de Dieu” ne s’occupent que des gens de leur religion, région ou ethnie, M. Kouamé, notre devoir, vous et moi, est de les interpeller vigoureusement , d’entrer en dissidence contre eux, ce qui est loin de constituer une offense.
Cordialement!
Jean-Claude DJEREKE
jcdjereke@yahoo.fr